Voir la France d'aujourd'hui de l'étranger ou par les étrangers, est un plaisir de masochiste. Mais comme je suis un inaltérable optimiste, je permets d'en rire en espérant que demain sera meilleur et j'ai souligné les phrases les plus sanglantes.
Karim Jivraj un rêve de Sorbonne
LE MONDE 23.03.06 13h39 • Mis à jour le 23.03.06 13h39
Le lundi 20 mars 2006 restera un jour de mobilisation sans précédent au centre René-Cassin. Jusque-là, les étudiants en droit du premier cycle de la Sorbonne n'avaient pas rejoint la protestation. Quatre jours plus tôt, les plus militants avaient joué le coup de force en bloquant l'université à la hussarde. Ce lundi, donc, une assemblée générale devait décider du blocage ou non de la faculté, pour s'opposer au texte du gouvernement sur le contrat première embauche (CPE). A l'entrée de l'amphithéâtre bondé, un blasé au sourire caustique commente les faits des derniers jours. Les opinions des orateurs sont panachées, les divergences scrupuleusement respectées.
Le blasé se raidit : "C'est Karim. Il est excellent. Vous allez vous régaler." Depuis quelques jours, Karim Jivraj, 19 ans, bluffe l'auditoire. Son intervention, ce lundi, "est particulièrement attendue, explique une étudiante, il a un indéniable talent oratoire". Il est contre le blocage, pour le CPE, tout en expliquant que "si ce n'est qu'une petite réforme, elle va dans le bon sens". Mais il se lance dans sa plaidoirie en allant au-delà des arguments déjà avancés par d'autres étudiants sur le mode "on veut aller en cours, on ne veut pas gâcher notre année".
Karim s'adresse directement à ses congénères "bloqueurs". Dénonce leur vision "étroite" du monde "fondée sur l'idée pauvre" selon laquelle "le mot libéralisme est une insulte". Invoque Tony Blair. Argumente, sans hausser la voix mais avec un léger accent anglophone, que l'économie de marché et le libéralisme "ne sont que des moyens pour créer de la richesse".
Surprise. Alors que l'assemblée semblait acquise dans ses réactions aux frondeurs, il est plus applaudi que hué.
Karim Jivraj est un Canadien de la province de l'Ontario, d'origine indienne et de confession musulmane. Pour l'étudiant français lambda, il tient de l'énigme. Ses ancêtres ont été chassés d'Inde au début du XXe siècle en tant qu'ismaéliens - tenants d'un islam progressiste. Ils ont alors émigré en Afrique. Si sa mère, issue de la bourgeoisie commerçante, a vécu confortablement en Ouganda, son père a grandi dans un bidonville de Dar es-Salaam, en Tanzanie. Ils ont émigré à Londres, où ils se sont rencontrés, lorsque le dictateur Idi Amin Dada a expulsé en 1972 plus de 50 000 Asiatiques, en majorité indiens, d'Ouganda et provoqué des troubles dans cette région d'Afrique. Le jeune étudiant porte en lui le destin de ses parents, qui lui ont transmis la certitude qu'une vie "ne s'hérite pas mais se construit". Son père, immigré à Londres sans moyens, a consacré toute son énergie à apprendre l'anglais et la comptabilité.
Quatre ans après leur arrivée à Londres, ses parents, à la recherche de meilleures opportunités, n'ont pas hésité à partir pour le Canada, où il est né, ainsi que ses deux jeunes frères. Dans des conditions différentes, c'est un peu ce chemin qu'il a suivi après avoir obtenu son baccalauréat international - mention très bien - à la French School de Toronto.
Le plus confortable pour lui aurait été de s'inscrire dans une université américaine ou à la London School of Economics. C'est sur la Sorbonne, l'université parisienne fondée au XIIIe siècle, qu'il a fixé son choix. Sur place, dès la première semaine, son rêve s'oxyde. Le centre René-Cassin, rue Saint-Hippolyte, dans le 13e arrondissement de Paris, n'offre rien des ors, des moulures, des plafonds en stuc, des rampes en fer forgé qui caractérisent le prestigieux établissement du Quartier latin, et encore moins de l'effervescence intellectuelle qu'il avait goûtée au fil de ses lectures. Entre tags et graffitis, les locaux délabrés et le mobilier minable, le jeune Canadien découvre un monde de désolation où chaque étudiant "vient prendre son cours presque honteux et s'enfuit". Alors qu'il a été élevé dans l'idée que l'université est aussi un campus, lieu de rencontres et d'éveil, il souffre de l'absence de débats et d'échanges. A Paris, il se retrouve réduit à palabrer sur quelques mètres carrés de trottoirs à l'angle de deux rues, le seul espace commun étant une terrasse glauque, annexée par les fumeurs de joints. "Je n'ai rencontré aucun environnement d'excellence. [Evidemment, les excellents, ils sont dans les grandes écoles ou à l'étranger] J'avais une image romantique de la Sorbonne. Au début, j'ai vécu cela comme une trahison." Karim Jivraj s'en est remis, mais il en conserve une authentique déception, ravivée par le débat actuel sur le CPE. Il raille ces jeunes gens qui ont plus envie "de s'afficher dans leur préférence politique pour avoir une existence que de raisonner sur des grands sujets".
Il aimerait parler avec eux du fameux modèle social français, leur expliquer comment dans son pays, également très protecteur, les responsables politiques ont modernisé avec succès les systèmes de santé publique et l'éducation. "Ça ne les intéresse pas. Pour beaucoup d'entre eux, le monde commence et s'achève rue Saint-Hippolyte." Ce qu'expriment, selon lui, les radicaux qui ont bloqué le centre avec des méthodes violentes, alors qu'ils ne sont qu'une minorité, "c'est l'existence d'un vide". Karim pense que beaucoup d'entre eux ne sont pas contents d'être en faculté, parce qu'ils savent qu'ils n'accéderont pas aux postes de responsabilité et de pouvoir. " Le système les trompe, alors ils se drapent dans une attitude rebelle" qui les conduit paradoxalement à tout attendre de l'Etat. Il reconnaît qu'il est privilégié de pouvoir suivre des études supérieures, mais assure qu'il travaille beaucoup. Il lui a fallu une année de labeur acharné pour transformer son français académique en une langue fluide. Au terme d'une féroce sélection, Karim fait partie des deux étudiants en droit de la Sorbonne qui représenteront les premières années de Paris-I au Concours national interuniversitaire et francophone de plaidoirie de la conférence Lysias. Il ne sait pas ce qu'il fera dans le futur, mais n'éprouve aucune inquiétude. "Si je fais mon job, je ne vois pas pourquoi mon employeur me virerait. C'est un fantasme cette idée." En revanche, il sait que son temps d'études est compté parce que si, au Canada, l'on se bat pour en faire, cela dure trois ou quatre années. Ensuite "on bosse, pas comme ici où ça traîne en longueur".
Alain Abellard --------------------------------------------------------------------------------
Parcours 1986. Naissance à Hamilton (Canada, province de l'Ontario). 2004. Obtient son baccalauréat international (mention très bien) et s'inscrit en droit à la Sorbonne. 2006. Il fait partie des étudiants qui s'opposent au blocage de leur centre universitaire
vendredi, mars 24, 2006
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Deux posts pour toi Frank:
RépondreSupprimerhttp://transmanches.blogspot.com/2006/04/les-greves-vues-de-londres.html
et
http://transmanches.blogspot.com/2006/04/les-greves-vues-de-letranger.html
Il y a tout de meme qqch que j'arrive pas a comprendre: comment des controleurs ont ils le DROIT de faire greve par solidarité? N'ont ils pas au moins l'obligation de deposer un preavis motivé?
voir aussi
RépondreSupprimerKarim Jivraj ou l’éducation comparée