De Marc Fumaroli :
Vivant dans une époque où les techniques de communication ont rejeté dans l'indifférence générale la langue que l'on parle et, à plus forte raison, le style dans lequel on s'adresse à autrui, il est stupéfiant de découvrir la passion que des temps moins éclairés mirent à disputer sur les qualités de leur langage, sur l'honneur qu'il pouvait faire à autrui et sur la faveur qu'il pouvait valoir au sujet parlant et écrivant.
J'ai relevé cette phrase dans l'excellent Exercices de lecture, à propos de la querelle provoquée par les lettres de Guez de Balzac, en 1624. La question était simple : doit on au lecteur et, plus encore, à ses interlocuteurs, un style très travaillé, voire maniéré, ou, au contraire, un parler direct et franc, à la Montaigne ? Les réponses furent fort toniques, les bretteurs se jetant avec enthousiasme dans la bataille.
Vous pouvez deviner dans le commentaire cité tout l'humour pince-sans-rire de Marc Fumaroli.
Cette remarque me poigne durement, car le reproche essentiel que je fais à mon blog est justement de manquer de style.
Puisqu'on en est à évoquer le "Grand Siècle", je ne résiste pas au plaisir de vous expliquer une idée de Marc Fumaroli, une de ces perles qu'on trouve dans ses écrits.
Il voit dans l'art de la conversation à la française une des sources de l'anti-parlementarisme, c'est-à-dire, au fond -ne jouons pas sur les mots- de l'antidémocratisme français.
Selon l'idée bien tocquevilienne que plus la forme change, plus le fond se conserve, les Français ont gardé l'habitude d'Ancien Régime de la politique faite par relations, entre "beaux esprits", des complots de salons, des connivences mondaines, de la cooptation à tous les étages.
Il est vrai que les débats parlementaires paraissent bien vulgaires à coté d'une réception "entre soi", d'un petit dîner en ville, où l'on décide "Tiens, Untel serait bien à GDF. Tartempion me paraît l'homme qu'il faut pour le ministère de la protection des bacs à sable. Avez vous pensé à mon ami Trucmuche pour le secrétariat aux albinos borgnes ?"
La dernière réussite tonitruante de cette politique des salons est la nomination de Noël Forgeard à EADS.
Que vaut-il mieux ? Une belle catastrophe dans les règles, mise en musique par des gens très bien, bardés de diplomes et avec un carnet d'adresses gros comme un annuaire téléphonique, ou une réussite due à des tacherons sans style ni relations ?
Napoléon, à qui on peut trouver bien des défauts mais pas celui d'être naïf en politique, avait la plus grande méfiance des salons, quitte à s'en servir à l'occasion. La promotion se faisait essentiellement sur le champ de bataille, non dans les salons.
Une autre forme de cette politique des salons est le "politiquement correct" : c'est bien une mode venue d'en haut, des "milieux intellectuels" (sous-entendu "qui pensent", par opposition aux autres, la populace, qui ne pensent pas) qui prétend imposer de bonnes manières, comme en son temps telle ou telle mode, des Précieuses aux Lumières. Or, on constate facilement qu'il n'y a pas, c'est le moins qu'on puisse dire, une demande forcenée de "politiquement correct" émanant des tréfonds du pays.
Quand reconnaîtra-t-on enfin qu'il n'est pas facile de vivre avec une famille immigrée de dix enfants sur le même palier ? On peut lancer toutes les accusations de racisme que l'on veut, elles serviront juste à décridibiliser leurs auteurs vis-à-vis des étiquetés racistes (1), qui font les classes populaires que nos anti-racistes compulsifs prétendent par ailleurs aimer d'amour tendre. Ironique paradoxe politique : les antiracistes s'étonnent, se peinent, se courroucent du vote d'extrême-droite sans s'apercevoir qu'à nier le vécu des électeurs en question (non, vivre dans un immeuble ou un quartier "métissé" n'est pas que du bonheur), ils alimentent le vote qu'ils condamnent. Je soupçonne d'ailleurs certains d'avoir, du moins au début, adopté cette attitude sciemment pour diviser la droite.
J'ai pris l'exemple de l'anti-racisme, j'aurais pu prendre celui du soit-disant mariage homosexuel.
On retrouve là un tropisme de gauche comme quoi le peuple aurait besoin d'une avant-garde pour le guider. Seulement, il arrive dans la plupart des cas que l'avant-garde est tellement avancée qu'elle perd le peuple en route ; ce qui est bien sûr la faute de ces crétins du peuple qui n'ont pas marché assez vite.
Et comme tout est un éternel recommencement, ne pourrait-on dire que notre politique souffre du même mal que celle de l'Ancien Régime, à qui Edgar Faure attribuait la disgrâce de Turgot ? A savoir la coupure d'avec le peuple, car aucun sondage ne remplace le contact fréquent et répété avec des hommes de milieux, de professions et d'origine variés, dont on partage au moins en partie les intérêts.
Peut-être puis-je trouver là l'explication de mon mépris de la classe politique (le mot classe est déjà en soi une insulte). Alors que je suis tout prêt à reconnaître qu'il y a d'incontestables valeurs dans nos batteurs d'estrade politique, je n'en considère pas moins qu'ils manquent à leurs devoirs.
Ne partageant plus les intérêts du peuple, étant des rentiers de la politique, tondant sur notre dos la laine des impots qui les font vivre, ils ne peuvent plus, même avec la meilleure volonté du monde, remplir leur fonction de représentation.
(1) : une petite remarque mais si anodine que nos pieux antiracistes défenseurs du genre humain ne s'y arrêteront pas : les études sur le vote FN montrent qu'il n'y a pas en France de racisme abstrait basé sur la diffusion massive d'idées théorisant la supériorité de telle ou telle race : si racisme il y a, il est concret, rattaché à des difficultés de cohabitation, à des situations de concurrence. C'est d'ailleurs pourquoi les narcissiques manifestations "anti-fascistes" ("Que je me vois si Résistant en ce miroir") n'ont jamais eu pour effet de faire diminuer le racisme ; on ne règle pas des problèmes prosaïques en manifestant.
jeudi, juillet 20, 2006
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