La querelle du pédagogisme oppose deux écoles de pensée :
> Les constructivistes, péjorativement appelés par leurs adversaires "les pédagogistes", considèrent que "l'apprenant doit construire lui-mêmes ses savoirs" et que leur vision répond au problème de "massification" de l'école, que tout autre attitude est élitiste (une insulte dans leur bouche).
> Les empiristes ne voient pas de raison autre qu'idéologique de bouleverser de fond en comble des méthodes qui fonctionnaient et auraient pu être améliorées plutôt que jetées à la rivière et demandent donc qu'on privilégie ce qui a prouvé son efficacité, plutôt que des théories fumeuses.
Je serais mal venu de me targuer d'une fausse impartialité : je suis avec les empiristes, qui me semblent être du coté du bon sens et de la finesse (tout vouloir bousculer, c'est un comportement de nouveau converti, de cuistre, de butor).
Ce débat est animé du fait de l'enjeu : l'école, c'est-à-dire l'avenir, mais aussi parce qu'il ravive une fracture très ancienne et toujours présente de la vie intellectuelle française , la querelle des Anciens et des Modernes.
Résumons cette querelle par l'apologue de Swift : l'araignée, qui tire tout son fil d'elle-même, est la représentante des Modernes et l'abeille, qui butine modestement des fleurs qu'elle n'a pas créées pour en faire son miel, celle des Anciens.
On retrouve cette césure sous diverses formes, par exemple en politique, entre les socialistes qui sortent de leur tête une société idéale toute armée et les conservateurs, qui se contentent d'améliorer l'existant. Bien entendu, la parenté intellectuelle entre socialisme et constructivisme est rien moins que fortuite.
Le blog d'Evelyne Charmeux (obligeamment signalé par François Delpla) est parfaitement illustratif : on y trouve la polémique avec JP Brighelli sur l'enseignement de la grammaire.
Brighelli argue que les règles de grammaire, pour arbitraires qu'elles puissent sembler, sont un dépôt du temps qu'il faut respecter et que leur apprentissage permet de structurer l'expression de la même manière pour tous, effaçant les signes d'origine sociale.
Mme Charmeux répond que ces règles sont arbitraires, que les apprendre sans support est ennuyeux et difficile et que mieux vaut les découvrir par soi même.
L'argument comme quoi les règles de grammaire seraient intuitives est absurde : un enfant de 6 ans parle sans apprendre la grammaire certes, mais un adolescent de 16 ans qui n'a pas appris la grammaire parle à peu près comme un enfant de 6 ans (nombreux exemples connus ! Zyva, hé bouffon d'ta race !)
Grâce à ces absurdités, on finit avec l'ORL (ironie subtile d'un plaisantin du ministère ?), c'est-à-dire l'Observation Réfléchie de la Langue, qui transforme les élèves en petits grammairiens amateurs, aussi bien que ma boite de Petit Chimiste m'a transformé en Alfred Nobel (mais m'a permis de provoquer une quantité de dégats impressionnante, tout comme l'ORL d'ailleurs).
Toujours cette idée à la con (appelons les choses par leur nom) de faire découvrir ce qu'on ferait mieux d'enseigner ; comportement qui est à l'enseignement ce que l'abandon de poste devant l'ennemi est à la chose militaire.
On retombe là dans le travers des utopistes de toutes époques : raisonner à partir d'un homme nouveau, qui n'existe pas encore et n'existera jamais. Pour le commun des mortels, apprendre comporte une part d'ennui et de difficulté ; l'homme capable d'apprendre sans ennui et sans difficulté n'existe pas, et découvrir par soi-même des règles que d'autres pourraient vous enseigner est perte d'un temps précieux (1).
On remarquera que la charmante (?) Charmeux vit dans les nuées de l'empyrée pédagogique, elle semble totalement insensible à l'expérience pourtant à portée de quiconque est en contact occasionnel avec de purs produits de notre système scolaire : une expression pauvre pour exprimer des idées confuses. Si vous vous lancez dans un sujet un peu complexe (tout est relatif) et demandant un rien de concentration, vous ne rencontrez plus que regards bovins, dans l'attente de la sonnerie salvatrice.
Je connais un professeur d'histoire qui a frolé la dépression nerveuse le jour où il a demandé à sa classe de troisième "Qu'y a-t-il eu entre la IIIème et la Vème républiques ?" Après qu'on lui a répondu "Un roi, m'sieur ?", "Louis XVI" et je ne sais plus trop quoi, il a fini par souffler avec les doigts, mais personne n'a été capable de compter quatre doigts. Désintérêt, désinvolture, dans une école-garderie ? Probablement. Mais tout de même : quand on voit ce qu'on voit, on se dit qu'on a raison de penser ce qu'on pense.
Concluons sur une note optimiste : dans la querelle des Anciens et des Modernes, ce sont les premiers qui ont fini par l'emporter. Mais quand le bon sens prévaudra, combien d'élèves auront été dégoutés de la la lecture, de l'écriture, du calcul et de la réflexion personnelle et seront devenus de parfaits gibiers à Star Ac' ?
(1) : cela ne veut point dire que je suis contre des travaux de découverte et le travail personnel, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs : quand les bases manquent, on ne peut construire.
mardi, août 22, 2006
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Bonne analyse...Puis-je me permettre toutefois de vous faire remarquer que ma fille de 6 ans ne parle pas comme ça...Pour l'intant en tout cas!
RépondreSupprimerpetite anecdote: je racontais à une famille (parents 50 ans, gosses 16-18 ans), une blague au bon temps du roi Henri IV, qui se terminait par "Ravaillac, reviens ici tout de suite !".
RépondreSupprimerrire (léger, la blague est moyenne) des parents, tronche ahurié des deux gamins. "Euh, c'est quoi, Ravaillac ?"
Après quelques explications basiques, les parents m'expliquèrent que l'histoire n'était plus enseignée chronologiquement mais par "thème", et que les élèves faisient des aller-retour permanents dans le temps, et ne retenaient rien.
Je suppose que ceux qui pratiquent le "nouvel enseignement thématiques" sont les constructivistes, et ceux qui s'obstinent à enseigner l'histoire chronologique les empiristes...
(j'ai refait le test de la blague de Ravaillac sur d'autres ados: même résultat ! consternant )
eh bien je suis déçu !
RépondreSupprimerEvelyne Charmeux, suggérais-je en donnant ses coordonnées virtuelles, est éminemment critiquable. Encore conviendrait-il de lui donner acte des préjugés qu'elle pourfend, et notamment celui du caractère central de son courant "pédagogiste" au ministère, à quelque époque que ce soit. Sauf un peu, indique-t-elle, sous Savary (1981-83). C'est du précis, ça, ça ne s'écarte pas d'un revers de main !
Vous parlez de la perte de la chronologie dans l'enseignement de l'histoire à l'école primaire. Mais ce fut l'oeuvre de la droite dans les années 70, vigoureusement dénoncée par les instits de gauche qui menaient une résistance d'enfer ! Et qui expliquaient ce crime par le besoin qu'avait le grand capital de priver les prolos de repères.
Figurez vous, je me suis bien aperçu que la gauche n'avait pas gouverné la France en permanence depuis 1945 (il m'arrive cependant de me demander si je n'ai pas été victime d'hallucinations : par exemple, on croyait J. Chirac à droite, désormais on est sûr que c'est un gauchiste).
RépondreSupprimer"Et qui expliquaient ce crime par le besoin qu'avait le grand capital de priver les prolos de repères. "
Alors ça, c'est de l'explication de gauchiste pur sucre, d'ailleurs reprise par certains "anti-pédagogistes" comme Brighelli, ce qui me fait la peine de les voir si bêtas.
Sauf votre respect, c'est totalement idiot : si il y a bien un reproche qu'on peut faire au patronat français, c'est son désintérêt pour les questions d'enseignement, considérées comme chasse gardée de la gauche.
De plus, c'est non seulement factuellement faux, mais conceptuellement absurde : le "grand capital", qui brille comme chacun sait par sa cupidité, fait plus de marges sur les produits haut de gamme, la technologie et sur les "travailleurs de la connaissance". Abaisser le niveau scolaire irait donc contre ses intérêts bien compris.
On ne peut pas à la fois accuser le "grand capital" de manipuler l'enseignement de manière démoniaque et de se tirer une balle dans le portefeuille, il faut choisir.
Pourquoi ne pas simplement admettre ce qui crève lesyeux : la gauche s'est fourvoyée à propos d'enseignement dans une idéologie libertaire venue des chrétiens et d'outre-atlantique et la droite, prise de doutes, a laissé faire pour avoir la paix ?
Est-ce donc si difficile de reconnaître ses erreurs (et celles des autres) ?
C'est ce que je reproche plus que tout aux "pédagogistes" : refuser de voir ce que voit n'importe quel parent d'élève.
Je note tout de même que P. Meyrieu se renie dans ses dernières déclarations à la vitesse d'un St Pierre dopé à l'EPO (image audacieuse et bancale).
Ca n'est pas très glorieux, mais c'est mieux que de persévérer dans l'erreur. (Errare humanum est sed persevare diabolicum)
Encore une fois, tout cela est complexe et vous simplifiez beaucoup trop.
RépondreSupprimerPar exemple, le pédagogisme a souvent (et je ne pense pas que ce soit avec la bénédiction de gens comme E. Charmeux) servi de cache-sexe à des compressions budgétaires, or vous appelez celles-ci de vos voeux constants.
Quant au patronat voulant faire perdre les repères aux prolos, je n'ai pas dit que ce fût mon avis et pour tout avouer je vois là aussi un peu de simplisme !
En revanche, il est tout à fait faux que ledit patronat se désintéresse des questions scolaires. Je me rappelle fort bien un de ses présidents, Ceyrac, glapissant au début des années 70 que l'enseignement français était "trop encyclopédique".
"servi de cache-sexe à des compressions budgétaires, or vous appelez celles-ci de vos voeux constants." Bien sûr, je reste convaincu qu'on peut faire mieux (ça semble aussi l'avis de la cour des comptes).
RépondreSupprimer"Je me rappelle fort bien un de ses présidents, Ceyrac, glapissant au début des années 70" Désolé, j'étais en culottes courtes !