vendredi, décembre 01, 2006

Friedman sur les retraites et l'immigration

Ci dessous un extrait d'un entretien de Henri Lepage avec Milton Friedman, qui vient de mourir.

Friedman, étant, bêtement, baptisé par la presse française le "père du monétarisme", ayant inspiré R. Reagan et M. Thatcher, n'a quasiment aucune audience en France, c'est bien dommage.

HL : Dernier dossier que je voudrais évoquer avec vous : le problème de la démographie et des retraites.

MF :

C'est un gros problème, et pourtant ce ne devrait pas en être un. C'est un problème uniquement parce que nos pays se sont dotés de régimes de retraites défectueux.

Autrefois, les gens prenaient eux-mêmes en charge le financement de leur vieillesse, ou bien ils s'en remettaient à leurs enfants. C'est toujours le cas. Nous continuons à nous reposer sur nos enfants. Mais avec une grande différence : autrefois, c'étaient mes enfants à moi qui me prenaient en charge ; aujourd'hui, ce sont les enfants de quelqu'un d'autre, que je ne connais même pas. Ce n'est pas du tout la même chose.

Je me suis souvent interrogé sur les raisons pour lesquelles nous avons mis en place ces mécanismes de répartition que l'on retrouve quasiment partout, et dont la caractéristique est de faire financer les retraites des plus anciens par un prélèvement direct sur les salaires des plus jeunes.

Le système repose sur la combinaison de deux mesures qui n'auraient jamais été votées séparément. La première est un impôt direct, proportionnel et plafonné, sur les salaires. C'est ce qui existe aux États-Unis, ainsi qu'en Allemagne et en France. Imaginez qu'un jour un gouvernement en mal d'argent ait voulu instituer un tel impôt indépendamment de toute référence aux retraites ou à la Sécurité sociale. Il se serait présenté devant les électeurs en leur disant :

"Un bon moyen de résoudre nos problèmes budgétaires est de créer un impôt proportionnel et plafonné, payé uniquement par les salariés."

Combien auraient voté pour lui ? Bien peu, je le crains !

Quant à la seconde, elle consiste à poser le principe que le montant des retraites doit être directement lié au niveau du revenu précédemment perçu. Il est ainsi admis que, tout en étant financé par le même contribuable, le riche continuera à toucher plus que le pauvre.

Croyez-vous que, présenté ainsi, tout seul, un tel projet aurait, lui aussi, eu la moindre chance de séduire les électeurs ou leurs représentants ? Maintenant, mettez les deux ensemble, ficelez le tout en l'assaisonnant de jargon assuranciel, et vous obtenez une vache sacrée !

Ma conclusion, c'est que nous nous sommes dotés de ce genre de système parce que c'était le seul moyen pour les États d'obtenir le vote d'un impôt proportionnel.

[Le Chili a réussi ces dernières années à passer sans trop de difficultés d'un système de retraites par répartition à un système par capitalisation, comme quoi c'est possible. 'faut croire que les Français sont plus cons que les Chiliens.]

HL : Que mettriez-vous à la place ?

MF : Il faudrait faire disparaître ces régimes de retraites socialisés et laisser les gens s'organiser eux-mêmes.

Nous sommes aujourd'hui des sociétés riches. Nos pays ont les moyens de financer des régimes d'aide aux pauvres et aux indigents, qu'ils le soient à cause de leur grand âge, parce qu'ils sont malades, ou pour toute autre raison.

Cette nécessaire solidarité n'implique pas que, pour secourir les 5 % les plus pauvres, on étende obligatoirement le mécanisme aux 95 % qui, eux, seraient en mesure de se prendre directement en charge.

Je le répète : il n'y a aujourd'hui de problème démographique dans nos pays qu'à cause du mode de financement des retraites que nous avons adopté.

HL : Faut-il mettre en place des politiques natalistes ?

MF : Non. Je ne le pense pas. Les gens sont libres de faire des enfants, ou de ne pas en avoir. Point à la ligne.

HL : Quelle est votre attitude vis-à-vis de l'immigration ?

MF : Si l'État-providence n'existait pas, si nous avions une complète liberté des marchés, il serait alors logique de laisser la porte grande ouverte à l'immigration. Mais avec l'État-providence c'est impossible. Sa présence implique de contrôler l'immigration.

HL : Les prestations sociales distribuées par l'État-providence ne sont-elles pas une forme de subvention qui attire l'immigrant en lui faisant miroiter le partage d'une sorte de capital viager ?

MF : Tout à fait.

HL : Une société libérale pourrait-elle s'accommoder de la liberté d'immigrer ?

MF : Une vraie société libérale, oui. Mais, comme je l'ai dit, avec l'État-providence, ce n'est plus possible. De toute façon, ne nous cassons pas la tête ! Ce n'est pas demain que nous vivrons dans de pures sociétés libérales... Il faut d'abord se demander ce que serait une telle société.

Ma définition serait la suivante : est " libérale " une société où les dépenses publiques, toutes collectivités confondues, ne dépassent pas 10 à 15 % du produit national. Nous en sommes très loin.

Il existe évidemment d'autres critères tels que le degré de protection de la propriété privée, la présence de marchés libres, le respect des contrats, etc. Mais tout cela se mesure finalement à l'aune du poids global de l'État. 10 %, c'était le chiffre de l'Angleterre à l'apogée du règne de la reine Victoria, à la fin du XIXe siècle. À l'époque de l'âge d'or de la colonie, Hong Kong atteignait moins de 15 %. Toutes les données empiriques et historiques montrent que 10 à 15 % est la taille optimale.

Aujourd'hui, les gouvernements européens se situent à quatre fois plus en moyenne. Aux États-Unis, nous en sommes seulement à trois fois[En France, nous en sommes à 55 % du PIB, autant pour ceyux qui crient au loup "ultra libéral, forcément ultra"]. Vous le voyez, nous ne sommes pas près d'autoriser une immigration libre !

[L'Etat, c'est un peu comme le mariage : le mariage, c'est résoudre à deux des problèmes qu'on n'aurait pas tout seul. L'Etat permet de résoudre ensemble des problèmes créés par l'Etat ; l'immigration en est un exemple frappant : les problèmes d'immigration ont grandi avec les Etats.]

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