samedi, juin 09, 2007
Margaret Thatcher : de l'épicerie à la chambre des Lords
FFF
Biographie de Margaret Thatcher par un Français.
Je mets en bleu les passages portant des leçons encore actuelles pour la France. Elles le sont presque toutes, mais j'ai fait un tri.
Né dans un milieu très croyant, elle en garda toute sa vie une morale très ferme : l'homme est libre et responsable. Toutes les formes d'irresponsabilité, dont l'assistanat, lui faisaient horreur.
Du fait d'être née dans une épicerie bourgeoise, elle a gardé la notion que le commerce est une chose utile et honorable (1), ou, comme écrivait Adam Smith, "le boulanger ne fait pas le pain pour faire plaisir à ses concitoyens, il le fait pour son profit, et pourtant, ce faisant, il leur rend service." Elle n'avait pas cette répulsion de nos élites pour le commerce, qui en fait un mal nécessaire, nécessaire mais mal tout de même.
Son passage comme ministre de l'éducation (hé oui), de 1970 à 1974, mérite qu'on s'y arrête. Il n'a pas donné beaucoup de résultats mais elle en a tiré d'importantes leçons pour l'avenir.
Jeune ministre, elle est peu soutenue par le gouvernement conservateur.
En effet, elle essaie de préserver l'élitisme des meilleurs établissements publics, qui l'ont formée, mais les dirigeants conservateurs, tous formés dans des écoles privées, s'en contrefoutent et font de la démagogie à bon compte en cédant à l'égalitarisme niveleur.
Cela me rappelle tous ces socialistes français de 2007 qui tempêtent contre toute sélection et tout élitisme, voire toute exigence, à l'école publique et mettent leurs enfants à l'école alsacienne.
Elle en profite pour bousculer le mammouth. Ses hauts fonctionnaires la piègent en lui présentant comme une mesure de saine économie de supprimer la distribution gratuite de lait dans les écoles, puisque celui-ci part pour les trois quarts à la poubelle. Aussitôt, une campagne médiatique la présente comme une affameuse d'enfants.
Elle en retiendra deux leçons :
> les hauts fonctionnaires ont leur propre programme et leurs propres objectifs (et les autres fonctionnaires, pas seulement hauts, également d'ailleurs). Il faut absolument ne leur accorder aucune confiance et ne pas prendre pour argent comptant leurs dossiers et leurs suggestions. Il faut toujours être en position de force dans la connaissance des dossiers vis-à-vis d'eux, ce qu'une Thatcher bourreau de travail arrivait à faire, ce qu'un ministre français cumulard n'a absolument pas le temps de faire.
Notamment, elle constate que les hauts fonctionnaires ont une technique très efficace pour arrêter les réformes qui leur déplaisent : ils ne s'opposent pas, ils disent au ministre ce qu'il veut entendre, mais multiplient les questions techniques détaillées, de manière à présenter une réforme simple comme un monstre de complexité qu'il vaut mieux abandonné. Si cela ne suffit plus, ils préconisent de préférence des mesures douloureuses, susceptibles de cristalliser les oppositions, de préférence à des mesures plus indolores, qu'ils gardent sous le coude.
> Tant qu'à subir des attaques, que ça soit sur des points essentiels et non accessoires.
Elle a eu quelques bonnes intuitions, sur le nivellement par le bas, sur les méthodes pédagogistes, sur les grands ensembles, mais, en politique avisée et soucieuse de sa carrière, elle a compris que, sans le soutien du premier ministre, elle n'arriverait à rien.
Elle est donc devenue un ministre comme les aiment les syndicats d'enseignants, bonne pour les profs, mauvaise pour l'éducation, privilégiant la quantité et les dépenses, à la qualité et au travail pédagogique. Elle a même été acclamée dans des congrès de profs.
Mais, jurant qu'on ne la reprendrait pas à agir contre ses convictions, elle en a conclu la nécessité d'avoir un gouvernement avec une politique claire et qu'une politique consensuelle est souvent aussi mal avisée que facile.
Enfin, lorsque le gouvernement Heath est tombé après avoir tout céder à ses adversaires suite à une grève de mineurs minoritaires mais très violents (situation qui n'est pas sans rappeler les grèves de 1995 en France), elle a décidé que, vraiment, ça ne rapportait rien aux conservateurs de céder aux socialistes.
Elle apprit une leçon décisive sur les élites : toujours prêtes à en découdre dans les discours, toujours prêtes à transiger dans l'épreuve (c'est un portrait de Chirac ?).
Il fallait aux tories un chef convaincu, prêt à se battre, et non à jouer les membres de club avec les travaillistes à la buvette du parlement.
Ce chef, évidemment, ce fut elle.
Un de ses cotés sympathiques est qu'elle remplaça petit à petit les vieux lords conservateurs qui se croyaient un talent inné à gouverner par des techniciens travailleurs.
Les premiers budgets qu'elle présenta, impôts indirects augmentés, impôts directs et dépenses publiques baissés, soulevèrent une tempête jusqu'à dans son propre camp. Les usines fermaient, chômage augmentait, c'était un drame, même si elle pensait probablement que les chômeurs, anesthésiés par l'assistanat, ne se battaient pas pour retrouver un emploi autant qu'ils auraient du. Mais elle tint bon, quasi seule contre tous, et y gagna un surnom TINA : "There is no alternative" et aussi, moins aimable, de TBW : That Bloody Woman (cette satanée bonne femme).
La Guerre des Malouines rendit la fierté à son peuple et à elle la popularité et le temps nécessaire aux réformes.
Mais voilà : elle avait raison, de 13 % en 1982, le chômage était de 5,8 % en 1990.
Pourtant, une pétition de 364 universitaires et anciens ministres expliquait en 1981 que cette politique ne pouvait pas marcher, qu'elle était dépourvue de base théorique et idiote, voire criminelle. Ceci ne fit que renforcer la méfiance de Maggie vis-à-vis des intellectuels.
Elle a eu la sagesse, contrairement à une légende française, de préserver l'assurance chômage et l'assurance maladie collectivistes, même si ce fut peut-être contre ses convictions morales.
Pour son célèbre bras de fer avec le syndicat des mineurs (un peu l'équivalent de notre SNCF), elle s'est préparée plusieurs années à l'avance, jusque dans les détails.
Elle a fait voter des lois qui n'avaient l'air de rien mais qui permettaient de mettre fin aux actions illégales des syndicats. Ella a veillé à ce qu'il y ait des stocks de charbon près des consommateurs et loin des mineurs, à ce que les dockers ne gênent pas l'importation de charbon par solidarité, etc ...
D'un point de vue plus anecdotique, mais bien révélateur de sa fibre morale, elle pouvait se montrer très dure avec les puissants, mais était toujours d'une grande attention vis-à-vis du personnel.
Elle avait demandé à ne pas avoir quelqu'un à son service en permanence, de manière à ne pas imposer à un employé ses horaires. Ainsi, elle préparait elle-même son petit-déjeuner et son dîner, ce qu'un préfet chez nous n'envisagerait pas. Cela explique peut-être que le 10 downing Street n'employait qu'une centaine de personnes tandis que Matignon en emploie cinq fois plus.
Il lui arrivait aussi de faire des oeufs (brouillés, sur le plat, ...) à ses ministres lors des réunions tardives.
La monarchie n'est pas du coté de la Manche que l'on croit.
Elle manquait d'humour, mais à propos de la gauche huppée, elle écrivit, ce qui irait si bien à nos bobos : "Ils avaient des remords d'avoir reçu trop d'argent et s'en guérissaient en payant des impôts."
Enfin concluons : elle a eu une de la chance (une guerre qui relance sa popularité, des oppositions caricaturales, etc ...) mais elle a su en profiter, saisir les bonnes occasions par les cheveux.
Elle a été aussi d'une patience et d'une ténacité admirables, n'hésitant pas à avaler des couleuvres quand elle ne se sentait pas en position de force quitte à vaincre d'un coup plus tard.
Elle ne fut pas en manque de courage, y compris physique vis-à-vis de l'IRA. Si elle sut ne pas céder au chantage (2), elle ouvrit aussi les négociations qui finirent par aboutir à la situation pacifiée actuelle (elle n'était pas que dureté, elle savait manoeuvrer).
Pour résumer, elle fut un chef de gouvernement exceptionnel.
Au fond, je suis d'accord avec les socialistes français : le blairisme n'est qu'une forme abatardie de thatcherisme. Pour eux, c'est une insulte ; pour moi, c'est un compliment.
Pas convaincus ? Le niveau de vie moyen des Anglais était de 30 % inférieur au nôtre en1978, il est aujourd'hui, plus élevé de 10 %. Bien sûr, tout le monde n'en a a pas profité également, les 10 % les plus pauvres en ont moins profité que les autres, mais 90 % de la population en a bien profité, c'est tout de même remarquable.
Que voulez vous ? Je préfère l'inégalité dans la prospérité à l'égalité dans la pauvreté. C'est un intéressant sujet de réflexion pour nos archéo-socialistes.
(1) : le fait d'être né dans une famille commerçante qui a su s'adapter sans rien demander à la collectivité, passant de la vente de charbon à la vente de fuel, de la vente de fuel aux déménagements et au transport de marchandises n'est probablement pas pour rien dans mon libéralisme.
(2) concernant la grève de la faim fatale de Bobby Sands : "Je fais mon devoir, on lui présente trois repas par jour." A noter qu'elle avait laissé à la famille de Bobby Sands la possibilité de demander l'alimentation forcée et que celle-ci ne l'a pas utilisée.
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A noter l'admiration à peine voilée d'Edith Cresson concernant Maggie.
RépondreSupprimerEdith Cresson, probablement une des socialiste les plus ouvertes.
euh oui, et le négatif ?
RépondreSupprimerInégalités régionales, désindustrialisation galopante, système de santé sinistré, poll tax prestement enterrée par les successeurs, décès suspect de Rudolf Hess, désinformation grossière sur les Malouines (entre autres), accidents ferroviaires en cascade, communautarisme, anti-européanisme, alignement accentué sur les Etats-Unis...
L'auteur en parle un tout petit peu ou not at all ?
"Inégalités régionales" et alors ?
RépondreSupprimer"désindustrialisation galopante" en quoi est-ce un mal ? Le monde change, ce n'est pas idiot de changer avec.
"décès suspect de Rudolf Hess" Elle est bonne, celle là. Magge se préoccupant de faire tuer un vieillard qui a eu soixante ans pour faire des révélations si il en avait à faire.
"désinformation grossière sur les Malouines (entre autres)" Ben voyons.
"accidents ferroviaires en cascade" Manque de pot, les chemins de fer ont été privatisés ar John Major.
"communautarisme" La faute à Maggie ??? Auriez vous la mémoire courte ???
"anti-européanisme" Elle a varié sur le sujet, mais avait-elle tort ?
"alignement accentué sur les Etats-Unis" Etes vous sûr que c'est un mal ?
non mais il ne va pas répondre toujours à côté !
RépondreSupprimerje demandais simplement si ces points étaient ABORDES.
Oui
RépondreSupprimerLe livre en question n'est en aucune manière une hagiographie à la gloire de M. Thatcher. S'il présente ses succès et sa ténacité, il n'hésite pas non plus à pointer certaines faiblesses, voire certaines erreurs lourdes pour l'avenir.
RépondreSupprimerEn témoigne, par exemple, la remarque sur la faiblesse budgétaire accordée aux formations courtes, technlogiques et professionnelements qualifiantes sur l'autel de la régulation des dépenses. L'auteur explique notamment que ce point posera problème à l'avenir puisqu'il privera la Grande-Bretagne de certaines qualités utiles pour l'économie de service. D'un certain côté, il y a sans doute une des explications à certains manques dans la productivité britannique - avec aussi le fait qu'ils ont un taux d'emploi bien supérieur au nôtre-.
Autre point qui montre qu'il ne s'agit pas d'une biographie complaisante, l'auteur montre bien comment, au cours de sa carrière, Mme Thatcher a parfois du mal à réfreiner un certain autoritarisme, voire un autoritarisme certain. Revers de sa ténacité et de sa conviction, sans doute.
En tout cas, un livre qui éclaire d'une manière fort belle la vie politique d'un personnage qui, comme souvent, se révèle bien moins sommaire et bien plus complexe que certaines caricatures - n'est-ce pas Renaud - ont bien voulu le faire croire.
De sa lecture, je retiendrai sans doute au moins une seule chose: cette femme aime profondément son pays et ses concitoyens, je n'en suis pas toujours aussi sûr quand je pense à nombre de responsables politiques français.
PS: M. Boizard, excellent choix que le passage sur les hauts fonctionnaires du ministère de l'Education nationale anglaise. Hélas, le fonctionnaire que je suis ne peux que vous confirmer la distance qui existe entre celui du responsable politique et celui de l'administration, comprise comme la somme des petites routines des gens dont je fais partie.
Je vous signale ce lien à tout hasard :
RépondreSupprimerhttp://www.canalacademie.com/Margaret-Thatcher.html
Je le dévore ce livre ! Ni hagiographie, ni descente en règle (certes l'auteur ne cache pas une certaine admiration) mais en tout cas quelle bonne femme !
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