«Être à l'écoute de la demande sociale ne devrait pas dispenser d'une vision stratégique», souligne Michel Setbon.
Directeur de recherche au CNRS, enseignant à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), spécialiste des risques sanitaires et de leur régulation, Michel Setbon estime que le vrai débat sur les OGM n'a pas eu lieu.
LE FIGARO. Pourquoi tout le monde est-il opposé aux OGM ?
Michel SETBON. En France, au cours des dix dernières années, les décisions publiques sur les OGM n'ont pas été fondées sur les résultats des évaluations scientifiques du risque, pourtant nombreuses, mais sur la perception du risque qu'en a le public. Les OGM sont un cas exemplaire et extrême de l'importance du risque perçu dans les orientations d'une politique publique. C'est un fait : la population française est massivement opposée à la consommation des OGM et n'en veut pas dans son alimentation, ce qui est parfaitement légitime et a été pris en compte. Le problème est qu'elle semble soutenir aussi un refus de la culture d'OGM et, dans une moindre mesure, de l'expérimentation en plein champ. Cela sur la base d'un argument aussi fort qu'erroné, le risque de « contamination » des cultures avoisinantes.
Il n'y a pas de risque de contamination ?
Depuis quelque temps, le terme de « contamination » s'est imposé au point d'être repris par certains parlementaires, alors qu'il est largement inadapté. La contamination véhicule deux notions : celle de diffusion d'un élément au-delà de son champ de présence et celle de transmission d'un facteur de nocivité. Or, si le potentiel de diffusion des OGM est réel, celui de nocivité pour l'homme n'est pas fondé, et ce, après des années de recherche sur le maïs Bt. Contre toute logique, ce produit, en se disséminant, deviendrait nocif, alors que le produit d'origine ne l'est pas ! Il serait plus juste d'utiliser le terme de « dissémination non maîtrisée ». Or, la dissémination des plantes d'un lieu à un autre est un phénomène d'une grande banalité dans l'environnement. Ce phénomène est naturel et se produit régulièrement partout et de tout temps. On peut parler à juste titre de « contamination » quand des agents infectieux ou toxiques (chimiques, radioactifs, etc.) sont dispersés au-delà de l'enceinte où ils sont confinés et peuvent ainsi donner lieu à des dommages sanitaires. Mais ce n'est pas le cas pour un OGM comme le maïs Bt, qui ne peut acquérir d'effet nocif du seul fait qu'il se déplacerait du lieu de sa plantation à un champ voisin.
Pourquoi le risque perçu est-il aussi important ?
Un produit nouveau suscite fréquemment la perception de nouveaux risques. De plus, il a été montré qu'il existait une relation inverse entre le risque perçu et les bénéfices perçus. Plus les bénéfices d'un produit sont perçus comme insignifiants, plus la perception du risque en est élevée. C'est le cas pour les citoyens des pays riches, pour lesquels on peut avancer que les bénéfices des OGM sont perçus comme quasi nuls. Le citoyen-consommateur dispose d'assez de maïs produit en France sans recours aux OGM, pour refuser de prendre le moindre risque, aussi hypothétique soit-il. Au-delà des OGM, ce rejet massif traduit une demande sociale de risque zéro en matière alimentaire. Attitude égoïste qu'aucune considération altruiste, telle la perspective d'un rendement accru permettant de nourrir plus de personnes sur terre, ne semble en mesure d'équilibrer. Les OGM sont rejetés car aujourd'hui ils n'apportent aucun bénéfice perceptible aux populations des pays développés.
Quelles sont les conséquences d'un tel rejet ?
On peut se demander si les pays qui refusent les OGM en ont bien mesuré les conséquences en termes d'enjeux stratégiques, scientifiques et économiques. Il est permis d'en douter tant ils sont occultés. Comme souvent pour les innovations technologiques, les craintes suscitées par les OGM sont au cœur d'un mouvement de contestation qui dénonce l'idée même de progrès, devenu synonyme de menace. Pour autant, cette réaction naturelle ne devrait pas occulter la question majeure du potentiel de développement scientifique et industriel : les OGM ont-ils ou non un avenir stratégiquement prometteur, alors que dans de nombreux pays ils font l'objet d'investissements massifs et que se profile le risque majeur de pénurie alimentaire mondiale ? La manipulation génétique de produits destinés à l'alimentation (du bétail et des hommes) ouvre-t-elle des perspectives positives ou conduit-elle à une impasse ? Ne pas mettre ces questions au cœur du débat sur les OGM et fermer la porte comme on est en train de le faire risque d'entraîner des pertes de compétitivité et une nouvelle dépendance à l'égard des pays tiers. Si l'on considère aujourd'hui que les OGM sont des produits imparfaits, cela ne prédit nullement qu'aucune amélioration ne sera possible dans l'avenir. Rien ne dit, par exemple, que l'on ne pourra pas en maîtriser la dissémination ou leur associer de nouveaux bénéfices. Si l'on pense que la filière OGM a un avenir et qu'il passe par la recherche et le développement de nouveaux produits, alors les décisions qui sont prises actuellement dans un climat favorisant les intérêts à court terme pourraient se révéler catastrophiques.
Quel est l'intérêt du maïs Bt en France ?
Pour l'instant, ce maïs OGM ne présente aucun intérêt pour des consommateurs bien nourris et bien portants. Mais c'est le rôle du politique de proposer une vision stratégique et d'éclairer le public sur la balance à long terme entre les bénéfices et les risques potentiels. Être à l'écoute de la demande sociale ne devrait pas dispenser d'une vision stratégique, ni de tenter d'équilibrer la perception du risque des OGM par un peu plus de rationalité scientifique. La sensibilité à l'opinion publique est certes nécessaire, mais elle ne peut tenir lieu de guide infaillible : l'exemple du nucléaire civil, dont la perception longtemps négative semble évoluer vers une plus grande acceptabilité à mesure que ses bénéfices deviennent compatibles avec les valeurs dominantes de la société, invite à la réflexion. L'exigence d'un risque zéro, par nature indémontrable, associée à une demande réitérée de « je n'en veux pas près de chez moi », apparaît insuffisante pour fonder une politique soucieuse de ne pas manquer un tournant stratégique.
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