mardi, septembre 16, 2008

De la primauté des films en noir et blanc

Cet article fait l'apologie des films en noir et blanc :

In living Black and White

J'entends des jeunes (et des moins jeunes) refuser de voir des films en N&B ou des films en VO sous-titrés, sans même évoquer les films muets. J'en suis à chaque fois chagriné pour eux, ils ne savent pas ce qu'ils ratent.

C'est là une faute de goût et ils aggravent en général leur cas (comme souvent les ignares) en arguant que c'est juste une question d'opinion, qu'il ne saurait y avoir de normes en la matière et patatati et patata, et ils concluent en général par un définitif «les films (en N&B) (sous-titrés) (muets) -rayez la mention inutile- , c'est prise de tête !», ce qui revient à dire «Je suis un abruti et j'en suis fier».

Heureusement, si certains sont intrinsèquement abrutis et irrécupérables, d'autres souffrent juste de ne pas avoir été initiés.

Attardons nous sur les films en N&B, puisque c'est le sujet de l'article que je vous mets en lien.

Le cinéma, comme la littérature, ce n'est pas la réalité. C'est une interprétation de la réalité, un jeu sur la réalité. Alors, qualifier les films de plus ou moins réalistes est une absurdité en soi.

Prenons l'exemple frappant des films de guerre.

Depuis Soldat Ryan de Spielberg, la mode est à «l'hyper réalisme», c'est à dire que l'on doit voir à l'écran des tonnes d'hémoglobine et des agonisants qui appellent leur mère. Mais la réalité de la guerre, c'est aussi que pour un soldat au front, il y en avait dix dans les bureaux. «L'hyper réalisme» commande donc de filmer pendant 90 % du temps des mecs qui s'emmerdent dans la paperasse.

Vous voyez bien que «l'hyper réalisme» est lui-même une interprétation, un choix artistique (avec plus ou moins de talent), et pas des meilleurs. «L'hyper réalisme» tente de compenser par le choc et le spectaculaire l'absence d'inspiration. Disons le tout net : Soldat Ryan est un navet (1).

Un des films de guerre les plus poignants est Un temps pour aimer, un temps pour mourir où la présence de la mort et du sang est limitée au strict minimum.

On peut continuer : Un homme de fer est autrement meilleur que Memphis Belle, Tant qu'il y aura des hommes que Pearl Harbor, etc ...

Une fois que l'on a bien compris que la course au réalisme cinématographique est vaine, la question couleur / NB se résout naturellement en une autre question : quels effets permet ou empêche la couleur / le N&B ?

Et là, il est clair que le N&B reprend l'avantage dans un large spectre de films. Imagine-t-on les films noirs (justement) en couleur ?

Essayez, ne serait-ce qu'un instant, de vous faire une idée de Casablanca en couleur !

Il se trouve que le N&B met en valeur les «gueules» et les décors spectaculaires ou, au contraire, très intimes, très restreints. Le N&B trie, épure les images et, par ce biais, les situations.

Il y a d'excellents films en couleur (j'adore Out of Africa, je suis un grand romantique). pourtant, si je fais un classement des dix films que je préfère, les films en noir et blanc dominent d'une courte tête.

Pour ce qui est des ignares que j'évoquais au début de l'article, ils ont certes une part de responsabilité (2), mais, à leur décharge, ils ne sont pas aidés par notre environnement, éducatif, artistique et social, qui privilégie le grossier et le barbare.

Mais il suffit de projeter quelques bons vieux films pour remettre dans le bon sens les idées de 90 % de la population.

(1) : ce que n'est pas la série télévisée Band of brothers qui a suivi. Plus encore que Soldat Ryan, Band of brothers a fait le choix de l'hyper réalisme. Mais ce choix a été poussé jusqu'au bout et a pris une valeur artistique : les situations et les personnages ont retrouvé en partie l'épaisseur et la complexité du réel.

(2) : personne n'est complètement victime de la société, tout le monde peut s'informer, se renseigner, faire preuve de curiosité.

8 commentaires:

  1. Pourquoi considerez vous le soldat ryan comme étant un navet ?

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  2. Pourquoi le soldat Ryan est un navet :

    > scénario bancal et trop «téléphoné», je veux dire qu'on a l'impression de voir clignoter sous l'écran un panneau ATTENTION GRAVES QUESTIONS METAPHYSIQUES

    > personnages mal ficelés. Soit on fait des personnages simples et sans question (genre le bon, la brute et le truand), soit on fait des personnages complexes, mais cet entre-deux, ces personnages simples avec une couche de psychologie à deux balles, c'est raté.

    > les effets spéciaux pour les effets spéciaux

    On retrouve dans ce film le plus gros défaut de Spielberg : si il se laisse aller, si on lui donne les moyens qu'il veut, il en fait trop, il est trop explicite. Spielberg est un metteur en scène génial quand il est obligé de faire avec peu de moyens. Il a fait son premier film à douze ans dans un cimetière d'avions et il a réussi à donner l'impression d'une bataille aérienne. Un de ses meilleurs films, c'est Duel : une voiture, un camion, un acteur.

    Le cinéma, comme tout art, a besoin d'une part d'implicite, de mystère, de liberté d'interprétation laissée au spectateur. Lui imposer une pseudo discours métaphysique, c'est un aveu d'échec. Si on veut faire passer des idées, il ne faut pas qu'elles se voient.

    Comparez avec Band of brothers. C'est le même film sans le discours grandiloquent : une réussite.

    Autre exemple : dans Un homme de fer (Twelve o'clock high) , les scènes aériennes sont rares, le spectateur lit l'épreuve des aviateurs dans ce qui se passe au sol. Dans Memphis Belle, on montre tout. Le premier est meilleur que le second.

    Après, c'est affaire de goût, vous êtes libre de trouver que Soldat Ryan est le film du siècle. Mais il y a peu d'éléments pour soutenir cette opinion.

    Comme j'ai l'esprit de contradiction, un de mes films préférés est Dive Bomber avec Errol Flynn. C'est tout en Technicolor qui «flashe», jaune, bleu, vert.

    Ce film a été tourné au début 1941. Sentant venir la guerre, l'US Navy s'est impliquée. Ce qui fait qu'aujourd'hui, ce film a une valeur documentaire.

    On voit passer en arrière-plan des escadrilles entières d'avions aujourd'hui disparus.

    On a aussi les seules images en couleurs vues d'avion d'un décollage de l'USS Entreprise, le fameux big E.

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  3. Le moins que l'on puisse dire c'est que je n'ai pas le méme ressenti que vous sur ce film.

    Mais comme vous le dite, les gouts et les couleurs...

    Cependant le gros du troupeau béle avec moi, 5 oscars tout de méme!

    C'est surtout la scéne du débarquement qui m'avait causé un vrai choc a l'époque.

    Il y a eu certes une débauche d'effets spéciaux et de faux sang, mais je trouve cela remarquablement maitrisé et bien dans la signification de la scéne.

    Le gros reproche pour moi, c'est que le scénario est plus conventionnel qu'il ne voudrait le faire croire.

    Band of brother ne m'a pas fait grosse impression, je n'en est vu que quelques épisodes sans plus.

    Il est normal toutefois que les caractéres y soit plus dévellopées, une série le permmet par rapport a un film.

    Par curiosité, que pensez vous de " The thin red line" ?

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  4. «C'est surtout la scéne du débarquement qui m'avait causé un vrai choc a l'époque.»

    Je suis d'accord : je l'avais vu au Max Linder, à Paris.

    «Par curiosité, que pensez vous de " The thin red line" ?»

    Pas du tout le même style. Un peu lent à mon goût.

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  5. Savez vous que la scène du DDay de Saving Private Ryan a été tourné avec très très peu de moyens et beaucoup d'ordinateurs. Le truc est stupéfiant : http://www.tauziet.fr/blog/2008/02/15/le-debarquement-du-soldat-ryan-a-3/

    C'est un navet, certes, mais très bon. A fond sur l'émotionnel avec un Tom Hanks en pleine forme. Le film est poignant. admettons-le. Mais je vais totalement dans le sens de FB, Band Of Brothers est plus épais. Je l'ai suivi de A à Z avec mon épouse....c'est dire (elle déteste les films de guerre et n'a jamais pu regarder Ryan). Quand au film en noir et blanc, totalement d'accord (encre avec FB!). Ma fille a vu récemment un Charlot et était surprise qu'un NB pu être aussi "trop cool" !

    Signalons dans la série NB, les Ailes du désir de Wenders. Choix personnel bien sûr.b

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  6. La soif du mal d'Orson Welles sur grand écran, c'est un régal.

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  7. Bonjour,

    Plutôt d’accord avec le maître des lieux sur son appréciation nuancée du film « Il faut sauver le soldat Ryan » (une scène d’anthologie au début, une bonne scène de combat urbain à la fin et puis beaucoup de guimauves entre les deux).
    Sur Spielberg et son utilisation intelligente et moderne du N&B, signalons tout de même « La liste de Schindler » avec un Ralph Fiennes maléfique à souhait et qui prend superbement cette lumière si particulière propre au N&B…

    Je remarque, d’autre part, que personne ne cite Eisenstein !!!??? Le cinéaste soviétique serait-il victime du contexte politique qui a présidé à son œuvre ou bien le fait qu’il ait été longtemps une icône « bobo » le rend-il suspect ?

    Car enfin, sans même parler du « Cuirassé Potemkine », « Alexandre Nevski » est sans doute à la fois l’un des plus grands films de propagande jamais tournés (le chevalier teutonique qui jette dans les flammes le bébé arraché au sein de sa mère…), un film de guerre de premier ordre (la scène de la bataille sur le lac gelée) et un très grand film en N&B tout court…

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  8. Revoyant récemment "100 000 dollars au soleil" (tiens un film en N & B) vous trouverez dans sa poursuite des 2 camions, une source directe d'inspiration pour le jeune S Spielberg (angle de camera etc..)
    Etonnant ? La liste de schindler est en effet un bel exemple de N&B maitrisé avec une touche d'orange dérangeante. Reconnaissez à Spielberg son gout du réalisme dès qu'il s'agit de faire voler "l"avion de l'époque ou montrer un char allemand...
    Sur Memphis belle, le parti pris c'est de dire "beaucoup de B17 partaient, peu revenaient" et le montrer... La solitude du mitrailleur de queue vous ne l'a faite pas passer par une mâchoire crispée mais tout est affaire de gout.
    Avions à hélices ou jets ??

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