samedi, janvier 16, 2010

Le P51, le 747 et l'A400M


Un petit calcul pour vous exposer l'incompétence de ceux, industriels et clients (1), qui sont en charge du fiasco de l'A400M.

Il s'est écoulé 2 350 jours entre la signature du contrat de l'A400M et son premier vol.

Entre le contrat et la le premier vol du P51 Mustang, un des avions les plus réussis de l'histoire (alors que rien ne dit encore que l'A400 M sera un avion exceptionnel), seulement 122 jours ont été nécessaires.

Vous pourrez alors me dire que c'était la guerre, disons que ça compte pour un facteur 2, et que le P51 était un monomoteur, disons un facteur 4. En revanche, je ne prends pas en compte le facteur souvent entendu de la plus grande complexité des avions actuels : car si les avions sont plus complexes, nous sommes également censés avoir développé les moyens de maîtriser cette complexité.

Tout cela mis bout à bout, il en résulte tout de même que les gens qui ont fait le P51 était à peu près deux fois meilleurs que ceux qui ont fait l'A400M.

Cette comparaison vous paraît tirée par les cheveux ? Alors, prenons le développement d'un gros quadrimoteur en temps de paix, le 747. Le premier vol s'est déroulé 1 166 jours après la lettre d'intention entre Juan Trippe, président de Pan Am , et Wiliam Allen, de Boeing.

De là à en conclure que Boeing de 1970 est deux fois meilleur qu'Airbus des années 2000, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement.

D'ailleurs, Airbus est également inférieur à lui-même : l'A300 a aussi été développé plus vite.

Le mot incompétence vient spontanément aux lèvres.

Vous remarquerez que Boeing a bien souffert sur le Dreamliner. Mais le projet était plus innovant que l'A400M (2). Boeing a pâti d'avoir des financiers à sa tête mais est en train de corriger le tir : on peut de nouveau y espérer faire carrière en étant ingénieur.

Mais Airbus a un problème encore plus grave. EADS n'est qu'en apparence une société industrielle (3). En réalité, c'est un objet politique assez étrange.

Les dirigeants d'EADS sont incompétents en gestion de programme. Pas un dirigeant actuel qui, lorsqu'il se trouve par la plus grande des coïncidences qu'il a fait un passage à la tête d'un programme, soit resté à ce poste assez longtemps pour subir les conséquences des décisions qu'il a prises. Il est donc impossible qu'il en ait tiré le moindre enseignement. Ce n'était qu'une marche dans un cursus honorum.

Bien qu'il ait «pété les plombs», le dernier dirigeant d'EADS à avoir une véritable expérience industrielle, pas seulement une ligne de CV pour épater les journalistes et les politiciens, était Noël Forgeard.

Les coupables sont les actionnaires, c'est-à-dire les Etats, qui sélectionnent les dirigeants sur des critères politiques et non pas industriels. C'est ainsi qu'on peut voir Untel, qui n'a réglé aucun des problèmes de retards de son entité, promu à la tête d'une plus grosse entité qui souffre de retards encore plus graves. Comment peut-on espérer un instant qu'il les résoudra ?

Le salut d'EADS ne peut donc venir que des Etats, si ils décident qu'il y a péril en la demeure et qu'il faut arrêter les conneries, c'est-à-dire se livrer à une Saint-Barthélémy du «top management» d'EADS, car, suivant le bon sens d'Einstein, il ne faut pas espérer résoudre les problèmes avec ceux qui les ont créés.

La situation ne me semble pas mûre : le climat est à la guerre de tranchées franco-allemande, donc ne céder aucune position acquise, même par un bon-à-rien. A moins qu'un sens de l'urgence nouveau apparaisse dans certains esprits bien placés, il est donc peu probable que quelque chose bouge bientôt.

Pourtant, dès que le problème sera pris en mains, il sera résolu, ou presque : même si je pense que les talents aéronautiques (et pas seulement aéronautiques) sont plus rares qu'il y a quelques décennies, on doit en trouver suffisamment en regardant bien dans les coins pour remettre EADS d'aplomb.

Tout ce que je vous raconte ici est public, je vous fais juste une synthèse de la presse spécialisée. Des analyses de ce type ont déjà été exprimées par Henri Martre et Jean Pierson, anciens dirigeants d'Airbus et d'Aérospatiale.

Seulement, comme dans tout problème institutionnel, la difficulté n'est pas d'avoir une analyse juste, ni même que celle-ci soit largement diffusée ; c'est qu'elle atteigne les hautes sphères et soit adoptée par des responsables qui ont l'envie, le caractère, l'intelligence et l'occasion de bien agir.

Joue en défaveur du rétablissement d'EADS le fait que le dévouement au bien public est de plus en plus étranger aux cercles gouvernementaux.

Enfin, il y a un problème moral (un grand mot !). Une pratique s'est répandue dans les contrats militaires : les clients ont des exigences délirantes qu'ils savent intenables que les industriels acceptent en sachant qu'ils ne les tiendront pas.

Ensuite, une fois le contrat signé et le projet au milieu du gué, il suffira aux industriels de se rouler par terre en pleurant, en exposant au public leurs plaies et bosses, pour obtenir une rallonge. C'est à cela que nous assistons sur l'A400M.

Les industriels et les Etats sont complices dans cette magouille : le but est de fractionner la douloureuse vis-à-vis d'un électorat sourcilleux et d'étaler les dépenses pour des Etats impécunieux.

Ces pratiques supposent tout de même un profond cynisme et une éthique à géométrie variable. Chez les technocrates, la malhonnêteté s'exprime de manière plus feutrée et hypocrite que chez les voleurs à la tire, mais cela reste tout de même, malgré les costards-cravates et les grands discours, des comportements d'escrocs.

Il est donc déraisonnable d'attendre quoi que ce soit de ces gens.

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(1) : les clients ont eu des exigences folles et contradictoires, EADS a été assez con pour les accepter.

(2) : c'est d'ailleurs une question qui me trulupine : l'A400M ne casse pas des briques, technologiquement. Fallait-il mettre autant sur la table pour ce qui n'est, quoi qu'on en dise, qu'un avion de transport ?

(3) : une des choses qui m'a dérangé lors du premier vol de l'A400M, c'est tout le barnum politico-médiatique, les petits-fours, les blablas, la cérémonie. Un premier vol, on peut s'en réjouir après, mais avant, on a tout intérêt à garder profil bas. Ca peut toujours merder. Là encore, on constate une réaction de politicards et non d'industriels. Des types qui auraient déjà vu un premier tir ou un premier vol foirer auraient été plus prudents.

3 commentaires:

  1. En attendant, le transport aérien militaire paye quotidiennement les pots cassés et se débrouille comme il le peut avec une flotte cacochyme. Le Transall, excellent programme franco-allemand, a bientôt cinquante ans (premier vol en 1964) et ce n'est pas quelques CASA 235 de plus qui vont résoudre la crise actuelle. Le vrai fiasco du programme de l'A400M est là: à l'impéritie des gouvernements s'est ajoutée la pusillanimité de la haute hiérarchie militaire incapable de se faire entendre ou, plus certainement, trop liée au milieu délétère qui nous gouverne. Au train où vont les choses, j'ai du mal à imaginer un escadron opérationnel avant dix ans... Nous avions eu pourtant un avant goût de ce festin peu ragoûtant avec le Rafale ou le Tigre.

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  2. Quelques paroles de Jean Pierson l'ancien administrateur-gérant d'Airbus entre 85 et 98 dans une interview donnée en 2006 (à l'époque il évoquait le retard de l'A380):

    "on a bradé l'aérospatiale française en acceptant une gestion franco-allemande à 50/50"
    "avec Airbus, l'espace, les hélicoptères, les engins balistiques de la force de frappe, nous pesions plus que les Allemands avec Daimler"
    "La seule raison de l'instauration de ce mariage à parité a été d'ordre politique"

    "Quand interviennent des retards dans un programme aéronautique, c'est toujours un problème de gestion industrielle"
    "A-t-on fait une étude correcte des plannings de base et donné les alertes en temps utile ? Par ailleurs, est-ce que le management s'est informé au fur et à mesure de l'avancée du programme. Est-il allé sur le terrain ?"

    "Il me semble qu'on est passé progressivement de notre métier de base à celui de la communication et des finances. Ce qui se passe est grave"

    "Heureusement, je suis parti avant tous ces événements, après treize ans à la tête d'Airbus. Si j'étais resté, j'aurais claqué la porte."

    Hélas des dirigeants comme lui, il n'y en a plus ...

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  3. Notre ministre de la défense a déclaré hier sur RFI :

    "Le fait de porter une partie des surcoûts ne me dérange pas, parce que je pense que ce programme est un programme magnifique"

    Bref comme dit notre ministre ce n’est pas très grave, après tout ...

    D'une part puisque c'est nous qui allons payer les surcouts.

    D'autre part car on a a un état bien géré qui sait maitriser les déficits (sic)

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