Le bloc-notes d'Ivan Rioufol.
Les Français veulent-ils de cette gauche claquemurée dans son univers manichéen? Les sondages le laissent croire. Les médias complaisants rabâchent, eux, sur le «décollage réussi» de François Hollande, dimanche au Bourget, devant 25 000 sympathisants il est vrai enthousiastes. Mais comment prendre au sérieux un candidat à la présidentielle qui, confronté à l'asphyxie de l'État-providence et à la dislocation de l'État-nation, choisit la politique de l'autruche en se réfugiant, vieille habitude, dans le déni des évidences? «Mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance», a-t-il répété en désignant les spéculateurs, les banquiers, les riches comme coupables des maux du pays. Tandis que les idéologies rendent les armes pour avoir triché avec le réel, le socialisme français ne veut pas entrer dans le vif de la modernité.
À moins de prendre les Français pour des enfants, la gauche ne peut espérer faire croire en la responsabilité des méchants financiers dans l'affaiblissement économique et civilisationnel de la France. Certains se sont certes goinfrés. Mais le monde de l'argent n'est pour rien dans la gestion politiquement catastrophique de ces trente dernières années. La dialectique du bouc émissaire et du complot, déjà utilisée dans l'entre-deux-guerres, dévoile l'enfermement et la pesanteur de la gauche doctrinaire, dont Hollande avait semblé vouloir se sortir. Plus que jamais l'intégrisme socialiste s'enlise dans le conservatisme, laissant à l'UMP l'opportunité de s'affirmer comme le parti de la réforme.
«C'est nous qui sommes responsables des difficultés de notre pays», a eu beau jeu de rétorquer François Bayrou, en pointant la défausse de Hollande et sa brève incursion centriste. La gauche n'aurait-elle donc rien à voir avec le surendettement de l'État, les fonctionnaires deux fois plus nombreux qu'en Allemagne, les salariés qui travaillent 225 heures de moins, la dépense publique qui absorbe désormais 56% de la richesse du pays? Serait-elle étrangère au sentiment d'abandon des «petits Blancs» délaissés au profit de la «France métissée», à l'impossibilité de débattre de la poursuite d'une immigration de masse, au refus de s'inquiéter de l'emprise de l'islam politique sur une partie de la communauté musulmane? L'aveuglement de Hollande s'apparente à une lâcheté.
Doubler le plafond du livret A, dissocier les activités bancaires, supprimer les stock-options et des niches fiscales, alourdir les impôts et les taxes: ces propositions, confirmées hier, sont discutables. Surtout, elles ne sont d'aucun secours pour sortir la France du déclin. La vérité est que le PS, qui prône «Le changement, maintenant», n'a pas de projets, hormis ses vieilles lunes, pour répondre aux crises dérangeantes qu'il juge donc plus commode d'oublier. La gauche à l'Élysée, cela signifierait la gauche partout: au Parlement, dans les grandes municipalités, les conseils généraux, régionaux, mais aussi dans l'éducation, la justice, les médias. Ce n'est pas ce grand bond en arrière qui est à espérer.
Tartuferies en série
Cette gauche qui fait de l'œil à Jean-Luc Mélenchon et aux nostalgiques de la lutte des classes est la clé de voûte du vieux système égalitariste et redistributeur qu'elle entend protéger des critiques en évacuant ses méfaits sur la déresponsabilisation et la paupérisation. Cependant, ce ne sont pas les riches que rejettent les citoyens oubliés et que le PS désigne aux crachats tout en daubant sur le «populisme». Ce sont les brasseurs de vent et les vendeurs d'éthique qui sont d'abord mis en cause, pour avoir abusé depuis trente ans de la confiance des citoyens. Or c'est bien de ce monde de faux-semblants dont se réclame le candidat socialiste, soutenu par tout ce que le PS peut produire d'inébranlables «exhibitionnistes moraux», ainsi épinglés par Paul-François Paoli (Pour en finir avec l'idéologie antiraciste, François Bourin Éditeur). La bénédiction reçue par Hollande de la part de Stéphane Hessel, dont Gilles-William Goldnadel dénonce les «postures et impostures» (Le vieil homme m'indigne!, Éditions Jean-Claude Gawsewitch), enracine symboliquement le PS au cœur du politiquement correct qui, par sa diabolisation des idées dissidentes, a asséché l'esprit critique et l'élémentaire curiosité intellectuelle. Yannick Noah, ce donneur de leçons qui doit 580 000 euros au fisc et qui a joué le rôle d'ambianceur «sympa» lors de la grand-messe socialiste de dimanche, a parfaitement complété la tartuferie.
Écouter la France réactive
Les «anti-système», qui font masse et refusent les directives d'élites allumées ou trouillardes, ne veulent ni d'une gauche dévote ni d'une droite inhabitée. Aller à la rencontre de cette France réactive et raisonnable oblige à parler comme elle, au lieu de laisser au seul Front national l'honneur d'être son porte-voix. Il est trop facile de soutenir que des sujets aussi complexes que l'immigration ou l'islam se résumeraient à «des peurs irrationnelles» (Roland Cayrol, Tenez enfin vos promesses!, Fayard) méritant le mépris. Les réalités et les sondages confirment les crispations sur ces sujets. Plutôt que de chercher, comme toujours, à les minimiser au nom d'un commode humanisme, les élites devraient s'attacher à comprendre ce que ressentent les citoyens abandonnés, qui ne sont évidemment ni forcément racistes ni forcément d'extrême droite. Une chose est sûre: il ne faudra pas compter sur Hollande pour aller à la rencontre de cette France dont il ne veut pas entendre les souffrances. Ses 150.000 «emplois d'avenir», il les réservera prioritairement «aux jeunes des quartiers difficiles», au nom d'une égalité socialiste qui fait des hiérarchies.
La faute politique
Demeure la faute politique de Nicolas Sarkozy, qui a réussi à rendre Hollande d'autant plus crédible que sa propre personne est rejetée. Cette réaction épidermique peut se retourner, au vu de l'indigence du diagnostic de la gauche et du tempérament réformiste du chef de l'État. Un aveu de ses erreurs pourrait réconcilier une partie des électeurs fâchés (voir mon blog).
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