mardi, mai 20, 2014

Ce que le tapage autour de Kerviel révèle de notre société

Kerviel, une Léonarda qui se prend pour le Christ ?

Kerviel, symptôme d'une société infantilisée

Tout est dans ces articles : l'information en continu fait perdre le sens des faits et le goût de la mise en perspective. La société infantilisée fait perdre le sens des responsabilités.

On peut discuter du fait que Kerviel oeuvrait dans un système mauvais, que la Société Générale a été au moins très négligente. Mais Kerviel est bien coupable de ce dont on l'a accusé, il doit donc faire sa peine.

Quant à l'argument du pardon, il est fort inquiétant, surtout venant d'hommes d'église. Il y a là un mélange des genres prouvant une confusion intellectuelle qui ne laisse pas de m'inquiéter (mais vous savez ce que je pense de la baisse affligeante du niveau du clergé).

Le pardon n'est ni dans le rôle ni dans le pouvoir du système judiciaire. De plus, on ne pardonne qu'un pécheur repentant.

Or, ces derniers jours, Jérôme Kerviel a prouvé qu'il restait égal à lui-même : manipulateur (la pseudo-audience du pape), paranoïaque et assoiffé de lumière des projecteurs. En rien, il n'est un homme qui a renoncé à Satan et à ses pompes.

Le point sans doute le plus intéressant, car de portée générale, est la technique de manipulation qui a permis de transformer un coupable en pseudo-victime.

Elle est à base d'information en continu. Elle repose sur quelques principes simples :

• la mémoire de poisson rouge : tout ce qui s'est passé avant ces deux derniers jours disparaît, englouti dans le brouillard de l'oubli. Les faux et usage de faux de Kerviel paraissent aussi loin de nous que les papyrus des pharaons. Les frasques de DSK et sa politique économique désastreuse semblent n'avoir jamais existé.

• le biais : on ne vous dit pas les choses directement, on ne vous dit pas «Kerviel est une victime donc il est innocent», mais on vous le présente en situation de victime et on laisse votre cerveau faire le reste du travail, l'interprétation. Ainsi, l'opinion qu'on vous aura suggérée sera d'autant plus ancrée que c'est vous qui l'aurez élaborée.

• le martèlement. Répétez dix fois la même chose et cela deviendra une vérité.

Maxime Tandonnet nous fait une synthèse :

Principes d'une manipulation de masse

Nous sommes dans la situation décrite maintes fois par Volkoff.

Une seule solution : comme disait France Gall, débranche tout.

Je n'ai pas la télévision et j'écoute de temps en temps BFM, en podcast, jamais en direct, à des moments de mon choix, des émissions de mon choix. Pas plus de trois ou quatre heures par semaine au total (à comparer au 27 heures en moyenne devant la télévision, et 35 heures pour les enfants, sans parler de la radio dans la voiture).

J'ai des collègues, dont je vous ai déjà parlé, qui se croient plus malins que les autres : «J'écoute France Info mais je décrypte» ou «il faut bien savoir ce que dit l'ennemi». Tu n'as pas besoin de savoir ce que dit l'ennemi, tu le sais à l'avance et tu décryptes ce que tu veux, mon con, ça ne t'empêche pas de te faire bourrer le mou comme les autres.

L'information en continu est une forme d'addiction. C'est donc une question de discipline personnelle : ceux qui font un régime pour ne pas avoir l'air trop ventripotent sur la plage devraient avoir la même attitude vis-à-vis de l'information que de la nourriture.

Addendum :

Excellent commentaire : je ne connaissais pas cette recommandation célinienne fort intéressante :

Plus j'y réfléchis, plus je me rends compte que Céline a raison quand il dit que pour s'informer, il suffit de regarder les publicités et la rubrique nécrologique des journaux. Avec l'un, vous connaissez votre époque et la société dans laquelle vous vivez, de façon infaillible et crue jusqu'à l'obscénité. Vous savez ce que veulent les gens et jusqu'où ils sont prêts à aller pour l'obtenir. Avec l'autre vous connaissez les gens qui peuplent cette société de façon individuelle, vous savez quand ils sont morts.

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