samedi, janvier 03, 2015

La politique fiscale en France

Thomas Piketty, un idéologue narcissique qui voulait faire parler de lui, a trouvé un moyen : il a refusé la Légion d'Honneur. Vous savez ce que je pense des gens qui refusent cette médaille et, visiblement, je ne suis pas le seul.

Brisons là : cela, la polémique et le personnage, n'a vraiment aucun intérêt  (je vous rappelle tout de même que M. Piketty vit à votre crochet).

En revanche, un article d'Atlantico sur la politique fiscale française a un intérêt.

L'idéologie est toujours, d'une manière ou d'une autre, une fuite devant la complexité et l'imperfection du monde. Pour l'idéologue, toutes les explications sont simples et toutes ses solutions sont parfaites. Même le plus tortueux des idéologues sera toujours plus simple que la réalité.

Essayons, sans nous faire trop d'illusions, d'être un peu intelligents.

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Atlantico : Thomas Piketty a récemment refusé la Légion d'honneur, évoquant dans une interview une distinction "surannée". Dans un ouvrage collectif intitulé "la révolution fiscale", il émettait l'idée d'un taxe à 60% pour les revenus les plus élevés qui a inspiré à François Hollande l'idée de taxe à 75%, enterrée depuis ce 1er janvier. Si la France devait opérée une révolution fiscale, quelle forme cette dernière devrait-elle prendre ?

Jean-Philippe Delsol : Thomas Piketty est un idéologue érudit. A ce titre il est aussi dangereux qu’un charlatan. Il a allumé un incendie en proposant de taxer à 60% dès le premier euro tous les revenus supérieurs à 100 000 €. Il a ainsi, en effet suscité la folle proposition de Hollande de taxer les revenus supérieurs à 1 millions d’euros au taux à 75%. Il a ainsi contribué au climat de méfiance qui depuis deux ans éloigne les investisseurs étrangers de la France et affaiblit l’économie française. Et puis maintenant il crie au feu comme un pompier pyromane. Et pour se faire de la publicité, il refuse la légion d’honneur qu’il ne méritait pas.

Plutôt que de faire de l’acharnement fiscal, notamment à l’égard des contribuables les plus riches et les classes moyennes, il vaudrait mieux en effet réformer la fiscalité de fond en comble pour la simplifier et la rendre supportable, favorable à la création d’entreprise, c’est-à-dire à l’emploi et à la croissance, ouverte à l’initiative et au travail. En France, les taux supérieurs d’impôt sur le revenu (64,5% avec la CSG), l’impôt sur les Sociétés (38% avec la surtaxe Fillon revisitée façon Hollande), les droits de succession (45%) sont parmi les taux les plus élevés du monde. Les employés supportent également les charges sociales qui sont les plus élevées de tous les pays développés, représentant de 80 à 100% du salaire net médian. Les classes moyennes sont particulièrement frappées à ce titre en payant des cotisations sociales proportionnelle alors qu’elles ne profitent pas davantage de ces assurances sociales qui n’ont plus d’assurance que le nom et qui sont en fait de nouveaux impôts progressifs, les salaires les plus bas en étant de plus en plus exonérés.

Gérard Thoris : Barak Obama a reçu le Prix Nobel de la paix principalement sur la base de son discours "La paix maintenant", donné au Caire le 4 juin 2009. La suite de l’histoire a montré que les Etats-Unis n’avaient pas été la source de paix escomptée, ni directement, ni indirectement. Thomas Piketty a été plus avisé : d’une part, il n’y a aucune chance que son programme soit appliqué dans le pays où son dernier livre est devenu un best-seller ; d’autre part, il est déjà appliqué en France, au moins dans son esprit et la France succomberait à une augmentation du taux de l’impôt sur le capital comme du taux marginal de l’impôt sur le revenu. L’honorer de la Légion d’honneur était une façon de saluer le retentissement de la pensée d’un français aux Etats-Unis tout en esquivant l’application de ses préceptes en France.

Rappelons d’abord que Thomas Piketty n’est pour rien dans la taxe sur les salaires de plus de un million d’euros. Il l’a dit et répété, il est favorable à une tranche à 60 % de l’impôt sur le revenu. Attention, il s’agit d’un taux moyen applicable à l’ensemble du revenu au-delà d’un certain seuil et non, comme dans le système actuel, d’un taux applicable à la part du revenu qui dépasse ce seuil ! Rappelons ensuite que l’ouvrage qui a fait sa renommée internationale propose de taxer le capital à 15 %. Les Américains ont cette gentillesse constante de laisser les autres nations essayer les solutions suicidaires. Ils n’ont jamais eu d’impôt sur la détention du capital et il n’a jamais été question qu’ils en aient un. Par contre, ils ont connu les impôts confiscatoires sur la transmission du patrimoine, ce qui est tout autre chose. Les héritiers ne sont jamais les créateurs ; ils ont une propension assez facile à comprendre à vivre de leurs rentes…

Alors, que peut-on reprocher à cette proposition d’imposition du capital ? D’abord, qu’elle ne réussirait pas à réduire les inégalités de patrimoine. Les très grandes fortunes trouvent toujours le moyen de se mettre à l’abri de l’impôt. Si tant d’entreprises du CAC40 ont choisi une structure juridique avec Conseil de surveillance, n’est-ce pas pour permettre au dirigeant historique de laisser croire que son patrimoine relevait de « l’outil de travail », en tant que Président de ce conseil ? Par contre, les fortunes intermédiaires qui refusent de d’expatrier continuent à être dans la ligne de mire du fisc ! Tout cela serait connu si les services de Bercy jouaient le rôle qui est attendu d’eux dans une démocratie : que chacun puisse savoir, jour après jour, combien de particuliers ont effectué une déclaration de non-résidence et, de ce fait, ne sont plus imposables sur leur patrimoine en France.

Mais ce qui est beaucoup plus fondamental, c’est que Thomas Piketty se trompe d’époque. Essayons d’être marxiste ! Pour Karl Marx, ce fin observateur du système capitaliste au XIX° siècle, ce qui menace le plein emploi, c’est l’insuffisance du capital pour embaucher tout le monde. L’armée de réserve des chômeurs est constituée de ces gens qui ne trouvent pas d’emploi parce que les capitalistes n’arrivent pas à dégager assez de profits pour les embaucher. Cela tient à l’augmentation de la composition organique du capital d’une part, à la baisse du taux d’exploitation d’autre part. 

N’en déplaise à notre Thomas Piketty, cette situation est aggravée par l’impôt sur le capital ! Or, on peut considérer que la situation présente en France relève partiellement de cette interprétation.
Qui peut croire en effet que nos 3,5 millions de chômeurs vont retrouver un emploi dans les entreprises existantes, avec le capital existant ? Leur destin est presque entièrement suspendu à la création de nouvelles activités, stimulées par un progrès technique tellement exponentiel qu’on n’arrive pas à faire l’inventaire des innovations. Seulement, pour créer de nouvelles activités, il faut des idées – les Français en ont, et à foison – et des capitaux – les Français qui disposent d’un capital n’arrivent pas à l’accroître ; ceux qui disposent d’un revenu n’arrivent pas à le transformer en capital.

Philippe Crevel : La fiscalité a comme objectif le financement des dépenses publiques. La première révolution à réaliser en la matière serait la maîtrise de ces dépenses. Au-delà de ce principe de bonne gestion, toute fiscalité a des effets économiques. Il n’y a pas de bonne fiscalité car par définition il s’agit d’imposer aux citoyens une contribution. Ils ne peuvent pas s’y soustraire. Il est souvent recommandé d’avoir la fiscalité la plus neutre économiquement parlant sans que l’on sache réellement ce que cela signifie. Certains préconisent le recours à une fiscalité indolore car passant relativement inaperçue.

La TVA fait partie de cette catégorie. Mais, ce côté indolore est une invitation à l’augmentation des prélèvements. Il ne faut pas se faire d’illusions. Tout impôt est payé in fine par les citoyens. Ce n’est pas en taxant une vache que la vache paie la taxe comme le dit Alain Madelin. De même, les impôts sur les entreprises sont, en fin de chaine, payés par les ménages sous forme d’augmentation de prix ou de minoration des salaires ou de moindre rémunération de l’épargne. En France, les responsables publics ont toujours fait preuve d’imagination en matière de prélèvements.

Nous pratiquons l’impressionnisme fiscal en multipliant les impôts et les dérogations. Nous aimons les raffiner à l’extrême avec à la clef une légendaire instabilité. Nos impôts ont bien souvent des assiettes plus étroites que celles de nos partenaires et des taux plus élevés. La véritable révolution serait donc de ne rien faire. A défaut de retenir cette solution, il faudrait tenter d’harmoniser les assiettes des grands impôts directs au sein de la zone euro. A défaut d’opter pour une solution européenne, la révolution fiscale devrait avoir comme ligne directrice la simplification et l’acceptabilité. Un bon système fiscal c’est un système compris et accepté par le plus grand nombre.

Quel équilibre s'agit-il de trouver entre la proportionnalité et la progressivité ?

Jean-Philippe Delsol : La flat tax, ou impôt proportionnel, serait une solution souhaitable. Il s’agit d’imposer tous les contribuables à un même taux, modeste. La CSG est déjà une flat tax et elle rapporte beaucoup plus que l’impôt sur le revenu : environ 65 milliards d’euros pour l’impôt sur le revenu et environ 90 pour la CSG. L’IREF a calculé qu’une flat tax édulcorée, au double taux de 2% jusqu’à 8.000€ par an et 15% au-delà serait plus productive que l’impôt progressif actuel. Une flat tax de ce type permet de faire participer tous les Français à l’impôt, ce qui est plus démocratique que d’en exonérer plus de 50% en leur rendant ainsi indolore la charge des dépense publiques.

Cette flat tax permettrait également de supprimer toutes les niches fiscales et réduirait la fraude. Les gains financiers obtenus directement, et indirectement par la croissance de l’économie qu’elle engendrerait, permettraient de compenser pur les plus pauvres le coût de l’impôt qui pèserait, modestement, sur eux.

Gérard Thouris : C’est que, à côte de l’ISF, le système de l’impôt sur le revenu en France reste l’un des plus progressif qui soit. Bien entendu, pour mesurer la progressivité, il ne suffit pas d’indiquer le taux d’imposition marginal maximal ! Il faut indiquer à partir de quel seuil on est imposable, quelle est l’étendue des tranches sur lesquelles s’applique le taux de l’impôt et, finalement, quel est le seuil de déclenchement de la tranche marginale maximale. Il faut aussi considérer la base fiscale imposable et savoir si les taux s’appliquent à l’individu ou au foyer fiscal. Une autre façon de considérer la progressivité d’un système fiscal est de calculer quelle est la part de l’impôt sur le revenu (IR) payée par les contribuables les plus riches. Ce qui est sûr, c’est que le rendement de l’impôt est d’autant plus élevé que la masse des revenus est importante.

Pour des raisons évidemment électorales, les pouvoirs publics, quelle que soit la couleur de la majorité, ont une propension à supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu après l’avoir vidée de sa substance. C’est ce que Manuel Valls applique une nouvelle fois ce premier janvier 2015. Pour sortir de cette facilité, le premier Ministre Michel Rocard a inventé la Contribution sociale généralisée (CSG), qui s’applique au premier euro de revenu. Pour des raisons assez cohérentes, les réformistes estiment que la distinction entre impôt et contribution n’a pas de sens et qu’il faut fusionner l’IR et la CSG. Mais, pour des raisons évidemment électorales, cette fusion se traduira rapidement par une exonération de CSG des revenus les plus faibles… Un impôt proportionnel au revenu satisfait normalement au critère constitutionnel des facultés contributives. 

Mais, comme l’avait fait remarquer J.R. Mc Culloch vers 1830 : "à partir du moment où vous abandonnez le principe cardinal d’exiger de tous les individus la même proportion de leur revenu ou de leur propriété, vous êtes à la mer sans gouvernail ni boussole, et il n’y a pas de limite aux injustices et aux folies que vous pouvez commettre". Il est absolument certain que, aujourd’hui en France, aucun député, et vraisemblablement aucun spécialiste de fiscalité de Bercy ne sache exactement faire le compte de ce qui resterait à l’individu si son employeur lui accordait 100€ d’augmentation de salaire. 

Entre l’impôt sur le revenu, la CSG, les seuils divers et variés d’allègement des cotisations sociales, le dépassement de seuils pour un certain nombre de prestations sociales, la réévaluation des bourses des enfants, le paiement ou non de la taxe d’habitation, etc. Il est devenu impossible de rien prévoir d’avance. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en a fait les frais plusieurs fois et cette ignorance n’est pas pour rien dans la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu. Il s’agissait de rendre non imposable des gens qui l’étaient devenus à cause de mesures diverses et variées des budgets 2013 et 2014. 

Philippe Crevel : Pour Pascal Salin, la progressivité et la proportionnalité ne sont pas des bonnes solutions. Il est plutôt favorable à la capitation. Les dépenses seraient réparties à part égale entre les contribuables. Il considère qu’il ne faut pas mélanger fiscalité et politique sociale. Les citoyens sont des consommateurs de services publics. Or, quand on achète une baguette ou une voiture, il nous n’est pas demandé notre déclaration de revenus. Nous pourrions corriger les inégalités sociales en ayant simplement recours aux prestations et non en utilisant l’arme fiscale. Il y a une vieille règle économique qui est toujours d’actualité. Quand un outil a plusieurs objectifs à atteindre, il n’en atteint aucun.

C’est un peu voire beaucoup le cas de notre système fiscal. La progressivité vise à pénaliser les augmentations de revenus. Elle est dissuasive à partir d’un certain taux en rendant faible l’incitation à travailler plus. Elle peut être destructrice d’activité par renoncement ; elle peut aussi favoriser la fraude fiscale. La proportionnalité est plus neutre mais elle a mauvaise presse dans notre pays. Un bon système fiscal doit être accepté par les contribuables et les citoyens. La progressivité est devenue un symbole en France.

François Hollande en a abusé en reprenant à la volée la taxe de 75 % proposée par Jean-Luc Mélenchon. En France, un impôt est d’autant plus populaire qu’il concerne un nombre réduit de personnes et qu’il corrige des inégalités jugées choquantes. L’enfer fiscal commence à partir du moment où l’on est concerné par les augmentations d’impôts. En France, nous avons des prélèvements proportionnels comme les cotisations sociales, la CSG. Nous avons des impôts progressifs comme l’impôt sur le revenu, les droits de succession ou l’ISF.

Quels sont les impôts qu'il s'agirait de revoir en priorité ? Pourrait-on envisager d'en créer d'autres ?

Jean-Philippe Delsol : Tous les impôts doivent faire l’objet de réduction, notamment de leurs taux supérieurs. Mais il faut insister sur l’importance de réformer :
  • Les impôts sur le capital car la France cumule en la matière des doits d’enregistrement élevés sur les cessions d’immeubles, de fonds de commerce ou de parts de sociétés, des droits de donation ou succession assortis d’une franchise modeste (100.000€) d’une progressivité rapide avec un taux élevé, et enfin d’un impôt dit de solidarité sur la fortune qui frappe les patrimoine au taux supérieur de 1,5%, très supérieur désormais au taux de l’inflation et inférieur au taux de rendement de l’argent ;
  • L’impôt sur les bénéfices des sociétés qui est supérieur de 50% au taux moyen pratiqué en Europe ;
  • L’impôt sur le revenu qui se cumule avec la CSG/RDS et qui atteint des niveaux si élevés que les gouvernement successifs ont été obligés de le trouer de part en part de niches dont la justification est généralement douteuse et toujours couteuse.

Gérard Thoris : Il y a certainement une mesure d’importance qu’il faudrait prendre en France, c’est l’interdiction de créer de nouveaux impôts. A tout le moins, on pourrait imaginer une règle budgétaire, voire constitutionnelle, qui interdise de créer un impôt dont le rendement serait inférieur à un certain montant ou dont le coût de prélèvement, y compris les coûts supportés par les agents privés, serait supérieur au rendement. C’était le printemps, le début de l’année 2013 a vu fleurir autant d’impôts nouveaux que de ministères. Un impôt sur les stylos à bille pour maintenir le marché des encriers ; un impôt sur les taxis automobiles pour maintenir la rente des fiacres ; un impôt sur ceux qui n’ont pas la télévision pour délit de civilité ! Chacun trouvera aisément les exemples plus sérieux et plus concrets qui ont été effectivement proposés au Parlement et… votés !

S’il fallait citer un impôt à réformer auquel on ne pense pas nécessairement, il y a certainement l’impôt sur les plus-values. La première chose à faire serait de permettre l’imputation des moins-values foncières et immobilières sur les plus-values financières et inversement. Nous entrons dans une période de déflation et les moins-values risquent de se multiplier. S’il faut maintenir un impôt sur les plus-values, c’est sur la base de leur évolution globale nette. Mais il faut aussi revoir les durées de détention qui servent de seuil de déclenchement aux plus-values immobilières. Celles-ci ralentissent les mouvements de patrimoine. Or, ceux-ci ne sont pas liés à la spéculation, mais à l’évolution de la situation personnelle et professionnelle des familles.

Philippe Crevel : Un système fiscal doit être en phase avec le paradigme économique. Il est certain qu’à l’exception de la CSG Introduite en 1990, le système fiscal prend des rides. L’architecture de l’impôt sur le revenu date de 1959. La TVA a perdu de sa simplicité avec la multiplication des taux. L’impôt sur les sociétés est une raquette percée. Pour l’impôt sur le revenu, il faudrait instituer la retenue à la source pour éviter le décalage d’un an qui pénalise ceux qui ont de fortes variations de revenus ou qui perdent leur emploi.

L’inconvénient de la retenue à la source serait de rendre indolore l’impôt sur le revenu. La suppression des niches fiscales devrait s’accompagner d’une baisse des taux. Afin de protéger les contribuables, il faudrait indiquer dans la constitution que les prélèvements obligatoires ne peuvent pas priver plus de 50 % des revenus d’un citoyen.

Pour l'économiste Thomas Piketty, l'impôt serait le moyen de lutter contre les inégalités. Dans quelle mesure cette conception de la fiscalité peut- elle soulever des problèmes ? Comment mettre en place une fiscalité efficace qu'elle concerne les particuliers ou les entreprises ?

Jean-Philippe Delsol : La vraie question est de savoir quel est l’objet de l’impôt. Piketty en fait un instrument d’égalisation alors que l’impôt n’a vocation qu’à prendre en charge le coût des services publics permettant à la collectivité de satisfaire au bien commun. Son obsession égalitaire dénature toutes ses propositions et en font l’instrument de son idéologie, c’est-à-dire d’une pensée unidimensionnelle tendant à considérer que l’égalité entre les hommes serait l’alpha et l’oméga d’une société juste quand ça n’est et ne peut être qu’une utopie dangereuse et dégradante pour les hommes autant sur le plan moral qu’économique et social.

Car le bien commun ne consiste pas à égaliser les hommes, mais plutôt à permettre à tous de vivre en paix et en sécurité et de favoriser l’épanouissement personnel de chacun. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir le souci des paumés de la vie. Mais le système actuel d’assistance généralisée au profit d’une partie de la population et à la charge de l’autre en vient à créer les pauvres qu’il souhaite ensuite secourir, il incite à l’irresponsabilité et décourage le travail. Ce système appauvrit la société elle-même et en particulier les plus pauvres. La fiscalité doit être aussi neutre que possible à l’égard des individus, faire en sorte que la situation des personnes reste le plus possible dans le même rapport des une aux autres après paiement de l’impôt.

Gérard Thoris : Pour montrer que l’impôt progressif sur le revenu avait été la cause principale de la réduction des inégalités de patrimoine en France au XX° siècle, Thomas Piketty a dû nier l’effet et des guerres et des inflations d’après-guerre. Ce serait simplement risible si cela n’avait ruiné des pays ou des activités. Ainsi, la batellerie française ne s’est jamais remise des destructions de la Seconde guerre mondiale ; la fiscalité n’y a été pour rien.

Ainsi encore, les capitalistes qui ont échangé leurs actions dans les sociétés de chemin de fer contre des obligations à 30 ans et 6 % d’intérêt étaient très certainement satisfaits de leur coup en 1936 ; nul doute qu’ils aient déchanté après les inflations de 48,5 % (1945), 52,6 % (1946), 49,2 % (1947) et 58,7 % (1948) ! L’argument ne tient donc pas. On pourrait tout aussi bien prendre comme adage la formule de Ludwig Von Mises pour qui "les vieilles firmes n’ont rien à craindre de la concurrence : elles en sont protégées par le percepteur" (L’action humaine, Paris,PUF, 1985, p. 851). En d’autres termes, les fortunes nouvelles sont tuées dans l’œuf au bénéfice des fortunes constituées, qui réussissent toujours à trouver des accommodements avec les pouvoirs publics. Que chacun choisisse son exemple dans l’actualité !

Philippe Crevel : Thomas Piketty souligne, à juste titre, que ces dernières décennies ont été marquées par une concentration du patrimoine. Ce mouvement s’explique par la valorisation des actifs immobiliers et financiers depuis 1990, par la désinflation et par le vieillissement de la population. Il est à signaler que les inégalités de patrimoine et de revenus se sont moins accrues en France qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne. Thomas Piketty estime que l’impôt sur le revenu, les droits de succession et l’ISF ont contribué, pas assez à son goût, à la lutte contre les inégalités.

Dans les faits, ce sont les prestations sociales qui pèsent 33 % du PIB qui corrigent les inégalités. En plus, en taxant fortement les revenus du patrimoine, les pouvoirs publics ont incité à l’expatriation ou à la recherche d’une optimisation fiscale parfois improductive sur un plan économique. Si la France a moins d’entreprises de taille intermédiaire que ses partenaires c’est en parti à cause des droits de succession et de l’ISF. Il est plus intéressant de vendre son entreprise à une grande société que d’ouvrir son capital. Cette fiscalité fait le bonheur de la Belgique, de la Suisse, du Luxembourg voire du Portugal.

Aujourd’hui, il faudrait encourager la mobilité du capital pour éviter sa concentration excessive chez les seniors. A cette fin, il serait assez logique de favoriser fortement les donations. Pour régler les questions de succession et d’ISF, il faudrait réellement instituer le trustee avec franchise fiscale. En revanche, les successions classiques devraient être taxées plus lourdement.

Quelle que soit la fiscalité mise en place par un pays, certains contribuables et sociétés seront toujours tentés par l'optimisation fiscale, voire l'évasion. Comment la France pourrait-elle se prémunir et lutter efficacement contre ce genre de pratiques ?

Jean-Philippe Delsol : L’homme est une créature imparfaite et les sociétés sont également imparfaites. Il y aura donc toujours des resquilleurs. Mais il est plus facile de se cacher dans le maquis que dans le désert. C’est pourquoi une fiscalité plus simple, dénuée d’exceptions et des mille et une dérogations qui la ponctue aujourd’hui, serait sans doute déjà un premier obstacle important à la fraude.

Des taux plus raisonnables supprimeraient également des incitations à l’évasion fiscale : pourquoi prendre des risques si l’enjeu n’en vaut pas la peine ? A multiplier les règles et les sanctions, le système fiscal devient inquisitorial et atteint la liberté même qui fait qu’une économie est vivante et riche de sa créativité. Il ne sera jamais possible d’empêcher toute fraude Et il est légitime de sanctionner lourdement la fraude. Mais en l’état, l’Etat est lui-même responsable d’avoir créé le labyrinthe fiscal dans lequel se perdent et se dupent les uns les autres le fisc et les contribuables.

Philippe Crevel : Les Etats sont en concurrence et les contribuables sont libres de se déplacer du moins quand ils ont de la chance de vivre dans une démocratie et ainsi s’ils le souhaitent, de choisir son domicile fiscal en fonction de ses appétences. L’optimisation fiscale commence à l’intérieur des Etats. Nous pouvons choisir les villes qui demandent le moins au niveau des impôts locaux. La fiscalité de Neuilly sur Seine n’est pas la même que celle de Nantes ou d’Ajaccio. Au niveau européen, pour éviter quelques abus, un système de protection sociale pourrait être institué.

Les travailleurs détachés, exerçant leurs activités dans un pays où ils ne sont pas domiciliés, acquitteraient leurs cotisations à cette caisse européenne qui pourrait soit répartir entre les régimes sociaux nationaux les sommes perçues ou soit fournir des prestations concurrentes aux systèmes nationaux. Les taux seraient fixés d’un commun accord entre les Etats membres de l’Union européenne.

Quels serait les effets d'une bonne réforme fiscale sur l'économie française ?

Jean-Philippe Delsol : Parmi les exemples cités plus haut, l'impôt sur le capital, sur le salaire ainsi que sur les entreprises sont les impôts les plus sensibles. L’impôt sur la fortune en particulier est devenu la phobie des contribuables qui réussissent et qui ont le sentiment de se faire voler le capital qu’ils ont accumulé après avoir payé déjà de très nombreux impôts et charges. Sa suppression serait à cet égard salutaire.

D’une manière générale des impôt directs plus faibles et plus stables permettraient de retrouver une confiance disparue et la confiance est la base de toute société prospère parce que ceux qui ont confiance en l’avenir et confiance dans la stabilité de leur cadre de vie sociale peuvent entreprendre, faire des projets, embaucher, investir… Dans cette perspective il faut arrêter de créer de nouveaux impôts et en profiter pour en supprimer une foultitude qui sont d’un rendement marginal et pourtant pénalisant pour ceux qui les supportent.

Philippe Crevel : Une bonne fiscalité est celle d’un Etat économe. Une bonne fiscalité encourage les dépenses d’avenir, l’investissement, la recherche, l’innovation, la formation…Une bonne fiscalité favorise l’épargne à long terme à risques. Une refondation fiscale devrait permettre de générer des économies sur la gestion des impôts. Une bonne fiscalité avec une bonne communication constitue un bon instrument pour attirer des capitaux étrangers. Londres même si son impôt sur les sociétés est plus lourd que celui de la France a mis en avant la valeur faciale faible du taux de cet impôt et le fait qu’il n’y avait pas de tranche à 75%.

Une bonne fiscalité bien acceptée, constitue un élément clef pour restaurer un bon climat de confiance. Si elle est stable, bien comprise, elle peut faciliter l’enclenchement d’un cycle de croissance. La création de la TVA en 1954 en lieu et place des très nombreuses taxes sur la production a accompagné la modernisation des réseaux de distribution.

Des quels systèmes étrangers pourrait-on s'inspirer ?

Jean-Philippe Delsol : Il n’y pas de pays idéal. Mais il y en a qui gèrent mieux que d’autres leur dépenses publiques el la fiscalité qui les finance. La Suisse est à cet égard un modèle, les dépenses de ses administrations publiques sont limitées à un niveau de l’ordre de 33% du PIB, son endettement est réduit à environ 35% du PIB et la fiscalité est elle-même maitrisée. Par exemple il existe en Suisse un impôt sur la fortune, mais il est différent dans chaque canton et il dépasse rarement 1% et en contrepartie les droits de mutation, de donation et de succession sont faibles ou inexistants.

Le secret de la Suisse à cet égard, c’est qu’il s’agit d’une confédération dont les 26 cantons sont en concurrence sur le plan fiscal. Il existe d’autres pays qui ont réussi à disposer d’une fiscalité favorable à la croissance économique, ce sont notamment les nouveaux pays de l’Est de l’Europe. En sortant du communisme, ils avaient la chance ce pouvoir repartir d’une page blanche et beaucoup d’entre eux ont opté pour la flat tax, parfois avec un taux unique et identique tout à la fois pour l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA. Cela leur a plutôt bien réussi.

Gérard Thoris : N’importe quel pays dans le monde est devenu candidat au statut de modèle pour les réformes fiscales en France ! Il n’est pas question de dire qu’un pays aurait trouvé la formule magique permettant de tenir les deux bouts de la justice sociale et de l’efficacité économique. Mais chaque pays a au moins tenté quelque chose pour accroître l’efficacité économique du système fiscal. Beaucoup, dont la Suède ou les Pays-Bas, ont procédé à une mise en cale sèche de leur système fiscal pour le fondre à nouveaux frais selon des principes adaptés à la situation présente.

Par contre, ceux qui ont réussi leur réforme ont bénéficié de deux atouts : le temps et la croissance. Le temps permet de mettre les acteurs sociaux autour d’une table et de rechercher un consensus sur les réformes à faire. La croissance permet de tempérer l’effet des réformes fiscales qui se traduisent toujours par des transferts de charges d’un contribuable à l’autre. La France a été épuisée par les réformes fiscales les plus récentes. Sans conception d’ensemble, elles n’ont pas moins abouti à décourager l’initiative économique… et l’opinion publique.


Philippe Crevel : Un bon système fiscal est celui qui est adapté aux fondamentaux du pays dans lequel il s’applique. Mais, il est certain que l’Allemagne avec sa règle de taux maximal de prélèvement et la retenue à source pour l’IR mérite d’être étudiée. Le Royaume-Uni avec sa fiscalité assez rusée sur les entreprises, une fiscalité simple mais qui rapporte est également à suivre. Pour les droits de succession, la Belgique est évidemment intéressante. Le Portugal comme l’Espagne accordent plus d’autonomie fiscale à leurs régions avec à la clef moins de subventions. Il y a une responsabilisation accrue des collectivités locales.
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