Antérieur à Five days in London, ce livre traite des 80 jours de l'été 1940 entre le 10 mai (offensive allemande et accession au pouvoir de Churchill) et le début de la Bataille d'Angleterre. Ce qui a fait dire aux plaisantins que le prochain livre de Lukacs serait A few hours in Downing Street.
Je lui trouve un ton plus libre que Five days.
Lukacs n'hésite pas à dire que le nazisme était moderne et démocratique, ce qui surprendra peu ceux qui connaissent cette période mais peut choquer le grand public.
Rappelons que nazisme, fascisme et communisme considéraient que la démocratie libérale était une chose du passé et leurs doctrines réconciliaient aspiration des masses et modernité.
La modernité du nazisme ne peut être contestée que par les imbéciles et les ignorants. Passons.
En revanche, je comprends que son coté démocratique, annoncé de but en blanc, puisse surprendre. Pourtant, il y a dans le nazisme une réelle tentative de répondre à l'être fondamental du peuple, non plus par les instruments imparfaits des démocraties parlementaires, mais par un parti directement connecté avec le peuple.
Les aristocrates allemands ont suffisamment traité les nazis de vulgaires et plébéiens pour qu'on daigne les écouter.
Bien sûr, il fut de bon ton après guerre, à cause des nécessités de la lutte contre les communistes, d'expliquer que le peuple allemand n'avait pas été profondément nazi et qu'il était facile à dénazifier.
Mais on ne comprend pas alors que les Allemands aient si bien suivi Hitler (la répression ne peut tout expliquer : la Gestapo était moins présente en Allemagne que dans les territoires occupés), si on ne réalise pas que celui-ci répondait à une pulsion profonde du peuple allemand.
Et la dénazification n'a pas eu lieu après guerre, mais pendant, par la guerre. Quand on reprocha à Churchill de bombarder des populations, celui-ci répondit qu'il voulait faire passer à jamais aux Allemands le goût de la guerre. 70 ans après, force est de constater que c'est plutôt réussi. C'est pourquoi ceux qui, en fonction d'objectifs idéologiques, traitent de crimes de guerre les bombardements de l'Allemagne et du Japon ne comprennent rien (ou font semblant de ne rien comprendre).
Lukacs insiste aussi sur le fait qu'Hiler était supérieurement intelligent. Là encore aucune surprise pour les connaisseurs. On ne conquiert pas l'Allemagne et toute l'Europe continentale en moins de dix ans, puis on ne résiste pas pendant quatre ans à la coalition des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie, (excusez du peu) en étant un imbécile, même avec beaucoup de chance.
Mais la légende d'Hitler imbécile grotesque qui a eu de la chance (au moins au début), façon dictateur de Charlie Chaplin, nous rassure. La vérité est bien plus cruelle : on peut à la fois être un criminel obsessionnel (1) et un politicien d'exception. Autre vérité cruelle : la défaite d'Hitler n'était en rien inscrite dans les astres, puisque, fin mai 1940, il a été à deux doigts d'une paix séparée avec la Grande-Bretagne qui aurait conclu la guerre sur une victoire définitive du nazisme.
Il s'en est fallu d'un homme : Winston Churchill.
Il est certes vain de refaire l'histoire. Mais on voit mal comment, si Chamberlain, malade, avait encore été Premier Ministre fin mai 1940, il aurait résisté à Halifax qui préférait sauver les meubles en s'arrangeant avec cet horrible M. Hitler.
Or, Churchill avait été nommé Premier Ministre in extremis, le 10 mai 1940, au moment même où débutait l'offensive allemande (on connaît sa réponse à son garde du corps qui le félicite. Churchill, les larmes aux yeux, lui dit : « Enfin ! Mais il est peut-être trop tard. J'ai peur vraiment qu'il ne soit trop tard. Nous ferons de notre mieux »). Au point que certains ont suggéré de prolonger Chamberlain, idée rejetée.
Notons qu'exactement la même question s'est posée en France. Reynaud voulait se débarrasser de Daladier et de son protégé Gamelin. Il avait programmé cette Saint-Barthélémy des rad-soc le 10 mai. Face aux événements, il y a renoncé, par peur de la crise gouvernementale en pleine offensive ennemie. On connaît la suite. Cela signe la différence de solidité entre la IIIème république finissante et le régime parlementaire britannique.
La victoire de Churchill vient d'une intuition de son ennemi supérieure. Il est clair qu'Hitler a eu plus de mal à saisir la personnalité de Churchill que l'inverse. Par exemple, il s'est beaucoup renseigné sur sa dépendance à l'alcool alors que Churchill n'était pas un alcoolique.
Il est absolument remarquable qu'au cours de l'été 40, ces deux ennemis qui, bien entendu, ne communiquent pas, aient eu les mêmes préoccupations à un ou deux jours près, pas seulement à propos du court terme, dont on peut supposer qu'il est synchronisé par l'actualité, mais aussi du long terme. Par exemple, ils s'intéressent à l'attitude des Etats-Unis ou de l'URSS à peu près en même temps.
Enfin, ils font la même analyse que, parfois, leur entourage ne comprend pas : l'invasion de l'Angleterre est très difficile voire impossible, le problème est donc politique. Vu d'Hitler : amener l'Angleterre à la table des négociations en lui coupant tout espoir de secours (URSS, USA, commonwealth). Le problème de Churchill est exactement inverse : comment tenir le plus longtemps possible en attendant les secours.
C'est pourquoi Churchill s'intéresse beaucoup au moral des Anglais (après tout, il est en démocratie, ils peuvent le renvoyer et prendre à la place des halifaxiens). Il entre dans une colère terrible quand les technocrates lui proposent de rationner le thé !
Comme il le dira, son seul vrai souci, constant, fut la bataille de l'Atlantique : tant que l'Angleterre était ravitaillée, elle pouvait perdre toutes les batailles, son existence et son indépendance n'étaient pas menacées.
Malgré l'accumulation de victoires militaires et politiques d'Hitler à l'été 1940, c'est Churchill qui atteint son but, tenir. Et pousse Hitler à la faute : l'invasion de l'URSS, qu'il justifie, entre autres, par la nécessité de priver l'Angleterre d'un recours. Je n'aime pas l'oubli de la contribution russe qui est à la mode. Hollywood peut nous en faire des tartines sur Omaha Beach et le soldat Ryan, c'est tout de même l'Armée Rouge qui a brisé la Wehrmacht (à l'ouest, 200 000 pertes militaires allemandes par année de guerre, à l'est, un million).
Après cet exploit, Churchill est sur le déclin, tout relatif. Le vote de confiance de juillet 1942, suite à une série de désastres, dont l'humiliante chute de Singapour, presque sans combattre, ne se passe pas aussi bien que le résultat 427 à 25 le laisse penser. Mais c'est déjà bien qu'il ait pu avoir lieu.
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(1) : fin1918, Adolf Hitler est traité à l'hopital de Pasewalk par hypnose pour une cécité hystérique suite à une attaque aux gaz. Le psychiatre, Forster, se reprochera d'être à l'origine du nazisme en ayant suggéré aux cours de ces séances d'hypnose la confiance en lui inébranlable qui manquait à Hitler. Il se suicide en 1933. Les historiens dits sérieux répugnent à cette thèse qui manque de preuves. Je ne la trouve pas invraisemblable : c'est tout à fait dans le domaine de ce que l'hypnose peut faire avec un patient coopératif comme devait l'être Hitler.
mardi, décembre 27, 2016
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