Elle est gentille, Chantal Delsol : changer de comportement, mais en sont-ils capables ?
Sans sortir de mon bureau, j’ai entendu des propos ahurissants de mépris. Maintenant que les GJ sont en perte de vitesse, que la grande peur bourgeoise s’éloigne momentanément, on retrouve son masque de civilité parce que l’hypocrisie a toujours été instinctive au dominant, mais je suis bien sûr que le mépris et la férocité débridés resurgiront instantanément si le peuple a l’audace de redresser la tête et de faire de nouveau peur aux bourgeois.
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L’un des thèmes centraux de la crise démocratique est celui de la «trahison des élites». L’opposition aux élites est-elle constitutive de la démocratie?
Chantal Delsol : Toute société connaît cette opposition, qui prend à certaines époques une tournure de guerre civile au propre ou au figuré. En démocratie, les élites acceptent d’obéir aux élus du plus grand nombre, ce qui occasionne nombre de frustrations dont on voit aujourd’hui certains effets : les élites polonaises, par exemple, sont meurtries de voir au gouvernement des gens moins civilisés qu’elles.
Une élite démocratique est celle qui représente réellement le peuple qui l’a élue, comprenant et traduisant ses attentes et ses craintes. Le problème que nous rencontrons aujourd’hui est celui d’un peuple qui ne s’estime pas vraiment représenté par ses élites: il a l’impression que celles-ci constituent une caste à part, vivant dans un autre monde où elle trouve ses projets et ses relations. Le sentiment de «trahison» dont vous parlez provient de ce fossé: l’élite est devenue dans nos pays citoyenne du monde, d’où son éloignement ressenti. Elle n’a plus vraiment les mêmes problèmes que le peuple, resté, lui, citoyen de son quartier et de sa ville. Aux moments où apparaît et se développe ce genre de conflit délétère, c’est toujours à l’élite de faire le premier pas, car elle a davantage de moyens, et pour commencer davantage de mots. Elle doit tenter de comprendre (au lieu d’injurier), se mettre elle-même en cause (au lieu d’accuser un bouc émissaire réduit ad hitlerum) et changer de comportement. Faute de quoi, on en arrive à des guerres de classes carrément ignobles, comme lorsque, avant Solon, chez les Athéniens, les oligarques prêtaient ce serment à leur entrée en charge: « Je jure de faire au peuple tout le mal que je pourrai… »
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