Grâce à internet, on trouve des pépites pour une bouchée de pain en livres d'occasion.
Jean Dumont est un historien spécialiste de l'Espagne et du catholicisme. C'est un contre-révolutionnaire ardent (je vous ferai plus tard une recension de La révolution française ou les prodiges du sacrilège). Il porte la contradiction à Alain Peyrefitte, ministre à répétition et auteur prolifique.
Le Mal français est publié en 1976, la réplique de Dumont en 1979.
Alain Peyrefitte est un styliste.
Quand on compare le style des deux normaliens Peyrefitte et Pompidou, un vrai délice à lire, à celui de deux autres normaliens de 2019 Juppé et Wauquiez (et « style » est pour ces olibrius un bien grand mot : mélange, qui arrache les yeux et fait vomir, de circulaire administrative et de prospectus pour exposition d'art contemporain) la décadence n'est pas une idée farfelue mais une réalité.
L'oeuvre de Peyrefitte abonde en formules : « En 1940, ce n'est pas l'insuffisance du matériel qui a perdu, c'est le blindage des mentalités », « C'est Lacan, encore inconnu, mais déjà obscur ».
Attaquons le vif du sujet : quelle est la thèse de Peyrefitte dans Le Mal français ?
Un croisement de Weber et de Tocqueville.
Weber : le catholicisme, notamment la Contre-Réforme, est un frein au développement économique, contrairement au protestantisme qui le favorise.
Tocqueville : le centralisme français est un continuum entre l'Ancien Régime et la Révolution. Le jacobinisme est consubstantiel à la France. Et Peyrefitte ajoute que ce centralisme est un héritage de l'Eglise romaine.
Bref, Peyrefitte reproche à la France son catholicisme romain. Thèse qui est devenue une vulgate pour imbéciles façon Sciences-Po ou ENA. Malheureusement, elle fut adoptée par des gens un peu moins bêtes qu'un énarque, Pompidou par exemple.
Je suis toujours gêné par ces Français qui reprochent à la France ce qu'elle est (c'est différent de pointer des problèmes ponctuels susceptibles de solutions). Non seulement, cela m'apparaît comme une trahison, mais cette opinion engendre le découragement, c'est un problème sans solution (changer la France ? Je ne veux pas !).
Pour Weber, cela fait longtemps que j'en suis revenu. La banque moderne a trouvé naissance en Italie, on ne peut pas dire que la péninsule soit un refuge du protestantisme. Carl Schmitt et sa distinction des puissances maritimes intrinsèquement pirates et mercantilistes (je caricature à peine) et des puissances maritimes plus traditionnelles et moins entreprenantes me paraissent plus féconds.
Tocqueville, j'en reviens aussi, mais plus récemment. Je suis piégé par son style (encore !) et son érudition.
Dumont commence par dresser un catalogues des erreurs historiques de Peyrefitte, qui ont pour résultats d'attribuer trop d'échecs au catholicisme et trop de réussites au protestantisme. Je passe (sauf sur le nazisme, puisque c'est une obsession de notre époque : non, du fait que la Bavière était catholique, on ne peut déduire que le nazisme est un produit du catholicisme. J'apprécie que Dumont prenne en compte la duplicité d'Hitler, c'est assez rare).
Puis Dumont attaque le vif du sujet.
Il démontre à quel point l'étatisme français est d'origine protestante et non catholique.
Fondamentalement, ce n'est pas surprenant : le libre examen protestant favorise une atomisation des individus sous un Etat tutélaire (la crainte de Tocqueville) alors que, dans les pays catholiques, se multiplient les corps intermédiaires dans un joyeux foutoir.
Quant à la mecque du libéralisme, l'Angleterre, il faut bien mettre les causes dans l'ordre : son protestantisme découle de son libéralisme et non l'inverse.
De vigoureuses graines de l'étatisme français moderne sont semées sous Henri IV, entouré de conseillers protestants. Pas une grosse découverte pour moi : c'est une période que je maitrise assez.
Dumont dresse la liste des acteurs de l'étatisation de l'enseignement dans les années 1880, les Ferry, Buisson et compagnie. Ce sont tous des protestants ! Et pas par hasard. L'un d'eux avoue benoitement : « Nous faisons par l'enseignement au XIXème siècle la réforme que nous n'avons pu faire par la religion au XVIème siècle ».
Dumont insiste lourdement pour conclure, et avec raison me semble-t-il, sur le fait que les fameuses « sociétés de confiance » protestantes de Peyrefitte sont les sociétés du racisme, de l’exclusion et du génocide. Il faut rappeler que les catholiques ne jouissent de leurs pleins droits dans la Suède protestante que depuis le XXème siècle (1787 en France pour les protestants). Les Français d’Amérique s’entendaient plutôt bien avec les Indiens, que les protestants ont exterminés.
Au fait, à quoi attribue-t-il le décollage économique précoce des pays protestants ? A la spoliation des richesses de l'Eglise et à l'oppression des pauvres.
Conclusion
Le protestantisme est erroné, pour les raisons expliquées maintes fois par le magistère romain. Pas étonnant qu'il donne à la France, quand son influence néfaste se fait sentir, des institutions erronées.
Mais Dumont est trop systématique (il faut dire que c'est sujet de son livre). Bien des spécificités nationales françaises s'expliquent non par l'opposition protestantisme/catholicisme, même inversée pour condamner l'influence protestante, mais par les circonstances historiques et la géographie.
De plus, il fait des prévisions que l'on sait fausses. En 1979, il pense que la natalité des pays catholiques baissera moins que celle des pays protestants. On sait ce qu'il en est.
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