jeudi, janvier 21, 2021

Le chagrin et le venin (Occupation, Résistance, idées reçues) P. Laborie

L'image des années noires partagée par tous les Français désormais, la vulgate historique, est celle d'un peuple veule et attentiste, qui se foutait du sort des persécutés, sans courage, à part une poignée de héros, qui est passé instantanément en août 1944 de 40 millions de pétainistes à 40 millions de gaullistes.

Et de citer comme poncif, la visite de Pétain à Paris le 26 avril 44 et le triomphe romain au même endroit de De Gaulle quatre mois plus tard jour pour jour.

Pierre Laborie démontre que cette vision est une construction des pétainistes dans l'immédiat après-guerre pour se disculper : si tous les Français ont été veules, les vichystes sont moins coupables d'avoir trahi.

Vision reprise par les enculés paxtoniens post-soixante-huitards pour trainer la France et les Français dans la boue. Le fait que cette vision faussée soit devenue la vulgate prouve la victoire du pétainisme posthume, comme je le dis depuis longtemps.

Cette ignoble victoire du pétainisme, scellée par quatre présidents de la république, plus traitres les uns que les autres (Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron) n'est possible qu'à cause d'une grande ignorance historique (merci, le système éducatif) où les mythes télévisuels et cinématographiques ont remplacé la connaissance.

Rappelons quelques faits :

1) De Gaulle avait raison : l'armistice n'était ni obligatoire ni rusé. Il ne sauvait aucun meuble, contrairement à l'argument ressassé (là dessus, Zemmour se plante  complètement. Il n'a pas assez travaillé). C'était une politique de merde et les pétainistes des traitres. La place de la France à la table des vainqueurs et de membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU suffit à prouver la pertinence de la politique gaulliste.

2) A l'été 1940, on peut dire, si on veut, qu'il y avait 40 millions de pétainistes, traumatisés par la défaite, à part quelques rebelles. Cette vision est déjà excessive : les millions de Français dispersés sur les routes n'avaient pas le loisir de réfléchir à la politique.

3) Dès l'entrevue de Montoire (24 octobre 1940), un fort courant d'hostilité se manifeste et l'attentisme est beaucoup moins bienveillant. La manifestation des étudiants du 11 novembre 1940 n'a pas eu lieu en 1944, que je sache. De même, le discours du vent mauvais date du 12 août 1941, pas de 1944 (ça vaut la peine de relire les première phrases : « Français, J'ai des choses graves à vous dire. De plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques semaines, un vent mauvais. L'inquiétude gagne les esprits, le doute s'empare des âmes. L'autorité de mon gouvernement est discutée, les ordres sont souvent mal exécutés. »).

4) L'hostilité de la population aux mesures anti-juives est hors de doute. Il n'y a qu'à lire les rapports des préfets (qui n'avaient pourtant pas intérêt à noircir le tableau).

5) Les témoignages de Résistants et de persécutés abondent et sont sans appel : oui, il y a eu des traitres et des délateurs, mais aussi et beaucoup plus, un halo de protection et de sympathie. Le poète René Char, chef de maquis des Basses-Alpes, traqué (« C'est contre nous chasse perpétuelle »), n'aurait pas pu survivre sans les villageois complices. Cela ne l'a pas empêché d'exécuter un traitre.

6) Les conditions matérielles de la Résistance étaient difficiles. Le témoignage de Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, Résistant à plein temps, payé par les valises de billets de Londres, est édifiant : il se débat dans des difficultés inextricables, le vol d'un vélo est un drame national, trouver du papier un défi quotidien, un logement un miracle, le ravitaillement prend des heures et des heures.

Penser aujourd'hui, dans notre confort inédit dans l'histoire, « i'zavaient qu'à  résister. Moi, j'aurais résisté » est indécent, surtout venant de nous qui pétons de trouille et suicidons notre pays pour un virus qui tue 1% des vieux de 85 ans.

Nous sommes vraiment très mal placés pour juger. Mais, comme nous, Français de 2020 (surtout les intellectuels), sommes des étrons moraux, des sous-hommes, nous jugeons d'autant plus sévèrement. Sans décence, sans pudeur, sans intelligence.

Au fait, et la visite de Pétain à Paris, le 26 avril 1944 ? C'est, tout simplement, que, à tort ou à raison (plutôt à tort, à mon avis, mais on peut en débattre), les Français dissociaient largement la personne du Maréchal de la politique de Vichy.

Alors, non, les Français des années noires n'ont pas été les veules qu'on décrit aujourd'hui. Si la masse a été prise par les soucis de la survie au quotidien, elle n'en a pas moins fait ce qu'elle pouvait dans une situation dramatique. Les héros qu'on célèbre n'étaient pas isolés.

Bien sûr, tous les grands dégueulasses, l'anti-France active, les salauds professionnels (le ton est donné par Françoise Giroud, à la sortie du documentaire fallacieux Le chagrin et la pitié. Notons que Simone Veil s'y est opposée) se ruent sur la thèse pourrie.

Il reste à psychanalyser notre pulsion contemporaine à noircir notre histoire et nos ancêtres.



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