Patrick Buisson s'interroge sur la fin de l'homme de toujours, aussi vieux que l'humanité, le paysan enraciné, qui s'est produite entre 1955 et 1975.
Le bandeau de ce livre est sans ambiguïté : « C'était mieux avant ! ».
Mais la question est encore plus fondamentale que le simple mode de vie, c'est celle de la survie biologique. L'humanité n'a pas un avenir infini, elle a très précisément un avenir de 50 ans renouvelable : si toute une génération décide de ne pas faire d'enfants, 50 plus tard, toutes les femmes sont ménopausées et l'humanité est morte.
Or, avec l'avénement de l'homme-robot, qui ne veut ni donner la vie ni mourir, c'est ce qui nous arrive.
Patrick Buisson, avec son érudition et avec son style (non sans quelques préciosités), s'attaque à ce problème de notre temps (1).
Les instruments du Malin
Instrument de la destruction : la télévision, qui détruit les sociabilités traditionnelles, la veillée et le bistro. Buisson est assez intelligent pour nous épargner le couplet stupide « L'instrument (radio, télévision) ne compte pas, ce qui compte, c'est ce qu'on met dedans ». La télévision mène naturellement à Hanouna comme le livre mène à la Somme Théologique. Dans un sens un peu détourné, le médium est le message.
Buisson traite la télévision de déifuge (qui fait fuir Dieu, qui refuse Dieu).
Instrument de la trahison : le concile Vatican II et tout ce qui tourne autour. A force de foutre des coups de pioche dans la Tradition, les modernistes ont réduit la pierre immuable en un tas de sable. Ce n'est pas un hasard si la répudiation par les pères conciliaires de la tradition de l'Eglise précède la révolution de ceux qui se veulent sans héritage (sans héritage autre que matériel -pour les Cohn-Bendit, le fric c'est important, on ne plaisante pas avec ça).
Fin de la paysannerie, fin du catholicisme
Finement, Buisson lie la fin de la paysannerie et la fin du catholicisme.
Le paysan n'a rien à voir avec l'agriculteur, technicien de la l'agriculture et applicateur de techniques agricoles, de même que le médecin n'a rien à voir avec le « soignant », technicien de la médecine et applicateur de protocoles médicaux (comme le délire covidiste nous permet de le constater quotidiennement, pour notre plus grand malheur individuel et collectif).
Le paysan a un lien ontologique à la terre, elle n'est pas un simple instrument de travail. C'est d'ailleurs pour cela que les paysans français de 1914 se sont sacrifiés pour défendre leur terre. L'Angleterre, déjà « dé-paysanisée », a eu plus de difficultés de recrutement (ce n'est pas seulement une question de conscription).
Le coup de grâce à la paysannerie française est la mécanisation articulée à l'endettement (merci le Crédit Agricole) qui fait entrer l'agriculteur dans le calcul des rendements, pour rembourser ses emprunts.
Buisson raconte un paysan à l'ancienne de 1960 qui met une semaine à arracher une haie à la main parce qu'il a refusé d'emprunter à son voisin la machine qui aurait fait le travail en une demi-journée. Mais il n'est pas endetté, il ne doit rien à personne (sauf à ses ancêtres et à ses enfants), il travaille à son rythme et se fout des rendements puisqu'il fait essentiellement une culture de subsistance. Il est en grande partie hors des circuits de la grande machine économique. C'est Hésiode.
Ce paysan est tout à fait à l'aise avec Dieu : il attend la bonne récolte de la Providence et non de savants calculs. Le calendrier liturgique est cohérent avec le calendrier des saisons.
C'est pourquoi l'assassinat de la paysannerie et celui de l'Eglise sont intimement liés.
L'ethnocide bienveillant
Pedzouille, bouseux, cul-terreux ... Les paysans ont intériorisé le mépris moderne dont ils sont l'objet. Leur « libération » s'est faite au nom de leur plus grand bien, de leur ascension sociale.
Au nom de la modernité et du progrès, ils ont été déracinés, les mées remplacées par des armoires en formica.
Buisson en profite pour accuser le modernisme gaullien.
Le krach de la Foi
La conjuration des théologiens français, les Congar, Maritain et compagnie a flingué la crédibilité de l'Eglise pour longtemps.
En effet, l'esprit du concile Vatican II (plus vaste que le concile lui-même) tient en deux choses :
Avec la révolution des années 60, l'Eglise ne s'est pas ouverte au monde comme elle le croyait, elle s'est vendue au monde, elle s'est embourgeoisée et intellectualisée. Elle a chassé le peuple des églises en chassant les pratiques populaires (malgré les avertissement angoissés ou courroucés de clercs plus fins que la moyenne des intellos novateurs qui se pignolaient).
En évacuant le sacré comme une superstition archaïque, l'Eglise s'est vidée de sa raison d'être.
La boboïsation du clergé
La violence des débats pour ou contre le catholicisme populaire a été oubliée, cette question est pourtant fondamentale.
Il y a une raison sociologique à toutes ces diableries anti-populaires.
Les petits séminaires drainaient les talents des campagnes vers les grands séminaires. Le clergé était composé de paysans montés en graine et d'aristocrates.
Avec la généralisation des collèges publics, les petits séminaires ont disparu. Le clergé s'est urbanisé et embourgeoisé dans les années 50.
Or, il y a une une constance chez le petit-bourgeois, curé ou pas : il voue une haine viscérale au peuple dont il est issu (encore récemment, la passion destructrice des écolos ou la haine des Gilets Jaunes). On comprend mieux la guerre que les curés ont mené à leurs ouailles, certains allant jusqu'à dire à des paroissiens qui leur déplaisaient qu'ils feraient mieux de ne pas venir à la messe ! Evidemment, ce n'est pas tombé dans les oreilles de sourds et ils sont restés au lit le dimanche matin.
Et les églises sont vides.
Arius 2, le retour de la vengeance
Sur ce tirage de chasse sociologique, brode l'hérésie.
L'hérésie de Vatican 2, c'est tout simplement l'arianisme rejeté par le concile de Nicée en 325.
Jésus n'est pas Dieu fait homme mais seulement une apparence. Jésus n'étant plus Dieu fait homme, c'est Dieu déguisé en homme, sans la souffrance, sans les supplices. Ca devient alors juste un maitre de sagesse oriental.
Ca permet de se débarrasser de tous les mystères gênants : le scandale de la croix, la rédemption et donc le péché originel, la confession. C'est bien pratique.
« Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (jusqu'à la mort) devient « Soyez sympas et ne vous engueulez pas trop ».
L'arianisme est un rationalisme, pas étonnant qu'il resurgisse au XXème siècle. Alors que la pente humaine va vers l'arianisme, qui est plus simple, moins dérangeant, il a fallu de la force d'âme aux pères du concile de Nicée (et à notre roi Clovis) pour le rejeter. Les pères conciliaires de Vatican 2 n'ont pas eu cette force d'âme.
La conséquence de cette perte de substance spirituelle majeure, Guillaume Cuchet l'a décrite avec une ironie mordante : « Dix ans de Dieu d'amour ont plus vidé les églises que dix siècles de Dieu sévère ».
Les gens n'ont pas changé de religion, ce sont les clercs qui ont changé la religion à leur insu ... et vidé les églises, tout à fait logiquement.
Nous sommes arrivés au bout du chemin : en 2021, l'Eglise de France est une ONG socialisante grande-bourgeoise, plus covidiste (hygiéniste) que chrétienne. Sauf quelques résistants façon village d'Astérix par qui l'Eglise renaîtra.
Heureusement, il y a eu des prophètes (parmi les francophones Mgr Lefèbvre, Bruckberger, Clavel) qui n'ont pas été entrainés dans les errements vaticanesques, cela suffit à préserver la flamme.
Dans les damnables innovations des années 60-70, on reconnaît les premiers craquements de la sécession des élites. Aujourd'hui, c'est une évidence que les évêques méprisent leurs ouailles, ça n'était pas si clair avant le délire anti-populaire des clercs passionnés d'innovation vaine.
Catalogue des horreurs : le Diable était-il au concile ?
Buisson fait un long, très long, catalogue navrant de tous les délires post-conciliaires.
Il y a tout de même des trucs assez marrants comme des mariages curé défroqué et bonne soeur décloitrée.
Il y a des choses plus sinistres. Par exemple, Soeur Sourire, vedette fugace, quitte le cloitre, milite pour l'homosexualité, sombre dans la dépendance aux médicaments et à la drogue et finit par se suicider.
Mais, sur le long terme, le plus dommageable, c'est la séparation du sacré et du social, au nom de la foi pure (encore un branlotage d'intellos dont on se demande bien ce qu'il peut signifier en réalité : beaucoup de gens venaient à la foi par les rites et non l'inverse).
Finis les patronages, les confréries, les kermesses, les masses de scouts. La foi est devenue tellement pure (mon oeil) que les enfants ne sont plus baptisés, que les couples ne se marient plus et que les églises sont vides.
De Gaulle, qui a oublié d'être con, confia, à la mort de Jean XXIII : « Il a ouvert les vannes et n'a pas su les refermer. Comment voulez vous qu'on croit en vous quand vous n'y croyez pas vous même ? ».
Inverser les causes
La thèse majoritaire, bien proprette, qui ne dérange personne, est que l'Eglise a été vidée par les évolutions de la société.
Intelligemment (il a la chronologie de son côté : Vatican II précède Mai 68), Buisson inverse le raisonnement : le clergé s'est urbanisé, il s'est livré à des masturbations intellectuelles de petits-bourgeois, il a saccagé la tradition et fait fuir le peuple. En cassant à la pelleteuse une des structures majeures qui faisaient tenir la société, l'esprit conciliaire a ouvert les vannes au grand n'importe quoi soixante-huitard.
Le meurtre du père
Là encore, Buisson inverse le discours lénifiant ... et faux.
Non, les lois des années 60 et 70 détruisant l'autorité paternelle et la famille ne sont pas une adaptation à l'évolution des moeurs. A l'époque, le travail féminin diminuait.
Ces lois sont issues d'un militantisme qui ne se cache pas de vouloir détruire le père et la famille (on fait semblant de l'avoir oublié. Ou on est tellement inculte qu'on l'a vraiment oublié). Comme par hasard, ce sont des revendications bourgeoises. C'était dans l'air du temps et c'est passé comme une lettre à la poste.
Et ça marche : détruire l'autorité paternelle pour détruire la famille pour détruire la société.
A la fin, que des ruines
Buisson passe plus de la moitié de son livre sur la déchristianisation, ce qui est tout à fait logique, puisqu'il considère (citation de Malraux souvent reprise par Zemmour) que la civilisation est ce qui se construit autour d'une religion.
Kaputt la religion, kaputt la civilisation.
La priorité, s'il fallait en choisir une seule ? La célébration ad orientem (que soutient le cardinal Sarah). En effet, elle est, en théologie et en liturgie, très lourdement significative (2).
Comme Buisson est un faux-jeton (c'est méchant, mais il le porte sur sa gueule), il raconte dans ses entretiens publicitaires que le bandeau « C'était mieux avant ! » est un choix de son éditeur (bref, il se défausse).
Pourtant, c'est la conclusion évidente à tirer de son livre.
Pour la première fois dans toute l'histoire de l'humanité, il y a des gens, nombreux, qui considèrent, que l'homme n'est que matière et n'a pas d'esprit et ceux ci sont au pouvoir.
Qu'est-ce que l'homme moderne ? Un type d'homme inférieur, abruti par les écrans et par la consommation, sans profondeur. Le bon sens paysan ne signifie pas que le paysan est plus intelligent mais que sa religion, sa culture et son mode de vie lui donnent une philosophie de la vie plus sage, plus en accord avec la nature humaine, plus riche de fruits et d'héritage.
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(1) : parce qu'il est Buisson, il ne peut s'empêcher de caser son couplet anti-gaulliste. En abandonnant l'Algérie, de Gaulle a été un deuxième Pétain. Il faudrait tout de même un jour que tous ces nostalgiques de l'Algérie française expliquent en quoi ce fut une trahison de la France d'abandonner cette terre qui n'a jamais été, et n'aurait jamais été, française, ni de race, ni d'histoire, ni de culture, ni de religion. La nostalgie du bon vieux temps des colonies ne fait pas un argumentaire. Tant de persistance dans l'aveuglement prête à rire.
(2) : dans la célébration traditionnelle, ad orientem (vers l'orient), toute l'assemblée (y compris les célébrants) est tournée vers le Saint Sacrement, présence réelle du Christ, posé sur l'autel. Le célébrant tourne donc le dos à l'assemblée, dans la position du pasteur guidant le peuple.
Inversement, la messe actuelle est le show du prêtre, face à l'assemblée, le Christ n'est plus le centre de l'attention. Le tabernacle est, physiquement, dans un coin.
Certains pensent même que ce changement d'orientation a contribué à faire fuir les hommes : de pasteur guidant le peuple (tous les hommes peuvent comprendre), le prêtre est devenu l'animateur d'une réunion Tupperware avec les copines.
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