lundi, mai 31, 2021

Sections spéciales

Le 21 août 1941, le clandestin communiste endurci, ouvrier métallo (hé oui, il y fut un  temps où les communistes n'étaient pas des profs petits-bourgeois frustrés)  Pierre Georges, dit colonel Fabien, abat l'aspirant Moser à la station Barbès. C'est le début du cycle infernal attentat-répression-attentat que le Parti Communiste enclenche en toute connaissance de cause et sans souci des otages (les gaullistes y étaient opposés).

Digression : lire, dans Les vacances de la vie, le portrait qu'en fait Alphonse Boudard, simple troufion FFI. La mort accidentelle à 25 ans de ce militant de choc, en manipulant une mine, devait en arranger plus d'un, et pas seulement dans les rangs des anti-communistes rabiques.

Sous l'impulsion du très ambitieux ministre de l'intérieur Pierre Pucheu, le gouvernement de Vichy décide de devancer les représailles allemandes en créant les Sections Spéciales de la cour d'appel, des instances de jugement sans recours ni appel, avec des droits de la défense limitée, en vertu d'une loi rétroactive et antidatée, permettant de revenir sur la chose jugée, dont l'un des articles fut même laissé en blanc, à remplir ultérieurement.

Le prétexte, comme pour toutes les saloperies, est « le moindre mal », les Allemands étant supposés être moins sévères si des Français prennent l'initiative des représailles.

Costa-Gavras en a fait un bon film. Hélas, comme d'habitude, trop de propagande coco (le film se termine par un mensonge délibéré : il est faux d'écrire qu'aucune sanction n'a été prise contre les magistrats à la Libération).


Il est intéressant d'examiner les réactions devant cette forfaiture caractérisée, qui piétine tous les principes fondamentaux du droit.

Le garde des sceaux Joseph Barthélémy traine des pieds mais finit par accepter.

Le président de la chambre d'Aix en Provence Toussaint Pierucci se récuse en des termes sans ambiguïtés. Pour l'exprimer trivialement, il n'envoie pas dire ce qu'il en pense.

Le substitut général Maurice Tétaud s'acharne à demander les peines les plus légères possible, mettant ainsi en exergue l'iniquité de cette loi d'exception.
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D'autres, comme le conseiller René Linais, participent aux délibérations en refusant la mort.

D'autres magistrats enfin acceptent avec enthousiasme, y voyant une occasion d'avancement rapide. Ils sont souvent de mauvais calculateurs : ils croient que l'Allemagne va gagner la guerre.

Les condamnations des Sections Spéciales sont absolument iniques, même en tenant compte des circonstances politiques de l'époque (condamnation à mort pour un simple suspicion d'impression de tracts).

Ces Sections Spéciales ont pesé très lourd lors de l'épuration. Elles ont couté la vie à Pierre Pucheu (lors d'un procès manquant de sérénité et d'équité, mais dont le verdict était juste). Ce procès Pucheu, qui a eu lieu en mars 1944 à Alger, annonçait une Libération pas très riante.

Quatre magistrats des Sections Spéciales sont exécutés par la Résistance, cinq condamnés à mort par des tribunaux de l'épuration et deux peines exécutées.

De manière intéressante :

> le secret des délibérations a été levé pour les procès d'épuration de ces Sections Spéciales.

> des magistrats qui se sont opposés à la mort lors des délibérations de ces Sections Spéciales ont néanmoins été condamnés pour y avoir participé.

Ceux qui s'en sont sortis le cul propre ? Ceux qui ne se sont pas laissés aller à leurs haines et à leurs ambitions, qui sont restés fermes sur les principes du droit.

La leçon pour aujourd'hui ?

Les fonctionnaires, les magistrats, doivent trouver l'équilibre entre leur conscience, leur devoir d'Etat et leur obéissance. Et ne pas s'aveugler par idéologie ou par calcul.

L'autre leçon, c'est qu'il y a des gens qui, sous couvert de légalisme, sont prêts à participer aux pires atrocités (au hasard, expérimenter des thérapies géniques sur des enfants non malades).

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