jeudi, février 10, 2022

Adieu la liberté, essai sur la société disciplinaire (Mathieu Slama)

Depuis mars 2020, Mathieu Slama est à la pointe du combat de principe pour la liberté et contre le délire covidiste. C'est tout à son honneur.

Il a par exemple défendu vaillamment la liberté contre une des pétasses qui doivent leur carrière au fait d'avoir été sautées par Mitterrand.

Bien sûr, la liberté est un droit inaliénable ou elle n'est pas. La liberté autorisée par l'Etat sous condition de « bon » comportement est juste une forme sophistiquée d'esclavage (rien à voir avec la vraie liberté, bornée par quelques lois simples et évidentes, en gros les Dix Commandements).

Slama essaie de comprendre les racines de notre si facile renoncement à la liberté depuis mars 2020.

Il part de l'hypothèse qu'en réalité, nous avions déjà renoncé à la liberté et que le délire covidiste n'est qu'un révélateur, que les gouvernants n'ont fait qu'acquiescer aux voeux profonds du peuple d'être débarrassé du lourd fardeau de la liberté et mené comme un  troupeau de moutons (c'est évident quand je regarde mon entourage, familial ou professionnel, sauf exceptions ... exceptionnelles). Hypothèse féconde, même si elle néglige la perversité profonde de nos dirigeants.

Deuxième parti-pris : l'auteur ne cherche pas les raisons du délire liberticide covidiste mais LA raison. Cela lui permet de ne pas (trop) se disperser.

Une honte ineffaçable

L'auteur rappelle plusieurs points :

1) Le délire covidiste est d'abord le naufrage intellectuel et, encore plus, moral de toute la classe diplômée : journalistes, universitaires, intellectuels, politiques, médecins (et j'ajoute : ingénieurs), tous se sont couchés, aucun (presque) n'a défendu la démocratie et la liberté. Beaucoup en ont même rajouté dans la bassesse. Les exceptions sont rarissimes.

Puis, le peuple non plus n'a pas résisté.

C'est une honte sans limites, sans adoucissement, sans amortissement. Même l'excuse de la peur est insuffisante face à une telle catastrophe morale, sur une durée aussi longue (on compte désormais en années).

Je précise (puisque Slama ne le fait pas dans ce livre bien qu'il l'ait fait à télévision) qu'il a toujours existé une manière démocratique et libérale de gérer l'épidémie, celle tout simplement prévue par les plans sanitaires : laisser les Français (notamment les médecins) libres et renforcer les moyens de soins (imaginez ce qu'on aurait pu faire avec les 400 Mds € gaspillés dans le délire magique et liberticide de confinements, de paSS, de tests, de masques, de piquouses. Aucune objection des hypnotisés covidistes vis-à-vis d'une politique sanitaire libérale ne tient la route face à ce qu'on aurait pu faire avec cette somme folle mieux employée tout en préservant nos libertés).

2) A chaque fois que nos ancêtres ont eu à choisir entre la servitude et la mort, ils ont choisi le risque de la mort. Jean Moulin aurait pu rester tranquillement confiné chez lui à travailler ses peintures, il a décidé autre chose.

Ce n'est pas le cas des Français des années 2020.

3) Les Français obéissant scrupuleusement, par l'intermédiaire des consignes gouvernementales, aux injonctions absurdes du conseil dit scientifique, sont aussi grotesques et aussi dignes d'être moqués qu'Argan dans Le malade imaginaire. Les discussions byzantines sur l'homologation des masques, la mesures des distances « sociales » ou la taille des plexiglas sont aussi risibles que « Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma chambre, douze allées, et douze venues ; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long, ou en large ».

J'ai vécu de telles discussions, dans des instances où je me suis tu, mesurant l'inanité de tenter de modérer des fous dans leur crise de folie.

Une attitude bien plus intelligente et honorable eut été celle de Toinette, toujours moqueuse à l'égard de l'hypocondrie de son maitre et des conseils de ses médecins.

Un délire de la classe manageriale

Alors, d'après Mathieu Slama, quelle est LA cause du délire covidiste ?

C'est le prise de pouvoir de la caste manageriale, par essence technocratique, autoritaire, anti-politique et anti-démocratique.

En effet, la nation démocratique est l'exact contraire de l'entreprise. Dans celle-ci, il existe un lien de subordination (ce sont les termes de la loi) auquel se soumet le salarié ; dans celle là, la liberté est un droit inaliénable (ce sont aussi les termes de la loi) du citoyen.

Peu importent les belles déclarations d'amour à la démocratie de nos politiciens, à partir du moment où ils se fixent pour mission de « manager les Français » (expression d'un député LREM à propos de la crise dite sanitaire), ils abolissent la démocratie. Et ce ne sont pas des élucubrations théoriques, c'est bien ce qui s'est passé dans la pratique.

Les managers sont persuadés que la liberté est facultative, comme ils disent dans leur langage d'abrutis « une variable d'ajustement ». Ils convainquent les Français (assez bien, hélas) que la liberté est un obstacle à « l'efficacité » (je mets des guillemets parce que la notion d'efficacité en politique demanderait un long débat).

Non seulement c'est faux s'agissant de cette crise dite sanitaire : les pays les plus liberticides sont ceux qui ont les plus mauvais résultats (1). Mais ce n'est même pas la question : la liberté est une valeur fondamentale devant laquelle doit s'effacer l'efficacité.

Les injonctions « Soyez résilients ! » et « Soyez responsables ! » sont des saloperies qui signifient en réalité « Soumettez vous sans discuter ! ».

C'est la raison fondamentale de l'absence d'opposition : presque tous les clowns qui nous dirigent partagent désormais cette culture manageriale. J'écris « clowns », parce que les managers ne volent pas haut. Ca suffit pour diriger un service, un département ou, éventuellement, une entreprise, certainement pas un pays.

La liberté perdue

Après quoi, Mathieu Slama perd le fil et se disperse. Il me semble qu'il ignore Mac Intyre, l'auteur de After virtue, qui analyse le mépris de la caste managerial  pour les questions métaphysiques et morales.

Slama dresse la liste les libertés perdues :

1) au nom de la sécurité, contre le terrorisme ou la délinquance (prétexte totalement fallacieux : quand on s'attaque aux causes de ces phénomènes, nul besoin de perdre des libertés).

2) au nom de la sensibilité, la liberté d'expression mise à mort. Slama est scandalisé (moi aussi) par l'affaire Mila et le peu de défense qu'elle a eu.

Puis il retrouve sa concentration.

Pourquoi accepte-t-on si facilement le règne politique du management liberticide ? Parce qu'en tant que salariés-esclaves (Karl Marx : « Le salariat est l'esclavage moderne »),nous sommes habitués à nous soumettre au management. Nous n'avons pas perçu le changement de monde que constituait sa transposition en politique.

Et pourquoi accepte-on si facilement le management dans nos vies ? Parce que nous sommes matérialistes, parce que nous croyons au mythe de l'efficacité du management à procurer des biens matériels et que cela nous semble le plus important.

Le management inefficace

Dans l'ordre politique, cette croyance dans l'efficacité du management est idiote et dévastatrice : les pays qui ont fait de la politique (Japon, Suède), c'est-à-dire les pays qui n'ont pas fait taire les voix minoritaires et ont pris en compte d'autres variables que la prétendue santé (il y a beaucoup à dire sur la manière très bizarre dont les managers définissent la santé : ne pas choper un virus, à l'exclusion de toute autre considération) ont beaucoup mieux réussi que les pays qui ont managé la crise.

J'attends avec impatience qu'un audacieux me démontre que la France est mieux gouvernée sous Macron le manager que sous Richelieu, l'anti-manager par excellence. Les réflexions de Richelieu sur la manière chrétienne de faire de la politique sont une mine d'enseignements, paraît-il relus régulièrement par de Gaulle (2), alors que le propre du manager est de refuser toute réflexion philosophique, morale ou religieuse.

C'est ici que la lecture de Mac Intyre manque à Slama. Mac Intyre explique que l'efficacité du management est un mythe, que le management est par essence une pulsion de contrôle qui stérilise la créativité et donc, à terme, l'efficacité (de plus, l'efficacité est définie dans un sens très étroit). Il est impossible de démontrer que les pays et les entreprises d'avant le management était moins bien gouvernées, tout simplement parce que c'est faux.

Le bon manager met en scène des événements qui seraient arrivés sans lui. Au point que Mac Intyre conclut : « Le meilleur bureaucrate est le meilleur comédien » (si ça ne vous rappelle pas Macron ... !).

Le manager finit toujours par dégénérer en bureaucrate et la bureaucratie finit toujours par s'écrouler sous le poids de sa stérilité et de son inhumanité. Alors tout va bien, il suffit d'attendre que la bureaucratie s'écroule ? Non, car les dégâts qu'elle fait sont immenses et durent longtemps (voir l'URSS).

Métaphysique

J'ajoute un mot, car Slama ne s'aventure pas sur le terrain métaphysique, bien que cela soit fortement sous-entendu dans ses propos :

Entre le règne de la classe manageriale liberticide et la peur-panique de la mort d'une génération de vieux connards Tout Pour Ma Gueule, ayant évacué le questionnement métaphysique comme handicapant péniblement le « jouir sans entraves », il y a plus que des affinités (3).

Le naufrage covidiste de la société de 2020 fait écho au naufrage de l'Eglise catholique des années 50-70 (on n'évacue pas les questions métaphysiques impunément) et génère en retour le naufrage covidiste absolument lamentable de l'Eglise (les messes de Pâques annulées, les messes et le Vatican soumis au paSS, le pape faisant la promotion d'injections expérimentales, les célébrations masqués ...).

Une fois que l'Eglise a trahi (momentanément, j'espère) sa mission de gardienne de l'humanité, il ne reste plus que des hommes nus et vulnérables prêts à être broyés par la froide machine matérialiste et utilitariste.

Ce point de vue est complémentaire de celui de Slama, pas contradictoire : acceptation du délire managerial par matérialisme et terreur-panique de la mort par matérialisme.

La crise du COVID va rester avec nous pour longtemps.

La crise du COVID va rester avec nous pour longtemps, elle prendra un autre nom, mais elle sera toujours la même : un délire de contrôle suicidaire et une aversion au risque morbide, complétés d'un scientisme bouleversant de connerie.

Vivre, ce n'est pas si compliqué à partir du moment où on admet qu'on va en chier, qu'on va souffrir, vieillir, avoir des accidents, tomber malade et, à la fin (qui peut arriver tôt), mourir et que ce n'est pas grave, qu'on n'est pas le centre du monde, que c'est arrivé à des milliards d'hommes avant moi, que ça arrivera à des milliards d'hommes après moi, et voilà. Si on peut espérer léguer un petit quelque chose, matériel ou immatériel (la liberté, par exemple), c'est mieux. Et pour les chrétiens, les souffrances de ce monde ne sont que l'imitation des douleurs du Christ.

A l'inverse, si on se prend pour le centre du monde et qu'on croit que tout finit avec moi, chaque bobo, chaque risque, devient une menace de fin du monde et on est une pauvre petite chose fragile ... et ridicule. Et à la vie assez pénible.

Comme il y a beaucoup (beaucoup trop) de nos contemporains qui sont de la seconde espèce, nous ne sommes pas près d'en finir avec les emmerdes générées par leur casse-couilles peur de vivre.

Tout espoir est-il perdu ?

Non, mais nous ne devons pas nous faire d'illusions. Les moutons ne deviendront jamais des lions. Le courant à court terme est très fort contre nous. Mais travaillions nous pour le court terme ?


**************

(1) : ce n'est vraiment pas une surprise. Avant le délire d'imitation chinoise de mars 2020 sur des bases scientistes absurdes, l'état de l'art épidémiologiste était de garder la vie aussi normale que possible. Tout le contraire de ce que nous avons fait.

(2) : si vous avez envie de vous évader de la bêtise universelle de notre époque maudite, lisez le testament politique de Richelieu. Inutile d'insister que ça vole à une autre altitude que Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, ou que Jean Castex, ou que Macron.

(3) : une théorie date la peur de la liberté (et le totalitarisme qui l'accompagne) de la Renaissance et du protestantisme. Avant, l'Eglise encadrait suffisamment la liberté (qui était réelle, je pense qu'un paysan de 1220 était plus libre qu'un salarié de 2020) pour qu'elle ne fasse pas peur. Ensuite, les gens ont été « trop » libérés, livrés à leur propre jugement et ont généré les totalitarismes pour se débarrasser de cette encombrante liberté totale. Ce n'est pas sans intérêt de constater que les proto-totalitarismes sont les anabaptistes de Munster (ça a quand même fini en cannibalisme en pleine Allemagne) et la Genève de Calvin.




7 commentaires:

  1. content de vosu revoir plus souvent

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  2. Mathieu est le fils d'Alain-Gérard :
    --"Dans {les Chasseurs d'absolu}, paru en 1980, Alain-Gérard Slama décrivait les dangers d'une forme insidieuse d'intolérance qu'il avait baptisée l'"extrême-centre". Par "extrême-centre", il entendait la perversion de l'idée démocratique, qui consiste à croire qu'il n'existe, sur chaque question, qu'une seule bonne manière de penser et d'agir."--
    On pensera à l'obsession du consensus, la justification par "la science" ou le rappel à l'ordre contre les "haines".

    Il est bizarre qu'on ne rappelle pas plus souvent sa filiation, et qu'on ne lui demande pas ce qui distingue son travail de celui de son père...

    Amike

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  3. "l'état de l'art épidémiologiste était de garder la vie aussi normale que possible."

    Je préfère l'expression: art 'prophylactique', "Précaution propre à préserver d’une maladie.".

    Amike

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  4. Une coquille en fin de texte : "travaillons-nous..." à la place de "travaillions nous...".
    Sur le fond, une analyse très pertinente, comme d'habitude avec vous. Merci, ça fait du bien de vous lire.

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  5. Martin Gillesmars 01, 2022

    Manifestement, chez nos décideurs, le risque de choper la grippe se situe très dessus de celui de déclencher une apocalypse nucléaire.

    Les vertus anciennes ont été remplacées par des vertus perverties et nulle perspective de conséquence fâcheuse ne s'aurait s'opposer à une démonstration aussi tapageuse qu'inutile de ces anti-vertus de la part de nos anti-clercs.

    On est très mal barrés, même si aucune bombe nous explose au visage.

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  6. Merci pour cette analyse.

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  7. Bon, c'est pas le tout , mais où est passé FB ? enlevé ?

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