J'aime bien Venner (c'est le moins arriviste de la bande de la Nouvelle Droite), même si je ne partage pas ses idées et si je trouve son suicide sur le maitre-autel de Notre-Dame puéril.
J'avais déjà lu son Gettysburg.
Plus du tiers de l'ouvrage est consacré aux causes de la guerre.
Il s'étend beaucoup sur la cupidité du Nord.
Certaines déclarations complètement immorales paraissent très actuelles. Les robber-barons, les Carnegie, Gould, Morgan et compagnie, font leurs fortunes en spéculant pendant cette terrible guerre. L'un envoie une lettre d'engueulade à un de ses fils qui vient de s'engager en lui expliquant qu'il est idiot, que le patriotisme guerrier, c'est bon pour les naïfs grouillots, que son patriotisme à lui, d'essence supérieure, doit être financier.
Venner rappelle que la condition d'un esclave virginien de 1840 était meilleure que celle d'un ouvrier français ou new-yorkais : le maitre lui devait assistance dans la maladie et dans la vieillesse.
Mais je trouve qu'il n'insiste pas assez sur le point que Tocqueville avait compris dès 1833 : l'esclavage pourrit toute société qui le pratique (Schiavone a des pages remarquables sur ce sujet à propos de l'empire romain). Le fait que presque toutes les sociétés sauf la nôtre l'ont pratiqué n'enlève rien à ce jugement : aucune de ces sociétés ne s'est développée comme la nôtre.
Cette guerre terrible (elle fait plus de morts que toutes les guerres américaines réunies) est étrange : l'intérêt du Nord à empêcher le Sud de faire sécession n'est pas flagrant. S'il n'y avait eu que la Nouvelle-Angleterre, qui a assez peu de relations avec le Sud, celui-ci serait parti vivre sa vie.
Mais les nouveaux Etats de l'ouest, dont vient Abraham Lincoln, vivent beaucoup d'une sorte de commerce triangulaire (pas celui des esclaves) entre le Nord et le Sud.
Les exaltés du Nord prennent le dessus sur les modérés. En novembre 1860, l'élection d'Abraham Lincoln, dont on a de sérieuses raisons de douter de la santé mentale (un article Wikipedia est consacré au sujet), rend la sécession inévitable, puisque le Sud se sent alors dans une position de colonisé par rapport au Nord (toujours la grande question de la légitimité : qu'est-ce qui justifie qu'on impose à des populations des politiques qu'elles refusent ?).
Même après la sécession, la guerre n'est pas inévitable. Des modérés proposent des solutions qui auraient permis aux deux confédérations d'entretenir des relations normales. Mais les fous furieux, en tête desquels Abraham Lincoln, l'emportent.
Des prophètes et des visionnaires ont beau avertir de la catastrophe que sera la guerre, ils ne sont pas écoutés. Au bout de la route, plus de 800 000 morts. Pour quoi ? Pour pas grand-chose. Les Etats-Unis d'aujourd'hui seraient-ils moins puissants sans les Etats du Sud ? Ca n'est même pas sûr. Et les esclaves auraient de toute façon été libérés par la mécanisation, comme le prévoyaient les Sudistes les plus sages. Le seul résultat tangible, c'est la perte de liberté des Etats du Sud, on peut comprendre l'amertume qui persiste jusque de nos jours.
Le Sud ne peut pas gagner la guerre, pour des raisons démographiques, industrielles et économiques, mais aussi pour une raison politique : la sécession se fait sur la question du droit des Etats, les Etats sudistes sont donc constamment jaloux de leurs prérogatives et il est impossible d'aboutir au gouvernement unifié que nécessite pourtant la conduite de la guerre.
Par politique, le Sud choisit la défensive, même avec des actions offensives. Comme le temps joue contre lui, cela le condamne à la défaite. Chacune des victoires du Sud l'affaiblit, chacune des défaites du Nord le renforce. Les sudistes se sont longtemps faits des illusions sur la bataille décisive qui pousserait le Nord à négocier : vu le fanatisme de Lincoln (il a suspendu l'habeas corpus et emprisonné 38 000 opposants politiques), soutenu par les spéculateurs, seul l'écrasement peut être décisif et il est hors de portée du Sud.
La guerre se joue dans les premiers mois : après la première victoire de Bull Run, le Sud renonce à s'emparer de Washington, sa seule vraie occasion de victoire par KO. Ensuite, avec la perte de la Nouvelle-Orléans et des forts Henry et Donelson, le Sud perd le contrôle du Mississippi. La victoire finale n'est plus possible.
Chacune des rares défaites sudistes est catastrophique. Mais la plus grosse perte est au soir de la plus grande victoire, Chancellorsville : le 3 mai 1863, le général Stonewall Jackson est abattu dans la pénombre par méprise, par ses propres sentinelles. Le Sud perd un très grand général. Il avait le coup d'oeil des capitaines de génie, qui arrivent sur le champ de bataille et comprennent aussitôt la situation. Deux mois plus tard, Lee dira qu'il aurait vaincu à Gettysburg s'il avait eu Jackson et il avait sans doute raison.
Quand on s'intéresse aux opérations, on est abasourdi par le nombre de morts. Il y a eu deux fois plus de morts par maladie que par action directe, l'hygiène déplorable faisait qu'on mourrait beaucoup de blessures infectées. Au total (récemment révisé à la hausse !), on en est à 700 000-800 000 morts militaires. Sans compter énormément de civils.
La « Reconstruction » est d'une férocité barbare. Ce n'est pas par hasard que le massacre des Indiens commence à ce moment là (et si le dernier général sudiste à se rendre est indien).
Certains, comme Huntington, prévoient une nouvelle guerre de sécession dans les décennies qui viennent. Avec la Californie.
Bonne année !
RépondreSupprimerMerci pour cette recension (et pour tous vos articles d'une manière générale). Je viens d'une famille maurrassienne, adhérente d'un Pétain, bouclier de la France. Je dois dire que vous m'avez quasi convaincu du néant de cette thèse (certaines lectures de Jean Dutourd y sont aussi pour quelques choses).
RépondreSupprimerDans votre article du jour, vous indiquez ceci : La « Reconstruction » est d'une férocité barbare. Ce n'est pas par hasard que le massacre des Indiens commence à ce moment là (et si le dernier général sudiste à se rendre est indien).
Est ce à dire que les tribus indiennes étaient alliés aux sudistes durant la guerre de Sécession ? Je suis preneur d'information à ce sujet.