L'argument souvent présenté pour justifier la torture est : "Si vous capturez un homme dont vous savez qu'il connaît les détails d'un attentat qui peut faire des dizaines de victimes, hésiterez vous à le sacrifier pour sauver plusieurs des vôtres ?"
Cet argument est souvent posé sous forme interrogative car il renvoie chacun à sa conscience. Puisque le problème se pose réellement, examinons le :
1) L'efficacité est douteuse : on n'est jamais sûr à l'avance de ce qu'un homme sait. On peut torturer un ignorant.
Plus les questions sont ciblées, plus on a de chances d'obtenir des réponses si le prisonnier les connaît.
Les sévices généralisés, "tous azimuts", façon Abu Graib ou Guantanamo, sont peu susceptibles d'amener des renseignements directement exploitables, tout au plus peut on compléter la connaissance des méthodes des terroristes ; d'ailleurs, ces sévices n'entrent pas dans le scénario précis de l'argument que je cite.
2) La fiabilité est douteuse. Comme le faisait déjà remarquer Montaigne au XVIème siècle à propos des tortures judiciaires, la douleur peut tout aussi bien faire avouer des mensonges que des vérités, sans compter les demi-vérités.
Les Anglais, suivant l'adage, que "plus on a de peine à obtenir un renseignement, plus on y croit", ont envoyé à des réseaux infiltrés par la gestapo des résistants français désinformés. Certains ont avoué sous la torture ce que les Anglais attendaient qu'ils avouent, induisant ainsi les Allemands en erreur.
3) La torture est politiquement ravageuse. Le préjudice à long terme en annulant tous les maigres gains à court terme.
Les paras de Massu ont gagné la bataille d'Alger grâce à la torture mais ils ont perdu la guerre.
Un bricolage est le "théorème d'Aussarès", du nom du général français qui a enseigné sa théorie dans toute l'Amérique Latine : il faut faire disparaître physiquement le torturé, par exemple en le jetant à la mer avec des bottes en béton, entretenir l'incertitude sur son sort, de manière à ce qu'il soit plus malaisé de le transformer en martyr. Mais cette "solution" est momentanée : quand le nombre des disparus devient trop important, l'effet politique est tout aussi dévastateur, c'est le phénomène des "folles de la place de mai" en Argentine.
Autre exemple : en France, au printemps 1944, la Gestapo moissonnait les réseaux, l'espérance de vie d'un résistant était inférieure à six mois, pourtant, cela n'a pas empêché la Résistance de gonfler ses effectifs.
Pour conclure, la torture est inefficace donc inutile, ce qui la rend injustifiable, même pour les plus cyniques.
En réalité, l'usage de la torture est le symptôme de maux multiples :
- incapacité à infiltrer l'adversaire (c'est particulièrement flagrant dans le cas actuel en Irak : la pénurie d'arabisants à la CIA a été longuement détaillée. Le bureau de la DGSE à Kaboul n'a qu'un interprète en pashtoun)
- impasse politique : on diabolise l'opposant parce qu'on ne sait rien proposer pour résoudre le conflit et on torture par défaut, par absence de stratégie.
Ce symptôme de désarroi moral et de perte de vision politique est particulièrement flagrant quand il s'agit de démocraties comme la France, par le passé, par les USA et par Israël aujourd'hui. Dans leur cas, la torture est un terrible aveu de faiblesse.
jeudi, janvier 06, 2005
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