C'est toujours un plaisir de lire JC Casanova, mais je crains qu'il crie dans le désert.
Volez, ça fait oublier José Bové
Réformer nos institutions, par Jean-Claude Casanova
LE MONDE 09.03.06 13h27 • Mis à jour le 09.03.06 13h27
On ne sait pas quelle place Jacques Chirac prendra dans les livres d'histoire. Les livres de droit constitutionnel, en revanche, le citeront abondamment. Avec François Mitterrand, il a instauré cette dyarchie qu'on appelle cohabitation.
Il a aussi instauré le quinquennat et bardé le texte constitutionnel d'une série d'amendements : la décentralisation, dès l'article Ier ; le principe de précaution, mis sur le même plan que la Déclaration des droits ; la discrimination en faveur des femmes ; la reconnaissance de la Cour pénale internationale ; et enfin, le référendum obligatoire pour toute nouvelle admission à l'Union européenne. Il parle d'y ajouter l'abolition de la peine de mort. Cela ne prêtera pas à conséquence, mais pourquoi pas aussi celle de l'esclavage et de la torture ? Doute-t-il à ce point que l'on doute de son amour de l'humanité ?
La vraie question maintenant est de savoir si le chantier constitutionnel s'ouvrira à nouveau pendant la campagne présidentielle pour aboutir à une révision radicale. Chacun connaît le défaut central de notre régime : il permet une alternance de dyarchie indécisive et de monarchie sans contrôle.
On doit admettre que la dyarchie ne mécontente pas l'opinion parce qu'elle offre, à la tête de l'Etat, un mélange de coalition et de limitation des pouvoirs qui rassure. Simplement, elle nous ridiculise dans le monde, notamment lorsque, pour chaque grande rencontre internationale, il faut avancer deux fauteuils au lieu d'un pour notre pays. Dans l'autre cas, quand elle sort de la cohabitation, la France devient le seul pays d'Europe dans lequel le Parlement ne joue pas un rôle majeur.
Cette singularité affecte notre vie politique d'un défaut devenu encore plus manifeste depuis 2002 : le président détient tous les pouvoirs et n'accepte aucune responsabilité. Il ne débat avec personne. Il donne l'ordre de transformer les décrets en lois ou les lois en décrets. Il intervient constamment dans le fonctionnement du gouvernement sans justifier ses actes ni les expliquer.
Il perd un référendum sur une question majeure qu'il a lui-même posée et il n'en tire aucune conséquence.
Or la politique démocratique exige la critique et la discussion, la contestation et l'explication, parce que le souverain est le peuple et qu'il ronge son frein. On a vu, d'un seul coup, la réflexion sur la procédure pénale prendre de l'ampleur et gagner en qualité parce qu'une commission parlementaire avait enfin accepté d'être télévisée.
C'est l'isolement du pouvoir à l'Elysée qui explique en partie le rôle croissant des manifestations et des grèves. Quand la confrontation politique, au sens le plus élevé, n'est pas assez présente, qu'elle est remplacée par ce qu'on appelle la communication, quand la délibération parlementaire n'est pas suffisamment vive, les images médiatiques de l'agitation et des cortèges l'emportent.
Pour sortir de l'alternative monarchie ou dyarchie, il n'existe que trois solutions.
Le retour à l'orthodoxie gaulliste est la première. Le président ne doit pas accepter la cohabitation. La Constitution lui donne la possibilité, par la dissolution de la Chambre, de réunifier les deux légitimités, ou de se démettre s'il perd. Ce moyen ne résout pas complètement le problème de l'excès de pouvoir présidentiel. Au surplus, l'expérience montre qu'il faudra attendre, pour la mettre en pratique, un nouveau De Gaulle.
La deuxième solution consiste à présidentialiser le système. C'est la seule manière de renforcer le Parlement tout en conservant l'élection au suffrage universel d'un président de la République disposant des mêmes pouvoirs. Dans ce cadre le gouvernement (avec ou sans premier ministre) ne serait plus responsable devant l'Assemblée, qui retrouverait sa pleine capacité législative.
Avec l'extension du champ du référendum, le président pourrait en outre mettre en jeu sa propre responsabilité.
La troisième solution revient à donner la primauté à l'Assemblée et au premier ministre responsable devant elle. Toujours élu par le peuple, le président tiendrait dans ce cas le rôle d'un simple chef d'Etat, comme en Autriche ou au Portugal.
Les deux dernières solutions résolvent le problème de la dyarchie mais exigent une réforme radicale de nos institutions. Nous verrons quels candidats s'engageront dans l'une ou l'autre voie. Aucun candidat sérieux ne proposera de renoncer au suffrage universel pour l'élection présidentielle. Pour se porter candidat, il faut aimer cette fonction et ce mode de scrutin. Les Français de leur côté sont trop heureux qu'on les sollicite pour renoncer un jour à cette course cruelle. Tous les aspirants à la fonction suprême, de toute façon, proposeront d'augmenter les pouvoirs du Parlement. Nous verrons aussi par quels moyens ils souhaiteront atteindre ce résultat.
Mais ne nous cachons pas que dans cette seule hypothèse de changement du texte constitutionnel, une révision fondamentale est peu probable. Il est rare en effet qu'on veuille acquérir le pouvoir pour le réduire. Aussi, avançons trois réformes nécessaires pour au moins améliorer notre vie politique sans la bouleverser. Elles ne diviseront pas les Français et n'exigeront pas une réflexion prolongée.
1. Limitons à deux les mandats du président. Il est regrettable de réduire la liberté des électeurs, mais il est important d'ôter à l'élu, au moins pour le dernier de ses mandats, tout souci électoral et il faut écarter définitivement l'idée d'une présidence à vie à la française par la succession illimitée des mandats.
2. Revalorisons les élections législatives en rendant le Parlement plus représentatif de la diversité des opinions, grâce à une proportionnelle bien étudiée, comme c'est le cas en Allemagne, en Espagne, en Suède ou en Suisse. Personne, en effet, n'a entendu dire que ces pays souffraient d'instabilité chronique.
3. Permettons aux Français d'invoquer l'inconstitutionnalité d'une loi devant les tribunaux, si elle n'a pas été soumise auparavant à la censure du Conseil constitutionnel. Celui-ci tranchera ensuite. Quand une loi viole la Constitution (comme celles qui remettent en cause la liberté d'expression), c'est comme un coup d'Etat. En veillant au respect de la hiérarchie des normes, on veille au respect que le Parlement doit au souverain qui a voté la Constitution.
JEAN-CLAUDE CASANOVA pour "Le Monde"
jeudi, mars 09, 2006
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Non, JC Casanova ne crie pas dans le désert, il écrit dans LE MONDE. Et ce qu'il écrit, ça me fait bailler. Pourtant il n'est que 22 h 38.
RépondreSupprimerBravo, joli blog et belle référence (Montaigne).
Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, on peut donc écrire dans Le Monde et n'être pas plus entendu que dans un désert.
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