Cet article a clairement un fond de libéralisme ... ou tout simplement de bon sens.
Les Echos du 22 mars 2006
La chronique de ROGER DE WECK
Un autre regard sur la France
La France surprend sans surprendre. Elle a habitué le reste de l'Europe à ses archaïsmes. C'est pourquoi les événements des dernières semaines n'étonnent personne. Et pourtant ! Qu'il est difficile de comprendre ce grand pays qui, au XXIe siècle, en est à craindre « la rue » et « le pavé », comme jadis, comme toujours.
Nul doute qu'il est - en France - parfois indispensable de lancer des pavés pour être pris en compte. Tout le monde sait que c'est un signe de la déficience des courroies de transmission entre le peuple et le pouvoir. Or, dans les autres pays d'Europe, le gouvernement a certaines compétences et certains pouvoirs, mais il n'est pas « le pouvoir », cette façon de parler est terriblement française et... révélatrice.
La France est plus républicaine que démocratique. Et si elle tarde à faire des réformes, c'est par manque de démocratie et non pas par « faiblesse du pouvoir ». A force d'ignorer les citoyens au lieu de les respecter, on diminue au fur et à mesure leur sens de la réalité et de la responsabilité. C'est l'engrenage dans lequel s'est enfermée la Ve République. Et c'est la cause profonde de son retard d'une ou deux décennies en matière de modernisation de la société.
Le paradoxe français consiste à faire appel à la bonne volonté de citoyens dont la volonté ne compte guère. Et quand ils se rebiffent, on déplore les « blocages » de la société ou le blocus de la Sorbonne, tout comme les Français ont bloqué la Constitution européenne et de ce fait l'Europe tout entière. Le débat sur le traité constitutionnel aurait été bien plus terre à terre et nuancé si les référendums étaient chose courante ou, pour le moins, si la démocratie française donnait voix au chapitre aux représentants du peuple qui végètent à l'Assemblée nationale.
Or le « non » des Français a diminué l'influence de la France, de même que les mouvements de protestation n'ajoutent pas au crédit dont elle jouit chez ses partenaires. Tout cela souligne la faiblesse d'institutions prétendument fortes. Les Premiers ministres français ressemblent trop souvent à ces joueurs de poker forcés de tenter un gros coup pour sauver la mise. Gouverner, c'est bluffer ?
Il est évident que tout contrat de première embauche (CPE) doit être flexible, parce que cela facilite la création d'emplois et que les jeunes candidats sont inexpérimentés. Mais, en même temps, vu de l'étranger, il est stupéfiant que le Premier ministre n'ait pas consulté les milieux intéressés avant de lancer les CPE. Dominique de Villepin serait condamné à l'échec s'il agissait de la sorte dans un autre pays d'Europe. Et s'il finit par s'imposer, ce sera une (petite) contribution à la croissance de l'emploi mais, au bout du compte, un frein au renouveau de la France. Car les nations les plus aptes à se moderniser sont celles qui misent sur la confiance des citoyens et non pas sur leur fatigue.
Les pays scandinaves, très démocratiques, ont su se renouveler profondément, non sans heurts mais sans blocage. Pour eux, les réformes sont un processus de longue haleine qui n'avance que si les dirigeants parviennent à convaincre l'opinion. Tandis que le gouvernement français préfère livrer de temps à autre une « bataille » épuisante. Or, qui est contraint au bras de fer a mal préparé le terrain. Qui aime à passer en force s'isole. La France s'ankylose dès lors qu'un système politique ana- chronique ne sera jamais en mesure d'assurer une dynamique du renouveau.
Là où nombre de groupes français volent de succès en succès parce qu'ils réveillent l'esprit d'initiative de leurs collaborateurs et qu'ils les responsabilisent, l'Etat se méfie du peuple. C'est une méfiance viscérale et institutionnalisée dont cet immense appareil de surveillance que sont les Renseignements généraux est un reflet. L'histoire française est une épopée de la liberté, mais aussi une cascade de répressions pour couler le pays dans un moule. Au fond d'eux-mêmes et jusqu'à ce jour, ceux qui dirigent le pays craignent qu'il ne reparte dans tous les sens ; ils ont l'impression qu'il faut « tenir » la France et les Français [Toujours ce préjugé anti-libéral, comme quoi les hommes, et spécialement les Français, libérés de la tutelle de l'Etat maternant, ne songeraient qu'à s'entre-égorger et à s'entre-exploiter.]
Voilà pourquoi il y a à Paris, et personne ne s'offusque du terme, une « classe politique ». C'est dire qu'elle est perçue comme un corps étranger mais indispensable. Elle fait peur et elle a peur de ce peuple irascible qu'elle saisit assez mal. La plupart des tenants du pouvoir, formés à la pensée « top down » des grandes écoles, s'en tiennent à une conception autoritaire ou paternaliste de la politique [le constructivisme brillament dénoncé par Hayek] qui n'est plus en phase avec la société d'aujourd'hui dont le modèle d'organisation est symbolisé par la Toile, l'Internet, un réseau qui échappe aux hiérarchies et invite tout un chacun à s'exprimer.
La modernisation de la France passe par celle de son système politique. Et si ce dernier tarde à se renouveler, le pouvoir perdra ce qui lui reste d'autorité. Ce ne serait pas la pire des solutions. La croissance économique de la France n'a jamais été aussi forte que lorsque ses gouvernements étaient faibles : la IVe République n'a pas présenté que des désavantages. Mais l'instabilité n'est pas un programme, ni une ambition dignes d'un pays qui a donné à l'Europe une magnifique vision pour se rassembler.
Or la France n'est plus visionnaire, car il faut être myope pour créer des champions nationaux qui reprennent des entreprises étrangères et empêchent la reprise d'entreprises françaises. Le « patriotisme économique » est un nationalisme frileux du repli sur soi. La France est sur la défensive. Elle est en train de perdre la confiance en soi. Son président est le plus faible de l'histoire de la Ve République. Et celui qui joue au sauveur, Nicolas Sarkozy, incarne l'incohérence : comment concilier son discours libéral, qui implique de responsabiliser les citoyens, et le culte archaïque de l'homme fort qui nettoie au Kärcher ? [c'est mon plus gros doute sur Sarko : je crois que, peu importe ce que racontent ses adversaires qui sont souvent d'archaïques imbéciles collectivistes, il est un faux libéral.]
Il semble que de plus en plus de Français sont dégoûtés par les combats des (petits) chefs. Et quand certains se tournent vers Ségolène Royal, c'est qu'ils nourrissent l'espoir qu'il y a une autre façon d'envisager la politique. Mais ce n'est pas de haut en bas que la France se renouvellera véritablement, cela ne servirait qu'à moderniser les archaïsmes. Le pays se transformera dans la mesure où il inversera le mouvement pour que la société compte plus que l'Etat. Pour que les citoyens aient droit de cité. Et pour que le Parlement, non pas la rue, maîtrise le « pouvoir ». [les parlementaires ne sont ils pas des "connards" dont "l'organe le plus développé est le trouillomètre" ? dixit D. G. de V.]
ROGER DE WECK est éditorialiste.
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mercredi, mars 22, 2006
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Pour ceux que cela intéresse, je colle un compte rendu trouvé sur le site de Courrier international.
RépondreSupprimerLe titre ' les jeunes français ont des idées de vieux' donne le ton.
Courrier international - 22 mars 2006
Revue de presse
VU D'AMÉRIQUE - Les jeunes français ont des idées de vieux
La presse américaine regarde d'un œil moqueur la révolte des "jeunes bourgeois" contre le CPE qu'elle compare aux émeutes des "jeunes de banlieue" de novembre dernier. Pour les Américains, ces manifestations ne sont qu'une preuve de plus de l'immobilisme français.
"C'est le printemps, et les Français manifestent à nouveau", s'amuse le Los Angeles Times. "Cette fois-ci, ce sont les étudiants des universités et les syndicats qui protestent contre une réforme mineure du code du travail, nécessaire pour résoudre les problèmes qui ont provoqué la révolte des jeunes de banlieue à l'automne dernier. Si les manifestants obtiennent ce qu'ils veulent et que la loi est retirée, le taux de chômage des jeunes restera très élevé, ce qui sans aucun doute fera naître de nouvelles émeutes. Ainsi vont les choses dans la politique française", estime le quotidien américain.
"Les étudiants français auront sans doute de bonnes notes en engagement citoyen, mais zéro en économie." Pour le LA Times, la loi instaurant le contrat première embauche (CPE) n'a rien de "révolutionnaire" et il est normal d'alléger les difficultés auxquelles font face les employeurs pour licencier. "Les jeunes ont raison sur un point : cette nouvelle loi est discriminante, elle crée une seconde classe de jeunes travailleurs, moins bien payés que leurs aînés. Une attitude intelligente serait de demander que les garanties soient assouplies pour l'ensemble des salariés. A la place, ils exigent les mêmes protections qui garantissent la sécurité à certains mais sont préjudiciables à tous ceux qui cherchent du travail", dénonce le quotidien.
"La France a plus de mal que les autres nations européennes à s'adapter à la mondialisation de l'économie, surtout parce que les Français préfèrent accuser 'le capitalisme anglo-saxon', c'est-à-dire l'ouverture des marchés, plutôt que d'examiner leur propre politique dévastatrice. Villepin, qui paie un fort tribut politique pour son bon sens, devrait s'accrocher. La loi sur le travail des jeunes ne va pas assez loin, mais c'est déjà ça", conclut le LA Times.
Après les jeunes des banlieues, "ce sont les étudiants privilégiés des universités qui protestent contre ce qu'ils estiment être une attaque contre le droit inné d'un emploi à vie", ironise également l'International Herald Tribune. "Dominique de Villepin a très mal présenté et vendu sa loi aux étudiants, aux syndicats et à l'opinion publique. Mais sa loi est une tentative bonne et nécessaire pour remédier à un problème sérieux. La réaction des étudiants – et des syndicats prêts à sauter sur n'importe quelle occasion pour faire une démonstration de force – est égoïste et hors de propos. La résistance à la loi est moins fondée sur les pour et les contre que sur la défense de la sécurité de l'emploi que les Français – du moins ceux qui ont un emploi – considèrent comme sacrée. Avant que la situation ne s'aggrave, les étudiants devraient cesser de défendre des privilèges et répondre à l'appel du président Chirac pour un dialogue constructif sur la façon de résoudre les problèmes auxquels doit faire face leur génération."
Pour The Wall Street Journal, le recours systématique des Français aux manifestations de rue est le signe d'une "démocratie chancelante". "Les Chambres et les élections sont faites pour que les questions complexes soient discutées calmement. Mais la loi n'est passée qu'après très peu de discussions au Parlement, et grâce à une procédure spéciale. Elle est l'idée de Dominique de Villepin, un dirigeant non élu et dauphin du président impopulaire Jacques Chirac. De plus, l'Assemblée nationale est notoirement indifférente aux soucis des électeurs."
Pour le quotidien américain, "le problème est que, malgré de nombreuses révolutions, les Français n'ont jamais réussi à instaurer un système politique à la fois durable et flexible". De plus, "les fonctionnaires qui s'accrochent à leurs postes médiocres mais sûrs prennent en otage le reste des Français et les terrorisent en paralysant les trains ou en coupant l'électricité. L'Etat subventionne ainsi sa propre opposition, qui se dresse contre le moindre effort pour moderniser la France. En marchant aux côtés des syndicats, la jeunesse française d'aujourd'hui demande elle aussi des privilèges et un emploi médiocre mais sûr. Drôle de rêve pour des jeunes de 20 ans ! Les protestations actuelles pourraient être l'occasion d'une refonte constitutionnelle. Quand quelques milliers de personnes revendiquent le droit légitime de faire la loi pour des millions de gens, un pays ne peut plus se qualifier de république démocratique."
"En observant les manifestations en France, il est tentant pour nous, Américains, de les considérer avec mépris et dédain. Certes, ces jeunes doivent réaliser que leur quête de garanties pour un travail à vie est complètement contre-productive. Mais nous pouvons apprendre quelque chose nous-mêmes de l'action des manifestants", considère USA Today. "Ces manifestations illustrent jusqu'où peuvent aller les gens pour préserver leurs acquis et leurs privilèges, et fermer les yeux sur les coûts, au point de miner leurs perspectives d'avenir et celles de leurs enfants. Si les Etats-Unis n'ont pas adopté les mêmes mesures de protection que les Etats européens après la Seconde Guerre mondiale, il reste que dans certaines entreprises américaines, comme General Motors, les salariés sont autant accrochés à leurs privilèges que les Français, même si cela signifie la faillite de l'entreprise. A une plus grande échelle, le débat sur la sécurité sociale dans notre pays est touché par le syndrome français. Grâce à l'allongement de l'espérance de vie, la retraite des baby-boomers et l'explosion des coûts médicaux entraînent le gouvernement et l'économie américaine vers un abîme, mais ceux qui reçoivent ces avantages ne souhaitent pas des réformes pourtant nécessaires pour éviter une crise. Les Etats-Unis protestent beaucoup moins que la France dans les rues, mais ils font face au même manque de volonté à envisager l'avenir. Et cela donne peu de raison aux Américains de se sentir contents d'eux-mêmes ou supérieurs", conclut le journal.
Lire aussi le dossier de couverture de Courrier international de cette semaine : CPE : Contre-Pouvoir Etudiant.
Hamdam Mostafavi