dimanche, avril 19, 2020

Deux jours en mai

48h. Deux jours.

C'est le retard que le commandement français eut en mai 1940 sur les manoeuvres allemandes. Notamment lors de l'offensive allemande sur la Meuse, par les Ardennes, du 10 au 16 mai.

Interrogé par la commission d'enquête parlementaire après la guerre sur le temps qu'il fallait entre l'émission d'un ordre de son QG de Vincennes (« Dans sa thébaïde de Vincennes, le général Gamelin me fit l'effet d'un savant combinant en laboratoire les réactions de sa stratégie » C. De Gaulle) et son exécution, le général Gamelin répondit benoitement : « 48 heures ».

Délai ahurissant pour la guerre moderne, qu'on peut expliquer par la technique de communication : le commandement se méfie de la radio (il n'y en a guère plus de postes qu'en 1918 !), le téléphone ne marche pas très bien. Il reste donc les estafettes motocyclistes organisées en un constant ballet ! Plusieurs meurent d'ailleurs dans des accidents de la route.




Vous imaginez comme c'est pratique. D'autant plus que le haut commandement, pour ne froisser personne, est dispersé sur trois sites, à 1h30 de route les uns des autres (si ça vous rappelle la pétaudière du gouvernement Macron et les abrutis méprisants des Autorités Régionales de Santé, ce n'est pas un hasard : c'est le produit d'une certaine mentalité française, pas celle dont nous avons le plus à nous glorifier. Elle consiste à confondre la complexité qui évite de trancher et de responsabiliser avec l'intelligence).

Mais il y a mieux, c'est-à-dire pire : les généraux sur la Meuse sont totalement défaillants (1).

Le général Flavigny organise une contre-attaque pas bête le 14 mai mais renonce à la faire exécuter pour ménager les hommes et le matériel (on rêve !).

Le 14 à 3h du matin, le dynamique général Doumenc (2), major général de l'armée française, rend visite au général Georges, commandant tout le front juste sous Gamelin, à son QG de la Ferté-sous-Jouarre. Il le trouve en train de sangloter à son bureau, brisé par quatre jours d'offensive ennemie (3). Doumenc, après avoir essayé vainement de lui remonter le moral, repart avec une impression effroyable.

Général Doumenc


Quant à Huntziger (4), entre Georges et Flavigny dans la hiérarchie, il ment comme un arracheur de dents avec des compte-rendus exagérément optimistes. Il est archi-nul comme général mais sait se défausser sur son voisin Corap. Bref, un type tout à fait recommandable.

Toujours est-il que c'est seulement le 14 mai que Vincennes comprend l'étendue du désastre, bien tard pour monter une contre-attaque, même si elle reste possible. On comptera pour rien le fait que, dès le 8 mai, un bombardier revenant de lancer des tracts !!!! sur l'Allemagne avait signalé les colonnes de Panzers se dirigeant vers les Ardennes.

La suite est malheureusement connue. Le 15, Reynaud téléphone à Churchill : « We have been defeated, we have lost the battle » (en anglais dans le texte). Churchill, incrédule, débarque à Paris le 16.

 L'atmosphère est sinistre. Le Quai d'Orsay brûle ses archives, tout Paris voit la fumée. Churchill perd confiance dans les Français après l'exposé résigné de Gamelin. Il pose des questions de bon sens : la France a un parc d'artillerie légère, les fameux 75, phénoménal et ce sont d'excellents canons antichars. Pourquoi ne pas tenter de les utiliser ? Une improvisation style taxis de la Marne ? Coté français, encéphalogramme plat, les yeux de la vache qui regarde passer les trains.

La propagande vichyste accusera les Anglais de nous avoir abandonnés. La vérité est que nous nous sommes très bien abandonnés nous-mêmes.

Le titre de ce billet est une allusion au téléfilm Trois jours en juin.

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(1) : a contrario, dès l'engagement en Belgique le 10 mai, un général français a fait cette remarque : « Où est passée la redoutable aviation allemande ?  Elle a disparu. Ils nous attireraient dans un piège qu'ils ne s'y prendraient pas autrement ». Il y avait donc des généraux français qui avaient oublié d'être cons.

(2) : c'est lui qui, simple capitaine, a organisé à Verdun la Voie Sacrée en 1916. En 1918, chaque offensive française est alimentée par 6 ou 7 Voies Sacrées, cassant les reins de l'armée allemande sous le poids de notre logistique.

(3) : Georges a été blessé en 1934 dans l'attentat contre le roi de Yougoslavie qui a couté la vie à Barthou (ministre tué par une bavure de la police française !). On dit qu'il ne s'est jamais remis complètement de ses blessures. Alors pourquoi lui avoir donné une si lourde responsabilité ?

Un commentaire du biographe de Georges :

« Cela peut surprendre dans la bouche d’un officier comme moi, mais je pense que Georges a été trop discipliné. C’est Lyautey qui disait que « l’obéissance d’un général n’est pas la même que celle d’un caporal ». Le salut du pays étant en cause, il aurait dû ruer dans les brancards pour alerter, démissionner avec fracas. Ce n’était malheureusement pas dans son tempérament, et il avait peur qu’un tel geste nuise au moral de l’armée, déjà pas fameux.

Un dernier point me vient à l’esprit après avoir étudié le parcours, non seulement de Georges mais de bien d’autres généraux de 1940, sélectionner les premiers de la classe, c’est très bien, mais en les passant au tamis de la volonté, de l’énergie et du courage. »

(4) : Huntziger sera, comme Darlan et tant d'autres, ministre de Vichy. Ces généraux avaient des profils de cardinaux plus que de guerriers. Pourquoi les a-ton promus ?

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