Michel lui-même raconte que, lorsqu'il apprit à son père qu'il ferait Sciences Po, celui-ci a répondu : « Tu vas apprendre à emmerder les autres, je te coupe les vivres ». Ce qui témoigne d'un solide bon sens.
Presque sourd depuis l'âge de 5 ans, c'est un semi-autodidacte, puisqu'il n'entendait que la moitié de ce que les enseignants disaient. Cela ne l'empêche pas d'intégrer Normale Sup et d'être l'un des pères, éloignés, de la bombe atomique française.
Il alterne entre la recherche et l'industrie.
Il s'intéresse aux lampes des postes de radio. Suite à un déraillement mystérieux en pleine ligne droite, aux interactions entre les roues de locomotive et les rails (tout le problème est dans le fait que les roues de locomotive ne sont pas exactement cylindriques mais légèrement coniques).
Visiblement, c'est un calculateur pougneux, s'enthousiasmant pour l'alignement de calculs de plusieurs centaines de lignes. Il se détend avec le latin et le grec.
Touche à tout, il s'attaque ensuite à l'aéroélasticité, à la transmission radio et à un tas de sujets. Il est trop éclectique pour mener une recherche jusqu'au bout, il ouvre des pistes intéressantes mais aucune découverte ne porte son nom.
Son expertise est très appréciée dans la Résistance.
Après la guerre, il reprend le laboratoire de physique de l'ENS et se met à la physique atomique (bin, ouais, il y a bien des gens qui mettent au vélo tardivement). Il a un certain talent pour utiliser ses relations dans l'industrie au profit de son laboratoire.
Il crée le site de radio-astronomie de Nançay avec deux radars de DCA allemands de récupération, puis le laboratoire atomique de Buyères-le-Chatel (futur CEA), et l'accélérateur d'électrons d'Orsay. Ces sites sont toujours en activité.
Il met au point les premiers détecteurs d'explosions atomiques américaines avec un système de tuyaux de chauffage et de membranes (les techniques à leur naissance sont toujours relativement peu coûteuses et progressent rapidement : le premier avion coûte beaucoup moins à mettre au point que le Concorde, le premier iphone que l'iphone 13 etc).
Il se spécialise dans les mesures d'explosions atomiques sous toutes les formes imaginables, acoustique, lumineuse, électromagnétique sismique ... C'est un vrai physicien, il fait preuve d'une inventivité débordante pour aller à l'essentiel d'un phénomène physique. Il transforme des sismographes en barographes ultra-sensibles simplement en posant un oreiller de plage en plastique dessus !
On ne connait pas le père exact de la bombe H française.
La bombe à fission, une bombe A, sert d'allumette à une bombe à fusion, une bombe H. Toute la difficulté est de trouver la configuration physique qui optimise cet allumage. Des pontes du CEA ont revendiqué cette paternité, mais l'ingénieur du fin fond d'organigramme qui a fait le calcul correct est resté anonyme.
Rocard a des idées bien arrêtées : il trouve que le passage du recrutement de 20 à 40 élèves par an en section scientifique à Normale Sup a beaucoup fait baisser la qualité. De même le passage de thurnes à 5/6 à des thurnes à 2. Il faut dire qu'il a une définition simple du normalien : « un esprit apte à se développer indéfiniment » (ce n'est vraiment pas l'impression que me fait Alain Juppé, mais il était en section littéraire).
Sur la fin de sa vie, il étudie les magnétiseurs et les sourciers, ce qui lui vaut bien entendu le mépris et les sarcasmes du monde académique, des notables et des notoires. Lui-même reconnaît qu'il a certes fait quelques avancées mais qu'il n'est pas arrivé à grand'chose de concluant.
Bref, un physicien dans l'âme comme on n'en fait plus.
Enfin, il termine son livre en 1989 sur une remarque qui résonne à nos oreilles de 2022. Il trouve que le consensus devient de plus en plus lourd et qu'il est de plus en plus difficile d'exprimer et de publier une pensée scientifique vraiment originale.
L'ingénieur qui a fait le bon calcul n'est pas complètement anonyme, son histoire est documentée dans plusieurs livres, cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Carayol
RépondreSupprimerLes calculs effectués par Yves Rocard en 1968, entre autres, ont permis de localiser approximativement l'épave du sous-marin Minerve en 2019 : https://lenglet.blog/2019/07/09/histoire-de-la-station-sismique-de-lorgues4-a-la-recherche-du-sous-marin-la-minerve/
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