Alire cet extrait du courrier des lecteurs des Echos, dont je partage le propos ne fait que renforcer mes doutes, mais faute de grives ...
Je donne bien raison à l'épistolier : "Seuls les historiens y trouveront intérêt, en constatant que depuis 1789 notre pays a pu traverser les évolutions les plus marquantes de l'humanité sans que son peuple ait fondamentalement progressé."
Je suis plongé dans la lecture passionnante de Quand l'Europe parlait Français de Marc Fumaroli et je suis attristé de constater à quel point nos moeurs n'ont guère évolué depuis le "beau XVIIIème siècle" et, si elles ont évolué, c'est plutôt vers plus de barbarie, vers plus de cuistrerie.
Bien sûr, on a importé le "politiquement correct" d'outre-Atlantique, on ne dit plus "sourd" mais "mal-entendant". Toutefois, quand on voit un handicapé se rapprocher d'un passage clouté, on garde l'habitude d'accélèrer, pour ne pas perdre quelques précieuses secondes à le laisser passer.
Nous sommes toujours aussi habiles à manier les grandes idées plutôt que les petites réalités, mais c'est pour mieux excommunier, anathémiser, exclure, au nom des idées, les plus nobles et les plus généreuses, cela va de soi. Quand je pense à ce pauvre Finkielkraut, quel naïf ! A son âge, tout de même ! Ne pas avoir compris qu'en France, on peut tout dire, sauf ce qu'on ne peut pas dire.
Finalement, je ne regrette pas vraiment que Montaigne soit quasi-oublié : Dieu sait quelles fadaises en aurait fait notre époque si prompte à la récupération.
La fausse rupture de Nicolas Sarkozy
Fin octobre, Nicolas Sarkozy publiait dans vos colonnes un point de vue titré « OMC et agriculture : non au marché de dupes ». Ce texte donne la vraie mesure de la « rupture » qu'il préconise face aux errements de ses collègues et rivaux. Jusqu'à présent, les réalisations de Nicolas Sarkozy, au-delà des propos musclés, ont été loin de marquer une quelconque rupture avec les pratiques de la droite. Elles avaient surtout conforté ses plus navrantes pratiques. La création du Conseil français du culte musulman, que rien n'imposait, n'a servi qu'à donner une vitrine légale à l'islamisme, que Sarkozy jure par ailleurs d'éradiquer. Le traitement des affaires Alstom et Sanofi a été caractérisé par le protectionisme et la volonté farouche de ne pas laisser l'Allemagne, pourtant l'un des rares pays développés à ne pas nous exécrer, prendre quelque intérêt dans ces affaires, obligatoirement « stratégiques » aux yeux de dirigeants au patriotisme économique éprouvé.
Si la pratique ne laissait guère de doutes sur la réalité de ses convictions, le discours continuait à faire illusion. Après le consternant message sur l'indispensable maintien en l'état d'une politique agricole commune catastrophique pour l'Europe et pour le « développement durable » cher, dit-il, à notre monarque, le doute n'est plus permis quant à l'étendue de la « rupture » dont Sarkozy est porteur. Le Premier ministre, qui pronostiquait que les « ruptures se terminent dans le sang », devrait être pleinement rassuré, ce n'est pas de ce côté-ci que pourra venir le flot d'hémoglobine. Par contre, il ferait bien de se demander si sa politique, maintenant épousée par son seul rival à droite, ne nous conduit pas à un bain de sang.
Lorsque la seule ligne politique, depuis des décennies, a été de donner raison aux revendications catégorielles dès lors qu'elles s'exerçaient de façon violente et en dehors de toute légalité (SNCF, SNCM, EDF, syndicats de pêcheurs ou d'agriculteurs), et quand cette politique s'est exercée au détriment des quelques directives de bon sens préconisées par Bruxelles, tout le monde devrait bien sentir que nous sommes arrivés à un point de rupture. (...)
Droite et gauche confondues nous haïssons l'idée même de « liberté », un mot qui a, comme celui de « fierté », disparu des discours. Le jour se rapproche où nous devrons en payer le prix en nous mettant au ban de la Communauté européenne, sans pour autant trouver une structure d'accueil, et en laissant les bandes organisées mettre ce pays encore plus en coupe réglée qu'elles ne l'ont fait. Seuls les historiens y trouveront intérêt, en constatant que depuis 1789 notre pays a pu traverser les évolutions les plus marquantes de l'humanité sans que son peuple ait fondamentalement progressé. Retournons vite à ce qui compte vraiment : les compétitions internes au PS et à l'UMP, et la prochaine Coupe du monde de foot.
JEAN-MARC COURSIÈRES 69330 Jonage
samedi, décembre 31, 2005
La porte du savoir
Voici un article de Laurent Lafforgue extrait de L'Express. Je ne saurais mieux dire.
La porte du savoir
Du très regrettable rapport Thélot sur l'école, le passage le plus malencontreux est probablement son titre : « Pour la réussite de tous les élèves » [1]. En effet, ce titre éloigne l'école de sa raison d'être et formule en son nom une promesse impossible à tenir. La raison d'être de l'école est d'ouvrir au savoir, d'éveiller l'esprit, d'instruire.
Son but premier, qui fonde sa légitimité, n'est pas de « faire réussir », pas plus que de pacifier la société ou de créer un monde nouveau. Bien sûr, l'école peut « faire réussir » - non pas tous les enfants et tous les jeunes, mais beaucoup. Elle peut préparer à de bons métiers, non pas pour tous mais pour beaucoup. Elle peut contribuer à la pacification de la société en faisant sortir les enfants de leur ego, en exerçant leur raison et en les orientant vers la recherche de la vérité, qui ne dépend pas de nous. Elle peut améliorer le monde en éclairant les esprits et en donnant à beaucoup les moyens intellectuels de la liberté et de la créativité.
Mais elle fera d'autant mieux tout cela qu'elle mettra au centre le savoir, la connaissance, l'étude, depuis les apprentissages simples et essentiels - lire et écrire, compter et calculer, observer, maîtriser la langue - jusqu'aux plus élevés, qui font entrer pleinement dans la vie intellectuelle ou dans la création technique.
Aussi l'école doit-elle enseigner des contenus solides, riches, nourrissants, stimulants. Elle doit être exigeante envers les élèves, les forcer à cette chose toujours pénible au départ et pourtant merveilleuse –apprendre.
Elle a besoin de l'autorité des professeurs et de la discipline des élèves, non que celles-ci valent par elles-mêmes, mais parce que l'autorité des professeurs est fondée sur le savoir et que, si elle n'est pas respectée, l'étude devient impossible.
L'école doit aider le plus possible les élèves qui acceptent de travailler. Elle doit proposer un grand nombre de filières, abstraites, concrètes ou techniques, dont chacune ait sa façon d'être excellente. Elle doit être vraie envers tous, ne brader aucun diplôme, n'entretenir aucune illusion.
Elle a besoin enfin que notre société la reconnaisse et la respecte pour ce qu'elle est, la porte du savoir et pour ce qu'elle peut donner : non pas tout, mais beaucoup.
[1] : est-ce un accès de démagogie particulièrement vil ou, plus gravement, encore un de ces exemples où l'usage de bons sentiments de façade remplace à moindrs frais l'intelligence et l'analyse ?
La porte du savoir
Du très regrettable rapport Thélot sur l'école, le passage le plus malencontreux est probablement son titre : « Pour la réussite de tous les élèves » [1]. En effet, ce titre éloigne l'école de sa raison d'être et formule en son nom une promesse impossible à tenir. La raison d'être de l'école est d'ouvrir au savoir, d'éveiller l'esprit, d'instruire.
Son but premier, qui fonde sa légitimité, n'est pas de « faire réussir », pas plus que de pacifier la société ou de créer un monde nouveau. Bien sûr, l'école peut « faire réussir » - non pas tous les enfants et tous les jeunes, mais beaucoup. Elle peut préparer à de bons métiers, non pas pour tous mais pour beaucoup. Elle peut contribuer à la pacification de la société en faisant sortir les enfants de leur ego, en exerçant leur raison et en les orientant vers la recherche de la vérité, qui ne dépend pas de nous. Elle peut améliorer le monde en éclairant les esprits et en donnant à beaucoup les moyens intellectuels de la liberté et de la créativité.
Mais elle fera d'autant mieux tout cela qu'elle mettra au centre le savoir, la connaissance, l'étude, depuis les apprentissages simples et essentiels - lire et écrire, compter et calculer, observer, maîtriser la langue - jusqu'aux plus élevés, qui font entrer pleinement dans la vie intellectuelle ou dans la création technique.
Aussi l'école doit-elle enseigner des contenus solides, riches, nourrissants, stimulants. Elle doit être exigeante envers les élèves, les forcer à cette chose toujours pénible au départ et pourtant merveilleuse –apprendre.
Elle a besoin de l'autorité des professeurs et de la discipline des élèves, non que celles-ci valent par elles-mêmes, mais parce que l'autorité des professeurs est fondée sur le savoir et que, si elle n'est pas respectée, l'étude devient impossible.
L'école doit aider le plus possible les élèves qui acceptent de travailler. Elle doit proposer un grand nombre de filières, abstraites, concrètes ou techniques, dont chacune ait sa façon d'être excellente. Elle doit être vraie envers tous, ne brader aucun diplôme, n'entretenir aucune illusion.
Elle a besoin enfin que notre société la reconnaisse et la respecte pour ce qu'elle est, la porte du savoir et pour ce qu'elle peut donner : non pas tout, mais beaucoup.
[1] : est-ce un accès de démagogie particulièrement vil ou, plus gravement, encore un de ces exemples où l'usage de bons sentiments de façade remplace à moindrs frais l'intelligence et l'analyse ?
La France, "homme malade" de l'Europe, par Nicolas Baverez
J'aime bien Baverez.
Débat
La France, "homme malade" de l'Europe, par Nicolas Baverez
LE MONDE | 29.12.05 | 13h43 • Mis à jour le 30.12.05 | 14h43
Pour la France, 2005 restera une année terrible mais aussi un tournant. Une année terrible, rythmée par les échecs et les crises qui, dans le droit-fil du collapsus social de 1995 et du krach civique de 2002, ont acté le déclin du pays et l'éclatement de la nation. Au plan extérieur, l'échec du référendum a brisé net un demi-siècle d'engagement européen, qui constituait le dernier axe stable de la diplomatie et de la vie politique nationales. La défaite de la candidature de Paris face à Londres pour l'organisation des Jeux olympiques de 2012 a cristallisé la marginalisation de la France en Europe et dans le monde et souligné l'archaïsme d'un pays musée, en rupture avec la modernité du XXIe siècle. Enfin les émeutes urbaines, dans leur double dimension sociale et raciale, ont sanctionné la désintégration du pseudo-modèle français, le blocage de l'intégration, la balkanisation d'une société atomisée par un quart de siècle de chômage de masse.
Mais aussi un tournant pour trois raisons. La première provient de la sortie de Jacques Chirac de la vie politique : délégitimé en France, discrédité en dehors des frontières, il persiste à occuper la fonction présidentielle mais ne l'exerce plus ; il peut encore nuire mais ne peut plus agir. D'où une situation inédite sous la Ve République qui voit le président réduit à se mettre au service de son premier ministre, candidat par procuration investi de la mission de poursuivre le chiraquisme par d'autres moyens.
La deuxième tient à la prise de conscience par les Français de la crise nationale majeure que traverse le pays : la succession des revers a déchiré le voile de la démagogie qui recouvrait depuis un quart de siècle le divorce progressif de la France avec la nouvelle donne historique issue de la mondialisation et de l'après-guerre froide, découvrant aux yeux dessillés des citoyens une situation comparable à l'agonie de la IVe République, avec la guerre d'Algérie et l'inflation en moins, le chômage de masse et la guerre civile larvée en plus.
La troisième est à chercher dans l'évolution des mentalités et l'ébranlement du conservatisme de l'opinion, avec d'un côté la compréhension du caractère insoutenable d'un modèle qui condamne les jeunes générations à l'exclusion, au chômage, à la paupérisation et à un endettement explosif, de l'autre la conviction qu'il n'existe pas de solution à l'intérieur du système actuel. D'où un changement d'attitude, manifeste lors des récents mouvements sociaux vis-à-vis des deux verrous qui interdisent la modernisation du pays : la protection du modèle d'économie administrée et de société fermée issu des années 1960 ; la sanctuarisation du secteur public.
Toutes les conditions d'une situation prérévolutionnaire se trouvent aujourd'hui réunies : d'une part une crise aiguë de la représentation politique qui dépasse les gouvernants pour englober l'ensemble de la classe politique ; une insécurité économique et sociale endémique ; des finances publiques en faillite avec une dette qui s'emballe, en progression de 10 points de PIB durant le quinquennat, minant la souveraineté du pays tout en fonctionnant comme une arme de destruction massive de la croissance et de l'emploi ; enfin le mélange de honte et de colère qui s'empare des citoyens d'une nation qui est devenue la risée de l'Europe et du monde développé. De l'autre, des échecs accumulés qui amplifient les peurs et les pulsions irrationnelles.
Le refus de la Constitution européenne a libéré les tentations nationalistes et protectionnistes, conduisant à une OPA intellectuelle de l'altermondialisme sur la gauche, Parti socialiste en tête, mais aussi sur une partie de la droite puisque le président de la République ne craint pas d'affirmer que le libéralisme constitue une menace pour la démocratie équivalente à ce qu'était le communisme au temps de la guerre froide. Dans le même temps, les émeutes urbaines ouvrent un vaste espace aux passions xénophobes et totalitaires, avec à la clé un puissant mouvement de basculement à droite de la société et, comme à la veille de 2002, une montée souterraine du vote extrémiste.
Les forces centrifuges qui sont à l'oeuvre dans le corps politique et social raréfient l'espace qui serait nécessaire pour un débat apaisé sur la situation et la modernisation du pays. D'où la démarche parallèle du Parti socialiste et de l'UMP qui, à travers le congrès du Mans et le compromis sur les primaires, ont privilégié une unité de façade qui entretient une commune ambiguïté sur leur ligne politique. D'où la lancinante réactivation des détours idéologiques qui érigent la mondialisation — via l'OMC — ou l'Union européenne en boucs émissaires de la crise française. D'où la rhétorique morbide de la commémoration qui évince la discussion des problèmes du présent au profit de l'actualisation virtuelle du passé. Les traites et la colonisation sont assurément des tragédies historiques, mais elles ne constituent ni des concepts, ni des principes d'action qui permettent d'appréhender la condition des immigrés en France et d'apporter des solutions concrètes à l'échec de leur intégration. Aussi bien le législateur, au lieu de s'aventurer de manière hasardeuse sur le terrain des historiens, serait-il mieux inspiré de consacrer son énergie aux réformes urgentes que réclame la situation du pays.
Pour autant, il n'y a aucune raison de désespérer. Car si tout peut aujourd'hui arriver, y compris l'engrenage de la violence, la dynamique de la réforme peut également frayer son chemin dans l'esprit et le coeur des Français. Voilà pourquoi 2007 s'annonce comme un scrutin décisif pour la France et pour l'Europe. Un scrutin décisif pour la France, parce que si l'élection présidentielle de 2007 devait, à l'image de 1995 et 2002, se réduire à un débat tronqué puis conduire à la reconduction des non-choix et du prisme démagogique, clientéliste et malthusien qui a prévalu depuis les années 1980, la crise économique et sociale sortirait de tout contrôle. Un scrutin décisif pour la France, parce qu'il constitue la dernière occasion de combler le retard accumulé sur les autres démocraties développées, engagées dans une course de vitesse pour s'adapter à un monde qui met en concurrence non seulement les entreprises mais plus encore les Etats et les sociétés. Un scrutin décisif pour l'Europe, dont la France est devenue l'homme malade, contribuant notablement à sa panne actuelle, exportant sa crise jusqu'à risquer de provoquer son éclatement comme celui de l'Euroland en cas d'aggravation de sa dérive.
D'où le paradoxe des dix-huit mois qui s'écouleront avant l'élection présidentielle. Aucune amélioration fondamentale n'est à attendre dans la situation du pays, en dehors d'artifices tels qu'une baisse du chômage qui doit tout au traitement statistique et à la création d'emplois semi-publics financés par la hausse de la dette. Situation logique dès lors que les conditions nécessaires au changement ne sont pas remplies : le président de la République ne dispose plus d'aucune légitimité ; les leviers majeurs de la modernisation que sont le changement du modèle social et la réforme de l'Etat ont été d'emblée exclus ; l'action du gouvernement est tout entière orientée vers l'horizon électoral de 2007 à l'exclusion d'une vision cohérente, comme le souligne la contradiction frontale entre le recours aux pouvoirs exceptionnels propres à l'état d'urgence d'une part, la volonté de minimiser la gravité de l'insurrection des banlieues ramenée à de bénins "troubles sociaux" d'autre part ; enfin, la cohabitation hautement conflictuelle entre le premier ministre et le ministre de l'intérieur interdit l'unité et la continuité dont toutes les expériences étrangères ont montré qu'elles étaient indispensables.
Il reste que le moteur de la modernisation peut embrayer, pour peu que les Français se mettent en mouvement et imposent de centrer le débat, par leur mobilisation et leur engagement, sur la situation réelle du pays et les moyens de l'améliorer. La modernisation de la France ne dépend ni de la mondialisation ni de l'Europe, mais des Français qui conservent la maîtrise de leur destin. A condition de surmonter les tentations protectionnistes et sécuritaires, nationalistes et xénophobes, pour examiner et trancher, non pas de manière passionnelle ou démagogique mais de manière rationnelle, les questions cardinales qui ont été éludées lors des derniers scrutins : comment rétablir le couplage de l'autorité et de la responsabilité du chef de l'Etat ? quels principes utiliser pour refonder une nation ? quels changements instaurer dans l'Etat pour lui permettre de jouer son rôle de réassureur des risques globaux de l'économie et de la société ouvertes ? quels positionnements pour le système productif et le territoire français à l'horizon des années 2010 ? quelles transformations apporter au modèle économique et social pour concilier efficacité et équité, compétitivité et solidarité dans l'univers de la mondialisation ? quels leviers employer pour débloquer la société, l'ouvrir en direction des jeunes, des immigrés, des exclus ? quelles voies pour contribuer à rétablir l'unité des démocraties et relancer l'Europe ?
Pour prix des échecs et des revers dont ils sont les premières victimes, les Français ont acquis le droit de percer la bulle de démagogie et de mensonge qui dévaste la vie politique nationale depuis de trop longues années et d'accéder à une information objective sur la situation de leur pays et l'état du monde. Leur responsabilité vis-à-vis de leur patrie comme des générations futures consiste à cesser de s'en remettre à un président de droit divin ou à l'Etat pour exiger de ceux qui aspirent à les gouverner des choix cohérents dont ils assument les conséquences prévisibles. A conjurer les tentations de régression vers un passé mythique et les passions extrémistes, à sanctionner sans faiblesse les cyniques et les démagogues pour ouvrir résolument la voie à une nouvelle génération, en rupture avec la République des truqueurs et des gérontes, à qui il reviendra de reconstruire un pays moderne, puissant et respecté dans le monde du XXIe siècle.
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Nicolas Baverez est économiste, historien et avocat. Auteur notamment de La France qui tombe (Perrin, 2003).
NICOLAS BAVEREZ
Article paru dans l'édition du 30.12.05
Débat
La France, "homme malade" de l'Europe, par Nicolas Baverez
LE MONDE | 29.12.05 | 13h43 • Mis à jour le 30.12.05 | 14h43
Pour la France, 2005 restera une année terrible mais aussi un tournant. Une année terrible, rythmée par les échecs et les crises qui, dans le droit-fil du collapsus social de 1995 et du krach civique de 2002, ont acté le déclin du pays et l'éclatement de la nation. Au plan extérieur, l'échec du référendum a brisé net un demi-siècle d'engagement européen, qui constituait le dernier axe stable de la diplomatie et de la vie politique nationales. La défaite de la candidature de Paris face à Londres pour l'organisation des Jeux olympiques de 2012 a cristallisé la marginalisation de la France en Europe et dans le monde et souligné l'archaïsme d'un pays musée, en rupture avec la modernité du XXIe siècle. Enfin les émeutes urbaines, dans leur double dimension sociale et raciale, ont sanctionné la désintégration du pseudo-modèle français, le blocage de l'intégration, la balkanisation d'une société atomisée par un quart de siècle de chômage de masse.
Mais aussi un tournant pour trois raisons. La première provient de la sortie de Jacques Chirac de la vie politique : délégitimé en France, discrédité en dehors des frontières, il persiste à occuper la fonction présidentielle mais ne l'exerce plus ; il peut encore nuire mais ne peut plus agir. D'où une situation inédite sous la Ve République qui voit le président réduit à se mettre au service de son premier ministre, candidat par procuration investi de la mission de poursuivre le chiraquisme par d'autres moyens.
La deuxième tient à la prise de conscience par les Français de la crise nationale majeure que traverse le pays : la succession des revers a déchiré le voile de la démagogie qui recouvrait depuis un quart de siècle le divorce progressif de la France avec la nouvelle donne historique issue de la mondialisation et de l'après-guerre froide, découvrant aux yeux dessillés des citoyens une situation comparable à l'agonie de la IVe République, avec la guerre d'Algérie et l'inflation en moins, le chômage de masse et la guerre civile larvée en plus.
La troisième est à chercher dans l'évolution des mentalités et l'ébranlement du conservatisme de l'opinion, avec d'un côté la compréhension du caractère insoutenable d'un modèle qui condamne les jeunes générations à l'exclusion, au chômage, à la paupérisation et à un endettement explosif, de l'autre la conviction qu'il n'existe pas de solution à l'intérieur du système actuel. D'où un changement d'attitude, manifeste lors des récents mouvements sociaux vis-à-vis des deux verrous qui interdisent la modernisation du pays : la protection du modèle d'économie administrée et de société fermée issu des années 1960 ; la sanctuarisation du secteur public.
Toutes les conditions d'une situation prérévolutionnaire se trouvent aujourd'hui réunies : d'une part une crise aiguë de la représentation politique qui dépasse les gouvernants pour englober l'ensemble de la classe politique ; une insécurité économique et sociale endémique ; des finances publiques en faillite avec une dette qui s'emballe, en progression de 10 points de PIB durant le quinquennat, minant la souveraineté du pays tout en fonctionnant comme une arme de destruction massive de la croissance et de l'emploi ; enfin le mélange de honte et de colère qui s'empare des citoyens d'une nation qui est devenue la risée de l'Europe et du monde développé. De l'autre, des échecs accumulés qui amplifient les peurs et les pulsions irrationnelles.
Le refus de la Constitution européenne a libéré les tentations nationalistes et protectionnistes, conduisant à une OPA intellectuelle de l'altermondialisme sur la gauche, Parti socialiste en tête, mais aussi sur une partie de la droite puisque le président de la République ne craint pas d'affirmer que le libéralisme constitue une menace pour la démocratie équivalente à ce qu'était le communisme au temps de la guerre froide. Dans le même temps, les émeutes urbaines ouvrent un vaste espace aux passions xénophobes et totalitaires, avec à la clé un puissant mouvement de basculement à droite de la société et, comme à la veille de 2002, une montée souterraine du vote extrémiste.
Les forces centrifuges qui sont à l'oeuvre dans le corps politique et social raréfient l'espace qui serait nécessaire pour un débat apaisé sur la situation et la modernisation du pays. D'où la démarche parallèle du Parti socialiste et de l'UMP qui, à travers le congrès du Mans et le compromis sur les primaires, ont privilégié une unité de façade qui entretient une commune ambiguïté sur leur ligne politique. D'où la lancinante réactivation des détours idéologiques qui érigent la mondialisation — via l'OMC — ou l'Union européenne en boucs émissaires de la crise française. D'où la rhétorique morbide de la commémoration qui évince la discussion des problèmes du présent au profit de l'actualisation virtuelle du passé. Les traites et la colonisation sont assurément des tragédies historiques, mais elles ne constituent ni des concepts, ni des principes d'action qui permettent d'appréhender la condition des immigrés en France et d'apporter des solutions concrètes à l'échec de leur intégration. Aussi bien le législateur, au lieu de s'aventurer de manière hasardeuse sur le terrain des historiens, serait-il mieux inspiré de consacrer son énergie aux réformes urgentes que réclame la situation du pays.
Pour autant, il n'y a aucune raison de désespérer. Car si tout peut aujourd'hui arriver, y compris l'engrenage de la violence, la dynamique de la réforme peut également frayer son chemin dans l'esprit et le coeur des Français. Voilà pourquoi 2007 s'annonce comme un scrutin décisif pour la France et pour l'Europe. Un scrutin décisif pour la France, parce que si l'élection présidentielle de 2007 devait, à l'image de 1995 et 2002, se réduire à un débat tronqué puis conduire à la reconduction des non-choix et du prisme démagogique, clientéliste et malthusien qui a prévalu depuis les années 1980, la crise économique et sociale sortirait de tout contrôle. Un scrutin décisif pour la France, parce qu'il constitue la dernière occasion de combler le retard accumulé sur les autres démocraties développées, engagées dans une course de vitesse pour s'adapter à un monde qui met en concurrence non seulement les entreprises mais plus encore les Etats et les sociétés. Un scrutin décisif pour l'Europe, dont la France est devenue l'homme malade, contribuant notablement à sa panne actuelle, exportant sa crise jusqu'à risquer de provoquer son éclatement comme celui de l'Euroland en cas d'aggravation de sa dérive.
D'où le paradoxe des dix-huit mois qui s'écouleront avant l'élection présidentielle. Aucune amélioration fondamentale n'est à attendre dans la situation du pays, en dehors d'artifices tels qu'une baisse du chômage qui doit tout au traitement statistique et à la création d'emplois semi-publics financés par la hausse de la dette. Situation logique dès lors que les conditions nécessaires au changement ne sont pas remplies : le président de la République ne dispose plus d'aucune légitimité ; les leviers majeurs de la modernisation que sont le changement du modèle social et la réforme de l'Etat ont été d'emblée exclus ; l'action du gouvernement est tout entière orientée vers l'horizon électoral de 2007 à l'exclusion d'une vision cohérente, comme le souligne la contradiction frontale entre le recours aux pouvoirs exceptionnels propres à l'état d'urgence d'une part, la volonté de minimiser la gravité de l'insurrection des banlieues ramenée à de bénins "troubles sociaux" d'autre part ; enfin, la cohabitation hautement conflictuelle entre le premier ministre et le ministre de l'intérieur interdit l'unité et la continuité dont toutes les expériences étrangères ont montré qu'elles étaient indispensables.
Il reste que le moteur de la modernisation peut embrayer, pour peu que les Français se mettent en mouvement et imposent de centrer le débat, par leur mobilisation et leur engagement, sur la situation réelle du pays et les moyens de l'améliorer. La modernisation de la France ne dépend ni de la mondialisation ni de l'Europe, mais des Français qui conservent la maîtrise de leur destin. A condition de surmonter les tentations protectionnistes et sécuritaires, nationalistes et xénophobes, pour examiner et trancher, non pas de manière passionnelle ou démagogique mais de manière rationnelle, les questions cardinales qui ont été éludées lors des derniers scrutins : comment rétablir le couplage de l'autorité et de la responsabilité du chef de l'Etat ? quels principes utiliser pour refonder une nation ? quels changements instaurer dans l'Etat pour lui permettre de jouer son rôle de réassureur des risques globaux de l'économie et de la société ouvertes ? quels positionnements pour le système productif et le territoire français à l'horizon des années 2010 ? quelles transformations apporter au modèle économique et social pour concilier efficacité et équité, compétitivité et solidarité dans l'univers de la mondialisation ? quels leviers employer pour débloquer la société, l'ouvrir en direction des jeunes, des immigrés, des exclus ? quelles voies pour contribuer à rétablir l'unité des démocraties et relancer l'Europe ?
Pour prix des échecs et des revers dont ils sont les premières victimes, les Français ont acquis le droit de percer la bulle de démagogie et de mensonge qui dévaste la vie politique nationale depuis de trop longues années et d'accéder à une information objective sur la situation de leur pays et l'état du monde. Leur responsabilité vis-à-vis de leur patrie comme des générations futures consiste à cesser de s'en remettre à un président de droit divin ou à l'Etat pour exiger de ceux qui aspirent à les gouverner des choix cohérents dont ils assument les conséquences prévisibles. A conjurer les tentations de régression vers un passé mythique et les passions extrémistes, à sanctionner sans faiblesse les cyniques et les démagogues pour ouvrir résolument la voie à une nouvelle génération, en rupture avec la République des truqueurs et des gérontes, à qui il reviendra de reconstruire un pays moderne, puissant et respecté dans le monde du XXIe siècle.
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Nicolas Baverez est économiste, historien et avocat. Auteur notamment de La France qui tombe (Perrin, 2003).
NICOLAS BAVEREZ
Article paru dans l'édition du 30.12.05
Les banlieues loin de l'emploi
Un article de Jean-Paul Fitoussi explique dans Le Monde que, par le mécanisme des files d'attente, la discrimination à l'emploi, et par conséquence au logement, est d'autant plus forte pour les travailleurs non-qualifiés et que la longueur des files d'attente, c'est-à-dire le chomage de masse, aggrave mécaniquement le phénomène.
Dis plus simplement : quand il y a cent candidats sans diplome ou avec les mêmes diplomes pour une place, les critères non professionnels (nom, adresse, etc ...) font la différence qui permet de choisir entre les cent. C'est mécanique : le simple fait de devoir choisir un unique embauché dans une foule de candidats exacerbe l'importance de chaque critère, même le plus injuste.
Vous ne serez pas surpris : ça fait des mois que je vous répète obsessionellement que la préférence française pour le chomage (protection des "insiders", dépenses publiques élevées) est la source de nos problèmes socio-économiques. Vous ne pouvez pas dire que vous n'êtes pas au courant !
Mais je vous répète aussi que les solutions contre le chomage sont bien connues et qu'il n'est que de vouloir les appliquer. Tout espoir n'est pas perdu.
Les banlieues loin de l'emploi
Dis plus simplement : quand il y a cent candidats sans diplome ou avec les mêmes diplomes pour une place, les critères non professionnels (nom, adresse, etc ...) font la différence qui permet de choisir entre les cent. C'est mécanique : le simple fait de devoir choisir un unique embauché dans une foule de candidats exacerbe l'importance de chaque critère, même le plus injuste.
Vous ne serez pas surpris : ça fait des mois que je vous répète obsessionellement que la préférence française pour le chomage (protection des "insiders", dépenses publiques élevées) est la source de nos problèmes socio-économiques. Vous ne pouvez pas dire que vous n'êtes pas au courant !
Mais je vous répète aussi que les solutions contre le chomage sont bien connues et qu'il n'est que de vouloir les appliquer. Tout espoir n'est pas perdu.
Les banlieues loin de l'emploi
Instruction Publique contre Education Nationale
Ces derniers temps, j'ai souvent pesté contre les pédagogistes, qui emploient des méthodes d'inspiration soviétique pour appliquer un modèle d'éducation américain (1), dont on connaît déjà les "excellents" résultats. Prendre le plus mauvais de deux systèmes, quel exploit ! Vraiment, l'argent dépensé pour former nos universitaires distingués pédagogistes a été bien mal utilisé.
J'ai tendance à ramener le problème au conflit fondamental qui fait le titre de ce message "Instruction Publique contre Education Nationale".
Le terme "Instruction publique" suppose qu'il y a une instruction privée, celle faite par les familles, qu'on appelle éducation. Le but de l'école est donc limité tout en étant ambitieux : instruire, transmettre un savoir. C'est un vaste programme, mais néanmoins clairement borné : l'école ne se subtitue pas à la société (l'école n'a pas pour objectif de "faire du social") et ne se substitue pas à la famille (elle n'a pas pour objectif de faire de l'éducation). Si, cependant, l'école a des effets sociaux et éducatifs, c'est une conséquence bénéfique indirecte d'une transmission structurée d'un savoir construit.
Vous inversez tous les propos précédents pour le terme "Education Nationale" et vous comprendrez pourquoi je pense que l'EN déconne à pleins tubes.
(1) : à noter pour les obsédés de l'anti-libéralisme : américain ne veut pas dire forcément libéral, les idées libérales en matière d'éducation sont plutôt au chèque éducation que chacun serait libre de dépenser dans l'école de son choix, or je ne suis pas convaincu qu'un tel système favoriserait les "pédagogistes" à la sauce américaine.
J'ai tendance à ramener le problème au conflit fondamental qui fait le titre de ce message "Instruction Publique contre Education Nationale".
Le terme "Instruction publique" suppose qu'il y a une instruction privée, celle faite par les familles, qu'on appelle éducation. Le but de l'école est donc limité tout en étant ambitieux : instruire, transmettre un savoir. C'est un vaste programme, mais néanmoins clairement borné : l'école ne se subtitue pas à la société (l'école n'a pas pour objectif de "faire du social") et ne se substitue pas à la famille (elle n'a pas pour objectif de faire de l'éducation). Si, cependant, l'école a des effets sociaux et éducatifs, c'est une conséquence bénéfique indirecte d'une transmission structurée d'un savoir construit.
Vous inversez tous les propos précédents pour le terme "Education Nationale" et vous comprendrez pourquoi je pense que l'EN déconne à pleins tubes.
(1) : à noter pour les obsédés de l'anti-libéralisme : américain ne veut pas dire forcément libéral, les idées libérales en matière d'éducation sont plutôt au chèque éducation que chacun serait libre de dépenser dans l'école de son choix, or je ne suis pas convaincu qu'un tel système favoriserait les "pédagogistes" à la sauce américaine.
vendredi, décembre 30, 2005
Guerre à outrances (A. Hertoghe)
FFF
Ce livre fait le bilan (catastrophique) des errements partisans de quatre journaux français dont on hésite à dire qu'ils sont "de référence" : Le Monde, La Croix, Libération, Le Figaro, lors des trois semaines d'offensive alliée en Irak en mars-avril 2003. Démonstratif !
Exemple simple : concernant la progression de l'offensive, Libé a fait 34 unes : 31 négatives, 3 positives. Ce qui rend, si on ne lisait que ce seul journal, totalement incompréhensible la victoire militaire de la coalition.
A noter, que, a contrario, l'auteur fait l'éloge de l'analyse modeste et juste de John Keegan, historien militaire, dans le Daily Telegraph. Aimant beaucoup Keegan (The mask of command, The face of the battle), j'avais à l'époque cherché sur internet et trouvé effectivement les articles en question bien meilleurs que les analyses cocardières et franchouillardes toutes empruntes de Schadefreude (joie malsaine du malheur d'autrui, joie de prévoir le pire).
Mais rassurez vous, le Belge est Hertoghe est un mauvais Français : il a viré de La Croix après ce livre.
Vous trouverez le blog de l'auteur au lien suivant :
Blog de Alain Hertoghe
Et mon précédent maessage sur le sujet :
Victoires en Irak
Pour mémoire, résumé des prédictions fausses :
> les Américains allaient s'enliser, la garde républicaine allait montrer de quoi elle était capable.
> Bagdad serait un nouveau Stalingrad
> l'Irak serait plongé en pleine crise alimentaire par le foutoir d'après-guerre
> les Irakiens ne voteraient pas sur la constitution
> les sunnites ne voteraient pas aux législatives
La prédiction en cours est que l'Irak va se transformer en un nouveau Liban. Espérons qu'elle se révélera aussi juste que les précédentes.
Ce livre fait le bilan (catastrophique) des errements partisans de quatre journaux français dont on hésite à dire qu'ils sont "de référence" : Le Monde, La Croix, Libération, Le Figaro, lors des trois semaines d'offensive alliée en Irak en mars-avril 2003. Démonstratif !
Exemple simple : concernant la progression de l'offensive, Libé a fait 34 unes : 31 négatives, 3 positives. Ce qui rend, si on ne lisait que ce seul journal, totalement incompréhensible la victoire militaire de la coalition.
A noter, que, a contrario, l'auteur fait l'éloge de l'analyse modeste et juste de John Keegan, historien militaire, dans le Daily Telegraph. Aimant beaucoup Keegan (The mask of command, The face of the battle), j'avais à l'époque cherché sur internet et trouvé effectivement les articles en question bien meilleurs que les analyses cocardières et franchouillardes toutes empruntes de Schadefreude (joie malsaine du malheur d'autrui, joie de prévoir le pire).
Mais rassurez vous, le Belge est Hertoghe est un mauvais Français : il a viré de La Croix après ce livre.
Vous trouverez le blog de l'auteur au lien suivant :
Blog de Alain Hertoghe
Et mon précédent maessage sur le sujet :
Victoires en Irak
Pour mémoire, résumé des prédictions fausses :
> les Américains allaient s'enliser, la garde républicaine allait montrer de quoi elle était capable.
> Bagdad serait un nouveau Stalingrad
> l'Irak serait plongé en pleine crise alimentaire par le foutoir d'après-guerre
> les Irakiens ne voteraient pas sur la constitution
> les sunnites ne voteraient pas aux législatives
La prédiction en cours est que l'Irak va se transformer en un nouveau Liban. Espérons qu'elle se révélera aussi juste que les précédentes.
Perspective 2006
International
Busisness as usual :
> déficits américains et expansion asiatique
> bordel à l'issue incertaine en Irak : Bush "est en Irak" depuis trois ans, il lui reste encore trois ans de mandat à courir. Un happy end n'est pas exclu.
> déclin de l'Europe, immobile ou quasi, quand le monde bouge.
> progrès de la science (bientôt un clone humain ?)
France
Vous connaissez mon analyse, la France est dans un cercle vicieux :
> l'Etat n'est pas assez efficace et gaspille ses ressources, ceci conduit à une augmentation des déficits et des dettes. Le tout pèse sur l'économie et constitue un risque chaque jour plus dangereux, plombant l'économie et accroissant les inégalités (1).
> face aux risques, les Français attendent de plus en plus de l'Etat et sont, bien évidemment, déçus. C'est le syndrome de l'Etat maternant, qui boucle avec le premier point.
Ce cercle vicieux destructeur est entretenu par quelques facteurs :
> une large frange de la population (on cite 30 à 40 % du total) qui dépend de l'Etat
> des politiciens issus en masse de la fonction publique et cumulant les mandats
> un manque de projet politique conduisant au conservatisme (on connaît ce qu'on peut perdre, on voit mal ce qu'on pourrait gagner)
Aucun de ces trois points n'est susceptible de changer en 2006. L'absence de projet politique paraît l'obstacle le plus facile à lever, mais comme les deux premiers points font peser des tabous que seul Nicolas Sarkozy (et encore) ose briser, nous ne sommes pas sortis de l'auberge.
Puisque les présidentielles approchent, il faut bien prendre position : en l'état actuel des choses, je voterais Sarkozy. Allons, tout espoir n'est pas perdu, il reste plus d'un an : Strauss-Kahn m'a beaucoup déçu et ni Bockel ni Kouchner n'ont d'influence sur le PS, mais si seulement, à l'exemple de Sarkozy à droite et de Blair en GB, il pouvait surgir à gauche un briseur de tabous, c'est d'enthousiasme que je voterais pour lui.
Et pour l'avenir, quelle solution ? Encore et toujours le libéralisme : la France souffre d'être une société figée, ne faisant plus de place aux jeunes, aux immigrés, aux ambitieux. L'institut Montaigne constate que 90 % des élèves de grandes écoles viennent de 200 maternelles, terrible révélateur de blocage. Or seules des décisions inspirées par le libéralisme remettent en cause les positions, les statuts, les "avantage acquis". Que ceux qui profitent le plus du système actuel, fonctionnaires, patrons gavés de subventions et allocataires de prestations diverses, s'en effraient, je les comprends. A eux tous, ils constituent probablement une majorité des Français, ce qui explique le blocage. Mais on sait aussi qu'un ensemble d'intérêts disparates, même majoritaire, peut conduire à des décisions néfastes pour la collectivité.
C'est bien l'objet du discours politique que de lier des intérêts divergents dans un projet collectif transcendant (ouh là ! Un grand mot !) et c'est pourquoi la médiocrité du chiraquisme, fait de dérive du radeau France au gré des vents sondagiers, est si dommageable.
Alors 2006 ? Probablement une année perdue pour la politique en attendant 2007, encore une. Mais les Français vont travailler et c'est toujours ça de pris.
Hélas, pendant ce temps, la population vieillit et devient plus rétive au changement, même prometteur.
Il s'agit là d'un point de vue français, ou européen. Car je ne suis guère inquiet pour le monde. L'expansion économique a de bonnes chances de se poursuivre malgré les déséquilibres. Quant aux troubles politiques graves -les guerres principalement, ils sont en voie de diminution. Quand on est Chinois, Indien, Américain ou même Suédois, il y a de bonnes chances que demain soit meilleur qu'aujourd'hui.
Mais j'émets tout de même un voeu pour 2006 : que les Français s'aperçoivent que le monde est depuis trois ans dans une période de prospérité inégalée depuis 50 ans et soient soudain pris du désir d'y avoir leur part.
(1) : pour mémoire, je rappelle que les fonctionnaires constituent une frange favorisée par rapport au vrais déshérités : mères célibataires au chomage ou à temps partiel, immigrés chomeurs, jeunes sans qualification, retraités pauvres. Autre exemple : la durée de vie moyenne d'un cadre de la fonction publique est de 8 ans (!!!) supérieure à celle d'un ouvrier du batiment. Par le simple effet de ces 8 ans de consommation de Sécu et de retraite supplémentaires, c'est l'ouvrier du batiment qui cotise pour le cadre de la fonction publique. Hé ouais ! C'est ça, la vérité du "modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie". (Nota : il existe une solution juste : moduler l'âge de la retraite en fonction du travail. Il n'y aurait rien de choquant à ce que les cadres de la fonction publique prennent leur retraite à 67 ans et les ouvriers à 60. Par contre, qu'un conducteur de trains ou de métro parte à la retraite à 55 ans est choquant.)
Busisness as usual :
> déficits américains et expansion asiatique
> bordel à l'issue incertaine en Irak : Bush "est en Irak" depuis trois ans, il lui reste encore trois ans de mandat à courir. Un happy end n'est pas exclu.
> déclin de l'Europe, immobile ou quasi, quand le monde bouge.
> progrès de la science (bientôt un clone humain ?)
France
Vous connaissez mon analyse, la France est dans un cercle vicieux :
> l'Etat n'est pas assez efficace et gaspille ses ressources, ceci conduit à une augmentation des déficits et des dettes. Le tout pèse sur l'économie et constitue un risque chaque jour plus dangereux, plombant l'économie et accroissant les inégalités (1).
> face aux risques, les Français attendent de plus en plus de l'Etat et sont, bien évidemment, déçus. C'est le syndrome de l'Etat maternant, qui boucle avec le premier point.
Ce cercle vicieux destructeur est entretenu par quelques facteurs :
> une large frange de la population (on cite 30 à 40 % du total) qui dépend de l'Etat
> des politiciens issus en masse de la fonction publique et cumulant les mandats
> un manque de projet politique conduisant au conservatisme (on connaît ce qu'on peut perdre, on voit mal ce qu'on pourrait gagner)
Aucun de ces trois points n'est susceptible de changer en 2006. L'absence de projet politique paraît l'obstacle le plus facile à lever, mais comme les deux premiers points font peser des tabous que seul Nicolas Sarkozy (et encore) ose briser, nous ne sommes pas sortis de l'auberge.
Puisque les présidentielles approchent, il faut bien prendre position : en l'état actuel des choses, je voterais Sarkozy. Allons, tout espoir n'est pas perdu, il reste plus d'un an : Strauss-Kahn m'a beaucoup déçu et ni Bockel ni Kouchner n'ont d'influence sur le PS, mais si seulement, à l'exemple de Sarkozy à droite et de Blair en GB, il pouvait surgir à gauche un briseur de tabous, c'est d'enthousiasme que je voterais pour lui.
Et pour l'avenir, quelle solution ? Encore et toujours le libéralisme : la France souffre d'être une société figée, ne faisant plus de place aux jeunes, aux immigrés, aux ambitieux. L'institut Montaigne constate que 90 % des élèves de grandes écoles viennent de 200 maternelles, terrible révélateur de blocage. Or seules des décisions inspirées par le libéralisme remettent en cause les positions, les statuts, les "avantage acquis". Que ceux qui profitent le plus du système actuel, fonctionnaires, patrons gavés de subventions et allocataires de prestations diverses, s'en effraient, je les comprends. A eux tous, ils constituent probablement une majorité des Français, ce qui explique le blocage. Mais on sait aussi qu'un ensemble d'intérêts disparates, même majoritaire, peut conduire à des décisions néfastes pour la collectivité.
C'est bien l'objet du discours politique que de lier des intérêts divergents dans un projet collectif transcendant (ouh là ! Un grand mot !) et c'est pourquoi la médiocrité du chiraquisme, fait de dérive du radeau France au gré des vents sondagiers, est si dommageable.
Alors 2006 ? Probablement une année perdue pour la politique en attendant 2007, encore une. Mais les Français vont travailler et c'est toujours ça de pris.
Hélas, pendant ce temps, la population vieillit et devient plus rétive au changement, même prometteur.
Il s'agit là d'un point de vue français, ou européen. Car je ne suis guère inquiet pour le monde. L'expansion économique a de bonnes chances de se poursuivre malgré les déséquilibres. Quant aux troubles politiques graves -les guerres principalement, ils sont en voie de diminution. Quand on est Chinois, Indien, Américain ou même Suédois, il y a de bonnes chances que demain soit meilleur qu'aujourd'hui.
Mais j'émets tout de même un voeu pour 2006 : que les Français s'aperçoivent que le monde est depuis trois ans dans une période de prospérité inégalée depuis 50 ans et soient soudain pris du désir d'y avoir leur part.
(1) : pour mémoire, je rappelle que les fonctionnaires constituent une frange favorisée par rapport au vrais déshérités : mères célibataires au chomage ou à temps partiel, immigrés chomeurs, jeunes sans qualification, retraités pauvres. Autre exemple : la durée de vie moyenne d'un cadre de la fonction publique est de 8 ans (!!!) supérieure à celle d'un ouvrier du batiment. Par le simple effet de ces 8 ans de consommation de Sécu et de retraite supplémentaires, c'est l'ouvrier du batiment qui cotise pour le cadre de la fonction publique. Hé ouais ! C'est ça, la vérité du "modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie". (Nota : il existe une solution juste : moduler l'âge de la retraite en fonction du travail. Il n'y aurait rien de choquant à ce que les cadres de la fonction publique prennent leur retraite à 67 ans et les ouvriers à 60. Par contre, qu'un conducteur de trains ou de métro parte à la retraite à 55 ans est choquant.)
Bilan 2005 : une année catastrophique pour la France
Dans la grande bousculade de ce début de siècle, il semble que certaines démocraties, particulièrement la France, aient choisi le repli sur soi politique et le protectionnisme économique.
Or, ce choix est lourd de périls.
J'estime qu'on peut faire dire à l'histoire ce qui nous arrange et je me méfie comme de la peste des leçons pour le présent qu'on prétend en tirer, j'aime l'histoire pour elle-même, pour la connaissance des hommes du passé et de leurs actions.
Néanmoins, je garde le souvenir que la crise économique et politique des années 30 doit beaucoup aux égoïsmes nationaux, aux protectionnismes et à l'absence de coordination et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec aujourd'hui.
D'ailleurs, toutes les institutions issues plus ou moins directement de la seconde guerre mondiale, ONU, UE, FMI, Banque Mondiale, OTAN, souffrent.
En France, les deux plus gros symptomes de cet isolationnisme sont le NON au referendum du 29 mai et le vertige social-nationaliste de la gauche.
Dans le domaine intérieur, la croissance des déficits publics, la décomposition de la politique en querelles personnelles, les diverses actions syndicales abusives voire illégales, l'explosion des banlieues, l'éclatement de la collectivité en groupes de pression dispersés montrent bien l'absence de projet collectif.
Seul point positif : il semble que le réflexe bobo qui consiste à considérer comme "fasciste" ou "fascisant" tout acte d'autorité de la part de l'Etat soit en voie de discrédit. C'est important car je pense que l'évitement des conflits nourrit la violence et que l'expression civilisée des conflits génère le progrès.
Aujourd'hui, je pourrais écrire le premier message politique de ce blog (Ebauche d'un projet politique) quasiment dans les mêmes termes. Mon diagnostic et mon analyse sont confortés par les évènements de l'année 2005. Par contre, j'y ajouterai un sentiment d'urgence.
Quand je me retourne sur l'année 2005, un sentiment me domine : la peur.
Considérant les choses du point de vue plus élevée de la philosophie politique, je me suis beaucoup rapproché cette année de Hayek. Il pense que le "gouvernement par ordres", de type dirigiste ou socialiste, où le pouvoir essaie de donner une direction au pays, est inadapté aux sociétés complexes modernes, générateur d'effets pervers et fondamentalement arbitraire, même si, et peut-être surtout, lorsqu'il promeut des bons sentiments comme la "solidarité", que Hayek juge comme une valeur tribale. Hayek est partisan d'un "gouvernement par principes", où le pouvoir définit un cadre légal basé sur des principes fondamentaux sans chercher à obtenir un effet et laisse les individus interagir librement dans ce cadre.
Ce qui a achevé mon évolution en ce sens est la querelle sur l'histoire de France (comme quoi le libéralisme ne s'intéresse pas qu'à l'économie). La tentative dirigiste de juger l'histoire de la loi Taubira a entraîné l'effet pervers d'une surenchère de l'UMP et a provoqué un affrontement des mémoires stérile. On en aurait bien mieux fait de s'en tenir au principe "Ce n'est pas l'Etat qui dicte l'histoire, ni dans le sens de la gauche, ni dans le sens de la droite" et de laisser au débat la seule force des arguments et non celle des lois.
De même, au nom du principe de la liberté d'opinion, ça me gêne que le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme soient juridiquement condamnables en France.
Je me suis aussi rapproché des anti-révolutionnaires : le bilan des guerres révolutionnaires françaises fut tellement lourd que j'en viens à souhaiter que les choses se fussent passées moins brutalement. Hélas, il est vain de vouloir refaire l'histoire, même si c'est à la mode.
Or, ce choix est lourd de périls.
J'estime qu'on peut faire dire à l'histoire ce qui nous arrange et je me méfie comme de la peste des leçons pour le présent qu'on prétend en tirer, j'aime l'histoire pour elle-même, pour la connaissance des hommes du passé et de leurs actions.
Néanmoins, je garde le souvenir que la crise économique et politique des années 30 doit beaucoup aux égoïsmes nationaux, aux protectionnismes et à l'absence de coordination et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec aujourd'hui.
D'ailleurs, toutes les institutions issues plus ou moins directement de la seconde guerre mondiale, ONU, UE, FMI, Banque Mondiale, OTAN, souffrent.
En France, les deux plus gros symptomes de cet isolationnisme sont le NON au referendum du 29 mai et le vertige social-nationaliste de la gauche.
Dans le domaine intérieur, la croissance des déficits publics, la décomposition de la politique en querelles personnelles, les diverses actions syndicales abusives voire illégales, l'explosion des banlieues, l'éclatement de la collectivité en groupes de pression dispersés montrent bien l'absence de projet collectif.
Seul point positif : il semble que le réflexe bobo qui consiste à considérer comme "fasciste" ou "fascisant" tout acte d'autorité de la part de l'Etat soit en voie de discrédit. C'est important car je pense que l'évitement des conflits nourrit la violence et que l'expression civilisée des conflits génère le progrès.
Aujourd'hui, je pourrais écrire le premier message politique de ce blog (Ebauche d'un projet politique) quasiment dans les mêmes termes. Mon diagnostic et mon analyse sont confortés par les évènements de l'année 2005. Par contre, j'y ajouterai un sentiment d'urgence.
Quand je me retourne sur l'année 2005, un sentiment me domine : la peur.
Considérant les choses du point de vue plus élevée de la philosophie politique, je me suis beaucoup rapproché cette année de Hayek. Il pense que le "gouvernement par ordres", de type dirigiste ou socialiste, où le pouvoir essaie de donner une direction au pays, est inadapté aux sociétés complexes modernes, générateur d'effets pervers et fondamentalement arbitraire, même si, et peut-être surtout, lorsqu'il promeut des bons sentiments comme la "solidarité", que Hayek juge comme une valeur tribale. Hayek est partisan d'un "gouvernement par principes", où le pouvoir définit un cadre légal basé sur des principes fondamentaux sans chercher à obtenir un effet et laisse les individus interagir librement dans ce cadre.
Ce qui a achevé mon évolution en ce sens est la querelle sur l'histoire de France (comme quoi le libéralisme ne s'intéresse pas qu'à l'économie). La tentative dirigiste de juger l'histoire de la loi Taubira a entraîné l'effet pervers d'une surenchère de l'UMP et a provoqué un affrontement des mémoires stérile. On en aurait bien mieux fait de s'en tenir au principe "Ce n'est pas l'Etat qui dicte l'histoire, ni dans le sens de la gauche, ni dans le sens de la droite" et de laisser au débat la seule force des arguments et non celle des lois.
De même, au nom du principe de la liberté d'opinion, ça me gêne que le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme soient juridiquement condamnables en France.
Je me suis aussi rapproché des anti-révolutionnaires : le bilan des guerres révolutionnaires françaises fut tellement lourd que j'en viens à souhaiter que les choses se fussent passées moins brutalement. Hélas, il est vain de vouloir refaire l'histoire, même si c'est à la mode.
lundi, décembre 26, 2005
Lepénisation des esprits : les tartuffes du Monde en grande forme
Le Monde dénonce la lepénisation des esprits. Le concept est étrange : parle-t-on de la besancenotisation des esprits ?
Comment puis-je faire cet horrible, au moins aux yeux de certains, parallèle ?
1) Parce que communisme et fascisme ont des racines communes dans le rejet du libéralisme et dans la magnification d'une utopie. Ce que dit Besancenot des patrons (voleurs, prédateurs, esclavagistes) n'est pas plus tendre que ce que Le Pen dit des immigrés. Mais insulter les patrons, c'est permis. Prévoir de les pressurer et de les exproprier, c'est presque conforme aux droits de l'homme.
2) Mais, aussi, pour la question de l'influence de leurs idées, il s'agit de deux mouvements politiques à propos desquels il convient de faire de la politique.
Le Pen fait de la politique, la réponse est politique. La morale seule ne suffit pas, elle est même néfaste car sonnant creux.
Les manifestations "antifascistes" à tout propos n'ont qu'un effet positif connu : gonfler l'ego des manifestants et provoquer chez eux une intense poussée d'infatuation et d'autocongratulation. Mais c'est si délicieux d'être dans le camp des "justes" avec soixante ans de retard et avec le seul risque de déraper sur le pavé parisien ... A mon avis, ces mascarades bien-pensantes et autosatisfaites une insulte aux vrais antifascistes.
Par contre, les effets négatifs de cet antifascisme de paccotille sont bien connues :
> Noyer le poisson. Si tout est fasciste, rien n'est fasciste. Les mots perdent leur valeur et leur gravité. Une fois qu'on a entendu qu'installer des radars au bord des routes était fasciste (accusation captée lors d'une chaude conversation avec des "intellectuels" -guillemets de rigueur car ils se croyaient tels alors que j'appelle ce genre de personnages plus simplement : des cons), qu'enseigner la lecture avevc la méthode alphabétique était "nazi", comment prendre l'accusation de fascisme au sérieux ?
> Renforcer les lepénistes dans leur mentalité d'asségiés qui fait une partie de leur motivation et de leur force.
> Entretenir des tabous et des non-dits qui gênent l'expression, le dialogue, l'analyse et le diagnostic.
Alors que faire ? Tout bêtement : de la politque. Une analyse des faits, un discours pour le pays et son avenir, et agir quand on est au pouvoir.
Aujourd'hui, seul Nicolas Sarkozy réunit ces trois ingrédients (et encore) :
> la gauche porte une analyse en contradiction avec les faits. La France est le pays le moins libéral dans le groupement économique (l'UE) le moins libéral : il est donc faux de mettre ses maux sur le compte d'un excès de libéralisme, d'autant plus que les pays occidentaux libéraux ont d'excellentes performances économiques. Jean-Marie Bockel a eu le courage (l'inconscience ?) de constater ces évidences lors du congrès du Mans, il a fait 0.6 % des votes du PS. Ca en dit des tonnes sur l'indigence intellectuelle de la gauche.
> la droite chiraquo-villepiniste, ce n'est pas mieux : l'analyse est carrément inexistante, le projet d'avenir est le maintien au pouvoir ad vitam eternam et l'action brouillonne et minuscule.
> quant à l'UDF, je m'y sentirais comme chez moi si je n'avais pas un gros doute : combien de décennies se sont écoulées depuis la dernière fois où on a vu l'UDF agir ?
Je ne crois absolument pas au danger d'un fascisme botté ou d'une dictature, par contre je crois au danger d'un conformisme en charentaises, où le souci du pays serait délégué, à travers l'obsession sécuritaire, à un Etat omniprésent, lénifiant et envahissant. Hitler criait "Erwache Deutschland", nous en serions plutôt à la berceuse "Dormez bien les petits, l'Etat s'occupe de tout."
Or, l'obsession sécuritaire est actuellement portée au moins autant par la gauche que par la droite ("sécurité de l'emploi", "sécurisatiion du parcours professionnel tout au long de la vie.").
La vie en société et sur notre bonne vieille terre étant par essence risquée, je crains qu'alimenter ce "Toujours plus" sécuritaire ne fasse que préparer de redoutables désillusions.
Il faut accepter de faire au risque sa part.
Combien plus politique et plus réaliste est le discours "Voici mon projet pour la France, en voici les risques, en voici les gains que j'en attends." Car les Français n'étant pas idiots, si on ne leur présente pas de risques, ils seront assez grands pour les fantasmer eux-mêmes.
Bref, vivement un peu de politqique après le prêchi-prêcha.
Comment puis-je faire cet horrible, au moins aux yeux de certains, parallèle ?
1) Parce que communisme et fascisme ont des racines communes dans le rejet du libéralisme et dans la magnification d'une utopie. Ce que dit Besancenot des patrons (voleurs, prédateurs, esclavagistes) n'est pas plus tendre que ce que Le Pen dit des immigrés. Mais insulter les patrons, c'est permis. Prévoir de les pressurer et de les exproprier, c'est presque conforme aux droits de l'homme.
2) Mais, aussi, pour la question de l'influence de leurs idées, il s'agit de deux mouvements politiques à propos desquels il convient de faire de la politique.
Le Pen fait de la politique, la réponse est politique. La morale seule ne suffit pas, elle est même néfaste car sonnant creux.
Les manifestations "antifascistes" à tout propos n'ont qu'un effet positif connu : gonfler l'ego des manifestants et provoquer chez eux une intense poussée d'infatuation et d'autocongratulation. Mais c'est si délicieux d'être dans le camp des "justes" avec soixante ans de retard et avec le seul risque de déraper sur le pavé parisien ... A mon avis, ces mascarades bien-pensantes et autosatisfaites une insulte aux vrais antifascistes.
Par contre, les effets négatifs de cet antifascisme de paccotille sont bien connues :
> Noyer le poisson. Si tout est fasciste, rien n'est fasciste. Les mots perdent leur valeur et leur gravité. Une fois qu'on a entendu qu'installer des radars au bord des routes était fasciste (accusation captée lors d'une chaude conversation avec des "intellectuels" -guillemets de rigueur car ils se croyaient tels alors que j'appelle ce genre de personnages plus simplement : des cons), qu'enseigner la lecture avevc la méthode alphabétique était "nazi", comment prendre l'accusation de fascisme au sérieux ?
> Renforcer les lepénistes dans leur mentalité d'asségiés qui fait une partie de leur motivation et de leur force.
> Entretenir des tabous et des non-dits qui gênent l'expression, le dialogue, l'analyse et le diagnostic.
Alors que faire ? Tout bêtement : de la politque. Une analyse des faits, un discours pour le pays et son avenir, et agir quand on est au pouvoir.
Aujourd'hui, seul Nicolas Sarkozy réunit ces trois ingrédients (et encore) :
> la gauche porte une analyse en contradiction avec les faits. La France est le pays le moins libéral dans le groupement économique (l'UE) le moins libéral : il est donc faux de mettre ses maux sur le compte d'un excès de libéralisme, d'autant plus que les pays occidentaux libéraux ont d'excellentes performances économiques. Jean-Marie Bockel a eu le courage (l'inconscience ?) de constater ces évidences lors du congrès du Mans, il a fait 0.6 % des votes du PS. Ca en dit des tonnes sur l'indigence intellectuelle de la gauche.
> la droite chiraquo-villepiniste, ce n'est pas mieux : l'analyse est carrément inexistante, le projet d'avenir est le maintien au pouvoir ad vitam eternam et l'action brouillonne et minuscule.
> quant à l'UDF, je m'y sentirais comme chez moi si je n'avais pas un gros doute : combien de décennies se sont écoulées depuis la dernière fois où on a vu l'UDF agir ?
Je ne crois absolument pas au danger d'un fascisme botté ou d'une dictature, par contre je crois au danger d'un conformisme en charentaises, où le souci du pays serait délégué, à travers l'obsession sécuritaire, à un Etat omniprésent, lénifiant et envahissant. Hitler criait "Erwache Deutschland", nous en serions plutôt à la berceuse "Dormez bien les petits, l'Etat s'occupe de tout."
Or, l'obsession sécuritaire est actuellement portée au moins autant par la gauche que par la droite ("sécurité de l'emploi", "sécurisatiion du parcours professionnel tout au long de la vie.").
La vie en société et sur notre bonne vieille terre étant par essence risquée, je crains qu'alimenter ce "Toujours plus" sécuritaire ne fasse que préparer de redoutables désillusions.
Il faut accepter de faire au risque sa part.
Combien plus politique et plus réaliste est le discours "Voici mon projet pour la France, en voici les risques, en voici les gains que j'en attends." Car les Français n'étant pas idiots, si on ne leur présente pas de risques, ils seront assez grands pour les fantasmer eux-mêmes.
Bref, vivement un peu de politqique après le prêchi-prêcha.
dimanche, décembre 25, 2005
Les mots les plus terrifiants de la langue anglaise
"I am from the government and I am here to help you."
Du moins, c'était les mots qui terrifiaient le plus Ronald Reagan !
Dans l'esprit français actuel, tout dévoué à l'Etat maternant, ultime recours et ultime pensée, il est difficile de concevoir que de tels mots puissent terrifier ; sans même parler de partager cette terreur.
Pour ma part, je trouve le propos excessif mais assez marrant !
Du moins, c'était les mots qui terrifiaient le plus Ronald Reagan !
Dans l'esprit français actuel, tout dévoué à l'Etat maternant, ultime recours et ultime pensée, il est difficile de concevoir que de tels mots puissent terrifier ; sans même parler de partager cette terreur.
Pour ma part, je trouve le propos excessif mais assez marrant !
vendredi, décembre 23, 2005
Les Essais appliqués au pédagogisme
Ayant très vite enchaîné depuis quelques temps des lectures concernant le "pédagogisme globaliste", j'ai éprouvé le besoin de revenir au port, à savoir Les Essais. Confronté à tant de déchet intellectuel -comment baptiser autrement les calembredaines du genre "L'apprenant doit bâtir lui-même ses savoirs" ?- , j'ai eu recours à ma méthode de réconfort habituel, à savoir me plonger dans les Essais :
Je dirois volontiers, que comme les plantes s'estouffent de trop d'humeur, et les lampes de trop d'huile, aussi faict l'action de l'esprit par trop d'estude et de matiere : lequel occupé et embarassé d'une grande diversité de choses, perde le moyen de se demesler. Et que cette charge le tienne courbe et croupy [thèse fondamentale du "pédagogisme"]. Mais il en va autrement, car nostre ame s'eslargit d'autant plus qu'elle se remplit [Base de l'école "archaïque"]. Et aux exemples des vieux temps, il se voit tout au rebours, des suffisans hommes aux maniemens des choses publiques, des grands capitaines, et grands conseillers aux affaires d'estat, avoir esté ensemble tressçavans.
Montaigne vivait en un temps où l'on gavait les élèves comme les canards et s'est élevé contre (On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verseroit dans un antonnoir ; et nostre charge ce n'est que redire ce qu'on nous a dit) : il pourrait facilement servir d'argument aux pédagogistes. On pourrait trouver dans De l'institution des enfants une justification aux sorties scolaires à répétition et aux questionnaires préalables à une leçon.
Et pourtant non, les Essais ne justifie pas le "pédagogisme" car Montaigne parle d'un précepteur qui n'aurait qu'une poignée d'élèves, voire un seul. On comprend alors qu'il ait du temps à perdre en "activités d'éveil". Mais, sur deux points essentiels, Montaigne s'oppose radicalement aux "pédagogistes" :
> l'instruction n'est pas toujours un plaisir en soi, et, même, la peine a des vertus pédagogiques.
> l'autorité du maître, à qui le sadisme est cependant interdit, est absolue.
Il le faut rompre à la peine, et aspreté des exercices, pour le dresser à la peine [...] l'authorité du gouverneur, qui doit estre souveraine sur luy, s'interrompt et s'empesche par la presence des parents.
Je dirois volontiers, que comme les plantes s'estouffent de trop d'humeur, et les lampes de trop d'huile, aussi faict l'action de l'esprit par trop d'estude et de matiere : lequel occupé et embarassé d'une grande diversité de choses, perde le moyen de se demesler. Et que cette charge le tienne courbe et croupy [thèse fondamentale du "pédagogisme"]. Mais il en va autrement, car nostre ame s'eslargit d'autant plus qu'elle se remplit [Base de l'école "archaïque"]. Et aux exemples des vieux temps, il se voit tout au rebours, des suffisans hommes aux maniemens des choses publiques, des grands capitaines, et grands conseillers aux affaires d'estat, avoir esté ensemble tressçavans.
Montaigne vivait en un temps où l'on gavait les élèves comme les canards et s'est élevé contre (On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verseroit dans un antonnoir ; et nostre charge ce n'est que redire ce qu'on nous a dit) : il pourrait facilement servir d'argument aux pédagogistes. On pourrait trouver dans De l'institution des enfants une justification aux sorties scolaires à répétition et aux questionnaires préalables à une leçon.
Et pourtant non, les Essais ne justifie pas le "pédagogisme" car Montaigne parle d'un précepteur qui n'aurait qu'une poignée d'élèves, voire un seul. On comprend alors qu'il ait du temps à perdre en "activités d'éveil". Mais, sur deux points essentiels, Montaigne s'oppose radicalement aux "pédagogistes" :
> l'instruction n'est pas toujours un plaisir en soi, et, même, la peine a des vertus pédagogiques.
> l'autorité du maître, à qui le sadisme est cependant interdit, est absolue.
Il le faut rompre à la peine, et aspreté des exercices, pour le dresser à la peine [...] l'authorité du gouverneur, qui doit estre souveraine sur luy, s'interrompt et s'empesche par la presence des parents.
Taxation du travail précaire : une vraie mauvaise idée
Ce n'est même pas une fausse bonne idée. On sait que trop de protection de l'emploi tue l'emploi, c'est clair, net, prouvé. C'est pourquoi les pays scandinaves se sont convertis à la protection des personnes.
La vraie taxe qui réduirait le chomage est celle sur la démagogie des syndicalistes et des politiques.
La vraie taxe qui réduirait le chomage est celle sur la démagogie des syndicalistes et des politiques.
GDF : la machine infernale
GDF est dans une situation où ses prix de gros sont libres et augmentent ; et où ses prix de détail sont régulés. Ca ne vous rappelle rien ?
Mais si, mais c'est bien sûr ! La crise de l'électricité en Californie.
Vendez vos actions GDF si vous en avez : elles rapporteront peut-être beaucoup, mais elles sont trop risquées.
Mais si, mais c'est bien sûr ! La crise de l'électricité en Californie.
Vendez vos actions GDF si vous en avez : elles rapporteront peut-être beaucoup, mais elles sont trop risquées.
En lisant Commentaire : Le drame de l'Etat
L'article suivant est extrait d'un discours de François Bayrou. Comme d'habitude, mes commentaires entre crochets, mais je ne crois pas avoir grand'chose à ajouter. Le texte intégral se trouve dans Commentaire. Lisez Commentaire, c'est le Pommard des méninges.
LE DRAME DE L'ETAT
[...] Il y a un drame entre la France et son État. C'est l'État qui a fait la France. C'est vrai. La société française a été créée par son État. Mais, comme il arrive quelquefois entre enfants et parents, il refuse son émancipation, et, symétriquement, se voit requis de régler tous les problèmes de la nation qu'il a créée.
Une des racines du mal français est que l'on s'adresse à l'État pour résoudre les problèmes de la société à la place de la société, les problèmes des Français à la place des Français.
Et l'État se présente lui-même, dans ses principaux représentants, comme ce thaumaturge, cet omnipotent impotent, prêt à s'occuper de tout, à faire des lois sur tout.
Si l'on considère qu'il n'y a de légitimité que dans l'État, dès lors il n'y a de recours que dans l'État.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que les citoyens demandent à l'État tout ce qui leur manque, exige qu'il les garantisse de tout risque, impose l'exercice de toute solidarité, répare tout accident, exerce le monopole de préparation de l'avenir, devienne le garant de toute incertitude.
Ces derniers mois, on a demandé à l'État, par exemple, de définir la vérité historique sur l'une des périodes les plus brûlantes de notre histoire par le vote d'une loi (!) sur le statut officiel de la colonisation au XIXème et au XXème siècles. On lui demande de bien vouloir assurer le complément de la feuille de paie par la prime pour l'emploi. On fait inscrire dans la Constitution le principe de précaution. On lui demande de régir par une loi nationale le mode de remplacement des professeurs. On lui demande de garantir le gavage des oies et des canards. Il nomme par une décision hautement politique le responsable de l'opéra, et s'impose le devoir de créer par une décision unilatérale une école d'économie aussitôt joliment dénommée Paris school of economics. Et certains s'apprêtent à lui demander de former des imams pour garantir « un islam de France, et non pas un islam en France ».
Or tout cela convenait à la monarchie absolue, au Consulat ou à l'Empire, à la République jacobine, mais pas au siècle où nous sommes entrés.
Le pacte implicite qui unit les Français et leur Etat autour de l'affirmation de sa toute-puissance, de son universelle compétence, de sa totale légitimité est un mal français.
Pour deux raisons : la société contemporaine, qui se caractérise par la croissance continue de la quantité d'information disponible, par la multiplication des options disponibles, par la mobilisation de compétences et d'expériences diverses, ne peut plus se gérer par un centre de décision unique et tout-puissant.
Et, deuxième raison, parce que l'État est lui-même victime de sa complexité croissante, où il s'étouffe, et où il se perd.
J'ai été très heureux que l'on évoque pendant ce colloque la prolifération des sigles. Certains pourront y voir une anecdote, je vois pour ma part dans la croissance de ce labyrinthe un des visages de ce mal pris à la racine.
« Il faut d'urgence réunir dans une réunion au sommet autour de la table le CAS, le CAE, le COR, le CES, la DATAR. »
Le Sénat vient de publier un Petit Dictionnaire des sigles indispensables, uniquement dans la vie administrative, bien sûr. Il y en a 998 ! Pourquoi ne sont-ils pas arrivés à mille, c'est un grand mystère, ou une grande honnêteté intellectuelle.
Tout cela rend l'Etat illisible, verbeux, mais en fait dans la réalité un monopole pour initiés.
Et donc soigner cette première racine du mal français, c'est redéfinir l'État et son rôle, en se fixant comme but une société de l'autonomie.
L'État ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il faut faire naître, ou plus exactement révéler et légitimer la capacité de la société civile. Capacité à penser, à vouloir, à faire. Et légitimité à penser, à vouloir, à faire. Il faut que l'État fasse tout ce qu'il doit et la société tout ce qu'elle peut.
Pour l'autonomie de la société
Si nous avions le temps, ce serait passionnant de lire notre histoire en découvrant les éléments de la grande bataille qui s'est livrée dans les siècles de notre histoire entre le projet de toute-puissance de l'État et le projet d'autonomie de la société.
D'un côté la loi Le Chapelier en 1790 qui interdit toute forme d'organisation sociale et professionnelle, les corporations, pour laisser le citoyen solitaire en face-à-face avec l'État. De l'autre, après la guerre de 40, l'organisation de la démocratie sociale et des syndicats. Je pourrais même montrer comment le lointain édit de Nantes, et trois siècles plus tard la loi de 1905 dont nous allons fêter le centenaire, au contraire, fondent une autonomie réciproque de l'État et du monde des convictions religieuses.
Je me proposerais de montrer comment la distinction des ordres chez Pascal est une préfiguration de la séparation des pouvoirs des grands penseurs de la démocratie, comment c'est la même pensée, le même grand courant d'autonomie de l'humanité.
Et nous verrions alors apparaître une vision, un projet de société, un projet humaniste, dont il suffit de parcourir le monde en pensée pour voir combien il est non pas banal, mais rare, encore aujourd'hui. Combien il est riche et exige qu'on se batte pour lui.
Et combien il est exigeant. Oblige à des réformes profondes. Une société de l'autonomie, ce sont des règles de séparation des pouvoirs et des partenaires.
L'État soumis aux mêmes règles de justice que les autres acteurs de la société française et même que les acteurs de la société civile. Nous avons des exemples tous les jours de ce manquement, de cette absence de transparence. Nous avons des exemples tous les jours de cette inéquité, au sens propre, de ce « deux poids, deux mesures » que l'Etat impose à la société française.
Par exemple, l'État impose des règles extrêmement strictes en termes de contrat à durée déterminée à tous les employeurs français. Et il envoie ses inspecteurs du travail pour sanctionner tout manquement. Mais, pour lui-même, il se donne le droit de renouveler presque ad libitum les contrats précaires. Il y a des professeurs dans la fonction publique qui se voient renouveler un contrat précaire depuis des années.
Ce serait une révolution de dire : les mêmes règles s'appliquent à tous, aux employeurs privés comme aux employeurs publics, à l'Etat ; comme à tous les autres. On le voit, je prends l'actualité la plus récente […]
On nous dit : inutile de vouloir obtenir un jugement sur ce point, l'affaire [de la privatisation des autoroutes] est déjà jugée. Puisque le Conseil d'État s'est déjà prononcé en tant que conseil du gouvernement, ils débouteront tout citoyen qui mettrait en cause la validité de la procédure. Cette affimation réitérée, par des conseillers dans les couloirs, par des ministres à la tribune, montre tout le chemin qui reste à faire. Nous déposerons un recours au Conseil d'État pour rappeler une règle de droit simple et définitive. Un jugement ne peut être prononcé qu'au terme d'une procédure contradictoire, après avoir écouté les arguments des parties, Nul ne peut être à la fois juge et conseil des parties.
Mais l'autonomie, cela n'exige pas seulement des efforts de la part de l'État.
Car c'est une question centrale que celle de la légitimité des partenaires, de leur enracinement, de la vérification de leur mandat.
Par exemple, la question de la transparence des financements de la vie syndicale est une question centrale. Tout le monde sait, et tout le monde répète à l'envie que l'organisation de deux domaines majeurs de la vie de la nation, sa sécurité sociale et son système de formation continue, est entièrement irréformable, entièrement obérée, par le partage prononcé il y a plus d'un demi-siècle. Tout le monde dit avec un air entendu, en se poussant du coude, qu'il est fort dangereux d'aborder ces questions. Et tout le monde dit ; « vous savez bien pourquoi... »
«Vous savez bien pourquoi... », je vais le traduire en français : parce que le financement des grandes centrales syndicales, laisse-t-on entendre, et leurs emplois, comprenez leurs emplois fictifs, dépendent de leur mainmise sur les organisations qui sont censées régir les deux grands domaines en question. C'est pourquoi il ne pourra y avoir de légitimité indiscutable que quand cette question du financement de la vie syndicale aura été traitée. Il ne peut y avoir autonomie que s'il n'y a pas de soupçons, pas de doutes sur l’équilibre interne et la transparence de ces grands systèmes de représentation que sont les syndicats.
L'État ne peut pas, en un monde saisi de mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l'invention, l'ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l'autonomie. Une société de l'autonomie repose sur la séparation des pouvoirs, la légitimité de partenaires civils, leur reconnaissance, et donc la transparence.
Quant aux choix collectifs, ils ne deviennent possibles et justes que par l'exercice d'une démocratie refondée.
Le mépris pour la démocratie
Aux racines du mal français, il y a le mépris pour la démocratie. Ce mépris est un drame. Pas seulement un drame moral. Pas seulement une atteinte aux principes. Ce mépris est un drame collectif parce qu'il affecte la capacité de notre peuple à se conduire, à décider de son avenir.
Quand le peuple ne sait pas, il est incapable de vouloir. La volonté ne peut pas se former en l'absence d'information juste.
L'affaire de la dette. Sa croissance continue. Le tort fait aux Français. Je ne dis pas seulement « jeunes Français ». Bien sûr, « jeunes », mais « jeunes », c'est nous, nos enfants, nos frères. C'est nous parce qu'il est totalement illusoire de croire que les jeunes vont s'épuiser à la tâche sans exiger des générations précédentes d'en partager la charge...
C'est une idée fausse, une idée d'apparence que de croire que la charge de la dette reposera sur les générations à venir. Elle pèsera sur toutes. On ne travaille pas seulement contre l'avenir, on travaille contre les droits acquis de tous les Français et singulièrement de ceux qui se croyaient tranquilles.
Racines du mal démocratique : nous ne sommes pas en démocratie, pas en démocratie républicaine, nous sommes, sous Mitterrand comme sous Chirac, dans une sorte de monarchie élective, sans même les Parlements d'Ancien Régime.
Et cela pervertit toute notre vie publique.
En deux temps : quand le souverain est intact, c'est la cour.
Je pourrais signer chacun des mots, chacune des lignes du réquisitoire qui va suivre. Celui qui l'écrit est un indiscutable expert, non pas du sérail d'Ancien Régime, mais de tous les arcanes de la République d'aujourd'hui. La cour « a perverti la République. La précarité grandissante de l'élection a conduit nombre de politiques à privilégier la démagogie et l'immobilisme. La "curialisation" des mœurs est une réalité toujours présente, masquée par la "République des camarades". La Cour constitue un système légal, à défaut d'être légitime, qui se nourrit du pouvoir et ne peut exister qu'à sa marge. Elle se grossit de rêves misérables et impérieux, se gargarise d'un sourire, d'une parole du Prince, d'une nomination à une place prestigieuse ou lucrative, d'une décoration ou d'une invitation à dîner, comme on assistait au lever du roi ou à la toilette de Talleyrand». Est-ce un problème ou au contraire un raffinement de fin de règne que l'auteur de ces lignes ait été précisément celui qui, en expert, a tiré toutes les ficelles de ce théâtre de marionnettes, pour le compte de Jacques Chirac, ces dix dernières années, puisqu'il se nomme Dominique de Villepin...
Mais il y a pire : la monarchie, quand le souverain est atteint, par l'âge, par un accident de santé, par la perte de crédit, ce n'est plus seulement la cour, avec ses ridicules et ses bassesses, c'est la guerre de succession... La guerre absolue, à bas bruit, toutes les capacités de l'État ordonnée en un affrontement des clans, pour régler une succession qui par ailleurs n'est pas encore ouverte.
La concentration des pouvoirs, la désinvolture absolue à l'égard du Parlement érigée en règle, et théorisée, les nominations arbitraires et claniques, l'absence de vraie séparation des pouvoirs entre la vie politique et la vie économique, entre le pouvoir politique et les médias. Voyez : le Parlement ne peut débattre sur la Turquie. Les ordonnances, il n'en débat pas non plus. La privatisation des autoroutes, non plus.
On peut parler de la mise en servitude de la majorité par l'exécutif. Exemple : l'utilisation des « classes moyennes » pour faire passer le projet de budget.
Il y a plusieurs choses qu'un citoyen attaché à la démocratie ne devrait pas accepter dans ce projet de budget.
Un budget doit être sincère. Or Charles de Courson a établi, le rapporteur général UMP du budget a confirmé, qu'alors que la progresssion de la dépense a été « contenue », nous dit-on, à 1,8 %, les chiffres réels, découlant du projet de budget lui-même, dépassent les 4%!
Et une réforme fiscale doit être juste et transparente. Vous avez entendu hier, dans ce colloque, dire que la réforme fiscale est conduite pour les « classes moyennes », c'est abuser les Français. La réforme fiscale est faite pour avantager les plus hauts contributeurs à l'impôt sur le revenu et les contributeurs les plus importants à l'impôt sur la fortune qui seront dispensés de taxes locales et même dans quelques milliers de cas largement dispensés d'impôt sur le revenu.
Il peut y avoir des raisons de poser le problème de ces gros contributeurs, dont un nombre substantiel quitte la France. Et ce n'est pas un avantage pour notre pays. Mais qu'on le fasse clairement, qu'on l'assume, et qu'on ne prétende pas que ce sont les classes moyennes qui sont l'objet de la sollicitude gouvernementale.
Refonder la République en démocratie. Tout cela dépend d'une condition principale : le rétablissement des pouvoirs d'un parlement digne de ce nom et de la place qu'il tient dans les autres démocraties. Le rétablissement de la séparation des pouvoirs. Le choix d'un État impartial, pas d'un État dominé par un parti, même si c'est successivement. Cela implique, par exemple, un changement dans la pratique des nominations, dont beaucoup devraient être rendues aux communautés compétentes, et dont les autres, celles des corps de contrôle, devraient être prononcées par des majorités qualifiées après audition. Dans le domaine de la séparation des pouvoirs, étendre le CSA au-delà de l'audiovisuel au pluralisme de la presse écrite, et l'établissement de garanties d'autonomie entre les propriétaires de presse et l'État..
LE DRAME DE L'ETAT
[...] Il y a un drame entre la France et son État. C'est l'État qui a fait la France. C'est vrai. La société française a été créée par son État. Mais, comme il arrive quelquefois entre enfants et parents, il refuse son émancipation, et, symétriquement, se voit requis de régler tous les problèmes de la nation qu'il a créée.
Une des racines du mal français est que l'on s'adresse à l'État pour résoudre les problèmes de la société à la place de la société, les problèmes des Français à la place des Français.
Et l'État se présente lui-même, dans ses principaux représentants, comme ce thaumaturge, cet omnipotent impotent, prêt à s'occuper de tout, à faire des lois sur tout.
Si l'on considère qu'il n'y a de légitimité que dans l'État, dès lors il n'y a de recours que dans l'État.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que les citoyens demandent à l'État tout ce qui leur manque, exige qu'il les garantisse de tout risque, impose l'exercice de toute solidarité, répare tout accident, exerce le monopole de préparation de l'avenir, devienne le garant de toute incertitude.
Ces derniers mois, on a demandé à l'État, par exemple, de définir la vérité historique sur l'une des périodes les plus brûlantes de notre histoire par le vote d'une loi (!) sur le statut officiel de la colonisation au XIXème et au XXème siècles. On lui demande de bien vouloir assurer le complément de la feuille de paie par la prime pour l'emploi. On fait inscrire dans la Constitution le principe de précaution. On lui demande de régir par une loi nationale le mode de remplacement des professeurs. On lui demande de garantir le gavage des oies et des canards. Il nomme par une décision hautement politique le responsable de l'opéra, et s'impose le devoir de créer par une décision unilatérale une école d'économie aussitôt joliment dénommée Paris school of economics. Et certains s'apprêtent à lui demander de former des imams pour garantir « un islam de France, et non pas un islam en France ».
Or tout cela convenait à la monarchie absolue, au Consulat ou à l'Empire, à la République jacobine, mais pas au siècle où nous sommes entrés.
Le pacte implicite qui unit les Français et leur Etat autour de l'affirmation de sa toute-puissance, de son universelle compétence, de sa totale légitimité est un mal français.
Pour deux raisons : la société contemporaine, qui se caractérise par la croissance continue de la quantité d'information disponible, par la multiplication des options disponibles, par la mobilisation de compétences et d'expériences diverses, ne peut plus se gérer par un centre de décision unique et tout-puissant.
Et, deuxième raison, parce que l'État est lui-même victime de sa complexité croissante, où il s'étouffe, et où il se perd.
J'ai été très heureux que l'on évoque pendant ce colloque la prolifération des sigles. Certains pourront y voir une anecdote, je vois pour ma part dans la croissance de ce labyrinthe un des visages de ce mal pris à la racine.
« Il faut d'urgence réunir dans une réunion au sommet autour de la table le CAS, le CAE, le COR, le CES, la DATAR. »
Le Sénat vient de publier un Petit Dictionnaire des sigles indispensables, uniquement dans la vie administrative, bien sûr. Il y en a 998 ! Pourquoi ne sont-ils pas arrivés à mille, c'est un grand mystère, ou une grande honnêteté intellectuelle.
Tout cela rend l'Etat illisible, verbeux, mais en fait dans la réalité un monopole pour initiés.
Et donc soigner cette première racine du mal français, c'est redéfinir l'État et son rôle, en se fixant comme but une société de l'autonomie.
L'État ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il faut faire naître, ou plus exactement révéler et légitimer la capacité de la société civile. Capacité à penser, à vouloir, à faire. Et légitimité à penser, à vouloir, à faire. Il faut que l'État fasse tout ce qu'il doit et la société tout ce qu'elle peut.
Pour l'autonomie de la société
Si nous avions le temps, ce serait passionnant de lire notre histoire en découvrant les éléments de la grande bataille qui s'est livrée dans les siècles de notre histoire entre le projet de toute-puissance de l'État et le projet d'autonomie de la société.
D'un côté la loi Le Chapelier en 1790 qui interdit toute forme d'organisation sociale et professionnelle, les corporations, pour laisser le citoyen solitaire en face-à-face avec l'État. De l'autre, après la guerre de 40, l'organisation de la démocratie sociale et des syndicats. Je pourrais même montrer comment le lointain édit de Nantes, et trois siècles plus tard la loi de 1905 dont nous allons fêter le centenaire, au contraire, fondent une autonomie réciproque de l'État et du monde des convictions religieuses.
Je me proposerais de montrer comment la distinction des ordres chez Pascal est une préfiguration de la séparation des pouvoirs des grands penseurs de la démocratie, comment c'est la même pensée, le même grand courant d'autonomie de l'humanité.
Et nous verrions alors apparaître une vision, un projet de société, un projet humaniste, dont il suffit de parcourir le monde en pensée pour voir combien il est non pas banal, mais rare, encore aujourd'hui. Combien il est riche et exige qu'on se batte pour lui.
Et combien il est exigeant. Oblige à des réformes profondes. Une société de l'autonomie, ce sont des règles de séparation des pouvoirs et des partenaires.
L'État soumis aux mêmes règles de justice que les autres acteurs de la société française et même que les acteurs de la société civile. Nous avons des exemples tous les jours de ce manquement, de cette absence de transparence. Nous avons des exemples tous les jours de cette inéquité, au sens propre, de ce « deux poids, deux mesures » que l'Etat impose à la société française.
Par exemple, l'État impose des règles extrêmement strictes en termes de contrat à durée déterminée à tous les employeurs français. Et il envoie ses inspecteurs du travail pour sanctionner tout manquement. Mais, pour lui-même, il se donne le droit de renouveler presque ad libitum les contrats précaires. Il y a des professeurs dans la fonction publique qui se voient renouveler un contrat précaire depuis des années.
Ce serait une révolution de dire : les mêmes règles s'appliquent à tous, aux employeurs privés comme aux employeurs publics, à l'Etat ; comme à tous les autres. On le voit, je prends l'actualité la plus récente […]
On nous dit : inutile de vouloir obtenir un jugement sur ce point, l'affaire [de la privatisation des autoroutes] est déjà jugée. Puisque le Conseil d'État s'est déjà prononcé en tant que conseil du gouvernement, ils débouteront tout citoyen qui mettrait en cause la validité de la procédure. Cette affimation réitérée, par des conseillers dans les couloirs, par des ministres à la tribune, montre tout le chemin qui reste à faire. Nous déposerons un recours au Conseil d'État pour rappeler une règle de droit simple et définitive. Un jugement ne peut être prononcé qu'au terme d'une procédure contradictoire, après avoir écouté les arguments des parties, Nul ne peut être à la fois juge et conseil des parties.
Mais l'autonomie, cela n'exige pas seulement des efforts de la part de l'État.
Car c'est une question centrale que celle de la légitimité des partenaires, de leur enracinement, de la vérification de leur mandat.
Par exemple, la question de la transparence des financements de la vie syndicale est une question centrale. Tout le monde sait, et tout le monde répète à l'envie que l'organisation de deux domaines majeurs de la vie de la nation, sa sécurité sociale et son système de formation continue, est entièrement irréformable, entièrement obérée, par le partage prononcé il y a plus d'un demi-siècle. Tout le monde dit avec un air entendu, en se poussant du coude, qu'il est fort dangereux d'aborder ces questions. Et tout le monde dit ; « vous savez bien pourquoi... »
«Vous savez bien pourquoi... », je vais le traduire en français : parce que le financement des grandes centrales syndicales, laisse-t-on entendre, et leurs emplois, comprenez leurs emplois fictifs, dépendent de leur mainmise sur les organisations qui sont censées régir les deux grands domaines en question. C'est pourquoi il ne pourra y avoir de légitimité indiscutable que quand cette question du financement de la vie syndicale aura été traitée. Il ne peut y avoir autonomie que s'il n'y a pas de soupçons, pas de doutes sur l’équilibre interne et la transparence de ces grands systèmes de représentation que sont les syndicats.
L'État ne peut pas, en un monde saisi de mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l'invention, l'ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l'autonomie. Une société de l'autonomie repose sur la séparation des pouvoirs, la légitimité de partenaires civils, leur reconnaissance, et donc la transparence.
Quant aux choix collectifs, ils ne deviennent possibles et justes que par l'exercice d'une démocratie refondée.
Le mépris pour la démocratie
Aux racines du mal français, il y a le mépris pour la démocratie. Ce mépris est un drame. Pas seulement un drame moral. Pas seulement une atteinte aux principes. Ce mépris est un drame collectif parce qu'il affecte la capacité de notre peuple à se conduire, à décider de son avenir.
Quand le peuple ne sait pas, il est incapable de vouloir. La volonté ne peut pas se former en l'absence d'information juste.
L'affaire de la dette. Sa croissance continue. Le tort fait aux Français. Je ne dis pas seulement « jeunes Français ». Bien sûr, « jeunes », mais « jeunes », c'est nous, nos enfants, nos frères. C'est nous parce qu'il est totalement illusoire de croire que les jeunes vont s'épuiser à la tâche sans exiger des générations précédentes d'en partager la charge...
C'est une idée fausse, une idée d'apparence que de croire que la charge de la dette reposera sur les générations à venir. Elle pèsera sur toutes. On ne travaille pas seulement contre l'avenir, on travaille contre les droits acquis de tous les Français et singulièrement de ceux qui se croyaient tranquilles.
Racines du mal démocratique : nous ne sommes pas en démocratie, pas en démocratie républicaine, nous sommes, sous Mitterrand comme sous Chirac, dans une sorte de monarchie élective, sans même les Parlements d'Ancien Régime.
Et cela pervertit toute notre vie publique.
En deux temps : quand le souverain est intact, c'est la cour.
Je pourrais signer chacun des mots, chacune des lignes du réquisitoire qui va suivre. Celui qui l'écrit est un indiscutable expert, non pas du sérail d'Ancien Régime, mais de tous les arcanes de la République d'aujourd'hui. La cour « a perverti la République. La précarité grandissante de l'élection a conduit nombre de politiques à privilégier la démagogie et l'immobilisme. La "curialisation" des mœurs est une réalité toujours présente, masquée par la "République des camarades". La Cour constitue un système légal, à défaut d'être légitime, qui se nourrit du pouvoir et ne peut exister qu'à sa marge. Elle se grossit de rêves misérables et impérieux, se gargarise d'un sourire, d'une parole du Prince, d'une nomination à une place prestigieuse ou lucrative, d'une décoration ou d'une invitation à dîner, comme on assistait au lever du roi ou à la toilette de Talleyrand». Est-ce un problème ou au contraire un raffinement de fin de règne que l'auteur de ces lignes ait été précisément celui qui, en expert, a tiré toutes les ficelles de ce théâtre de marionnettes, pour le compte de Jacques Chirac, ces dix dernières années, puisqu'il se nomme Dominique de Villepin...
Mais il y a pire : la monarchie, quand le souverain est atteint, par l'âge, par un accident de santé, par la perte de crédit, ce n'est plus seulement la cour, avec ses ridicules et ses bassesses, c'est la guerre de succession... La guerre absolue, à bas bruit, toutes les capacités de l'État ordonnée en un affrontement des clans, pour régler une succession qui par ailleurs n'est pas encore ouverte.
La concentration des pouvoirs, la désinvolture absolue à l'égard du Parlement érigée en règle, et théorisée, les nominations arbitraires et claniques, l'absence de vraie séparation des pouvoirs entre la vie politique et la vie économique, entre le pouvoir politique et les médias. Voyez : le Parlement ne peut débattre sur la Turquie. Les ordonnances, il n'en débat pas non plus. La privatisation des autoroutes, non plus.
On peut parler de la mise en servitude de la majorité par l'exécutif. Exemple : l'utilisation des « classes moyennes » pour faire passer le projet de budget.
Il y a plusieurs choses qu'un citoyen attaché à la démocratie ne devrait pas accepter dans ce projet de budget.
Un budget doit être sincère. Or Charles de Courson a établi, le rapporteur général UMP du budget a confirmé, qu'alors que la progresssion de la dépense a été « contenue », nous dit-on, à 1,8 %, les chiffres réels, découlant du projet de budget lui-même, dépassent les 4%!
Et une réforme fiscale doit être juste et transparente. Vous avez entendu hier, dans ce colloque, dire que la réforme fiscale est conduite pour les « classes moyennes », c'est abuser les Français. La réforme fiscale est faite pour avantager les plus hauts contributeurs à l'impôt sur le revenu et les contributeurs les plus importants à l'impôt sur la fortune qui seront dispensés de taxes locales et même dans quelques milliers de cas largement dispensés d'impôt sur le revenu.
Il peut y avoir des raisons de poser le problème de ces gros contributeurs, dont un nombre substantiel quitte la France. Et ce n'est pas un avantage pour notre pays. Mais qu'on le fasse clairement, qu'on l'assume, et qu'on ne prétende pas que ce sont les classes moyennes qui sont l'objet de la sollicitude gouvernementale.
Refonder la République en démocratie. Tout cela dépend d'une condition principale : le rétablissement des pouvoirs d'un parlement digne de ce nom et de la place qu'il tient dans les autres démocraties. Le rétablissement de la séparation des pouvoirs. Le choix d'un État impartial, pas d'un État dominé par un parti, même si c'est successivement. Cela implique, par exemple, un changement dans la pratique des nominations, dont beaucoup devraient être rendues aux communautés compétentes, et dont les autres, celles des corps de contrôle, devraient être prononcées par des majorités qualifiées après audition. Dans le domaine de la séparation des pouvoirs, étendre le CSA au-delà de l'audiovisuel au pluralisme de la presse écrite, et l'établissement de garanties d'autonomie entre les propriétaires de presse et l'État..
C'est pour un sondage : Je suis partout
Un petit rigolo (si, si, tu es un rigolo) m'a dit que sur mon blog, j'employais, notamment à prpos du communisme, des arguments dignes de Je suis partout. Est ce votre avis ?
Ca cartonne (Sarko dans Libé)
Je suis particulièrement en accord avec les phrases suivantes :
On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
[...]
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes [allusion à la baisse des ventes de Libé ?] que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
[...]
Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Je remarque que ces propos sont cohérents avec toutes les études sociologiques sur les électeurs du FN (souvent faites par des gens de gauche) qui montrent qu'ils ont le sentiment que personne ne s'intéresse à leurs problèmes.
Je considère qu'il y a d'excellents arguments contre Le Pen, qui est au moins aussi déphasé qu'un Besancenot, mais que sauter comme un cabri en gueulant "Fascistes ! Fascistes ! Fascistes !", ce n'est pas un argument mais une imbécillité.
Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et président de l'UMP :
«Je connais mieux ce qui se passe en banlieue que Thuram»
Par Thomas LEBEGUE et Dominique SIMONNOT et Patricia TOURANCHEAU
vendredi 23 décembre 2005
Au terme d'une année mouvementée qui le voit caricaturé en Le Pen sur les murs de Paris, Nicolas Sarkozy s'explique dans Libération. Entretien musclé.
Que pensez-vous de l'affiche d'Act Up sur les murs de Paris qui reproduit une photo de vous avec le slogan «Votez Le Pen» ?
Cette affiche est directement inspirée des méthodes du Front national. Cela porte un nom : l'amalgame. On ne dénonce pas l'extrémisme en étant soi-même extrémiste et en cédant à la pratique systématique de l'amalgame. Voilà ce que je dis aux dirigeants d'Act Up.
Donc l'extrémiste, c'est vous ?
Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je ne pense pas que l'on ait le droit de s'opposer avec des méthodes pareilles. Pour ma part, je ne me mets pas dans le camp des extrêmes. Jamais personne ne m'y a mis, d'ailleurs.
Est-ce que vous n'avez pas parfois honte de votre manière de réagir aux événements sans aucun recul, et parfois sans beaucoup de réflexion ?
Est-ce une question ou une déclaration militante ? Venant d'un journal dont le manque de recul est une caractéristique, je pourrais prendre votre question comme un hommage ! Pour le reste, je suis un républicain scrupuleux, sans doute moins sectaire que vous.
Vous êtes ministre, pas journaliste...
Le fait d'être ministre ne vous disqualifie pas en tant qu'être humain. Comment pouvez-vous dire une chose aussi outrancière ? Alors que j'ai été le ministre de l'Intérieur qui a connu vingt-cinq nuits d'émeutes et que, à la différence de tous les pays qui ont connu ça, il n'y a eu ni morts ni blessés graves. Et que tout le monde, y compris votre journal, a noté la maîtrise des forces de l'ordre. Je ne crois pas qu'on puisse croire que les forces de l'ordre aient pu être maîtrisées par un ministre qui ne serait pas maître de lui-même. Il y aurait contradiction. Depuis quatre ans, j'ai porté des débats qui, dans nombre de cas, étaient en opposition frontale avec les thèses du Front national. Le FN, par exemple, se bat sur le thème de l'immigration zéro. Je n'ai jamais défendu cette thèse. J'ai défendu les quotas d'immigrés, c'est-à-dire une immigration positive. Je suis l'homme politique en France qui s'est le plus battu pour la discrimination positive. C'est une idée nouvelle qui est exactement le contraire de l'idéologie véhiculée non seulement par l'extrême droite, mais aussi par une partie de la droite. Troisièmement, j'ai écrit dès 2001, dans mon livre Libre, que j'étais favorable au vote des étrangers aux municipales. Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen soit d'accord pour donner le droit de vote aux immigrés. Quatrième élément : j'ai été celui qui a porté la question de l'islam en France. J'ai dit que l'islam était une grande religion de France, qu'elle devait être représentée dans le cadre des institutions de la République, et que, si les musulmans pratiquants n'étaient pas au-dessus des lois, ils n'étaient pas non plus au-dessous. J'ai d'ailleurs été attaqué violemment sur ce sujet par Villiers et Le Pen. Cinquième élément: je suis le ministre de l'Intérieur qui a fait voter la suppression de la double peine à l'unanimité. Sixième élément : pour les lycéens dont les parents n'ont pas de papiers, j'ai pris la décision lourde d'arrêter les expulsions durant l'année scolaire ; sur toutes ces questions, j'ai exprimé un diagnostic et une vision de notre société. Et vous osez dire que je devrais avoir honte ? C'est vous qui devriez avoir honte de poser une question aussi contraire à l'objectivité la plus élémentaire.
Tout cela, personne ne vous le conteste. Mais quand vous parlez de «racaille» en vous rendant à Argenteuil, n'est-ce pas une réaction qui manque de recul ?
L'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann a démontré les choses. Quand j'arrive à Argenteuil, c'est une personne qui me dit depuis le premier étage, une personne maghrébine par ailleurs : «M. Sarkozy, débarrassez-nous de ces racailles, on n'en peut plus, on a peur.» Et je réponds : «Oui, madame, faites-moi confiance, on va vous débarrasser de ces racailles», visant les gens qui lançaient des tessons de bouteille et autres projectiles. Je ne vois rien qui soit si peu que ce soit antirépublicain dans ce que j'ai fait durant ces trois semaines de violences, ni durant mes trente ans de vie politique.
Vous parlez de la pratique de l'amalgame par les extrêmes. Justement, beaucoup de gens ont eu l'impression que la réponse du gouvernement à la crise des banlieues s'est faite sur la stigmatisation des étrangers. Durcissement des règles du regroupement familial, des mariages mixtes, du droit d'asile, dénonciation de la polygamie.
Cela ne relève-t-il pas aussi de l'amalgame ?
Ce dont vous parlez, ce sont des déclarations qui, en ce qui me concerne, ont été faites bien avant les événements de banlieue. En aucun cas après. Je n'ai par ailleurs jamais parlé de la polygamie dans le cadre de ces événements. Je ne suis pas de ceux qui font le moindre amalgame entre les étrangers et les émeutes. Sur la question de l'expulsion des étrangers pris en flagrant délit de violences urbaines, ce n'est pas moi qui ai inventé la loi qui le permet. Et mon devoir c'est d'appliquer la loi.
Sur l'expulsion des étrangers, justement, est-ce que vous ne remettez pas en selle la double peine ?
Au contraire. J'ai fait voter la suppression de la double peine : 700 étrangers y ont échappé depuis. En l'occurrence, ce ne serait pas la double peine, mais ce serait la peine unique ! Soyons précis. Mais pourquoi ai-je évoqué à l'Assemblée nationale ma volonté d'appliquer la loi ? C'était pour mettre en garde les ressortissants étrangers contre une participation aux émeutes.
Sachant que très peu d'étrangers sont finalement concernés par cette menace, sur des centaines de personnes ayant participé à ces violences, n'est-ce pas une pratique de l'amalgame ?
Quand j'ai dit que je demanderais l'expulsion des imams qui font des prêches violents depuis le 1er janvier, on en a expulsé 21 ou 22 , cela ne veut pas dire que tous les imams font des prêches violents. De la même façon que le mot «racaille» ne visait pas tous les habitants de banlieue, mais seulement les voyous. Quand on a fait des sondages pour voir comment les habitants des banlieues avaient perçu ma manière de gérer la crise, ils pensaient exactement la même chose que moi. On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
On ne vous interdit pas de parler, vous avez sans arrêt la parole...
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
Et ne faites-vous pas un amalgame quand vous annoncez, dès le début des événements en banlieue, qu'il s'agit de bandes qui manipulent, alors que par la suite le rapport des RG va dire le contraire ?
Je confirme les chiffres : 70 % des gens qui ont été arrêtés avaient un passé délictuel. La preuve : comment voulez-vous qu'il y ait eu 800 condamnations à de la prison ferme s'il s'était agi de primodélinquants ? Les deux tiers des émeutiers étaient des multiréitérants (connus de la police, ndlr)[je vous ai déjà signalé cette subtilité de vocabulaire dans mon blog il y a deux semaines]. La preuve, c'est qu'on ne va pas en prison quand on incendie une voiture pour la première fois ou qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre.
Les chiffres de la justice disent le contraire...
Les deux tiers des personnes interpellées étaient connues des services de police. Ce n'est pas parce qu'une personne n'est pas condamnée qu'elle n'a pas commis d'infraction.
Le Pen vous décerne des brevets de bonne pratique, et Lilian Thuram déclare : «Le discours de Sarkozy est dangereux, car il réveille le racisme latent qui sommeille chez les gens.» Cela ne vous trouble pas ?
Arrêtez de citer Le Pen comme référence unique. Et vous, vous n'êtes pas troublés d'avoir dénoncé pendant vingt-cinq ans une réalité que vous n'avez cessé d'exalter et d'exciter ?
Vous parlez de Lilian Thuram ?
Non, de vous, Libération ! Quant à Thuram, je le plains de pouvoir être si caricatural. C'est un grand footballeur, ce n'est pas encore un maître à penser... Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Donc, vous pensez être un rempart essentiel contre la montée du FN ?
Exactement. Quant à monsieur Thuram, s'il pensait que j'étais si proche du FN, il ne serait pas venu discuter avec moi pendant une heure.
A sa sortie, il a quand même déclaré que votre discours réveillait le racisme latent qui sommeille chez les gens.
Monsieur Thuram, ça fait bien longtemps qu'il n'a pas été dans les banlieues. Il vit en Italie, avec un salaire qui le regarde. Permettez-moi de vous dire que je considère que je connais un peu mieux ce qui se passe dans les banlieues françaises que Lilian Thuram, qui a certainement une vision nostalgique de ce qui se passait dans les banlieues à l'époque où il s'y trouvait.
Vous dites la même chose de Jamel Debbouze ou de Joey Starr, ces stars issues de l'immigration qui invitent aujourd'hui les jeunes à voter en 2007 ?
Je ne peux que me réjouir qu'ils appellent les jeunes à voter, car voter c'est participer à la vie de notre pays. Je suis moi-même allé plus de 40 fois dans les quartiers difficiles en tant que ministre de l'Intérieur, justement pour faire en sorte que ces quartiers soient mieux intégrés à la vie de notre pays. Mais je ne reconnais aucun titre à Joey Starr, compte tenu de son passé, ni à Jamel Debbouze de me donner des leçons de droits de l'homme ou de respect des autres. Nous pouvons comparer nos bilans.
Vous pouvez donc nous annoncer que le score de Le Pen sera en très nette baisse en 2007 ?
Je ne sais pas, je ne lis pas dans le marc de café. Ce que je peux dire, c'est que, sur les dix élections législatives partielles et les quelque 200 cantonales partielles, le FN a perdu en moyenne entre 30 et 40 % de ses suffrages.
Que répondez-vous à l'évêque d'Arras qui se plaint des poursuites contre les associations qui aident les migrants à Sangatte ?
Ecoutez, dans le Calaisis, il y avait 3 000 personnes dans un hangar. Peu de ministres sont allés autant que moi dans le Calaisis. On ne peut pas dire que je ne m'en suis pas occupé. J'ai fermé Sangatte, j'ai divisé par dix le nombre de migrants, j'ai multiplié par deux le nombre de places dans les centres d'hébergement. N'oubliez pas que les migrants du Calaisis ne souhaitent pas rester chez nous. Ils ne demandent pas l'asile. Ils veulent aller au Royaume-Uni. C'est vrai que j'ai aussi augmenté le nombre de places de rétention pour les reconduire dans leur pays.
Quelle horreur ! Et que pensez-vous des déclarations du commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à propos du dépôt des étrangers de Paris : «De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n'ai vu un centre pire que celui-là» ?
Je l'ai reçu.
Mais qu'avez-vous fait pour le centre ?
Des travaux de construction d'un nouveau centre sont engagés. L'actuel sera fermé avant l'été.
Vous n'avez pas sanctionné les propos homophobes du député UMP Christian Vanneste. Est-ce une position tolérée au sein de votre parti ?
Ces propos, je les ai dénoncés fermement en conférence de presse. J'ai trente ans de vie politique derrière moi. On ne peut me reprocher aucune déclaration qui ne soit pas conforme aux valeurs de la République. C'est moi le premier qui ai regretté l'attitude de la droite face au Pacs et qui ai fait voter un statut fiscal pour les pacsés.
Mais ce député, comme un autre qui a proposé de déchoir les émeutiers de leur nationalité, reste dans votre parti...
Oui, bien sûr, et alors ? A l'UMP, c'est comme à Libération, il n'y a pas de ligne obligatoire.
Donc, il n'y a pas de ligne à l'UMP ?
Il y a une ligne à l'UMP pour les principaux sujets. Pour le reste, je peux défendre le droit de vote pour les immigrés sans être majoritaire. C'est même ce que Libération avait retenu en titrant : «Sarkozy giflé par les siens».
Vous n'êtes toujours pas favorable à ce qu'on revienne sur la loi qui demande aux manuels scolaires de reconnaître le «rôle positif» de la colonisation ?
Je suis favorable à ce qu'on trouve une solution pour sortir de cette crise, car l'émotion créée dans les départements d'outre-mer est réelle. Je ne suis pas pour autant favorable à un exercice de repentance systématique. Je crois qu'il faut expliquer que l'article 4 ne s'adressait pas aux départements d'outre-mer, au sens où on les entend aujourd'hui, mais s'adressait à la France d'outre-mer (l'ensemble de l'ancien empire colonial, ndlr). Une nouvelle rédaction pourrait lever les malentendus sur ce point. Nous pouvons par ailleurs être fiers qu'en 2001 l'Assemblée nationale ait qualifié l'esclavage de crime contre l'humanité. Quant à la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage, j'ai eu l'occasion d'évoquer celle du 10 mai. D'autres pensent que celle du 23 mai pourrait aussi être envisagée. Le débat est ouvert. Je suis attentif et prêt à me rallier à la date qui fera le plus consensus.
Vous ne craignez pas d'avoir les jeunes contre vous en 2007 ?
Les jeunes ont deux aspirations : trouver un travail et réussir leur vie. Ils veulent que la France change à l'unisson du monde qui bouge. Je veux porter une énergie nouvelle au service de ce changement. Nombreux sont les jeunes qui l'ont compris et nous rejoignent. Si j'en juge par l'accueil qu'ils ont réservé aux stars du show biz, ils ne sont pas décidés à être récupérés. Ils veulent qu'on les respecte. C'est très exactement ce que je veux faire.
Vous pensez comme Eric Raoult que Clichy-sous-Bois «fait honte à notre pays» ?
Non.
Votre image s'est droitisée alors qu'un candidat à la présidentielle doit rassembler. Cela vous rend pessimiste pour la suite ?
Je ne vois ni dérive, ni droitisation, mais des Français de droite comme de gauche qui veulent que les valeurs du travail, du respect, de l'autorité, de la justice et de l'humanité soient davantage mises en avant. Ce sont les valeurs que je défends. Elles sont celles de tous les Français.
© Libération
On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
[...]
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes [allusion à la baisse des ventes de Libé ?] que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
[...]
Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Je remarque que ces propos sont cohérents avec toutes les études sociologiques sur les électeurs du FN (souvent faites par des gens de gauche) qui montrent qu'ils ont le sentiment que personne ne s'intéresse à leurs problèmes.
Je considère qu'il y a d'excellents arguments contre Le Pen, qui est au moins aussi déphasé qu'un Besancenot, mais que sauter comme un cabri en gueulant "Fascistes ! Fascistes ! Fascistes !", ce n'est pas un argument mais une imbécillité.
Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et président de l'UMP :
«Je connais mieux ce qui se passe en banlieue que Thuram»
Par Thomas LEBEGUE et Dominique SIMONNOT et Patricia TOURANCHEAU
vendredi 23 décembre 2005
Au terme d'une année mouvementée qui le voit caricaturé en Le Pen sur les murs de Paris, Nicolas Sarkozy s'explique dans Libération. Entretien musclé.
Que pensez-vous de l'affiche d'Act Up sur les murs de Paris qui reproduit une photo de vous avec le slogan «Votez Le Pen» ?
Cette affiche est directement inspirée des méthodes du Front national. Cela porte un nom : l'amalgame. On ne dénonce pas l'extrémisme en étant soi-même extrémiste et en cédant à la pratique systématique de l'amalgame. Voilà ce que je dis aux dirigeants d'Act Up.
Donc l'extrémiste, c'est vous ?
Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je ne pense pas que l'on ait le droit de s'opposer avec des méthodes pareilles. Pour ma part, je ne me mets pas dans le camp des extrêmes. Jamais personne ne m'y a mis, d'ailleurs.
Est-ce que vous n'avez pas parfois honte de votre manière de réagir aux événements sans aucun recul, et parfois sans beaucoup de réflexion ?
Est-ce une question ou une déclaration militante ? Venant d'un journal dont le manque de recul est une caractéristique, je pourrais prendre votre question comme un hommage ! Pour le reste, je suis un républicain scrupuleux, sans doute moins sectaire que vous.
Vous êtes ministre, pas journaliste...
Le fait d'être ministre ne vous disqualifie pas en tant qu'être humain. Comment pouvez-vous dire une chose aussi outrancière ? Alors que j'ai été le ministre de l'Intérieur qui a connu vingt-cinq nuits d'émeutes et que, à la différence de tous les pays qui ont connu ça, il n'y a eu ni morts ni blessés graves. Et que tout le monde, y compris votre journal, a noté la maîtrise des forces de l'ordre. Je ne crois pas qu'on puisse croire que les forces de l'ordre aient pu être maîtrisées par un ministre qui ne serait pas maître de lui-même. Il y aurait contradiction. Depuis quatre ans, j'ai porté des débats qui, dans nombre de cas, étaient en opposition frontale avec les thèses du Front national. Le FN, par exemple, se bat sur le thème de l'immigration zéro. Je n'ai jamais défendu cette thèse. J'ai défendu les quotas d'immigrés, c'est-à-dire une immigration positive. Je suis l'homme politique en France qui s'est le plus battu pour la discrimination positive. C'est une idée nouvelle qui est exactement le contraire de l'idéologie véhiculée non seulement par l'extrême droite, mais aussi par une partie de la droite. Troisièmement, j'ai écrit dès 2001, dans mon livre Libre, que j'étais favorable au vote des étrangers aux municipales. Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen soit d'accord pour donner le droit de vote aux immigrés. Quatrième élément : j'ai été celui qui a porté la question de l'islam en France. J'ai dit que l'islam était une grande religion de France, qu'elle devait être représentée dans le cadre des institutions de la République, et que, si les musulmans pratiquants n'étaient pas au-dessus des lois, ils n'étaient pas non plus au-dessous. J'ai d'ailleurs été attaqué violemment sur ce sujet par Villiers et Le Pen. Cinquième élément: je suis le ministre de l'Intérieur qui a fait voter la suppression de la double peine à l'unanimité. Sixième élément : pour les lycéens dont les parents n'ont pas de papiers, j'ai pris la décision lourde d'arrêter les expulsions durant l'année scolaire ; sur toutes ces questions, j'ai exprimé un diagnostic et une vision de notre société. Et vous osez dire que je devrais avoir honte ? C'est vous qui devriez avoir honte de poser une question aussi contraire à l'objectivité la plus élémentaire.
Tout cela, personne ne vous le conteste. Mais quand vous parlez de «racaille» en vous rendant à Argenteuil, n'est-ce pas une réaction qui manque de recul ?
L'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann a démontré les choses. Quand j'arrive à Argenteuil, c'est une personne qui me dit depuis le premier étage, une personne maghrébine par ailleurs : «M. Sarkozy, débarrassez-nous de ces racailles, on n'en peut plus, on a peur.» Et je réponds : «Oui, madame, faites-moi confiance, on va vous débarrasser de ces racailles», visant les gens qui lançaient des tessons de bouteille et autres projectiles. Je ne vois rien qui soit si peu que ce soit antirépublicain dans ce que j'ai fait durant ces trois semaines de violences, ni durant mes trente ans de vie politique.
Vous parlez de la pratique de l'amalgame par les extrêmes. Justement, beaucoup de gens ont eu l'impression que la réponse du gouvernement à la crise des banlieues s'est faite sur la stigmatisation des étrangers. Durcissement des règles du regroupement familial, des mariages mixtes, du droit d'asile, dénonciation de la polygamie.
Cela ne relève-t-il pas aussi de l'amalgame ?
Ce dont vous parlez, ce sont des déclarations qui, en ce qui me concerne, ont été faites bien avant les événements de banlieue. En aucun cas après. Je n'ai par ailleurs jamais parlé de la polygamie dans le cadre de ces événements. Je ne suis pas de ceux qui font le moindre amalgame entre les étrangers et les émeutes. Sur la question de l'expulsion des étrangers pris en flagrant délit de violences urbaines, ce n'est pas moi qui ai inventé la loi qui le permet. Et mon devoir c'est d'appliquer la loi.
Sur l'expulsion des étrangers, justement, est-ce que vous ne remettez pas en selle la double peine ?
Au contraire. J'ai fait voter la suppression de la double peine : 700 étrangers y ont échappé depuis. En l'occurrence, ce ne serait pas la double peine, mais ce serait la peine unique ! Soyons précis. Mais pourquoi ai-je évoqué à l'Assemblée nationale ma volonté d'appliquer la loi ? C'était pour mettre en garde les ressortissants étrangers contre une participation aux émeutes.
Sachant que très peu d'étrangers sont finalement concernés par cette menace, sur des centaines de personnes ayant participé à ces violences, n'est-ce pas une pratique de l'amalgame ?
Quand j'ai dit que je demanderais l'expulsion des imams qui font des prêches violents depuis le 1er janvier, on en a expulsé 21 ou 22 , cela ne veut pas dire que tous les imams font des prêches violents. De la même façon que le mot «racaille» ne visait pas tous les habitants de banlieue, mais seulement les voyous. Quand on a fait des sondages pour voir comment les habitants des banlieues avaient perçu ma manière de gérer la crise, ils pensaient exactement la même chose que moi. On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
On ne vous interdit pas de parler, vous avez sans arrêt la parole...
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
Et ne faites-vous pas un amalgame quand vous annoncez, dès le début des événements en banlieue, qu'il s'agit de bandes qui manipulent, alors que par la suite le rapport des RG va dire le contraire ?
Je confirme les chiffres : 70 % des gens qui ont été arrêtés avaient un passé délictuel. La preuve : comment voulez-vous qu'il y ait eu 800 condamnations à de la prison ferme s'il s'était agi de primodélinquants ? Les deux tiers des émeutiers étaient des multiréitérants (connus de la police, ndlr)[je vous ai déjà signalé cette subtilité de vocabulaire dans mon blog il y a deux semaines]. La preuve, c'est qu'on ne va pas en prison quand on incendie une voiture pour la première fois ou qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre.
Les chiffres de la justice disent le contraire...
Les deux tiers des personnes interpellées étaient connues des services de police. Ce n'est pas parce qu'une personne n'est pas condamnée qu'elle n'a pas commis d'infraction.
Le Pen vous décerne des brevets de bonne pratique, et Lilian Thuram déclare : «Le discours de Sarkozy est dangereux, car il réveille le racisme latent qui sommeille chez les gens.» Cela ne vous trouble pas ?
Arrêtez de citer Le Pen comme référence unique. Et vous, vous n'êtes pas troublés d'avoir dénoncé pendant vingt-cinq ans une réalité que vous n'avez cessé d'exalter et d'exciter ?
Vous parlez de Lilian Thuram ?
Non, de vous, Libération ! Quant à Thuram, je le plains de pouvoir être si caricatural. C'est un grand footballeur, ce n'est pas encore un maître à penser... Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Donc, vous pensez être un rempart essentiel contre la montée du FN ?
Exactement. Quant à monsieur Thuram, s'il pensait que j'étais si proche du FN, il ne serait pas venu discuter avec moi pendant une heure.
A sa sortie, il a quand même déclaré que votre discours réveillait le racisme latent qui sommeille chez les gens.
Monsieur Thuram, ça fait bien longtemps qu'il n'a pas été dans les banlieues. Il vit en Italie, avec un salaire qui le regarde. Permettez-moi de vous dire que je considère que je connais un peu mieux ce qui se passe dans les banlieues françaises que Lilian Thuram, qui a certainement une vision nostalgique de ce qui se passait dans les banlieues à l'époque où il s'y trouvait.
Vous dites la même chose de Jamel Debbouze ou de Joey Starr, ces stars issues de l'immigration qui invitent aujourd'hui les jeunes à voter en 2007 ?
Je ne peux que me réjouir qu'ils appellent les jeunes à voter, car voter c'est participer à la vie de notre pays. Je suis moi-même allé plus de 40 fois dans les quartiers difficiles en tant que ministre de l'Intérieur, justement pour faire en sorte que ces quartiers soient mieux intégrés à la vie de notre pays. Mais je ne reconnais aucun titre à Joey Starr, compte tenu de son passé, ni à Jamel Debbouze de me donner des leçons de droits de l'homme ou de respect des autres. Nous pouvons comparer nos bilans.
Vous pouvez donc nous annoncer que le score de Le Pen sera en très nette baisse en 2007 ?
Je ne sais pas, je ne lis pas dans le marc de café. Ce que je peux dire, c'est que, sur les dix élections législatives partielles et les quelque 200 cantonales partielles, le FN a perdu en moyenne entre 30 et 40 % de ses suffrages.
Que répondez-vous à l'évêque d'Arras qui se plaint des poursuites contre les associations qui aident les migrants à Sangatte ?
Ecoutez, dans le Calaisis, il y avait 3 000 personnes dans un hangar. Peu de ministres sont allés autant que moi dans le Calaisis. On ne peut pas dire que je ne m'en suis pas occupé. J'ai fermé Sangatte, j'ai divisé par dix le nombre de migrants, j'ai multiplié par deux le nombre de places dans les centres d'hébergement. N'oubliez pas que les migrants du Calaisis ne souhaitent pas rester chez nous. Ils ne demandent pas l'asile. Ils veulent aller au Royaume-Uni. C'est vrai que j'ai aussi augmenté le nombre de places de rétention pour les reconduire dans leur pays.
Quelle horreur ! Et que pensez-vous des déclarations du commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à propos du dépôt des étrangers de Paris : «De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n'ai vu un centre pire que celui-là» ?
Je l'ai reçu.
Mais qu'avez-vous fait pour le centre ?
Des travaux de construction d'un nouveau centre sont engagés. L'actuel sera fermé avant l'été.
Vous n'avez pas sanctionné les propos homophobes du député UMP Christian Vanneste. Est-ce une position tolérée au sein de votre parti ?
Ces propos, je les ai dénoncés fermement en conférence de presse. J'ai trente ans de vie politique derrière moi. On ne peut me reprocher aucune déclaration qui ne soit pas conforme aux valeurs de la République. C'est moi le premier qui ai regretté l'attitude de la droite face au Pacs et qui ai fait voter un statut fiscal pour les pacsés.
Mais ce député, comme un autre qui a proposé de déchoir les émeutiers de leur nationalité, reste dans votre parti...
Oui, bien sûr, et alors ? A l'UMP, c'est comme à Libération, il n'y a pas de ligne obligatoire.
Donc, il n'y a pas de ligne à l'UMP ?
Il y a une ligne à l'UMP pour les principaux sujets. Pour le reste, je peux défendre le droit de vote pour les immigrés sans être majoritaire. C'est même ce que Libération avait retenu en titrant : «Sarkozy giflé par les siens».
Vous n'êtes toujours pas favorable à ce qu'on revienne sur la loi qui demande aux manuels scolaires de reconnaître le «rôle positif» de la colonisation ?
Je suis favorable à ce qu'on trouve une solution pour sortir de cette crise, car l'émotion créée dans les départements d'outre-mer est réelle. Je ne suis pas pour autant favorable à un exercice de repentance systématique. Je crois qu'il faut expliquer que l'article 4 ne s'adressait pas aux départements d'outre-mer, au sens où on les entend aujourd'hui, mais s'adressait à la France d'outre-mer (l'ensemble de l'ancien empire colonial, ndlr). Une nouvelle rédaction pourrait lever les malentendus sur ce point. Nous pouvons par ailleurs être fiers qu'en 2001 l'Assemblée nationale ait qualifié l'esclavage de crime contre l'humanité. Quant à la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage, j'ai eu l'occasion d'évoquer celle du 10 mai. D'autres pensent que celle du 23 mai pourrait aussi être envisagée. Le débat est ouvert. Je suis attentif et prêt à me rallier à la date qui fera le plus consensus.
Vous ne craignez pas d'avoir les jeunes contre vous en 2007 ?
Les jeunes ont deux aspirations : trouver un travail et réussir leur vie. Ils veulent que la France change à l'unisson du monde qui bouge. Je veux porter une énergie nouvelle au service de ce changement. Nombreux sont les jeunes qui l'ont compris et nous rejoignent. Si j'en juge par l'accueil qu'ils ont réservé aux stars du show biz, ils ne sont pas décidés à être récupérés. Ils veulent qu'on les respecte. C'est très exactement ce que je veux faire.
Vous pensez comme Eric Raoult que Clichy-sous-Bois «fait honte à notre pays» ?
Non.
Votre image s'est droitisée alors qu'un candidat à la présidentielle doit rassembler. Cela vous rend pessimiste pour la suite ?
Je ne vois ni dérive, ni droitisation, mais des Français de droite comme de gauche qui veulent que les valeurs du travail, du respect, de l'autorité, de la justice et de l'humanité soient davantage mises en avant. Ce sont les valeurs que je défends. Elles sont celles de tous les Français.
© Libération
jeudi, décembre 22, 2005
Reductio ad sarkozum
Encore un texte qui ne va pas encore faire plaisir à mes amis gauchistes, mais ils ont l'habitude ... et moi aussi.
L'éditorial du Figaro par Alexis Brézet
[22 décembre 2005]
Ce n'est plus une mode, c'est une épidémie. Impossible d'allumer une télévision ou un poste de radio sans tomber sur un chanteur «engagé», un comédien «citoyen», un sportif «concerné», un animateur «impertinent» qui ne crie haro sur le ministre de l'Intérieur et ne jure, la main sur le coeur, qu'il est prêt à tout pour lui barrer la route de l'Elysée. De Jamel Debbouze à Jeanne Moreau, en passant par Luc Besson, c'est dans tous les gosiers le même cri : TSS, tout sauf Sarkozy !
Son crime ? Il a dit «Kärcher», il a dit «racaille», et il n'a pas demandé pardon, considérant qu'il était encore permis, dans la France de Boileau, d'«appeler un chat un chat, et Rollet un fripon». Pour aggraver son cas, les Français, si on lit bien les sondages, lui ont massivement donné raison. Depuis, pour les figurants du petit théâtre parisien, Nicolas Sarkozy est devenu le «méchant emblématique», celui qu'il est de bon ton d'injurier entre une chansonnette et la promo d'un DVD.
Qu'importe si le ministre de l'Intérieur, lorsqu'il a parlé de racaille, s'est borné à reprendre le mot qu'une habitante d'Argenteuil, excédée d'avoir trop subi, lui avait fourni. Qu'importe si le président de l'UMP n'a pas la moindre responsabilité dans l'amendement «scélérat» (!) sur les aspects positifs de la colonisation. Qu'importe si Nicolas Sarkozy n'a jamais sacrifié, dans aucun de ses discours, à ce qui pourrait ressembler à de l'homophobie. Pour désigner cette forme très particulière de terrorisme intellectuel, le philosophe Leo Strauss, il y a un demi-siècle, avait forgé l'expression reductio ad hitlerum : afin de disqualifier un adversaire politique, on le caricature en figure du mal absolu. C'est bien ce mécanisme qui est à l'oeuvre derrière les appels à la «résistance» des «Guignols», d'Act Up ou des Inrockuptibles : Sarkozy, c'est Le Pen, Le Pen, c'est Hitler, donc Sarkozy, c'est Hitler. CQFD. [Je connais même un historien très bien dont j'apprécie beaucoup le travail qui se laisse aller à ce genre d'amalgame]
Un procédé voisin se retrouve dans l'utilisation d'un récent sondage qui demandait aux Français de se prononcer sur des propositions aussi banales qu'«On ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France» ou «La justice n'est pas assez sévère avec les petits délinquants». Comme de juste, les sondés ont approuvé à une écrasante majorité. Conclusion sans appel de nos maîtres censeurs : la «lepénisation» des esprits est en marche, et le gouvernement, coupable de l'encourager.
Résumons : quand la droite passe un accord avec l'extrême droite, elle se fourvoie, lorsqu'elle lui prend ses électeurs elle déchoit. Dans le particulier (le cas Sarkozy) comme dans le général (les attentes des Français), il s'agit d'interdire en la diabolisant une politique qui n'a pas l'heur de plaire à une minorité plutôt privilégiée. Certes, nul n'est obligé d'avoir des idées de droite ni d'aimer Nicolas Sarkozy (d'autant que l'hostilité du Tout-Hollywood envers George Bush n'a pas empêché sa réélection), mais on est en droit de souligner l'hypocrisie de ceux qui, drapés dans les plis d'une morale très commerciale, utilisent leur influence sur une partie de la jeunesse pour gauchir les mécanismes de la démocratie.
L'éditorial du Figaro par Alexis Brézet
[22 décembre 2005]
Ce n'est plus une mode, c'est une épidémie. Impossible d'allumer une télévision ou un poste de radio sans tomber sur un chanteur «engagé», un comédien «citoyen», un sportif «concerné», un animateur «impertinent» qui ne crie haro sur le ministre de l'Intérieur et ne jure, la main sur le coeur, qu'il est prêt à tout pour lui barrer la route de l'Elysée. De Jamel Debbouze à Jeanne Moreau, en passant par Luc Besson, c'est dans tous les gosiers le même cri : TSS, tout sauf Sarkozy !
Son crime ? Il a dit «Kärcher», il a dit «racaille», et il n'a pas demandé pardon, considérant qu'il était encore permis, dans la France de Boileau, d'«appeler un chat un chat, et Rollet un fripon». Pour aggraver son cas, les Français, si on lit bien les sondages, lui ont massivement donné raison. Depuis, pour les figurants du petit théâtre parisien, Nicolas Sarkozy est devenu le «méchant emblématique», celui qu'il est de bon ton d'injurier entre une chansonnette et la promo d'un DVD.
Qu'importe si le ministre de l'Intérieur, lorsqu'il a parlé de racaille, s'est borné à reprendre le mot qu'une habitante d'Argenteuil, excédée d'avoir trop subi, lui avait fourni. Qu'importe si le président de l'UMP n'a pas la moindre responsabilité dans l'amendement «scélérat» (!) sur les aspects positifs de la colonisation. Qu'importe si Nicolas Sarkozy n'a jamais sacrifié, dans aucun de ses discours, à ce qui pourrait ressembler à de l'homophobie. Pour désigner cette forme très particulière de terrorisme intellectuel, le philosophe Leo Strauss, il y a un demi-siècle, avait forgé l'expression reductio ad hitlerum : afin de disqualifier un adversaire politique, on le caricature en figure du mal absolu. C'est bien ce mécanisme qui est à l'oeuvre derrière les appels à la «résistance» des «Guignols», d'Act Up ou des Inrockuptibles : Sarkozy, c'est Le Pen, Le Pen, c'est Hitler, donc Sarkozy, c'est Hitler. CQFD. [Je connais même un historien très bien dont j'apprécie beaucoup le travail qui se laisse aller à ce genre d'amalgame]
Un procédé voisin se retrouve dans l'utilisation d'un récent sondage qui demandait aux Français de se prononcer sur des propositions aussi banales qu'«On ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France» ou «La justice n'est pas assez sévère avec les petits délinquants». Comme de juste, les sondés ont approuvé à une écrasante majorité. Conclusion sans appel de nos maîtres censeurs : la «lepénisation» des esprits est en marche, et le gouvernement, coupable de l'encourager.
Résumons : quand la droite passe un accord avec l'extrême droite, elle se fourvoie, lorsqu'elle lui prend ses électeurs elle déchoit. Dans le particulier (le cas Sarkozy) comme dans le général (les attentes des Français), il s'agit d'interdire en la diabolisant une politique qui n'a pas l'heur de plaire à une minorité plutôt privilégiée. Certes, nul n'est obligé d'avoir des idées de droite ni d'aimer Nicolas Sarkozy (d'autant que l'hostilité du Tout-Hollywood envers George Bush n'a pas empêché sa réélection), mais on est en droit de souligner l'hypocrisie de ceux qui, drapés dans les plis d'une morale très commerciale, utilisent leur influence sur une partie de la jeunesse pour gauchir les mécanismes de la démocratie.
Et vos enfants ne sauront pas lire ... ni compter (M. Le Bris)
FFFF
Ce livre est écrit par un instituteur, passé de la méthode globale à la méthode syllabique tout simplement parce que son collègue plus âgé obtenait de bien meilleurs résultats que lui avec la méthode syllabique. Cette démarche est un bel exemple de modestie.
Toujours le même constat de dévastation de l'école par les cuistres "pédagogistes". Quelques points remarquables :
> beaucoup d'enfants sont "sauvés" par des parents qui leur apprennent à lire par la méthode syllabique (la méthode syllabique Boscher est un "best-seller", vendu en supermarchés, chez les parents d'élèves, et tabou en IUFM).C'est un grave facteur d'inégalité des chances entièrement créé par le dogmatisme des "pédagogistes" de l'Education Nationale.
L'auteur cite une anecdote comique : à l'époque encore attaché à la méthode globale, il est très fier d'Arnaud et Julien qu'ils croient être des réussites exemplaires de cette méthode. Un jour, il donne un exemplaire de la méthode Boscher, achetée par curiosité, à couvrir à la mère d'Arnaud. Celle-ci réagit : "Je connais cette méthode : j'ai appris à lire à Arnaud avec. Je ne l'ai plus, je l'ai prêtée à la mère de Julien." Notre gentil instituteur globaliste en a eu les jambes coupées ! Mais il s'est remis en question. Extrait :
Nos deux derniers cracks en lecture, issus de la méthode globale-naturelle-phonétique-à-hypothèses de notre école avaient en fait appris à lire avec la méthode Boscher ! Ce qui leur a donné un an d'avance ou la tête de classe jusqu'aux premiers prix du concours général ... De retour chez moi, je me suis assis, j'ai bu un whisky et j'ai reconsidéré calmement bien des choses.
L'auteur fait aussi la publicité de Lire avec Léo et Léa (http://www.leolea.org), édité à compte d'auteur par deux orthophonistes fatigués de soigner les dyslexies provoquées par les méthodes globales, dyslexies totalement inexplicables d'après ce qu'on lit dans certains journaux de gauche bien-pensants.
> la méthode globale a été inventée pour les sourds. C'est un curieux dérapage intellectuel que d'en conclure qu'elle est bonne pour les entendants. Mais quand une institutrice, qui voulait monter d'un échelon, a remarqué, lors de sa soutenance, que cette méthode pour sourds serait peut-être adaptée aux élèves dont le Français n'est pas la langue maternelle, elle a été interrompue et retoquée par un inspecteur furieux qui y voyait du racisme ! O bêtise du conformisme !
> La méthode globale est une voie sûre vers le contre-sens. En effet, un enfant formé à la méthode globale a tendance à ignorer la dernière syllabe des mots parce qu'il reconnaît le mot "globalement". Il pourra lire "Elle entre dans la maison" quand il y a écrit "Elles entrent dans la maison" ou "Leonard de Vinci est il le seul peintre ?" quand il y a écrit "Leonard de Vinci est-il seulement peintre ?" Le contexte détrompe souvent mais pas toujours.
> les méthodes dites "naturelle" ou "semi-globale" ou "phonétique", actuellement officiellement préconisées, sont des méthodes globales déguisées ; d'où j'en conclus que non seulement Gilles de Robien ne mène en rien en combat anachronique, contrairement à ce que prétendent certains syndicats, mais que son combat est urgent et important. La connaissance de ce fait permet de comprendre les réactions véhémentes des apparatchiks, véhémence qui ne s'expliquerait pas si il s'agissait vraiment d'une polémique dépassée, comme ils l'affirment pourtant.
> La loi Jospin a entérinée et amplifiée ces ravages. Pour cette raison, il est juste que M. Jospin n'ait pas été élu Président de la République. De plus, la dite loi Jospin institue un contrôle idéologique intolérable (Le Bris cite des rapports d'inspection le concernant pas piqués des vers : "Il n'adhère pas à la méthode officielle [...] Il obtient des résultats mais pas avec la méthode préconisée." Mauvaise note. Le Bris rappelle à juste titre que lors des inspections de l'école "archaïque", l'inspecteur s'occupait assez peu de méthode et interrogeait les élèves pour voir ce qu'ils savaient et que l'instituteur était noté en fonction de cela. La loi Jospin doit être abrogée.
> le vrai signe de la maîtrise de la lecture chez l'enfant est la lecture abondante de romans (même idée que Daniel Pennac dans Comme un roman). Car elle nécessite une lecture fluide, sans efforts, et une bonne compréhension. La lecture d'ouvrages techniques (sur le Moyen-Age, sur les dinosaures, etc.) ou de BD n'est pas suffisante car elle ne met pas en jeu l'aisance. L'auteur classe les enfants lecteurs en plusieurs catégories :
>> le vrai lecteur, qui lit des dizaines de romans par simple plaisir et sans effort (à l'âge de vint ans, j'ai compté un petit millier de livres dans ma bibliothèque, autrement dit, j'ai tenu une moyenne d'une quarantaine de livres par an pendant toute ma scolarité). C'est la situation normale de l'enfant maîtrisant la lecture : la soif d'apprendre le pousse naturellement à lire. L'âge venant, les centre d'intérêts peuvent changer.
>> le lecteur efficace, capable de trouver le renseignement qu'il lui faut dans un texte.
>> le lecteur déchiffrant, il bute mais comprend.
>> le non-lecteur, qui ne lit rien sauf à grand-peine.
Même un vrai lecteur, si il a appris avec une méthode globale, peut être nul en orthographe et, de plus, les "lecteurs globaux" ont une tendance, facilement explicable, au manque de rigueur intellectuelle.
> Même motif, même punition pour les maths : il faut plonger les élèves dans un problème sans apprentissage préalable et les laisser discuter pour décider qui a raison si ils ont en déaccord sur la solution. "Ils construisent eux-mêmes leurs savoirs." Fantastique ! On croit rêver ! (Voir http://michel.delord.free.fr)
Une élève de sixième a essayé de diviser 367 234 par 60 par soustractions successives (méthode officielle) : 367 234 - 60 - 60 -60 etc. Au bout d'une heure (c'est déjà beau qu'elle ait persévéré une heure), elle s'est effondrée en larmes (avec la méthode archaïque et bourgeoise que j'utilise et qui était connue en 1960 de tout élève de CE1, il m'a fallu quarante secondes).
> L'auteur insiste sur l'importance du calcul mental "bête" parce que c'est ce qui permet d'être à l'aise avec les nombres.
Ca me rappelle le prix Nobel Richard Feynman qui posait régulièrement à ses étudiants des problèmes à résoudre mentalement du genre "Combien y-a-t-il d'accordeurs de pianos à New-York ?" Bien sûr, tout était dans la démarche intellectuelle qui permet en quelques minutes d'avoir une estimation pas trop délirante. Ces exercices mentaux sont peut-être bêtes (en quoi d'ailleurs ?) mais utiles. Par exemple, hier soir j'ai vu une statististique sur les accidents de voitures chez les jeunes, morts ou blessés, j'en ai conclu qu'il y avait 5 blessés pour 1 mort, comme je connais le nombre de morts total toutes catégories (8 000/an), j'en ai conclu qu'il devait y avoir autour de 40 000 blessés par an sur les routes. C'est une estimation qui m'a pris 10 secondes. Et des pêtits calculs comme cela, j'en fais vraiment tous les jours.
> Marc Le Bris explique qu'il a reçu une leçon d'autorité d'un gendarme venu faire de la prévention routière : celui-ci a refusé de donner les mini-permis de conduire aux élèves qui avaient grillé des stops sur son parcours fictif, et ce, malgré leurs trépignements et leurs colères. Pourquoi refuser de leur faire plaisir en leur donnant un bout de papier sans valeur ? Pour que la leçon porte. De même pour les notes. Donner la même à tout le monde pour ne pas "traumatiser", c'est faire perdre les repères à tout le monde, c'est maintenir les élèves dans le flou sur la qualité de leurs savoirs. C'est déstabilisant.
> Dans la même veine, Marc Le Bris pense, et je l'approuve entièrement, que considérer des enfants comme des adultes en réduction est un manque de respect des enfants et une fuite de leurs responsabilités par les parents. Les enfants ont leurs besoins propres dont celui d'être guidé et dirigé est primordial. Il décrit le cas d'une mère qui négocie tous les matins pour que son fils aille à l'école :
"Mon chéri, hier soir, tu avais promis que tu irais à l'école."
"J'ai changé d'avis."
Et commence une séance de chantage payée en bonbons et sorties. Il arrive même que la mère remmène l'enfant à la maison. Marc Le Bris fait deux remarques frappées au coin du bon sens : c'est mauvais pour la scolarité de l'enfant et l'enfant se met en danger physique : la tension de la mère "compréhensive" est extrême et il se pourrait qu'un jour où toute cette comédie la met en retard pour le travail, la marmite explose en une taloche disproportionnée.
> Les enfants en groupe, c'est la loi du plus fort, ils ne sont pas du tout gentils et compréhensifs. Comme les profs n'ont plus le droit, ni les moyens, de faire la discipline dans la cour, ce sont les filles et les "polars" qui sont les souffre-douleurs. Le Bris décrit le cas où un garçon a soulevé la jupe d'une fille. Il considère intolérable qu'il n'ait pas demandé "S'il te plaît" avant. Normalement, ça devrait se régler par une punition magistrale, mais pas dans notre enseignement "moderne" : dans notre enseignement "moderne", le maître n'intervient pas mais les tuteurs de la fille portent plainte, avec tout ce que ça suppose. Conclusion : par refus de l'autorité de l'intituteur, on a ruiné la scolarité d'un gosse.
> Le Bris a ce tic intellectuel (je dis tic car il n'est étayé par aucun argument) que vous connaissez si vous avez lu La fabrique du crétin : il met une bonne part des problèmes sur le dos du libéralisme. Visiblement, il ne semble pas avoir réagi au fait que Condorcet qu'il cite en exemple était un libéral. Passons, si vous voulez connaître l'explication de ce réflexe, il suffit de lire Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme de Raymond Boudon. C'est simplement dommage de voir des intellectuels méconnaître le libéralisme qui a pourtant, pour qui se donne la peine de se renseigner, un puissant attrait intellectuel. Par contre, il fait une remarque (qui invalide d'ailleurs son propos univoque sur le libéralisme) que je trouve beaucoup plus intéressante mais que malheureusement il ne développe pas : les patrons d'entreprises techniques et industrielles sont plutôt partisans des méthodes traditionnelles tandis que les patrons d'entreprises de service sont plutôt partisans des méthodes "pédagogistes".
> Enfin, Le Bris pense que "L'apprenant doit construire lui-même son savoir" des méthodes modernes, qui, au fond, nie l'utilité du maître et de l'école, est très mauvais pour la démocratie. Là, sans le savoir, il rejoint le libéralisme ! Hayek, penseur du libéralisme si il en est, justifie le libéralisme par le fait que chaque individu est limité, qu'il n'y a aucun individu, même Président, ayant une capacité d'action illimitée, qui pourrait modeler la société et que c'est cette nécessité d'interactions libres d'individus limités qui s'oppose à la dictature (mais je ne pense pas que Le Bris envisage le libéralisme à ce niveau philosophique mais il songe plutôt à ce fourre-tout de lâchetés étatiques, qui a autant à voir avec le libéralisme que le Mac Do avec la gastronomie). Or, des individus pleinement conscients de leurs limites mais travaillant de manière méthodique à les repousser dans certains domaines, c'est bien là l'idéal de l'école "archaïque" de la IIIème République et comme, par hasard, c'est aussi une grand moment de libéralisme politique et économique.
Un livre que tous les parents d'élèves devraient lire.
mercredi, décembre 21, 2005
La rupture sarkozienne en action
Comme vous le savez, j'ai de nombreux points d'accord avec les analyses de Nicolas Sarkozy, notamment sur le thème de la rupture et de l'attente de réforme des Français ; par contre, je doute de son libéralisme (1) : j'écoute ce qu'il dit et je trouve qu'il est très étatiste, et interventionniste. Mais les discours ne sont pas tout.
Or, quand je regarde son action au Ministère de l'Intérieur, je constate un changement de style mais guère de changement dans les pratiques, notamment en ce qui concerne l'inflation des effectifs.
Aujourd'hui, le ministère qui fait le plus d'efforts, efforts qui restent pourtant minimes et très insuffisants, en matière de réduction des effectifs est le Ministère des Finances.
Bref, de la rupture sarkozienne en action, je n'en vois pas des masses. Et ça m'inquiète
Vous me direz que l'essentiel est dans un premier temps de gagner les élections de 2007, je comprends cet argument, mais, comme il y aura toujours une excellente raison pour temporiser, si il temporise en 2005, il y a de bonnes chances qu'il temporise en 2006, 2007, 2008 et suivantes.
Je n'oublie pas qu'au temps de sa jeunesse, Chirac était aussi pour la rupture et qu'une fois au pouvoir, il a été le champion du monde de l'immobilisme, catégorie démagogue finissant.
Seul espoir : si Sarkozy est élu en 2007, il arrivera au pouvoir bien plus jeune que Chirac en son temps (mais plus vieux que Blair, Clinton et Zapatero), et il aura sans doute plus d'ambition de laisser sa marque.
(1) : je ne tombe pas dans le nominalisme, petit jeu de gauche qui consiste à croire qu'un mot vaut raisonnement et à coller des étiquettes., supposées infamantes, à tout le monde : raciste, néo-réac, ultra-libéral, antisémite, etc. On se croirait à un festival de poissons d'avril ! J'écoute ce que les gens disent pour les juger, je ne regarde pas l'étiquette qu'on leur colle.
Or, quand je regarde son action au Ministère de l'Intérieur, je constate un changement de style mais guère de changement dans les pratiques, notamment en ce qui concerne l'inflation des effectifs.
Aujourd'hui, le ministère qui fait le plus d'efforts, efforts qui restent pourtant minimes et très insuffisants, en matière de réduction des effectifs est le Ministère des Finances.
Bref, de la rupture sarkozienne en action, je n'en vois pas des masses. Et ça m'inquiète
Vous me direz que l'essentiel est dans un premier temps de gagner les élections de 2007, je comprends cet argument, mais, comme il y aura toujours une excellente raison pour temporiser, si il temporise en 2005, il y a de bonnes chances qu'il temporise en 2006, 2007, 2008 et suivantes.
Je n'oublie pas qu'au temps de sa jeunesse, Chirac était aussi pour la rupture et qu'une fois au pouvoir, il a été le champion du monde de l'immobilisme, catégorie démagogue finissant.
Seul espoir : si Sarkozy est élu en 2007, il arrivera au pouvoir bien plus jeune que Chirac en son temps (mais plus vieux que Blair, Clinton et Zapatero), et il aura sans doute plus d'ambition de laisser sa marque.
(1) : je ne tombe pas dans le nominalisme, petit jeu de gauche qui consiste à croire qu'un mot vaut raisonnement et à coller des étiquettes., supposées infamantes, à tout le monde : raciste, néo-réac, ultra-libéral, antisémite, etc. On se croirait à un festival de poissons d'avril ! J'écoute ce que les gens disent pour les juger, je ne regarde pas l'étiquette qu'on leur colle.
"Réforme : ne me dites pas ce que je dois faire, mais comment faire"
"Réforme : ne me dites pas ce que je dois faire, mais comment faire" : il paraît que cette phrase était sur le bureau de Jean-Pierre Raffarin.
Pour moi, il s'agit d'un cas de ce faux bon sens dont quasiment tous les hommes politiques usent pour tromper le peuple et justifier leurs fautes, leurs manquements, leurs défaillances. Il peut sembler au premier abord compréhensible de dire "Je sais quoi faire, mais pas comment."
En réalité, les exemples étrangers montrent que, lorsque l'objet et les raisons de la réforme sont bien définis, quand on sait où on veut arriver et pourquoi, une méthode se dégage rapidement.
C'est assez simple à comprendre : lorsqu'on sait dans quel but et pourquoi on réforme, on connaît les gagnants, les perdants et ce qu'on espère que la société y gagne. On peut batir différentes méthodes à partir de cela, du passage en force appuyée sur une majorité (1) à la discussion consensuelle, mais c'est assez rapide.
C'est pourquoi je suis convaincu que tous ceux qui nous racontent "Je sais quoi faire, mais, comprenez moi, les Français sont si colériques, que je ne sais pas comment m'y prendre." n'ont en fait pas une vision suffisamment claire de ce qu'ils veulent faire.
Je remarque d'ailleurs qu'il y a eu beaucoup de ruptures dans l'histoire de France lors desquelles des changements radicaux se sont faits très rapidement, la dernière datant de 1958 (la rupture de 1983 où le socialisme français aurait du se réconcilier avec le capitalisme n'a jamais été complètement assumée, elle reste inachevée faute d'avoir été assez franche.)
Ne vous y laissez pas prendre : tous ceux qui vous raconteront que le France est un petit être fragile, et qu'il faut prendre mille précautions avant de bouger le petit doigt, réfléchir cent sept ans à la méthode avant d'agir, ceux-là ne savent pas où ils veulent en venir, ni même, dans les cas les plus graves, si ils veulent aller quelque part. Pire, au passage, ils infantilisent les Français en entretenant l'idée qu'ils ne supporteraient pas la vérité et la franchise, alors que ce qui manque aux Français, qui sont assez capables d'imaginer par eux-mêmes ce qu'ils pourraient perdre, est qu'on leur explique ce qu'ils pourraient gagner ; mais quand on ne sait pas soi-même où on veut aller, c'est difficile de convaincre les autres.
(1) : c'est la méthode choisie par Alain Juppé en 1995 et je ne vois toujours pas une seule raison intelligente justifiant que Jacques Chirac l'ait obligé à céder : quand on engage une épreuve de force, on va jusqu'au bout, sinon, on ne s'engage pas. La raclée électorale qui a suivi a largement justifié mon analyse : il a paru faible à ses partisans sans convertir un seul de ses adversaires.
Pour moi, il s'agit d'un cas de ce faux bon sens dont quasiment tous les hommes politiques usent pour tromper le peuple et justifier leurs fautes, leurs manquements, leurs défaillances. Il peut sembler au premier abord compréhensible de dire "Je sais quoi faire, mais pas comment."
En réalité, les exemples étrangers montrent que, lorsque l'objet et les raisons de la réforme sont bien définis, quand on sait où on veut arriver et pourquoi, une méthode se dégage rapidement.
C'est assez simple à comprendre : lorsqu'on sait dans quel but et pourquoi on réforme, on connaît les gagnants, les perdants et ce qu'on espère que la société y gagne. On peut batir différentes méthodes à partir de cela, du passage en force appuyée sur une majorité (1) à la discussion consensuelle, mais c'est assez rapide.
C'est pourquoi je suis convaincu que tous ceux qui nous racontent "Je sais quoi faire, mais, comprenez moi, les Français sont si colériques, que je ne sais pas comment m'y prendre." n'ont en fait pas une vision suffisamment claire de ce qu'ils veulent faire.
Je remarque d'ailleurs qu'il y a eu beaucoup de ruptures dans l'histoire de France lors desquelles des changements radicaux se sont faits très rapidement, la dernière datant de 1958 (la rupture de 1983 où le socialisme français aurait du se réconcilier avec le capitalisme n'a jamais été complètement assumée, elle reste inachevée faute d'avoir été assez franche.)
Ne vous y laissez pas prendre : tous ceux qui vous raconteront que le France est un petit être fragile, et qu'il faut prendre mille précautions avant de bouger le petit doigt, réfléchir cent sept ans à la méthode avant d'agir, ceux-là ne savent pas où ils veulent en venir, ni même, dans les cas les plus graves, si ils veulent aller quelque part. Pire, au passage, ils infantilisent les Français en entretenant l'idée qu'ils ne supporteraient pas la vérité et la franchise, alors que ce qui manque aux Français, qui sont assez capables d'imaginer par eux-mêmes ce qu'ils pourraient perdre, est qu'on leur explique ce qu'ils pourraient gagner ; mais quand on ne sait pas soi-même où on veut aller, c'est difficile de convaincre les autres.
(1) : c'est la méthode choisie par Alain Juppé en 1995 et je ne vois toujours pas une seule raison intelligente justifiant que Jacques Chirac l'ait obligé à céder : quand on engage une épreuve de force, on va jusqu'au bout, sinon, on ne s'engage pas. La raclée électorale qui a suivi a largement justifié mon analyse : il a paru faible à ses partisans sans convertir un seul de ses adversaires.
King-Kong
FF
(Réglons toute de suite la question, je préfère la version de 1933.)
Cependant, c'est un bon moment, un film de vacances.
Pour : de jolies images. Une reconstitution de New-York des années 30 fantastique. Un King-Kong lui aussi impressionnant. Noami Watts.
Contre : trop long. Trop convenu, trop de sentimentalisme. Pas de génie.
(Réglons toute de suite la question, je préfère la version de 1933.)
Cependant, c'est un bon moment, un film de vacances.
Pour : de jolies images. Une reconstitution de New-York des années 30 fantastique. Un King-Kong lui aussi impressionnant. Noami Watts.
Contre : trop long. Trop convenu, trop de sentimentalisme. Pas de génie.
mardi, décembre 20, 2005
En lisant Commentaire : Pourquoi les Français ont-ils peur ?
Comme je vous l'ai dit, Commentaire est mon échappatoire trimestriel hors de la pensée restreinte française. Commentaire présente toujours une citation appropriée en quatrième de couverture, celle du numéro d'hiver 2006 est de Raymond Aron :
La vanité française consiste à se reprocher toutes les fautes sauf la faute décisive : la paresse de pensée.
Pas mal vu pour résumer le trimestre écoulé, non ?
L'article suivant est d'Alain Besançon. Comme d'habitude, mes commentaires entre crochets. Le texte intégral se trouve dans Commentaire. Lisez Commentaire, c'est le Pommard des méninges.
Pourquoi les Français ont-ils peur ?
Alain Besançon
Commentaire n° 112, Hiver 2005-2006
On dit que les Français ont peur devant l'Europe et devant les grandes réformes, que tous déclarent indispensables. Je veux essayer de présenter quelques remarques historiques très générales qui expliquent peut-être pourquoi les Français sont rarement rassurés. Mon exposé, hautement subjectif, n'aura rien de systématique. Parcourons au Louvre la galerie des portraits français. Au XVIème siècle, ils sont galants et belliqueux. Au XVIIème, graves, empesés, solennels. Au XVIIIème, le sourire et la détente reviennent. C'est le temps où le visage français retrouve ses traits propres, l'œil gris, le teint clair, un air de malice ou de gentillesse. II a l'air tranquille, paisible comme le sont les visages américains des photographies d'aujourd'hui qui reflètent l'allure d'un peuple bien traité. Dans les portraits de David, les traits se durcissent. Dans ceux de Géricault, Courbet, Millet, les expressions deviennent tristes, sombres, inquiètes. À la fin du siècle, on note une grande diversité entre les traits torturés de Lautrec et l'euphorie de Renoir. Tout ceci pour dire que même le Bon Dieu n'a pas toujours été heureux en France.
Les expulsions
La monarchie absolue, c'est-à-dire l'État rationnel, administratif, hiérarchique, centralisé, n'avait pas contribué à égayer les Français. Cet État était né de la guerre de religion et il avait dû s'élever très haut au-dessus de ses sujets sous Henri IV, Richelieu, Louis XIV, pour les empêcher de s'égorger. La guerre de religion s'était quand même souterrainement poursuivie, jusqu'à la Révocation, où pour la première fois l'État rendit la vie impossible à une partie de ses sujets, pour finalement les exproprier et les expulser. Cent ans après, l'Etat révolutionnaire réemploya le même système de droit pour rendre la vie impossible, exproprier et expulser à peu près le même nombre de citoyens, 200 000. Il recommença un siècle plus tard, et fit sortir de France, après avoir confisqué leurs biens, 50 000 religieux et religieuses. Vichy rendit la vie impossible, spolia, abandonna 200 000 Juifs, et trouva des juges pour mettre ça en forme et des fonctionnaires pour l'exécuter. Cette séquence est remarquable et on ne la trouve qu'en France. On peut se demander si, dans le même esprit, nos gouvernements ne travaillent pas aujourd'hui à expulser les riches. [Les exilés fiscaux qui partent vers la Belgique ou la Suisse sont peu nombreux : ils sont riches, entreprenants et ils investissent.]
[...]
La Révolution
Dans une société aimable, policée, sensible, au point qu'elle était à peu près dépourvue de forces de l'ordre, ce fut soudain une explosion parfaitement inattendue de violence. Dès 1789, on promena des têtes sur des piques, on brûla des châteaux, on pilla les églises, on fit donner l'artillerie contre les paysans. Deux ans plus tard, commença un épisode tel qu'il se compare localement à la Révolution russe. Sur les trois départements touchés par l'affaire vendéenne, un tiers de la population fut exterminé. Lyon est condamné à disparaître, La guillotine est élevée dans tous les départements. Au 9 thermidor, 300 000 Français [pour une population inférieure de moitié à celle de 2005] se trouvaient enfermés dans les conditions carcérales les plus épouvantables. Ils étaient promis à la mort, si l'accident du 9 thermidor n'était pas intervenu. Cette date, où pour la première fois depuis 1789 la France avait connu un jour de chance, dans la mesure où un complot d'assassins contre d'autres assassins avait mis fin miraculeusement à l'extermination, ne cesse d'être considérée dans la plupart de nos manuels scolaires comme un jour malheureux. [...]
En effet, depuis 1792, l'idée utopique, révolutionnaire, terroriste, continue d'attirer une portion de la population française et d'exprimer 10 à 20 % du corps électoral. Bien mieux, elle s'est manifestée dans des explosions de violence qui ont rythmé notre vie politique. Entre 1830 et 1832, l'émeute a été presque quotidienne à Paris. Les barricades se sont dressées en 1848 et pour les démolir il fallut faire 10 000 morts. 20 000 en 1871. On sait que la Commune, en brûlant l'hôtel de Ville, détruisit presque la moitié des archives de la France [dont celles si précieuses des sections révolutionnaires]. Que le pétrole avait été répandu dans le musée du Louvre et que le pompier qui avait empêché l'incendie fut fusillé. Que si les internes de l'Hôtel-Dieu n'avaient pas dispersé le bûcher entassé dans Notre-Dame, nous aurions eu à construire une autre cathédrale. Ce qui fait que la Commune est enseignée à nos enfants comme un des plus glorieux épisodes de notre histoire et que, dans Paris, des plaques récemment posées par le président Poncelet la célèbrent. 1936 fut débonnaire, mais point la Libération, puisque environ 10 000 Français furent mis à mort hors des tribunaux réguliers en quelques mois, ce qui se compare aux 20 000 fusillés par l'armée allemande pendant les quatre ans d'occupation. La ligne rouge, en 1968, miraculeusement ne fut pas franchie. Mais le langage soixante-huitard était fidèle à la rhétorique révolutionnaire la plus violente. 1995 menaça de tourner au recommencement. Depuis, tous nos gouvernements marchent sur des œufs. Ceux de gauche parce qu'ils doivent s'appuyer sur leur base sectionnaire. Même s'ils appartiennent aux éléments les plus thermidoriens du Parti socialiste, ils paient tribut à la même rhétorique. Ceux de droite, parce qu'ils ne se sentent pas sûrs de leur légitimité, intériorisent en partie la sacralisation de nos récurrences révolutionnaires telle qu'ils l'ont apprise à l'école.
Le déclassement
Depuis l'écroulement de l'URSS, le noyau révolutionnaire français s'est débarrassé du lourd handicap d'être associé au mouvement communiste mondial et d'être piloté par des équipes soviétiques. Du coup, l'esprit révolutionnaire a été rapatrié sur et dans l'histoire de France, et il peut plus facilement se mélanger au nationalisme, comme d'ailleurs il avait toujours fait. Maintenant, on ne peut plus le taxer, comme fit Léon Blum, de nationalisme étranger. Le communisme, comme l'a fort bien écrit Marc Lazar, reste une passion française.
Après le traumatisme de la Terreur, après l'incrustation d'un noyau révolutionnaire de tradition jacobine ou hébertiste, un troisième héritage nous vient de la Révolution française : le déclassement, ou le sentiment du déclassement, de la nation française. En une vingtaine d'années, la guerre, par nous déclarée en 1792, a coûté environ 1 500 000 morts. Le choc démographique est comparable à celui de la guerre de 14. Au sortir de laquelle guerre la France fut reléguée à la seconde place, puis bientôt à la troisième, après l'Allemagne, à la quatrième, après la Russie. Depuis 1815, la France dans son existence nationale est virtuellement en danger au milieu de voisins plus puissants qu'elle [le calcul d'Alfred Sauvy, montrant qu'avec les sommes dépensées par Napoléon à la guerre on aurait pu faire de l'Amérique du nord un pays de culture française est édifiant]. Nouveau motif de peur.
On ne pouvait pas ne pas faire la Révolution française. Dans toute l'Europe, le passage de l'Ancien au nouveau régime a été une énorme affaire qui s'est étalée chaque fois sur une centaine d'années. Le malheur français fut que celte inévitable transition fut particulièrement coûteuse et laissa des séquelles qui ne passent pas.
[...]
Dans les trois exemples [voisins, Angleterre, Espagne, Allemagne], l'issue de la révolution [en 1715, 1945 et 1975] a été la stabilisation de la vie politique, la solution de son problème. La révolution française n'a pas résolu le problème politique français.
Il faut maintenant regarder pourquoi le Français des XIXème et XXème siècles a peur en dehors même des turbulences déjà signalées.
La propriété et le droit
La pacification des Français ne fut obtenue, ainsi qu'après les guerres de religion, que par l'érection d'un État relativement indépendant des citoyens et muni d'une considérable capacité de coercition. L'État napoléonien renouvela ce type de pouvoir. Il assurait l'ordre, l'égalité devant la loi, une administration rationnelle. Il ne considérait pas que la liberté fût son premier souci, en conformité d'ailleurs avec les passions françaises qui n'étaient pas tournées de ce côté mais vers l'égalité. La protection des droits fit des progrès avec des hauts et des bas, surtout dans les années bénies de la république orléaniste et opportuniste. Mais des progrès lents, en général en retard sur le rythme de l'Europe du Nord.
La propriété en France a été peu respectée J'ai parlé de la spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations, des Juifs, Il faut aussi se souvenir que la Révolution s'est établie et consolidée sur un colossal et en grande partie illégal transfert de propriété. L'intangibilité des biens nationaux plus ou moins volés s'est imposée à tous les régimes et une mesure de simple justice, comme le milliard des émigrés, a été violemment contestée par toute la gauche comme un abus monstrueux. Les Tchèques, les Polonais ont montré plus de respect pour la propriété, après cinquante ans d'expropriation communiste. La propriété de mainmorte [ie détachée d'une personne, attachée à un organisation], c'est-à-dire le droit de créer des fondations, des trusts à la manière anglaise et américaine, n'a jamais été acceptée par l'Etat français. Notre État n'admet que la propriété individuelle et la propriété d'État, il ne veut pas que ses sujets établissent des noyaux de propriété stable et donc de liberté [rappel : garantie de propriété privée et liberté sont intimemement liées] parce qu'ils échappent à son contrôle. Que mon ancien collège d'Oxford vive encore largement sur les biens que lui a légués l'archevêque Chichely, au lendemain de la bataille d'Azincourt, n'est pas une chose concevable dans mon pays où les biens de l'Université de Paris ont été nationalisés en même temps que tous les biens des corporations et ceux de l'Eglise.
L'influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens de la délégitimation de la propriété individuelle [en France, si quelqu'un se fait voler une Ferrari en plein Paris, la réaction ne sera pas "Quel scandale qu'on puisse voler une voiture en plein Paris." mais "C'est bien fait pour lui, c'est un scandale de rouler dans une voiture de ce prix."]. Le droit de propriété n'est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au travail, à l'emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété sont manifestes, reçoit en revanche une garantie. « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. » Ce passage du préambule sonne assez « démocratie populaire ». La passion de l'égalité qui est au fond de l'humeur politique française rend très difficile à l'homme riche de jouir publiquement de sa richesse, comme le font les Italiens et les Anglais fortunés. Il sait que s'il n'appartient pas au monde du show business ou du sport, il lui est conseillé de rouler en Peugeot plutôt qu'en Rolls ou en Jaguar. En France, si j'ose paraphraser Baudelaire, les riches, les pauvres riches ont de grandes douleurs [peut-être excessif, mais, en tout cas, les riches français ont pour devise "Vivons cachés ... ou en Suisse." Alain Prost avait expliqué que son exil suisse ne devait pas tout à la fiscalité, mais aussi à une la recherche de la tranquillité et à la fuite de la jalousie].
Comme la propriété est le fondement du droit [La propriété privée constitue la ressource ultime du citoyen : pouvoir se retirer du monde, de la société, en son privé. C'est pourquoi la garantie de la propriété privée et Etat de Droit sont très intimement liés], la faiblesse de la première fait aussi l'incertitude du second. Les Français n'ont jamais été convaincus de l'indépendance de leur justice. Et puisque dans leur histoire récente ils ont observé que les juges sanctionnaient des mesures iniques, ou bien que l'État épurait de temps en temps la magistrature, comme il l'a fait en grand dans les débuts de la République radicale, ils ont tendance à penser qu'il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice [C'est aussi ce que pensait un ancien ministre de la justice : "Je retiens de mon passage au ministère qu'il ne faut jamais avoir à faire à la justice française."]. Et encore moins à la police, qui jusqu'à une date récente manquait souvent de douceur, soit pour contenir les manifestations, soit derrière les grilles des commissariats de police.
L'armée et l'école
Pendant toute la fin du XIXème siècle et presque tout le XXème siècle, la grande majorité des jeunes Français ont subi l'épreuve du service militaire. « Le code militaire, fait dire Anatole France à M. Bergeret, n'est qu'une compilation des ordonnances concernant les armées de Louis XIV et de Louis XV. On sait ce qu'étaient ces armées, ramas de racoleurs et de racolés, chiourme de terre, divisée en lots qu'achetaient les jeunes nobles, parfois des enfants. On maintenait l'obéissance de ces troupes en perpétuelles menaces de mort. Tout est changé ; les militaires de la monarchie et des deux Empires ont fait place à une énorme et placide garde nationale. Il n'y a plus à craindre ni mutineries ni violences. Pourtant la mort à tout propos menace des doux troupeaux de paysans et d'artisans habillés en soldats. Le contraste de ces mœurs bénignes et de ces lois féroces est presque risible. »
Contrairement à une opinion répandue, l'armée allemande était beaucoup plus communautaire que la française. Les officiers mangeaient avec la troupe et veillaient à maintenir une certaine Gemeinschaft favorable à l'initiative individuelle [Hé oui ! On a vu lors des batailles désespérées de la fin de la seconde guerre mondiale des officiers administratifs, voire un sergent cuisinier - Berlin (A. Beevor), rassembler une troupe de fuyards et en prendre le commandement pour l'entraîner au combat.]. Voilà pour le temps de paix. Mais en temps de guerre, c'est la tradition de la Révolution et de l'Empire qui continue, à savoir l'extrême prodigalité du sang des soldats. Des petites guerres, comme celle de Crimée, ou quelques guerres coloniales ont été des boucheries. Dans les quatre premiers mois de la guerre de 1914, l'armée française, assez mal armée et équipée, mais conduite par la doctrine de l'offensive à outrance, a perdu 400 000 hommes. 100 000 hommes encore dans le seul mois des combats de 1940. C'est beaucoup plus que n'en perdaient les armées allemandes dans ces mêmes conflits [On estime à la grosse que la Werhmacht a infligé 50 % de pertes de plus qu'elle n'en a subies - Histoire de l'armée allemande (P. Masson)]. Je ne compare pas avec les traditions de l'armée américaine. La France a été saignée irréparablement en particulier dans ses élites. Je prie le lecteur d'aller voir le monument aux morts de l'École normale supérieure. Marcel Déat est parti en 1914 avec soixante-dix camarades. Ils sont rentrés trente-cinq. Ce que je dis n'est pas pour excuser, mais pour expliquer Marcel Déat.
Enfin, il faut remarquer le caractère particulièrement sévère de l'éducation française traditionnelle, tant de l'école primaire que de l'école secondaire. Il faut désormais en parler au passé, car ce type d'éducation a disparu au moins depuis 1968. Il avait l'immense mérite de former des jeunes gens instruits, habitués au travail, à la compétition [on en est loin de nos jours]. Mais il était assez rude et sombre. [...]
Le fait que la Révolution française ait laissé une mémoire déchirée à la France et une légitimité fragile à tout gouvernement postérieur a donné quelque chose de hobbésien à la société française. Tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Aux peurs déjà recensées se joint donc la peur du prochain. Elle est assez forte pour expliquer ce trait qui étonne l'étranger : les Français évitent à tout prix le face à face et le dialogue direct. Ils ont peur de leur propre haine, ils craignent de ne pouvoir contrôler leur agressivité [je trouve agréable la civilité des Américains, même si nous la déprécions aussitôt en la qualifiant de "superficielle"].
Ils préfèrent s'en remettre à une instance tierce plus haute et finalement à l'État. La centralisation fameuse de notre pays tient en partie à cette conduite qui veut chercher au sommet un arbitre pour calmer les conflits de voisinage. Cet arbitre étant lointain, la triche demeure possible [voir les sondages qui disent que 57 % des Français trouvent scandaleux de tricher aux assurances chomage contre 95 % pour les Danois]. Au contrat, qui lie loyalement deux partenaires, les Français préfèrent la loi, qui n'oblige pas à cette loyauté.
Quand l'État prend peur
Cela ne marche bien qu'à condition que l'État soit faible. C'est ce qui a fait le bonheur impressionniste dans la France de la IIIème République. [...]
Mais cela ne marche plus quand on veut mettre en place partout un exécutif fort, comme il est de bonne doctrine aux Sciences Po depuis la guerre. Alors, pour lui résister, les Français s'agglutinent par catégories, communautés, groupement variés et descendent dans la rue. Cette fois, c'est l'État qui prend peur. [Nous vivons, c'est un paradoxe seulement en apparence, avec un Etat d'autant plus faible et impuissant qu'il est chaque jour plus envahissant et interventionniste. L'Etat français de 2005 : fort avec les faibles, faible avec les forts. Vous connaissez le fond de ma pensée : seule une libéralisation, sous la forme d'une vraie décentralisation, viendra à bout de nos difficultés. Et ça n'a rien d "anti-Français" : il y a dans notre histoire et dans notre culture, une authentique tradition d'identité et d'indépendance des provinces.]
La vanité française consiste à se reprocher toutes les fautes sauf la faute décisive : la paresse de pensée.
Pas mal vu pour résumer le trimestre écoulé, non ?
L'article suivant est d'Alain Besançon. Comme d'habitude, mes commentaires entre crochets. Le texte intégral se trouve dans Commentaire. Lisez Commentaire, c'est le Pommard des méninges.
Pourquoi les Français ont-ils peur ?
Alain Besançon
Commentaire n° 112, Hiver 2005-2006
On dit que les Français ont peur devant l'Europe et devant les grandes réformes, que tous déclarent indispensables. Je veux essayer de présenter quelques remarques historiques très générales qui expliquent peut-être pourquoi les Français sont rarement rassurés. Mon exposé, hautement subjectif, n'aura rien de systématique. Parcourons au Louvre la galerie des portraits français. Au XVIème siècle, ils sont galants et belliqueux. Au XVIIème, graves, empesés, solennels. Au XVIIIème, le sourire et la détente reviennent. C'est le temps où le visage français retrouve ses traits propres, l'œil gris, le teint clair, un air de malice ou de gentillesse. II a l'air tranquille, paisible comme le sont les visages américains des photographies d'aujourd'hui qui reflètent l'allure d'un peuple bien traité. Dans les portraits de David, les traits se durcissent. Dans ceux de Géricault, Courbet, Millet, les expressions deviennent tristes, sombres, inquiètes. À la fin du siècle, on note une grande diversité entre les traits torturés de Lautrec et l'euphorie de Renoir. Tout ceci pour dire que même le Bon Dieu n'a pas toujours été heureux en France.
Les expulsions
La monarchie absolue, c'est-à-dire l'État rationnel, administratif, hiérarchique, centralisé, n'avait pas contribué à égayer les Français. Cet État était né de la guerre de religion et il avait dû s'élever très haut au-dessus de ses sujets sous Henri IV, Richelieu, Louis XIV, pour les empêcher de s'égorger. La guerre de religion s'était quand même souterrainement poursuivie, jusqu'à la Révocation, où pour la première fois l'État rendit la vie impossible à une partie de ses sujets, pour finalement les exproprier et les expulser. Cent ans après, l'Etat révolutionnaire réemploya le même système de droit pour rendre la vie impossible, exproprier et expulser à peu près le même nombre de citoyens, 200 000. Il recommença un siècle plus tard, et fit sortir de France, après avoir confisqué leurs biens, 50 000 religieux et religieuses. Vichy rendit la vie impossible, spolia, abandonna 200 000 Juifs, et trouva des juges pour mettre ça en forme et des fonctionnaires pour l'exécuter. Cette séquence est remarquable et on ne la trouve qu'en France. On peut se demander si, dans le même esprit, nos gouvernements ne travaillent pas aujourd'hui à expulser les riches. [Les exilés fiscaux qui partent vers la Belgique ou la Suisse sont peu nombreux : ils sont riches, entreprenants et ils investissent.]
[...]
La Révolution
Dans une société aimable, policée, sensible, au point qu'elle était à peu près dépourvue de forces de l'ordre, ce fut soudain une explosion parfaitement inattendue de violence. Dès 1789, on promena des têtes sur des piques, on brûla des châteaux, on pilla les églises, on fit donner l'artillerie contre les paysans. Deux ans plus tard, commença un épisode tel qu'il se compare localement à la Révolution russe. Sur les trois départements touchés par l'affaire vendéenne, un tiers de la population fut exterminé. Lyon est condamné à disparaître, La guillotine est élevée dans tous les départements. Au 9 thermidor, 300 000 Français [pour une population inférieure de moitié à celle de 2005] se trouvaient enfermés dans les conditions carcérales les plus épouvantables. Ils étaient promis à la mort, si l'accident du 9 thermidor n'était pas intervenu. Cette date, où pour la première fois depuis 1789 la France avait connu un jour de chance, dans la mesure où un complot d'assassins contre d'autres assassins avait mis fin miraculeusement à l'extermination, ne cesse d'être considérée dans la plupart de nos manuels scolaires comme un jour malheureux. [...]
En effet, depuis 1792, l'idée utopique, révolutionnaire, terroriste, continue d'attirer une portion de la population française et d'exprimer 10 à 20 % du corps électoral. Bien mieux, elle s'est manifestée dans des explosions de violence qui ont rythmé notre vie politique. Entre 1830 et 1832, l'émeute a été presque quotidienne à Paris. Les barricades se sont dressées en 1848 et pour les démolir il fallut faire 10 000 morts. 20 000 en 1871. On sait que la Commune, en brûlant l'hôtel de Ville, détruisit presque la moitié des archives de la France [dont celles si précieuses des sections révolutionnaires]. Que le pétrole avait été répandu dans le musée du Louvre et que le pompier qui avait empêché l'incendie fut fusillé. Que si les internes de l'Hôtel-Dieu n'avaient pas dispersé le bûcher entassé dans Notre-Dame, nous aurions eu à construire une autre cathédrale. Ce qui fait que la Commune est enseignée à nos enfants comme un des plus glorieux épisodes de notre histoire et que, dans Paris, des plaques récemment posées par le président Poncelet la célèbrent. 1936 fut débonnaire, mais point la Libération, puisque environ 10 000 Français furent mis à mort hors des tribunaux réguliers en quelques mois, ce qui se compare aux 20 000 fusillés par l'armée allemande pendant les quatre ans d'occupation. La ligne rouge, en 1968, miraculeusement ne fut pas franchie. Mais le langage soixante-huitard était fidèle à la rhétorique révolutionnaire la plus violente. 1995 menaça de tourner au recommencement. Depuis, tous nos gouvernements marchent sur des œufs. Ceux de gauche parce qu'ils doivent s'appuyer sur leur base sectionnaire. Même s'ils appartiennent aux éléments les plus thermidoriens du Parti socialiste, ils paient tribut à la même rhétorique. Ceux de droite, parce qu'ils ne se sentent pas sûrs de leur légitimité, intériorisent en partie la sacralisation de nos récurrences révolutionnaires telle qu'ils l'ont apprise à l'école.
Le déclassement
Depuis l'écroulement de l'URSS, le noyau révolutionnaire français s'est débarrassé du lourd handicap d'être associé au mouvement communiste mondial et d'être piloté par des équipes soviétiques. Du coup, l'esprit révolutionnaire a été rapatrié sur et dans l'histoire de France, et il peut plus facilement se mélanger au nationalisme, comme d'ailleurs il avait toujours fait. Maintenant, on ne peut plus le taxer, comme fit Léon Blum, de nationalisme étranger. Le communisme, comme l'a fort bien écrit Marc Lazar, reste une passion française.
Après le traumatisme de la Terreur, après l'incrustation d'un noyau révolutionnaire de tradition jacobine ou hébertiste, un troisième héritage nous vient de la Révolution française : le déclassement, ou le sentiment du déclassement, de la nation française. En une vingtaine d'années, la guerre, par nous déclarée en 1792, a coûté environ 1 500 000 morts. Le choc démographique est comparable à celui de la guerre de 14. Au sortir de laquelle guerre la France fut reléguée à la seconde place, puis bientôt à la troisième, après l'Allemagne, à la quatrième, après la Russie. Depuis 1815, la France dans son existence nationale est virtuellement en danger au milieu de voisins plus puissants qu'elle [le calcul d'Alfred Sauvy, montrant qu'avec les sommes dépensées par Napoléon à la guerre on aurait pu faire de l'Amérique du nord un pays de culture française est édifiant]. Nouveau motif de peur.
On ne pouvait pas ne pas faire la Révolution française. Dans toute l'Europe, le passage de l'Ancien au nouveau régime a été une énorme affaire qui s'est étalée chaque fois sur une centaine d'années. Le malheur français fut que celte inévitable transition fut particulièrement coûteuse et laissa des séquelles qui ne passent pas.
[...]
Dans les trois exemples [voisins, Angleterre, Espagne, Allemagne], l'issue de la révolution [en 1715, 1945 et 1975] a été la stabilisation de la vie politique, la solution de son problème. La révolution française n'a pas résolu le problème politique français.
Il faut maintenant regarder pourquoi le Français des XIXème et XXème siècles a peur en dehors même des turbulences déjà signalées.
La propriété et le droit
La pacification des Français ne fut obtenue, ainsi qu'après les guerres de religion, que par l'érection d'un État relativement indépendant des citoyens et muni d'une considérable capacité de coercition. L'État napoléonien renouvela ce type de pouvoir. Il assurait l'ordre, l'égalité devant la loi, une administration rationnelle. Il ne considérait pas que la liberté fût son premier souci, en conformité d'ailleurs avec les passions françaises qui n'étaient pas tournées de ce côté mais vers l'égalité. La protection des droits fit des progrès avec des hauts et des bas, surtout dans les années bénies de la république orléaniste et opportuniste. Mais des progrès lents, en général en retard sur le rythme de l'Europe du Nord.
La propriété en France a été peu respectée J'ai parlé de la spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations, des Juifs, Il faut aussi se souvenir que la Révolution s'est établie et consolidée sur un colossal et en grande partie illégal transfert de propriété. L'intangibilité des biens nationaux plus ou moins volés s'est imposée à tous les régimes et une mesure de simple justice, comme le milliard des émigrés, a été violemment contestée par toute la gauche comme un abus monstrueux. Les Tchèques, les Polonais ont montré plus de respect pour la propriété, après cinquante ans d'expropriation communiste. La propriété de mainmorte [ie détachée d'une personne, attachée à un organisation], c'est-à-dire le droit de créer des fondations, des trusts à la manière anglaise et américaine, n'a jamais été acceptée par l'Etat français. Notre État n'admet que la propriété individuelle et la propriété d'État, il ne veut pas que ses sujets établissent des noyaux de propriété stable et donc de liberté [rappel : garantie de propriété privée et liberté sont intimemement liées] parce qu'ils échappent à son contrôle. Que mon ancien collège d'Oxford vive encore largement sur les biens que lui a légués l'archevêque Chichely, au lendemain de la bataille d'Azincourt, n'est pas une chose concevable dans mon pays où les biens de l'Université de Paris ont été nationalisés en même temps que tous les biens des corporations et ceux de l'Eglise.
L'influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens de la délégitimation de la propriété individuelle [en France, si quelqu'un se fait voler une Ferrari en plein Paris, la réaction ne sera pas "Quel scandale qu'on puisse voler une voiture en plein Paris." mais "C'est bien fait pour lui, c'est un scandale de rouler dans une voiture de ce prix."]. Le droit de propriété n'est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au travail, à l'emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété sont manifestes, reçoit en revanche une garantie. « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. » Ce passage du préambule sonne assez « démocratie populaire ». La passion de l'égalité qui est au fond de l'humeur politique française rend très difficile à l'homme riche de jouir publiquement de sa richesse, comme le font les Italiens et les Anglais fortunés. Il sait que s'il n'appartient pas au monde du show business ou du sport, il lui est conseillé de rouler en Peugeot plutôt qu'en Rolls ou en Jaguar. En France, si j'ose paraphraser Baudelaire, les riches, les pauvres riches ont de grandes douleurs [peut-être excessif, mais, en tout cas, les riches français ont pour devise "Vivons cachés ... ou en Suisse." Alain Prost avait expliqué que son exil suisse ne devait pas tout à la fiscalité, mais aussi à une la recherche de la tranquillité et à la fuite de la jalousie].
Comme la propriété est le fondement du droit [La propriété privée constitue la ressource ultime du citoyen : pouvoir se retirer du monde, de la société, en son privé. C'est pourquoi la garantie de la propriété privée et Etat de Droit sont très intimement liés], la faiblesse de la première fait aussi l'incertitude du second. Les Français n'ont jamais été convaincus de l'indépendance de leur justice. Et puisque dans leur histoire récente ils ont observé que les juges sanctionnaient des mesures iniques, ou bien que l'État épurait de temps en temps la magistrature, comme il l'a fait en grand dans les débuts de la République radicale, ils ont tendance à penser qu'il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice [C'est aussi ce que pensait un ancien ministre de la justice : "Je retiens de mon passage au ministère qu'il ne faut jamais avoir à faire à la justice française."]. Et encore moins à la police, qui jusqu'à une date récente manquait souvent de douceur, soit pour contenir les manifestations, soit derrière les grilles des commissariats de police.
L'armée et l'école
Pendant toute la fin du XIXème siècle et presque tout le XXème siècle, la grande majorité des jeunes Français ont subi l'épreuve du service militaire. « Le code militaire, fait dire Anatole France à M. Bergeret, n'est qu'une compilation des ordonnances concernant les armées de Louis XIV et de Louis XV. On sait ce qu'étaient ces armées, ramas de racoleurs et de racolés, chiourme de terre, divisée en lots qu'achetaient les jeunes nobles, parfois des enfants. On maintenait l'obéissance de ces troupes en perpétuelles menaces de mort. Tout est changé ; les militaires de la monarchie et des deux Empires ont fait place à une énorme et placide garde nationale. Il n'y a plus à craindre ni mutineries ni violences. Pourtant la mort à tout propos menace des doux troupeaux de paysans et d'artisans habillés en soldats. Le contraste de ces mœurs bénignes et de ces lois féroces est presque risible. »
Contrairement à une opinion répandue, l'armée allemande était beaucoup plus communautaire que la française. Les officiers mangeaient avec la troupe et veillaient à maintenir une certaine Gemeinschaft favorable à l'initiative individuelle [Hé oui ! On a vu lors des batailles désespérées de la fin de la seconde guerre mondiale des officiers administratifs, voire un sergent cuisinier - Berlin (A. Beevor), rassembler une troupe de fuyards et en prendre le commandement pour l'entraîner au combat.]. Voilà pour le temps de paix. Mais en temps de guerre, c'est la tradition de la Révolution et de l'Empire qui continue, à savoir l'extrême prodigalité du sang des soldats. Des petites guerres, comme celle de Crimée, ou quelques guerres coloniales ont été des boucheries. Dans les quatre premiers mois de la guerre de 1914, l'armée française, assez mal armée et équipée, mais conduite par la doctrine de l'offensive à outrance, a perdu 400 000 hommes. 100 000 hommes encore dans le seul mois des combats de 1940. C'est beaucoup plus que n'en perdaient les armées allemandes dans ces mêmes conflits [On estime à la grosse que la Werhmacht a infligé 50 % de pertes de plus qu'elle n'en a subies - Histoire de l'armée allemande (P. Masson)]. Je ne compare pas avec les traditions de l'armée américaine. La France a été saignée irréparablement en particulier dans ses élites. Je prie le lecteur d'aller voir le monument aux morts de l'École normale supérieure. Marcel Déat est parti en 1914 avec soixante-dix camarades. Ils sont rentrés trente-cinq. Ce que je dis n'est pas pour excuser, mais pour expliquer Marcel Déat.
Enfin, il faut remarquer le caractère particulièrement sévère de l'éducation française traditionnelle, tant de l'école primaire que de l'école secondaire. Il faut désormais en parler au passé, car ce type d'éducation a disparu au moins depuis 1968. Il avait l'immense mérite de former des jeunes gens instruits, habitués au travail, à la compétition [on en est loin de nos jours]. Mais il était assez rude et sombre. [...]
Le fait que la Révolution française ait laissé une mémoire déchirée à la France et une légitimité fragile à tout gouvernement postérieur a donné quelque chose de hobbésien à la société française. Tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Aux peurs déjà recensées se joint donc la peur du prochain. Elle est assez forte pour expliquer ce trait qui étonne l'étranger : les Français évitent à tout prix le face à face et le dialogue direct. Ils ont peur de leur propre haine, ils craignent de ne pouvoir contrôler leur agressivité [je trouve agréable la civilité des Américains, même si nous la déprécions aussitôt en la qualifiant de "superficielle"].
Ils préfèrent s'en remettre à une instance tierce plus haute et finalement à l'État. La centralisation fameuse de notre pays tient en partie à cette conduite qui veut chercher au sommet un arbitre pour calmer les conflits de voisinage. Cet arbitre étant lointain, la triche demeure possible [voir les sondages qui disent que 57 % des Français trouvent scandaleux de tricher aux assurances chomage contre 95 % pour les Danois]. Au contrat, qui lie loyalement deux partenaires, les Français préfèrent la loi, qui n'oblige pas à cette loyauté.
Quand l'État prend peur
Cela ne marche bien qu'à condition que l'État soit faible. C'est ce qui a fait le bonheur impressionniste dans la France de la IIIème République. [...]
Mais cela ne marche plus quand on veut mettre en place partout un exécutif fort, comme il est de bonne doctrine aux Sciences Po depuis la guerre. Alors, pour lui résister, les Français s'agglutinent par catégories, communautés, groupement variés et descendent dans la rue. Cette fois, c'est l'État qui prend peur. [Nous vivons, c'est un paradoxe seulement en apparence, avec un Etat d'autant plus faible et impuissant qu'il est chaque jour plus envahissant et interventionniste. L'Etat français de 2005 : fort avec les faibles, faible avec les forts. Vous connaissez le fond de ma pensée : seule une libéralisation, sous la forme d'une vraie décentralisation, viendra à bout de nos difficultés. Et ça n'a rien d "anti-Français" : il y a dans notre histoire et dans notre culture, une authentique tradition d'identité et d'indépendance des provinces.]
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