JL Borloo et D. de Villepin se disputent la paternité de la baisse du chomage annoncée ce jour.
Si le chomage n'était pas un drame, cette bataille pour accrocher le lumière serait une comédie, de piètre qualité d'ailleurs.
Cette baisse du chomage est en trompe-l'oeil puisque l'emploi marchand n'a pas bougé d'un poil.
En effet, depuis trente ans qu'on fait du "traitement social du chomage", le mécanisme est parfaitement connu (le plan Borloo n'a aucune originalité, contrairement à ce que prétend son auteur) : les subventions aident à créer des emplois non rentables, qui n'auraient pas été crés spontanément sans les aides.
Puisque, par définition, ces emplois ne sont pas rentables, ils coûtent, au total, aides et salaire additionnés, plus cher qu'ils ne rapportent ; simplement, par l'effet de la subvention, le coût de l'absence de rentabilité est déplacé : ce n'est plus l'entreprise qui le supporte, sans quoi elle n'aurait pas fait cette embauche, mais l'Etat, c'est à dire en dernier ressort le contribuable.
Autrement dit, on déshabille Pierre, contribuable, le privant d'un usage de son argent dont on ne sait pas si il est économiquement judicieux ou non, pour habiller Pierre, subventionné, pour un usage de l'argent ainsi distribué dont on est certain qu'il n'est pas économiquement judicieux, puisqu'il vient créer un emploi qui coûte plus qu'il rapporte (c'est-à-dire qu'il paye un travail qui ne vaut pas le coup). C'est un recette sûre pour gaspiller.
Bref, le "traitement social du chomage" à la française est anti-économique et, donc, est condamné à échouer une fois les effets d'aubaine transitoires passés.
Le plan Théodule finit toujours pas être mis au placard, puisque, par construction il n'est pas pérenne. Les subventions s'interrompent et avec elles les emplois aidés associés, en espérant que le prélèvement sur l'économie pour financer le plan Théodule n'a pas détruit trop d'emplois par ailleurs.
Bilan : au mieux le chomage n'a pas baissé, au pire il a augmenté.
Ce que je décris là n'est nullement théorique : c'est ce qu'on observe en France depuis trente ans, période durant laquelle il n'y a eu aucune baisse prolongée du chomage et bien des hausses.
Faut-il désespérer ? De la politique peut-être, de l'économie, certainement pas.
Car la solution contre le chomage est maîtrisée, c'est le traitement économique du chomage. Il consiste à diminuer les dépenses publiques pour dégager des ressources en capital privé, à améliorer spectaculairement la qualité du système d'enseignement, à libéraliser au maximum le marché du travail (ce qui n'empêche en aucun cas de protéger les individus), à décentraliser le fonctionnemment des pouvoirs publics pour favoriser les initiatives locales, à laisser mourir sans remords les entreprises agonisantes, et, enfin, à considérer le commerce mondial comme une chance et non comme un danger.
Toutes idées appliquées avec succès chez quelques uns de nos voisins.
mercredi, mai 31, 2006
De le liberté d'expression en France
Voici trois de mes opinions :
> je considère que faire passer une loi décrétant l'esclavage passé crime contre l'humanité est un anachronisme regrettable. La notion de crime contre l'humanité ne s'applique pas à mes yeux à l'esclavage passé (combattons d'ailleurs plutôt l'esclavage présent). Ce mélange de confusion et de démagogie conduit à dévaloriser la loi.
> J'estime qu'on exagère en évoquant trop souvent et hors de propos la Shoah et l'antisémitisme. Bien qu'étant plutôt pro-sioniste, je trouve que la souffrance passée sert trop fréquemment d'alibi et d'étouffoir.
> Je suis contre l'adoption par les homosexuels. D'une part, j'estime que c'est prendre un risque psychologique pour l'enfant afin de satisfaire les désirs égoïstes des "parents" (exactement comme une femme qui sciemment "fait un bébé toute seule".) ; d'autre part, il y a là à mes yeux une incohérence, une inconséquence, une façon de vouloir le beurre et l'argent du beurre. Tout le monde a le droit d'être homosexuel, mais pourquoi ne pas assumer jusqu'au bout ? Un couple d'hommes ou un couple de femmes ne peuvent pas faire d'enfants, c'est ainsi. Si vous voulez des enfants, ne soyez pas homosexuel. Homosexuel ou parent, il faut choisir.
Il ne contrevient, à mes yeux du moins, en rien à la morale de penser que l'anachronisme est une faute de jugement, qu'exciper trop souvent de ses blessures est un manque de pudeur et un chantage sentimental, et que ne pas assumer complètement des différences de moeurs librement choisies est une lâcheté.
Pourtant, la législation française étant ce qu'elle est, je me demande si je ne tombe pas sous le coup de la loi pour chacune de ces opinions.
Le simple fait que je puisse avoir ce doute en dit long sur le conformisme qui paralyse gravement la pensée et l'expression en France. On ne devrait pas avoir la moindre incertitude s'agissant du plus intime l'opinion et la liberté de l'exprimer.
Pour vous poser le problème avec plus d'humour, croyez que Pierre Desproges serait quitte de poursuites judiciaires si il ressuscitait et concluait de nouveau son sketch collaboration/résistance par "L'embêtant dans la collaboration, c'est de dénoncer les juifs. C'est pas joli, joli. Mais l'embêtant dans la résistance, c'est qu'il fallait vivre avec." ?
> je considère que faire passer une loi décrétant l'esclavage passé crime contre l'humanité est un anachronisme regrettable. La notion de crime contre l'humanité ne s'applique pas à mes yeux à l'esclavage passé (combattons d'ailleurs plutôt l'esclavage présent). Ce mélange de confusion et de démagogie conduit à dévaloriser la loi.
> J'estime qu'on exagère en évoquant trop souvent et hors de propos la Shoah et l'antisémitisme. Bien qu'étant plutôt pro-sioniste, je trouve que la souffrance passée sert trop fréquemment d'alibi et d'étouffoir.
> Je suis contre l'adoption par les homosexuels. D'une part, j'estime que c'est prendre un risque psychologique pour l'enfant afin de satisfaire les désirs égoïstes des "parents" (exactement comme une femme qui sciemment "fait un bébé toute seule".) ; d'autre part, il y a là à mes yeux une incohérence, une inconséquence, une façon de vouloir le beurre et l'argent du beurre. Tout le monde a le droit d'être homosexuel, mais pourquoi ne pas assumer jusqu'au bout ? Un couple d'hommes ou un couple de femmes ne peuvent pas faire d'enfants, c'est ainsi. Si vous voulez des enfants, ne soyez pas homosexuel. Homosexuel ou parent, il faut choisir.
Il ne contrevient, à mes yeux du moins, en rien à la morale de penser que l'anachronisme est une faute de jugement, qu'exciper trop souvent de ses blessures est un manque de pudeur et un chantage sentimental, et que ne pas assumer complètement des différences de moeurs librement choisies est une lâcheté.
Pourtant, la législation française étant ce qu'elle est, je me demande si je ne tombe pas sous le coup de la loi pour chacune de ces opinions.
Le simple fait que je puisse avoir ce doute en dit long sur le conformisme qui paralyse gravement la pensée et l'expression en France. On ne devrait pas avoir la moindre incertitude s'agissant du plus intime l'opinion et la liberté de l'exprimer.
Pour vous poser le problème avec plus d'humour, croyez que Pierre Desproges serait quitte de poursuites judiciaires si il ressuscitait et concluait de nouveau son sketch collaboration/résistance par "L'embêtant dans la collaboration, c'est de dénoncer les juifs. C'est pas joli, joli. Mais l'embêtant dans la résistance, c'est qu'il fallait vivre avec." ?
Une citation sur le "patriotisme" économique
Il est tout à fait naturel qu'on ressente la nostalgie de ce qui était l'Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ! il n'y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités.
Bien sûr, Charles de Gaulle ne pensait pas à l'économie en disant cela. Mais je trouve que cette citation s'applique parfaitement au "patriotisme" économique, qui n'est à mes yeux qu'un chauvinisme rétrograde.
Il ne s'agit pas de ma part de naïveté, au contraire : peu importe la nationalité des actionnaires et des dirigeants tant que l'argent rentre.
Or, rien de tel pour faire rentrer l'argent que la sécurité juridique (1) et un marché ouvert, tout le contraire du "patriotisme économique".
D'autres que nous pratiquent le chauvinisme économique ? Et alors ? Nous ne sommes pas obligés de les suivre dans leurs erreurs.
(1) : c'est-à-dire le contraire de l'intervention étatique à la tête du client : pourquoi hurler contre Mittal pour défendre Arcelor et pas contre Colony Capital pour défendre Taittinger ? C'est l'arbitraire brut et aléatoire, sans queue ni tête.
Bien sûr, Charles de Gaulle ne pensait pas à l'économie en disant cela. Mais je trouve que cette citation s'applique parfaitement au "patriotisme" économique, qui n'est à mes yeux qu'un chauvinisme rétrograde.
Il ne s'agit pas de ma part de naïveté, au contraire : peu importe la nationalité des actionnaires et des dirigeants tant que l'argent rentre.
Or, rien de tel pour faire rentrer l'argent que la sécurité juridique (1) et un marché ouvert, tout le contraire du "patriotisme économique".
D'autres que nous pratiquent le chauvinisme économique ? Et alors ? Nous ne sommes pas obligés de les suivre dans leurs erreurs.
(1) : c'est-à-dire le contraire de l'intervention étatique à la tête du client : pourquoi hurler contre Mittal pour défendre Arcelor et pas contre Colony Capital pour défendre Taittinger ? C'est l'arbitraire brut et aléatoire, sans queue ni tête.
mardi, mai 30, 2006
A propos de ségolisme
Je vous faisais part il y a quelques jours de l'avis peu flatteur d'Alain Etchegoyen sur la dame rose. Voici un complément
Le ségolisme cache-misère idéologique des socialistes
Le ségolisme cache-misère idéologique des socialistes
Un mot de Favilla dans Les Echos
On en est là :
Plus fascinant [que les partis extrêmes] est le comportement des partis de gouvernement.
Dotés d'une solide majorité parlementaire, le pouvoir et l'UMP réussissent à faire oublier leur gestion somme toute acceptable du pays par les vapeurs délétères de Clearstream. Après avoir maladroitement tenté d'enfumer Nicolas Sarkozy par des manoeuvres subalternes, « on » cherche maintenant à diffracter l'enquête par divers fumigènes ; la « victime », de son côté, commence à craindre que toutes ces nuées n'occultent son mâle discours...
Mais, en face, les socialistes sont près de sauver la droite par la confusion du leur. Pris au piège de leur projet compliqué et toujours en discussion, ils interdisent pourtant à leur futur candidat de s'en écarter, ce qui ne lui facilitera pas la tâche ; leur dernière controverse les oppose sur la date de sa désignation, la durée de la campagne interne, l'opportunité ou non d'en laisser téléviser les débats.
Et, quand des responsables du parti, soucieux de la future majorité, n'excluent pas de prendre langue un jour avec François Bayrou - nouvel opposant depuis son vote de censure -, ils se voient quasiment menacés d'excommunication pour collusion avec la droite. On peut être stupéfait d'un tel refus de l'esprit d'examen, d'une aussi grande prégnance de l'exclusion des autres, sorte de racisme politique, d'une référence aussi butée à on ne sait quels principes inscrits dans on ne sait quel Coran. Aveuglé par l'obsession des « voix de gauche », le PS semble s'enfermer à nouveau dans les effluves de sa fumerie, comme l'opiomane se blottit dans la sienne. On ne s'étonnera pas qu'après cela, le moment venu, l'électeur délaisse les urnes à la recherche d'un bol d'air.
Plus fascinant [que les partis extrêmes] est le comportement des partis de gouvernement.
Dotés d'une solide majorité parlementaire, le pouvoir et l'UMP réussissent à faire oublier leur gestion somme toute acceptable du pays par les vapeurs délétères de Clearstream. Après avoir maladroitement tenté d'enfumer Nicolas Sarkozy par des manoeuvres subalternes, « on » cherche maintenant à diffracter l'enquête par divers fumigènes ; la « victime », de son côté, commence à craindre que toutes ces nuées n'occultent son mâle discours...
Mais, en face, les socialistes sont près de sauver la droite par la confusion du leur. Pris au piège de leur projet compliqué et toujours en discussion, ils interdisent pourtant à leur futur candidat de s'en écarter, ce qui ne lui facilitera pas la tâche ; leur dernière controverse les oppose sur la date de sa désignation, la durée de la campagne interne, l'opportunité ou non d'en laisser téléviser les débats.
Et, quand des responsables du parti, soucieux de la future majorité, n'excluent pas de prendre langue un jour avec François Bayrou - nouvel opposant depuis son vote de censure -, ils se voient quasiment menacés d'excommunication pour collusion avec la droite. On peut être stupéfait d'un tel refus de l'esprit d'examen, d'une aussi grande prégnance de l'exclusion des autres, sorte de racisme politique, d'une référence aussi butée à on ne sait quels principes inscrits dans on ne sait quel Coran. Aveuglé par l'obsession des « voix de gauche », le PS semble s'enfermer à nouveau dans les effluves de sa fumerie, comme l'opiomane se blottit dans la sienne. On ne s'étonnera pas qu'après cela, le moment venu, l'électeur délaisse les urnes à la recherche d'un bol d'air.
Le Caiman
F
De très loin, le plus mauvais film de Nanni Moretti : ça n'arrête pas de gueuler (caricature d'italianité), le politiquement correct et obligatoire couple homosexuel (du mauvais Almodovar) et un anti-berlusconisme tellement primaire qu'il en est ridicule.
Vivement le prochain Moretti , car c'est un cinéaste que j'apprécie, mais personne n'est parfait et il vient de faire un méchant film.
En photo d'illustration, je vous ai mis tout ce qui est agréable dans ce film.
Nota : l'enthousiasme de Télérama et du Monde en dit long sur leurs critères "cinématographiques" : l'antiberlusconisme vaut brevet de 7ème art.
lundi, mai 29, 2006
Un blog intéresant
C'est la blog d'un officier d'Etat-Major, vous y trouverez des propos sur l'actualité (notamment sur l'Irak, loin de la bouillie pour chats que nous sert la presse française (1)) et sur l'histoire (par exemples sur les guerres de Vendée).
Ludovic Monnerat
(1) : chaque fois que je lis des conneries dans la presse, généralement inspirées par l'esprit partisan et par un paresseux conformisme, je crois que le fond a été atteint, puis je suis déçu : il y a toujours pire.
Rappelons quelques faits en faveur de la politique de la coalition (les faits défavorables seront rappelés par d'autres que moi) :
> la guerre a mis fin à l'horrible dictature de Saddam Hussein.
> les timides velléités démocratiques des dictatures de la région sont dues à la peur du désormais voisin américain.
> l'Irak a un gouvernement élu.
> Le chaos vient des irakiens, ou plutôt de leurs factions, pas des coalisés.
Ludovic Monnerat
(1) : chaque fois que je lis des conneries dans la presse, généralement inspirées par l'esprit partisan et par un paresseux conformisme, je crois que le fond a été atteint, puis je suis déçu : il y a toujours pire.
Rappelons quelques faits en faveur de la politique de la coalition (les faits défavorables seront rappelés par d'autres que moi) :
> la guerre a mis fin à l'horrible dictature de Saddam Hussein.
> les timides velléités démocratiques des dictatures de la région sont dues à la peur du désormais voisin américain.
> l'Irak a un gouvernement élu.
> Le chaos vient des irakiens, ou plutôt de leurs factions, pas des coalisés.
Un épisode inconnu du Monde
Le Monde, dont c'est le droit, souhaite faire la promotion du film Indigènes de Rachid Bouchareb.
Mais c'est pousser le bouchon très loin que de présenter la contribution des indigènes des colonies à la Libération comme un épisode inconnu, sous entendu, les Français sont incorrigiblement oublieux et ingrats.
Si il n'y avait que cela, les commémorations du débarquement en Provence en août 2004 et la polémique autour du "rôle positif de la colonisation" suffiraient à invalider votre propos en rappelant que le passé colonial est un sujet sensible pour tous les Français, largement présent dans les médias et toujours porteurs de passion ; il est donc difficile de suivre arguant de l'ignorance du public.
Le Monde délaisserait-il l'objectivité pour se laisser aller à un tiers-mondisme sournois ?
Mais c'est pousser le bouchon très loin que de présenter la contribution des indigènes des colonies à la Libération comme un épisode inconnu, sous entendu, les Français sont incorrigiblement oublieux et ingrats.
Si il n'y avait que cela, les commémorations du débarquement en Provence en août 2004 et la polémique autour du "rôle positif de la colonisation" suffiraient à invalider votre propos en rappelant que le passé colonial est un sujet sensible pour tous les Français, largement présent dans les médias et toujours porteurs de passion ; il est donc difficile de suivre arguant de l'ignorance du public.
Le Monde délaisserait-il l'objectivité pour se laisser aller à un tiers-mondisme sournois ?
Ségolène serait soupe au lait
Voici un extrait d'un article, dont j'ai repris le titre, de Dominique Dhombres :
Un des invités, dimanche soir, était le philosophe Alain Etchegoyen, ancien collaborateur de Claude Allègre et de Ségolène Royal au ministère de l'éducation nationale. Sur cette dernière, il faisait entendre une voix discordante. "Son succès dans le champ politique me laisse penser qu'elle doit disposer d'atouts qui m'ont échappé, avoir des traits de caractère que je n'ai pas perçu", disait-il.
Selon lui, la dame en question "ne pense qu'à faire des coups médiatiques". Elle ne se préoccupe que de son image. Elle ne travaille pas. Et soupe au lait, avec ça ! Capable de piquer des colères terribles pour une tasse de café qui traîne. Dominique de Villepin n'était pas davantage épargné. "Vous le voyez trois quarts d'heure, et vous avez l'impression d'avoir fait le tour complet du personnage". Il faudrait interroger à ce sujet le général Rondot, qui l'a beaucoup fréquenté. Hélas, désormais, il se tait.
Je pense que M. Etchegoyen est passé à travers l'essentiel sans le voir. Que Mme Royal travaille peu, connaisse mal ses dossiers et n'ait pas grand'chose à dire est une évidence pour qui lit la presse ou s'est intéressé au passage ministériel de la dame.
C'est la phrase "elle doit disposer d'atouts qui m'ont échappé, avoir des traits de caractère que je n'ai pas perçu" qui a attiré mon attention. Alain Etchegoyen croit que le succès sondagier de Mme Royal repose sur des faits positifs, je crois au contraire que son succès s'ancre dans le négatif : par rejet des autres candidats, les Français projette sur l'image lisse et sans saveur de Mme Royal leur fantasme de candidat idéal.
Ainsi, le recours au prénom : qui n'a pas rêvé de tutoyer un Président de la République, de l'appeler par son prénom ? Mais, quand vient l'heure de glisser le bulletin dans l'urne, la familiarité rejoint le rayon des imaginations fumeuses et discrédite le candidat qui en bénéficie.
A mes yeux, le simple fait qu'on appelle Mme Royal par son prénom suffit à montrer qu'elle ne sera pas élue et qu'elle occupe juste le terrain, comme un intermède avant les choses sérieuses.
Evidemment, je peux me tromper.
Un des invités, dimanche soir, était le philosophe Alain Etchegoyen, ancien collaborateur de Claude Allègre et de Ségolène Royal au ministère de l'éducation nationale. Sur cette dernière, il faisait entendre une voix discordante. "Son succès dans le champ politique me laisse penser qu'elle doit disposer d'atouts qui m'ont échappé, avoir des traits de caractère que je n'ai pas perçu", disait-il.
Selon lui, la dame en question "ne pense qu'à faire des coups médiatiques". Elle ne se préoccupe que de son image. Elle ne travaille pas. Et soupe au lait, avec ça ! Capable de piquer des colères terribles pour une tasse de café qui traîne. Dominique de Villepin n'était pas davantage épargné. "Vous le voyez trois quarts d'heure, et vous avez l'impression d'avoir fait le tour complet du personnage". Il faudrait interroger à ce sujet le général Rondot, qui l'a beaucoup fréquenté. Hélas, désormais, il se tait.
Je pense que M. Etchegoyen est passé à travers l'essentiel sans le voir. Que Mme Royal travaille peu, connaisse mal ses dossiers et n'ait pas grand'chose à dire est une évidence pour qui lit la presse ou s'est intéressé au passage ministériel de la dame.
C'est la phrase "elle doit disposer d'atouts qui m'ont échappé, avoir des traits de caractère que je n'ai pas perçu" qui a attiré mon attention. Alain Etchegoyen croit que le succès sondagier de Mme Royal repose sur des faits positifs, je crois au contraire que son succès s'ancre dans le négatif : par rejet des autres candidats, les Français projette sur l'image lisse et sans saveur de Mme Royal leur fantasme de candidat idéal.
Ainsi, le recours au prénom : qui n'a pas rêvé de tutoyer un Président de la République, de l'appeler par son prénom ? Mais, quand vient l'heure de glisser le bulletin dans l'urne, la familiarité rejoint le rayon des imaginations fumeuses et discrédite le candidat qui en bénéficie.
A mes yeux, le simple fait qu'on appelle Mme Royal par son prénom suffit à montrer qu'elle ne sera pas élue et qu'elle occupe juste le terrain, comme un intermède avant les choses sérieuses.
Evidemment, je peux me tromper.
dimanche, mai 28, 2006
Le rêve européen confisqué ?
Le titre de ce message reprend, avec un point d'interrogation en plus, celui d'un article du Monde :
Le rêve européen confisqué
C'est tout de même étrange, ces gens qui votent Non à un projet européen majeur et qui s'étonnent que l'Europe s'arrête.
Ils diront qu'ils n'ont pas voté pour que l'Europe s'arrête mais pour la révolution en Europe : c'est abusif, les partisans de Villiers et de Le Pen, qui ont aussi voté Non, faut-il le rappeler, ne sont certainement pas favorables à la révolution en Europe, en tout cas pas la même que celle du postier et du faux agriculteur (1).
De toute façon, ça n'était pas la question posée.
(1) : c'est ça, la démocratie : une voix d'un lepéniste pèse ni plus ni moins que celle d'un trotskiste, c'est pourquoi il n'y aucune raison que ça soit l'interprétation gauchiste du Non qui l'emporte.
Le rêve européen confisqué
C'est tout de même étrange, ces gens qui votent Non à un projet européen majeur et qui s'étonnent que l'Europe s'arrête.
Ils diront qu'ils n'ont pas voté pour que l'Europe s'arrête mais pour la révolution en Europe : c'est abusif, les partisans de Villiers et de Le Pen, qui ont aussi voté Non, faut-il le rappeler, ne sont certainement pas favorables à la révolution en Europe, en tout cas pas la même que celle du postier et du faux agriculteur (1).
De toute façon, ça n'était pas la question posée.
(1) : c'est ça, la démocratie : une voix d'un lepéniste pèse ni plus ni moins que celle d'un trotskiste, c'est pourquoi il n'y aucune raison que ça soit l'interprétation gauchiste du Non qui l'emporte.
Des parents d'élèves toujours plus procéduriers
Je me sens fondé à reprocher à l'éducation nationale (qui a déjà le tort de donner à croire que son rôle est d'éduquer et non d'instruire) son abdication devant les caprices des élèves (1) ; cependant je dois reconnaître que, quand les parents se comportent comme d'infâmes malotrus, je dois admettre que ça devient difficile d'oeuvrer.
(1) récemment, un adolescent m'a montré les films qu'il tourne avec son portable pendant les cours (il est en 1ère). Pourquoi lui est-il permis d'utiliser son portable en classe ? Pourquoi un tel chahut (l'action ressemblait plus à un combat de catch, hélas pour une fois je n'exagère pas, qu'à un cours d'histoire, désignation officielle et purement théorique du bordel filmé par le jeune homme) ? Néanmoins, puisque tout cela n'avait pas l'air le moins de monde perturber le professeur qui continuait à débiter son boniment, avec quelques magnifiques retraits du buste pour éviter de ci de là un avion en papier (je n'invente rien), c'est sûrement que je suis un réactionnaire qui n'a rien compris à l'éducation.
Des parents d'élèves toujours plus procéduriers
Marie-Estelle Pech
27 mai 2006, (Rubrique France Le Figaro)
Drogue, violences, absentéisme : le nombre des conseils de discipline explose. Mais les familles rejettent souvent l'autorité scolaire.
C'est Anne Kerkhove qui a été élue hier présidente nationale des Parents d'élèves de l'enseignement public (Peep), la deuxième fédération de parents d'élèves, lors de son congrès annuel au Mans. Cette Lyonnaise de 50 ans «souhaite ramener le calme. Les luttes de pouvoir doivent cesser», a-t-elle annoncé alors que la Peep est marquée depuis deux ans par des tensions internes, sur fond de malversations financières et de luttes de clans.
Depuis quelques années, les parents de la Peep notent une multiplication des recours aux conseils de discipline avec des exclusions quasi systématiques. «On a de plus en plus de problèmes de drogue», s'est inquiété un représentant de l'Essonne lors d'un groupe de travail consacré hier à ce sujet lors du congrès annuel. Les passages devant les conseils de discipline pour des violences verbales et physiques sont également en hausse tout comme les problèmes d'absentéisme.
Des «phénomènes nouveaux» sont de plus en plus sanctionnés comme les blogs injurieux envers les enseignants et les jeux violents entre enfants. Ou encore les cas de photos «volées» d'enseignants, parfois dans des postures peu avantageuses, prises avec des téléphones portables. Ces incivilités accrues, associées à une judiciarisation toujours plus grande de la société, cantonnent souvent les relations entre parents et enseignants à un dialogue de sourds.
D'autant plus que les parents se sentent souvent démunis et méfiants face aux procédures de l'Education nationale.
Les familles sont nombreuses à avoir recours aux services d'un avocat. Le but est généralement d'«éviter l'exclusion», explique Pierre-Gérard Bazillou, vice-président de la Peep Paris. Cette sanction pose en effet souvent des problèmes de transports aux familles puisque l'enfant est ensuite scolarisé dans un autre établissement.
Les parents défendent parfois leurs enfants envers et contre tout. «C'est une honte que le surveillant ne se soit pas rendu compte plus tôt que mon enfant transportait de la drogue. Il a mal fait son boulot !», a déjà entendu un conseil de discipline. D'autres assurent mordicus que leur fils était en état de «légitime défense» alors qu'il avait tabassé son petit camarade après lui avoir subtilisé sa calculette. Une congressiste se souvient de ces quatre enfants qui avaient fait «exploser» les toilettes d'un établissement de Clermont-Ferrand et qui risquaient l'exclusion. Ils étaient venus avec quatre avocats en robe dont le bâtonnier de la ville. Ces derniers ont très longuement expliqué que les parents «méritants» ne devaient pas subir un tel désaveu. «Etre assisté d'un avocat n'est pas une bonne solution. Cela dédouane un peu rapidement l'élève et les parents de leurs responsabilités», déplore-t-elle.
Les parents contestent aussi les décisions en faisant appel devant les rectorats. Parce qu'on ne les a pas suffisamment écoutés en première instance, expliquent-ils. «Le plus souvent parce qu'ils sont mal informés mais aussi pour régler leurs comptes avec l'Education nationale», note un représentant de la Peep à la commission d'appel des conseils de discipline au rectorat de Paris. D'autres, très procéduriers, formulent ensuite un recours devant les tribunaux administratifs. Comme ce père dont le garçon vendait de la drogue dans son collège parisien et qui estimait «scandaleux» que son fils soit sanctionné.
(1) récemment, un adolescent m'a montré les films qu'il tourne avec son portable pendant les cours (il est en 1ère). Pourquoi lui est-il permis d'utiliser son portable en classe ? Pourquoi un tel chahut (l'action ressemblait plus à un combat de catch, hélas pour une fois je n'exagère pas, qu'à un cours d'histoire, désignation officielle et purement théorique du bordel filmé par le jeune homme) ? Néanmoins, puisque tout cela n'avait pas l'air le moins de monde perturber le professeur qui continuait à débiter son boniment, avec quelques magnifiques retraits du buste pour éviter de ci de là un avion en papier (je n'invente rien), c'est sûrement que je suis un réactionnaire qui n'a rien compris à l'éducation.
Des parents d'élèves toujours plus procéduriers
Marie-Estelle Pech
27 mai 2006, (Rubrique France Le Figaro)
Drogue, violences, absentéisme : le nombre des conseils de discipline explose. Mais les familles rejettent souvent l'autorité scolaire.
C'est Anne Kerkhove qui a été élue hier présidente nationale des Parents d'élèves de l'enseignement public (Peep), la deuxième fédération de parents d'élèves, lors de son congrès annuel au Mans. Cette Lyonnaise de 50 ans «souhaite ramener le calme. Les luttes de pouvoir doivent cesser», a-t-elle annoncé alors que la Peep est marquée depuis deux ans par des tensions internes, sur fond de malversations financières et de luttes de clans.
Depuis quelques années, les parents de la Peep notent une multiplication des recours aux conseils de discipline avec des exclusions quasi systématiques. «On a de plus en plus de problèmes de drogue», s'est inquiété un représentant de l'Essonne lors d'un groupe de travail consacré hier à ce sujet lors du congrès annuel. Les passages devant les conseils de discipline pour des violences verbales et physiques sont également en hausse tout comme les problèmes d'absentéisme.
Des «phénomènes nouveaux» sont de plus en plus sanctionnés comme les blogs injurieux envers les enseignants et les jeux violents entre enfants. Ou encore les cas de photos «volées» d'enseignants, parfois dans des postures peu avantageuses, prises avec des téléphones portables. Ces incivilités accrues, associées à une judiciarisation toujours plus grande de la société, cantonnent souvent les relations entre parents et enseignants à un dialogue de sourds.
D'autant plus que les parents se sentent souvent démunis et méfiants face aux procédures de l'Education nationale.
Les familles sont nombreuses à avoir recours aux services d'un avocat. Le but est généralement d'«éviter l'exclusion», explique Pierre-Gérard Bazillou, vice-président de la Peep Paris. Cette sanction pose en effet souvent des problèmes de transports aux familles puisque l'enfant est ensuite scolarisé dans un autre établissement.
Les parents défendent parfois leurs enfants envers et contre tout. «C'est une honte que le surveillant ne se soit pas rendu compte plus tôt que mon enfant transportait de la drogue. Il a mal fait son boulot !», a déjà entendu un conseil de discipline. D'autres assurent mordicus que leur fils était en état de «légitime défense» alors qu'il avait tabassé son petit camarade après lui avoir subtilisé sa calculette. Une congressiste se souvient de ces quatre enfants qui avaient fait «exploser» les toilettes d'un établissement de Clermont-Ferrand et qui risquaient l'exclusion. Ils étaient venus avec quatre avocats en robe dont le bâtonnier de la ville. Ces derniers ont très longuement expliqué que les parents «méritants» ne devaient pas subir un tel désaveu. «Etre assisté d'un avocat n'est pas une bonne solution. Cela dédouane un peu rapidement l'élève et les parents de leurs responsabilités», déplore-t-elle.
Les parents contestent aussi les décisions en faisant appel devant les rectorats. Parce qu'on ne les a pas suffisamment écoutés en première instance, expliquent-ils. «Le plus souvent parce qu'ils sont mal informés mais aussi pour régler leurs comptes avec l'Education nationale», note un représentant de la Peep à la commission d'appel des conseils de discipline au rectorat de Paris. D'autres, très procéduriers, formulent ensuite un recours devant les tribunaux administratifs. Comme ce père dont le garçon vendait de la drogue dans son collège parisien et qui estimait «scandaleux» que son fils soit sanctionné.
samedi, mai 27, 2006
J'avais oublié de parler de la SOGERMA
Mes commentaires entre crochets.
Sogerma : l'Etat schizophrène
L'éditorial de Gaëtan de Capèle (Le Figaro)
24 mai 2006, (Rubrique Opinions)
Le déploiement de force gouvernemental pour voler au secours de la Sogerma, cette filiale de maintenance aéronautique du groupe EADS dont le site de Mérignac est promis à la fermeture, doit sans nul doute faire chaud au coeur du millier de salariés concernés [qui ont tous déjà reçu une proposition de reclassement]. Pris en main par le premier ministre lui-même, qui a mobilisé à cette occasion pas moins de six ministres, ce dossier est en passe de devenir une affaire nationale, comme le furent, à l'époque, la fermeture de l'usine de Vilvorde par Renault ou encore les «licenciements boursiers» de Michelin. Sur le fond des choses, même si l'on ne peut s'empêcher de penser, surtout par les temps qui courent, qu'il y avait hier trop de caméras de télévision en Gironde pour que ce branle-bas de combat soit totalement dénué d'arrière-pensées, on peut comprendre que les pouvoirs publics s'emparent du sujet. Pour l'économie locale, un plan social de cette ampleur, même accompagné de propositions de reconversion au sein du groupe EADS, est catastrophique. Tout ce qui peut concourir à limiter les dégâts, par exemple avec des mesures de reconversion industrielle du site, doit donc être entrepris. [EADS propose de "faire un geste" si l'Etat lui passe des commandes. Pourquoi le contribuable, par exemple le smicard de Trifouillis les Ouailles, payerait-il pour que les employés de Sogerma gardent leurs emplois ?]
Pour autant, si l'on veut bien considérer que, dans cette affaire, chacun doit prendre ses responsabilités, il faut admettre que celle de la direction d'EADS était d'interrompre une dangereuse hémorragie. Quelle société privée, confrontée quotidiennement aux réalités d'une compétition mondiale sans concession, peut se permettre de voir l'une de ses filiales perdre un tiers de son chiffre d'affaires sans réagir ? Surtout si, comme dans le cas de la Sogerma, il ne s'agit pas d'un simple trou d'air conjoncturel, mais d'un fonds de commerce qui se volatilise inexorablement : toutes les grandes compagnies aériennes assurent désormais elles-mêmes la maintenance de leurs appareils et les low-costs la confient à des pays tout aussi low-costs. On notera au passage que, lorsqu'il s'agit de ses propres deniers, le gouvernement ne raisonne pas autrement. Le ministère de la Défense n'a-t-il pas lui-même participé aux déboires de la Sogerma en attribuant, au terme d'appels d'offres, des contrats d'entretien d'avions militaires à un concurrent portugais ?
Enfin, on ne peut s'empêcher de renvoyer les pouvoirs publics à leurs propres contradictions. Premier actionnaire d'EADS avec 15% du capital, l'Etat français est représenté à son conseil d'administration. A ce titre, il valide la stratégie du groupe et exige de lui, comme il se doit, une gestion rigoureuse, ainsi qu'une rentabilité de bon aloi, seul gage de survie face à un concurrent de la dimension de Boeing. A ce titre encore, il a eu à connaître de la situation de la Sogerma et du projet d'EADS la concernant, apparemment sans s'en émouvoir, jusqu'à ce qu'il soit porté sur la place publique. Une schizophrénie de plus en plus difficile à assumer [mais l'hypocrisie, elle, est assumée sans complexes].
Sogerma : l'Etat schizophrène
L'éditorial de Gaëtan de Capèle (Le Figaro)
24 mai 2006, (Rubrique Opinions)
Le déploiement de force gouvernemental pour voler au secours de la Sogerma, cette filiale de maintenance aéronautique du groupe EADS dont le site de Mérignac est promis à la fermeture, doit sans nul doute faire chaud au coeur du millier de salariés concernés [qui ont tous déjà reçu une proposition de reclassement]. Pris en main par le premier ministre lui-même, qui a mobilisé à cette occasion pas moins de six ministres, ce dossier est en passe de devenir une affaire nationale, comme le furent, à l'époque, la fermeture de l'usine de Vilvorde par Renault ou encore les «licenciements boursiers» de Michelin. Sur le fond des choses, même si l'on ne peut s'empêcher de penser, surtout par les temps qui courent, qu'il y avait hier trop de caméras de télévision en Gironde pour que ce branle-bas de combat soit totalement dénué d'arrière-pensées, on peut comprendre que les pouvoirs publics s'emparent du sujet. Pour l'économie locale, un plan social de cette ampleur, même accompagné de propositions de reconversion au sein du groupe EADS, est catastrophique. Tout ce qui peut concourir à limiter les dégâts, par exemple avec des mesures de reconversion industrielle du site, doit donc être entrepris. [EADS propose de "faire un geste" si l'Etat lui passe des commandes. Pourquoi le contribuable, par exemple le smicard de Trifouillis les Ouailles, payerait-il pour que les employés de Sogerma gardent leurs emplois ?]
Pour autant, si l'on veut bien considérer que, dans cette affaire, chacun doit prendre ses responsabilités, il faut admettre que celle de la direction d'EADS était d'interrompre une dangereuse hémorragie. Quelle société privée, confrontée quotidiennement aux réalités d'une compétition mondiale sans concession, peut se permettre de voir l'une de ses filiales perdre un tiers de son chiffre d'affaires sans réagir ? Surtout si, comme dans le cas de la Sogerma, il ne s'agit pas d'un simple trou d'air conjoncturel, mais d'un fonds de commerce qui se volatilise inexorablement : toutes les grandes compagnies aériennes assurent désormais elles-mêmes la maintenance de leurs appareils et les low-costs la confient à des pays tout aussi low-costs. On notera au passage que, lorsqu'il s'agit de ses propres deniers, le gouvernement ne raisonne pas autrement. Le ministère de la Défense n'a-t-il pas lui-même participé aux déboires de la Sogerma en attribuant, au terme d'appels d'offres, des contrats d'entretien d'avions militaires à un concurrent portugais ?
Enfin, on ne peut s'empêcher de renvoyer les pouvoirs publics à leurs propres contradictions. Premier actionnaire d'EADS avec 15% du capital, l'Etat français est représenté à son conseil d'administration. A ce titre, il valide la stratégie du groupe et exige de lui, comme il se doit, une gestion rigoureuse, ainsi qu'une rentabilité de bon aloi, seul gage de survie face à un concurrent de la dimension de Boeing. A ce titre encore, il a eu à connaître de la situation de la Sogerma et du projet d'EADS la concernant, apparemment sans s'en émouvoir, jusqu'à ce qu'il soit porté sur la place publique. Une schizophrénie de plus en plus difficile à assumer [mais l'hypocrisie, elle, est assumée sans complexes].
jeudi, mai 25, 2006
Le PS est-il idiot, cynique ou démagogue, ou un peu de tout cela à la fois ?
J'ai oublié de vous rapporter l'opinion de Michel Charasse : le PS a pris goût à la distribution des places et au clientélisme et rien ne vaut pour cela les mandats locaux.
Si le PS veut gagner les prochaines municipales, il a intérêt à laisser la droite gagner les présidentielles, en vertu du mouvement habituel de balancier.
C'est pourquoi les socialistes ne vont pas vraiment se battre en 2007, ils vont mettre Mme Royal, qui n'a pas la carrure, comme candidate et ils accuseront les Français de leur inconséquence : "Les Français sont trop rétrogrades pour élire une femme."
Ca n'est que l'opinion de Michel Charasse, le scénario me paraît trop alambiqué, mais, venant des socialistes, qui ont depuis longtemps perdu toute rectitude, on peut s'attendre à tout.
Le PS n'est plus depuis déjà qu'une machine à conquérir (à coup de slogans vides de contenu) et à se distribuer les places.
«L'impôt citoyen» au programme
L'éditorial d'Alexis Brézet
25 mai 2006, (Rubrique Opinions Le Figaro)
Grande nouvelle : les socialistes ont un programme. Entre deux empoignades sur le calendrier des investitures, l'égalité de traitement due aux différents présidentiables ou le meilleur moyen de barrer la route à Ségolène Royal, les éléphants du PS ont trouvé le temps d'accoucher d'un texte. Certes, ce «projet de projet» n'a rien de définitif mais il est, tel quel, d'une lecture fort instructive.
Pour l'essentiel, le document est un décalque de la synthèse péniblement dégagée au congrès du Mans, en novembre 2005. On y reconnaît la même rhétorique incantatoire («retrouver le plein-emploi en divisant par deux le chômage d'ici à 2012» ; «0 enfant pauvre à l'horizon 2020»), le même prurit abrogatif («remplacement» de la loi Fillon sur les retraites, suppression du CNE, renationalisation d'EDF, retour sur la loi Sarkozy qui «précarise» les immigrés) et la même surenchère «sociétale» (vote des étrangers aux élections locales et, bien sûr, «ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe»). L'évolution – car évolution il y a – se situe du côté de la dépense publique, jamais chiffrée mais dont la «dynamique» est désormais programmée sur dix ans.
Passons sur l'empilement des «priorités» budgétaires : la Recherche, dont les moyens doivent augmenter de 10% tous les ans ; l'Education installée «au premier rang des impératifs» ; la Culture, qui sera dotée «de nouveaux moyens financiers». Mais il faudra financer aussi la «réactivation» des emplois-jeunes dans le secteur public, la retraite minimale garantie (à un niveau proche du smic), l'allocation autonomie pour les jeunes, la suppression des mesures d'économie sur l'assurance-maladie et, si elle voit le jour, la fameuse «couverture professionnelle universelle». Sans oublier le programme énergétique (il faut bien penser aux Verts) censé faire passer, d'ici à 2020, la part des énergies renouvelables de 20 à 50% !
Côté recettes, les socialistes, qui ne s'inquiètent de la dette que pour s'engager à annuler celle des pays pauvres, sont plus laconiques. Mais ils ont trouvé un sésame, un abracadabra : «l'impôt citoyen.» Le concept paraît un peu flou (l'impôt citoyen est-il un impôt qui pèse sur les citoyens ? – la liste semblait déjà longue ; serait-ce un impôt réclamé par les citoyens ? – on attend les pancartes) mais l'idée générale qui sous-tend ce projet de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG n'est que trop claire : il s'agit de faire peser un fardeau toujours plus lourd sur un nombre de contribuables toujours plus réduit (1). Soit exactement l'inverse de ce que préconisent depuis vingt ans tous les experts, droite et gauche confondues, qui se sont penchés sur «l'exception fiscale française».
Dans les quarante pages de ce catalogue de la dépense, on cherchera en vain une allusion à «l'assouplissement» du Code du travail, naguère évoqué par les socialistes, ou à cette «agilité» que Ségolène Royal dit souhaiter pour notre économie. Le smic à 1 500 euros ? La généralisation des 35 heures ? L'entreprise paiera. En route pour 2007, le PS a enclenché la marche arrière. Mais sa guimbarde est «citoyenne», incontestablement.
[(1) : l'effet de ciseaux (ceux qui payent -de façon plus que proportionnelle à leurs revenus- n'ont droit à rien ou presque parce que les prestations sont soumises à plafond de ressources, ceux qui ne payent pas ont droit à tout) a maintes fois été décrit et analysé dans ses conséquences néfastes, cela ne semble guère émouvoir le PS. Visiblement, la justice n'est pas son souci.]
Si le PS veut gagner les prochaines municipales, il a intérêt à laisser la droite gagner les présidentielles, en vertu du mouvement habituel de balancier.
C'est pourquoi les socialistes ne vont pas vraiment se battre en 2007, ils vont mettre Mme Royal, qui n'a pas la carrure, comme candidate et ils accuseront les Français de leur inconséquence : "Les Français sont trop rétrogrades pour élire une femme."
Ca n'est que l'opinion de Michel Charasse, le scénario me paraît trop alambiqué, mais, venant des socialistes, qui ont depuis longtemps perdu toute rectitude, on peut s'attendre à tout.
Le PS n'est plus depuis déjà qu'une machine à conquérir (à coup de slogans vides de contenu) et à se distribuer les places.
«L'impôt citoyen» au programme
L'éditorial d'Alexis Brézet
25 mai 2006, (Rubrique Opinions Le Figaro)
Grande nouvelle : les socialistes ont un programme. Entre deux empoignades sur le calendrier des investitures, l'égalité de traitement due aux différents présidentiables ou le meilleur moyen de barrer la route à Ségolène Royal, les éléphants du PS ont trouvé le temps d'accoucher d'un texte. Certes, ce «projet de projet» n'a rien de définitif mais il est, tel quel, d'une lecture fort instructive.
Pour l'essentiel, le document est un décalque de la synthèse péniblement dégagée au congrès du Mans, en novembre 2005. On y reconnaît la même rhétorique incantatoire («retrouver le plein-emploi en divisant par deux le chômage d'ici à 2012» ; «0 enfant pauvre à l'horizon 2020»), le même prurit abrogatif («remplacement» de la loi Fillon sur les retraites, suppression du CNE, renationalisation d'EDF, retour sur la loi Sarkozy qui «précarise» les immigrés) et la même surenchère «sociétale» (vote des étrangers aux élections locales et, bien sûr, «ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe»). L'évolution – car évolution il y a – se situe du côté de la dépense publique, jamais chiffrée mais dont la «dynamique» est désormais programmée sur dix ans.
Passons sur l'empilement des «priorités» budgétaires : la Recherche, dont les moyens doivent augmenter de 10% tous les ans ; l'Education installée «au premier rang des impératifs» ; la Culture, qui sera dotée «de nouveaux moyens financiers». Mais il faudra financer aussi la «réactivation» des emplois-jeunes dans le secteur public, la retraite minimale garantie (à un niveau proche du smic), l'allocation autonomie pour les jeunes, la suppression des mesures d'économie sur l'assurance-maladie et, si elle voit le jour, la fameuse «couverture professionnelle universelle». Sans oublier le programme énergétique (il faut bien penser aux Verts) censé faire passer, d'ici à 2020, la part des énergies renouvelables de 20 à 50% !
Côté recettes, les socialistes, qui ne s'inquiètent de la dette que pour s'engager à annuler celle des pays pauvres, sont plus laconiques. Mais ils ont trouvé un sésame, un abracadabra : «l'impôt citoyen.» Le concept paraît un peu flou (l'impôt citoyen est-il un impôt qui pèse sur les citoyens ? – la liste semblait déjà longue ; serait-ce un impôt réclamé par les citoyens ? – on attend les pancartes) mais l'idée générale qui sous-tend ce projet de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG n'est que trop claire : il s'agit de faire peser un fardeau toujours plus lourd sur un nombre de contribuables toujours plus réduit (1). Soit exactement l'inverse de ce que préconisent depuis vingt ans tous les experts, droite et gauche confondues, qui se sont penchés sur «l'exception fiscale française».
Dans les quarante pages de ce catalogue de la dépense, on cherchera en vain une allusion à «l'assouplissement» du Code du travail, naguère évoqué par les socialistes, ou à cette «agilité» que Ségolène Royal dit souhaiter pour notre économie. Le smic à 1 500 euros ? La généralisation des 35 heures ? L'entreprise paiera. En route pour 2007, le PS a enclenché la marche arrière. Mais sa guimbarde est «citoyenne», incontestablement.
[(1) : l'effet de ciseaux (ceux qui payent -de façon plus que proportionnelle à leurs revenus- n'ont droit à rien ou presque parce que les prestations sont soumises à plafond de ressources, ceux qui ne payent pas ont droit à tout) a maintes fois été décrit et analysé dans ses conséquences néfastes, cela ne semble guère émouvoir le PS. Visiblement, la justice n'est pas son souci.]
mercredi, mai 24, 2006
Pour y voir dans l'affaire Clearstream
Vous entendez parler de l'affaire Clearstream et vous n'y comprenez rien ? Moi non plus et, pourtant, je peux vous expliquer l'essentiel.
Lorsque des frégates ont été vendues à Taiwan, les entreprises françaises d'armement ont payé des commissions à des intermédiaires plus ou moins véreux pour gagner le marché.
C'était clairement illégal et il y a un procès en cours à Taiwan qui pourrait couter des milliards d'euros, qui, bon an mal an, seraient payés par l'Etat français et par les entreprises en question ; un Crédit Lyonnais bis.
De plus, et c'est là que se trouve le coeur de l'affaire Clearstream, les intermédiaires plus ou moins véreux dont je parle plus haut ont reversé une partie des commissions, c'est ce qu'on appelle les rétro-commissions. Combien et à qui ? Mystère total. On parle de 900 M€ à des hommes et des partis politiques, bien évidemment français.
Clearstream, structure de compensation financière, aurait servi à ce lessivage géant.
Les sommes en jeu sont telles (par exemple, elles font que les 45 M€ évoqués par le Canard Enchainé sur un compte de Chirac au Japon ne sont pas invraisemblables) qu'elles justifient bien des vilenies, y compris des meurtres.
C'est pourquoi ceux qui traitent le corbeau, Jean-Louis Gergorin, de paranoïaque sont soit légers soit manipulateurs. C'était d'ailleurs une technique des soviétiques de faire passer les dissidents pour fous. Je ne défend pas JLG, je pense juste qu'il faut se garder de trop affirmer dans ce genre d'affaires.
L'affaire Clearstream apparaît souvent comme un aparté dans la rivalité Sarkozy-Villepin. En réalité, c'est une des nombreuses ondes de choc de l'affaire des frégates de Taiwan.
On ne sait toujours pas où est passé l'argent. Mais si on découvrait, par exemple, que les partis politiques se sont partagés des centaines de millions d'euros issus de la corruption, la rivalité Villepin-Sarkozy serait le cadet de nos soucis politiques.
Lorsque des frégates ont été vendues à Taiwan, les entreprises françaises d'armement ont payé des commissions à des intermédiaires plus ou moins véreux pour gagner le marché.
C'était clairement illégal et il y a un procès en cours à Taiwan qui pourrait couter des milliards d'euros, qui, bon an mal an, seraient payés par l'Etat français et par les entreprises en question ; un Crédit Lyonnais bis.
De plus, et c'est là que se trouve le coeur de l'affaire Clearstream, les intermédiaires plus ou moins véreux dont je parle plus haut ont reversé une partie des commissions, c'est ce qu'on appelle les rétro-commissions. Combien et à qui ? Mystère total. On parle de 900 M€ à des hommes et des partis politiques, bien évidemment français.
Clearstream, structure de compensation financière, aurait servi à ce lessivage géant.
Les sommes en jeu sont telles (par exemple, elles font que les 45 M€ évoqués par le Canard Enchainé sur un compte de Chirac au Japon ne sont pas invraisemblables) qu'elles justifient bien des vilenies, y compris des meurtres.
C'est pourquoi ceux qui traitent le corbeau, Jean-Louis Gergorin, de paranoïaque sont soit légers soit manipulateurs. C'était d'ailleurs une technique des soviétiques de faire passer les dissidents pour fous. Je ne défend pas JLG, je pense juste qu'il faut se garder de trop affirmer dans ce genre d'affaires.
L'affaire Clearstream apparaît souvent comme un aparté dans la rivalité Sarkozy-Villepin. En réalité, c'est une des nombreuses ondes de choc de l'affaire des frégates de Taiwan.
On ne sait toujours pas où est passé l'argent. Mais si on découvrait, par exemple, que les partis politiques se sont partagés des centaines de millions d'euros issus de la corruption, la rivalité Villepin-Sarkozy serait le cadet de nos soucis politiques.
Une classe préparatoire « caillera » au lycée Henri-IV
Je vous commente [] cet article du Monde, dans ma série sur l'éducation.
Une classe préparatoire « caillera » au lycée Henri-IV
Article paru dans l'édition du 19.05.06
Propulser quelques banlieusards brillants dans les rangs de l'élite, riche idée. Et tous les autres ?
Ainsi, le lycée Henri-IV a décidé d'ouvrir à trente élèves-méritants-des-milieux-défavorisés une classe préparatoire... préparant à la poursuite des études en classes préparatoires. Intéressant et savoureux ! [...] un régime culturel (théâtres, musées, expos), complémentaire d'activités plus prosaïquement scolaires, doit permettre à ce petit monde de passer du penser-parler des fins-de-mois-difficiles au penser-parler cossu. Des sponsors désintéressés vont aider au financement de l'accueil en cité universitaire, achevant ainsi de construire le cadre optimal de la transformation annoncée de ces bobos (boursiers bonifiés)... en bobos (bourgeois bohèmes). Joli !
Joli ? Socialement utile ? Cohérent ? Non. Seulement méprisant, insultant pour l'effort pédagogique en zone difficile, élitiste à contre-emploi et, en termes d'impact social, ridicule. Il y aura bien entendu des résultats, mais l'arbre n'en cachera qu'un peu plus la forêt. Quelques acharnés de la réussite individuelle formatée passeront du « z-y-va, keum » au « je-vous-en-prie, monsieur », mais la « caillera » banlieusarde désignera ses traîtres sans en devenir moins « caillera » ni moins banlieusarde.
Il y a, dans nos sociétés, un acharnement étonnant - compréhensible quand on réalise qu'il n'est que la préférence collective pour le moindre effort [étonnant, cette préférence de notre société pour le moindre effort est quasi l'expression employée par Erik Orsenna dans son étude sur la mondialisation à travers la commerce du coton. Par des voies bien différentes, on arrive au même point.]- à substituer à l'amélioration de tous l'éminence de quelques-uns. Nos démocraties relèvent de l'oligarchie larvée [Le pluriel est excessif : il ya un problème spécifiquement français de déficit d'esprit démocratique]. Faute de savoir comment faire souffler l'esprit sur le plus grand nombre, faisons quelques polytechniciens ou énarques de plus, option « 9-3 » [c'est encore un échappatoire pour éviter la réforme de l'ensemble de l'EN ; ainsi va la vie publique française depuis vingt ans : de rustines en pis-allers, de palliatifs en diversions]. L'opération, qui changera la vie de quelques heureux élus, qui donnera des joies pédagogiques vraies et fortes à quelques enseignants, qui sera hélas aussi l'objet de quelques congratulations officielles, n'a aucune portée générale et ne s'attaque à aucun problème d'ensemble.
Le système éducatif est malade et n'ose pas le diagnostic, encore moins le remède, nécessairement de cheval [le diagnostic est connu : l'école doit cesser de se donner des missions sociales ("la réussite pour tous") et revenir à la transmission du savoir. L'effet social qui en résultera sera une conséquence bénéfique du savoir mais ne doit pas être un but. Pour cela, la décentralisation, voire la privatisation, sont d'excellents moyens]. Le système éducatif est malade parce que la société va mal, où toute vertu s'est dissoute [Non : il y a des problèmes spécifiquement scolaires]. La société se soignera par l'école, ou sombrera [oui : la société est en partie malade de l'école, mais je pense qu'arguer de la relation inverse, l'école malade de la société, est une fuite : la difficulté à changer la société est si grande qu'on en conclurait qu'on ne peut pas changer l'école.]. Et l'école doit être rebâtie sur deux mi-temps (au masculin et parallèles, non au féminin et consécutivement : l'école n'est pas le football...).
Un mi-temps furieusement généraliste, à populations et niveaux brassés, à vocation civique [non, comme l'effet social, je pense que l'effet civique ne doit pas être recherché mais doit être accueilli comme une conséquence positive d'une transmission du savoir nécessairement organisée et structurée], voué à la tolérance et à ses valeurs [bof : si on entend par tolérance la définition molle actuelle, qui est relativisme, je suis contre], au dialogue et à l'échange, au vivre ensemble et au respect comme à l'écoute des différences [non, non, j'en ai plus que soupé de cette histoire de respect des différences ; encore une aspersion d'eau tiède pour dire que tout se vaut et que tout est dans tout. Comme le social et le cibvisme, c'est une conséquence du savoir] (et ce pourrait être là, dans l'apport de quelques connaissances de base et environnementales - mieux que ce qu'on nous promet (?) -, le socle commun).
Et un mi-temps furieusement « individué », à niveaux et acquis homogènes, à sélectivité constante et acceptée, à progressions différenciées, à recherche lucide de la meilleure et plus réaliste adéquation entre goûts, capacités, vouloir, utilité sociale, intérêt particulier et intérêt général. [là je suis d'accord, ce n'est pas si loin de ce qui se pratiquait dans les internats du temps où ils existaient]
Le premier mi-temps fait l'homme, le second la société [Non]. Et le tout un tissu social, aux acteurs inégaux dans l'emploi et l'action, mais égaux dans la reconnaissance humaniste comme dans le partage des acquis et des bénéfices. Il faudrait développer...
On est loin d'Henri-IV (le lycée) mais pas si loin à certains égards de Clisthène (la démocratie athénienne). Pour faire un mot et pointer une direction : plutôt le Parthénon que le Panthéon ? De toute façon, on n'en prend pas le chemin.
[Comme je l'ai déjà dit, l'éducation est un sujet archi-rebattu depuis des siècles, il est donc à mes yeux présomptueux d'essayer d'innover radicalement en ces matières]
Christian Jeanbrau
Une classe préparatoire « caillera » au lycée Henri-IV
Article paru dans l'édition du 19.05.06
Propulser quelques banlieusards brillants dans les rangs de l'élite, riche idée. Et tous les autres ?
Ainsi, le lycée Henri-IV a décidé d'ouvrir à trente élèves-méritants-des-milieux-défavorisés une classe préparatoire... préparant à la poursuite des études en classes préparatoires. Intéressant et savoureux ! [...] un régime culturel (théâtres, musées, expos), complémentaire d'activités plus prosaïquement scolaires, doit permettre à ce petit monde de passer du penser-parler des fins-de-mois-difficiles au penser-parler cossu. Des sponsors désintéressés vont aider au financement de l'accueil en cité universitaire, achevant ainsi de construire le cadre optimal de la transformation annoncée de ces bobos (boursiers bonifiés)... en bobos (bourgeois bohèmes). Joli !
Joli ? Socialement utile ? Cohérent ? Non. Seulement méprisant, insultant pour l'effort pédagogique en zone difficile, élitiste à contre-emploi et, en termes d'impact social, ridicule. Il y aura bien entendu des résultats, mais l'arbre n'en cachera qu'un peu plus la forêt. Quelques acharnés de la réussite individuelle formatée passeront du « z-y-va, keum » au « je-vous-en-prie, monsieur », mais la « caillera » banlieusarde désignera ses traîtres sans en devenir moins « caillera » ni moins banlieusarde.
Il y a, dans nos sociétés, un acharnement étonnant - compréhensible quand on réalise qu'il n'est que la préférence collective pour le moindre effort [étonnant, cette préférence de notre société pour le moindre effort est quasi l'expression employée par Erik Orsenna dans son étude sur la mondialisation à travers la commerce du coton. Par des voies bien différentes, on arrive au même point.]- à substituer à l'amélioration de tous l'éminence de quelques-uns. Nos démocraties relèvent de l'oligarchie larvée [Le pluriel est excessif : il ya un problème spécifiquement français de déficit d'esprit démocratique]. Faute de savoir comment faire souffler l'esprit sur le plus grand nombre, faisons quelques polytechniciens ou énarques de plus, option « 9-3 » [c'est encore un échappatoire pour éviter la réforme de l'ensemble de l'EN ; ainsi va la vie publique française depuis vingt ans : de rustines en pis-allers, de palliatifs en diversions]. L'opération, qui changera la vie de quelques heureux élus, qui donnera des joies pédagogiques vraies et fortes à quelques enseignants, qui sera hélas aussi l'objet de quelques congratulations officielles, n'a aucune portée générale et ne s'attaque à aucun problème d'ensemble.
Le système éducatif est malade et n'ose pas le diagnostic, encore moins le remède, nécessairement de cheval [le diagnostic est connu : l'école doit cesser de se donner des missions sociales ("la réussite pour tous") et revenir à la transmission du savoir. L'effet social qui en résultera sera une conséquence bénéfique du savoir mais ne doit pas être un but. Pour cela, la décentralisation, voire la privatisation, sont d'excellents moyens]. Le système éducatif est malade parce que la société va mal, où toute vertu s'est dissoute [Non : il y a des problèmes spécifiquement scolaires]. La société se soignera par l'école, ou sombrera [oui : la société est en partie malade de l'école, mais je pense qu'arguer de la relation inverse, l'école malade de la société, est une fuite : la difficulté à changer la société est si grande qu'on en conclurait qu'on ne peut pas changer l'école.]. Et l'école doit être rebâtie sur deux mi-temps (au masculin et parallèles, non au féminin et consécutivement : l'école n'est pas le football...).
Un mi-temps furieusement généraliste, à populations et niveaux brassés, à vocation civique [non, comme l'effet social, je pense que l'effet civique ne doit pas être recherché mais doit être accueilli comme une conséquence positive d'une transmission du savoir nécessairement organisée et structurée], voué à la tolérance et à ses valeurs [bof : si on entend par tolérance la définition molle actuelle, qui est relativisme, je suis contre], au dialogue et à l'échange, au vivre ensemble et au respect comme à l'écoute des différences [non, non, j'en ai plus que soupé de cette histoire de respect des différences ; encore une aspersion d'eau tiède pour dire que tout se vaut et que tout est dans tout. Comme le social et le cibvisme, c'est une conséquence du savoir] (et ce pourrait être là, dans l'apport de quelques connaissances de base et environnementales - mieux que ce qu'on nous promet (?) -, le socle commun).
Et un mi-temps furieusement « individué », à niveaux et acquis homogènes, à sélectivité constante et acceptée, à progressions différenciées, à recherche lucide de la meilleure et plus réaliste adéquation entre goûts, capacités, vouloir, utilité sociale, intérêt particulier et intérêt général. [là je suis d'accord, ce n'est pas si loin de ce qui se pratiquait dans les internats du temps où ils existaient]
Le premier mi-temps fait l'homme, le second la société [Non]. Et le tout un tissu social, aux acteurs inégaux dans l'emploi et l'action, mais égaux dans la reconnaissance humaniste comme dans le partage des acquis et des bénéfices. Il faudrait développer...
On est loin d'Henri-IV (le lycée) mais pas si loin à certains égards de Clisthène (la démocratie athénienne). Pour faire un mot et pointer une direction : plutôt le Parthénon que le Panthéon ? De toute façon, on n'en prend pas le chemin.
[Comme je l'ai déjà dit, l'éducation est un sujet archi-rebattu depuis des siècles, il est donc à mes yeux présomptueux d'essayer d'innover radicalement en ces matières]
Christian Jeanbrau
lundi, mai 22, 2006
dimanche, mai 21, 2006
La face cachée du pétrole (E. Laurent)
FF
Livre brouillon, approximatif, notamment sur l'effet de serre où il n'y a guère d'arguments.
Cependant, le coeur du propos est bien justifié : le pétrole s'épuise à grande vitesse, les producteurs, compagnies et pays, surévaluent grandement leurs réserves, d'au moins 45 %.
Cela explique le manque de raffineries : les compagnie, malgré leurs dénégations, savent qu'elles ne pourraient pas rentabiliser une raffinerie neuve avant épuisement du pétrole ; donc elles préfèrent rationner dès maintenant l'approvisionnement de manière à spéculer encore juste avant l'écroulement.
Le maximum de production mondiale de pétrole, le "peak oil", après quoi il commencera à y avoir pénurie, est estimé entre 2008 et 2030, et de nombreux indices pointent plutôt vers 2010.
Par exemple, les vrais chiffres de réserves pétrolières saoudiennes sont des secrets d'Etat mais il semble que le "peak oil" saoudien est déjà passé.
La grande question est la passivité des pays consommateurs, sauf les USA et la Chine, face à cette situation (2010, c'est demain).
Or, sans pétrole, plus de transports, plus de plastiques, plus d'engrais, plus de médicaments, bref, la question des énergies alternatives, des nouveaux matériaux, des OGMs et de la recherche scientifique est contenue dans la problématique pétrolière.
Association pour l'étude du pic pétrolier (publie une lettre en Français).
La France, orpheline de 1789
J'aime bien le style de Baverez, même si il en fait quelquefois un peu trop. Mais il a le sens de la formule, dire de Chirac qu'il considère que "s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème" est plaisant.
La France, orpheline de 1789
Nicolas Baverez
Dans son article 16, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 rappelle que « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Dans son article 12, elle établit que « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ». A la lumière de ces principes, force est de constater que, plus de deux siècles plus tard, la France n'a ni Constitution ni système de libertés publiques. Elle est un espace sans droit ni loi.
L'affaire Clearstream donne la nausée, tant, au-delà de l'amateurisme et de la légèreté de ses acteurs, elle illustre la corruption d'une République réduite à un cadavre dont des clans de macoutes se disputent les reliefs. Elle appartient à ces scandales qui ruinent les principes mêmes de la démocratie. Elle démontre l'impossibilité de rétablir le crédit international du pays, la cohésion de la nation, l'autorité de la loi, dès lors que l'Etat vit sous le signe du mensonge, de la voie de fait et de la vendetta.
La monarchie républicaine n'échappe pas au théorème de Montesquieu, qui veut que la monarchie va vers le despotisme comme les fleuves se mêlent à la mer. Au sommet de l'Etat, le palais de l'Elysée s'est mué en château de Sigmaringen, hanté par des spectres qui montrent que même quand il n'y a plus de régime on trouve encore des courtisans. Mais la France est aussi le pays où l'exécutif a deux têtes, faute d'avoir une cervelle. Aussi bien le président-fainéant - dont l'idée de la France tient tout entière dans la maxime selon laquelle s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème - est assisté d'un maire du palais, qui allie la morgue d'un Norpois aux vices d'un Vidocq de chef-lieu de canton. L'impéritie du premier est mise au service de la démesure du second ; le culte du second pour la basse police repose sur la certitude de l'impunité que lui assure l'irresponsabilité illimitée du premier. Au risque d'une ultime erreur de jugement, tant il est vrai que le soutien de Jacques Chirac n'est jamais plus ferme qu'à la veille de son retrait.
Au-delà de la veulerie des hommes, l'affaire Clearstream marque la faillite d'un système institutionnel. La Ve République a été blessée à mort par François Mitterrand, qui a confié à son successeur le soin de l'achever, mission qui reste à ce jour l'unique succès à son actif. Le premier l'a pervertie, en introduisant le venin fatal de la cohabitation ; le second a porté le coup de grâce avec la dissolution de 1997, le quinquennat puis le référendum de 2005, qui ont anéanti simultanément l'autorité et la responsabilité. Le premier a exploré et utilisé toutes les dangereuses potentialités du pouvoir personnel. Le second l'a coupé de l'Histoire et de l'action. Taillée par et pour Gulliver, la Ve République ne pouvait survivre dès lors qu'elle tombait entre les mains des Lilliputiens. Elle est aujourd'hui morte.
Le scandale Clearstream est exemplaire parce qu'il naît au confluent de quatre des fléaux qui accablent la France et qu'il lui faudra impérativement surmonter pour se relever.
D'abord, l'absolutisme présidentiel, qui aboutit à ce que tous et tout dépendent d'un seul, que tout sur son ordre soit décrété possible et exécuté sans discussion, quitte à s'affranchir des lois et de la plus élémentaire morale. Ensuite, la nationalisation permanente des biens et des revenus des citoyens - via les prélèvements obligatoires et la dette publique - associée à la privatisation des moyens de l'Etat au bénéfice d'un clan. Puis l'absence de contre-pouvoirs crédibles, avec l'instrumentalisation de la justice et des médias, dont l'arbitraire et le mépris du droit font écho à celui des gouvernants. Enfin l'économie administrée et le capitalisme d'Etat, tant il est vrai que le ventre qui a enfanté le monstre est à chercher dans l'intervention de l'Elysée pour arbitrer la guerre intestine pour le contrôle d'EADS. Avec pour dommage collatéral immédiat les turbulences d'Airbus et la reconstitution du leadership de Boeing sur l'industrie aéronautique mondiale.
« La calomnie est bien la pire des fleurs, elle qui fait deux coupables et une victime », soulignait Hérodote. Et, de fait, les victimes des mensonges et de la déraison d'Etat ne manquent pas. La réforme, dénoncée et discréditée par ceux-là même qui devraient la porter. La démocratie, livrée en pâture aux extrémistes de tout poil. La nation, privée de la réassurance d'institutions légitimes et d'un Etat efficace alors qu'elle affronte une crise majeure. La France enfin, devenue la risée du monde. Au seuil de l'échéance décisive de 2007, tout l'espoir se concentre donc dans les citoyens, dont seule la valeur fonde la grandeur d'une nation.
© le point 18/05/06 - N°1757 - Page 44 - 802 mots
La France, orpheline de 1789
Nicolas Baverez
Dans son article 16, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 rappelle que « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Dans son article 12, elle établit que « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ». A la lumière de ces principes, force est de constater que, plus de deux siècles plus tard, la France n'a ni Constitution ni système de libertés publiques. Elle est un espace sans droit ni loi.
L'affaire Clearstream donne la nausée, tant, au-delà de l'amateurisme et de la légèreté de ses acteurs, elle illustre la corruption d'une République réduite à un cadavre dont des clans de macoutes se disputent les reliefs. Elle appartient à ces scandales qui ruinent les principes mêmes de la démocratie. Elle démontre l'impossibilité de rétablir le crédit international du pays, la cohésion de la nation, l'autorité de la loi, dès lors que l'Etat vit sous le signe du mensonge, de la voie de fait et de la vendetta.
La monarchie républicaine n'échappe pas au théorème de Montesquieu, qui veut que la monarchie va vers le despotisme comme les fleuves se mêlent à la mer. Au sommet de l'Etat, le palais de l'Elysée s'est mué en château de Sigmaringen, hanté par des spectres qui montrent que même quand il n'y a plus de régime on trouve encore des courtisans. Mais la France est aussi le pays où l'exécutif a deux têtes, faute d'avoir une cervelle. Aussi bien le président-fainéant - dont l'idée de la France tient tout entière dans la maxime selon laquelle s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème - est assisté d'un maire du palais, qui allie la morgue d'un Norpois aux vices d'un Vidocq de chef-lieu de canton. L'impéritie du premier est mise au service de la démesure du second ; le culte du second pour la basse police repose sur la certitude de l'impunité que lui assure l'irresponsabilité illimitée du premier. Au risque d'une ultime erreur de jugement, tant il est vrai que le soutien de Jacques Chirac n'est jamais plus ferme qu'à la veille de son retrait.
Au-delà de la veulerie des hommes, l'affaire Clearstream marque la faillite d'un système institutionnel. La Ve République a été blessée à mort par François Mitterrand, qui a confié à son successeur le soin de l'achever, mission qui reste à ce jour l'unique succès à son actif. Le premier l'a pervertie, en introduisant le venin fatal de la cohabitation ; le second a porté le coup de grâce avec la dissolution de 1997, le quinquennat puis le référendum de 2005, qui ont anéanti simultanément l'autorité et la responsabilité. Le premier a exploré et utilisé toutes les dangereuses potentialités du pouvoir personnel. Le second l'a coupé de l'Histoire et de l'action. Taillée par et pour Gulliver, la Ve République ne pouvait survivre dès lors qu'elle tombait entre les mains des Lilliputiens. Elle est aujourd'hui morte.
Le scandale Clearstream est exemplaire parce qu'il naît au confluent de quatre des fléaux qui accablent la France et qu'il lui faudra impérativement surmonter pour se relever.
D'abord, l'absolutisme présidentiel, qui aboutit à ce que tous et tout dépendent d'un seul, que tout sur son ordre soit décrété possible et exécuté sans discussion, quitte à s'affranchir des lois et de la plus élémentaire morale. Ensuite, la nationalisation permanente des biens et des revenus des citoyens - via les prélèvements obligatoires et la dette publique - associée à la privatisation des moyens de l'Etat au bénéfice d'un clan. Puis l'absence de contre-pouvoirs crédibles, avec l'instrumentalisation de la justice et des médias, dont l'arbitraire et le mépris du droit font écho à celui des gouvernants. Enfin l'économie administrée et le capitalisme d'Etat, tant il est vrai que le ventre qui a enfanté le monstre est à chercher dans l'intervention de l'Elysée pour arbitrer la guerre intestine pour le contrôle d'EADS. Avec pour dommage collatéral immédiat les turbulences d'Airbus et la reconstitution du leadership de Boeing sur l'industrie aéronautique mondiale.
« La calomnie est bien la pire des fleurs, elle qui fait deux coupables et une victime », soulignait Hérodote. Et, de fait, les victimes des mensonges et de la déraison d'Etat ne manquent pas. La réforme, dénoncée et discréditée par ceux-là même qui devraient la porter. La démocratie, livrée en pâture aux extrémistes de tout poil. La nation, privée de la réassurance d'institutions légitimes et d'un Etat efficace alors qu'elle affronte une crise majeure. La France enfin, devenue la risée du monde. Au seuil de l'échéance décisive de 2007, tout l'espoir se concentre donc dans les citoyens, dont seule la valeur fonde la grandeur d'une nation.
© le point 18/05/06 - N°1757 - Page 44 - 802 mots
Suite sur la bulle éducationnelle
Piqué sur le blog de JP Brighelli (je vous conseille aussi le message sur la télé, les idées reçues et l'école) :
le Dit du tailleur de pierres…
Patrick M*** est tailleur de pierres à Clermont l'Hérault — près de chez moi. Superbe artisan — encore qu'il travaille à son rythme… D'autant qu'il est surchargé de travail — comme tous les artisans capables de la région, et de France.
Il a depuis peu un apprenti : Bac L, Licence de Philo — finalement candidat à un CAP de tailleur de pierres. Exceptionnel ? Pas vraiment. Le Monde de l'Education d'avril 2006 nous emmène à l'école Grégoire-Ferrandi, — une école professionnelle préparant à divers CAP, dont les métiers du cuir et la restauration. Et l'honorable journal qui est le relais habituel de la pensée pédagogiste (mais qui évolue, doucement, parce qu'il a senti que le vent tournait) nous apprend que cette école financée par la Chambre des métiers de Paris reçoit de plus en plus de bacheliers, certains avec un Bac S ou ES en poche, qui, tout bien pensé, se lance dans l'acquisition d'un CAP…
Rien que cela devrait faire réfléchir les imbéciles qui proclament qu'il faut 100% de réussite au Bac… On forme des kyrielles de jeunes diplômés sans espérance professionnelle, et qui, lorsqu'ils ont enfin le loisir de réfléchir, réalisent que leur vocation ne passait pas par des études longues, mais par un apprentissage rigoureux…
Et le Monde de raconter l'histoire de Maguelone, bachelière, en CAP des métiers du cuir, en stage chez Hermès, en passe d'être embauchée sur un CDI… Tout ce que l'on peut en dire, c'est que sa formation généraliste lui aura donné une culture nécessaire… Mais pour quoi ne pas donner cette formation aux apprentis directement ?D'ailleurs, Patrick M*** a mis du temps à trouver un apprenti. Pensez ! Un travail en plein air ! De la poussière sous les ongles ! Parfois, un tour de reins…
Dans mon minuscule village, un autre artisan (ferronnier d'art, celui-là) ne parvient pas à trouver un stagiaire. Pourtant, il est tout prêt à lui apprendre le métier — un bon métier, apparemment : il a un carnet de commandes plein sur deux ans, et gagne superbement sa vie. Avec ça, coquet, tiré à quatre épingles, les ongles faits, une épouse élégante — seules les mains, puissantes, trahissent l'homme de fer.
Huit kilomètres plus loin, un ami sellier, qui s'est formé à ses frais auprès d'un maître aux USA, dans la plus pure tradition du compagnonnage, ne parvient pas à trouver un apprenti. Cela sent bien bon, le cuir, pourtant… Et des selles de cheval, tout le monde en demande, apparemment, ces temps-ci…
Mais 75% des étudiants rêvent d'entrer dans la fonction publique… Par quelle perversion ?
Donc, Patrick M*** se plaint. Non que le jeune philosophe ne travaille pas bien — il fait de son mieux, et même si Patrick trouve, comme moi, que c'est toujours un peu insuffisant que de faire de son mieux, il le complimente… "Mais, me dit-il, il a un vocabulaire et une culture d'une insigne pauvreté. En dehors des mots de la philosophie, il ne connaît rien — comme si ses années d'école ne lui avaient rien appris. Et en histoire" — particulièrement en histoire de l'art, un domaine quelque peu utile à un garçon qui fait autant de restauration que de création —, "c'est encore plus dramatique".
Qu'est-ce qui a foiré ? À quel moment ce jeune homme n'a-t-il pas reçu l'enseignement et les savoirs auxquels il avait droit ? Il en avait les moyens, son cursus le prouve — je ne suis pas de ceux qui disent qu'une Licence de philo ne prouve rien… Mais il confond roman et gothique, ignore des notions élémentaires de géométrie (c'est un peu important, figurez-vous, lorsqu'on taille des pierres selon des angles précis), et paraît incapable de communiquer avec une clientèle très particulière, faite de châtelains et de grands patrons, ou les simples amis du patron — intellectuels et artistes.
Pour savoir ce que l'on doit apprendre aux enfants, il faut regarder le bout de la route — tout au bout : qu'attend-on d'un individu à vingt ou vingt-cinq ans ? Veut-on vraiment en faire un inadapté social ? Un buveur de bière(s) téléphage sur canapé ? De la chair à canon et à TF 1 ?
La nouvelle pédagogie, celle que récite un Bégaudeau par exemple, est au service de Bouygues TV.
Ces pédagogues qui se récitent Rousseau et ne l'ont jamais bien lu devraient savoir que la première chose que Jean-Jacques apprend à Emile, c'est un métier manuel. Le côté systématique est sans doute exagéré. Mais pourquoi en est-on arrivé à mépriser des professions respectables, très demandées, et très rémunératrices ? par quelle aberration ?
J'aimerais que les critiques qui s'expriment ici et ailleurs répondent à ces questions simples. Parce que derrière, il y a une question bien moins évidente, qui est celle du bonheur. Le bonheur ne consiste pas à faire ce que l'on veut à l'âge tendre, mais à parvenir à ses rêves à l'âge adulte. Le bonheur est moins dans le loisir que dans le travail. Et à ceux qui me disent que l'on peut travailler dans le joie, je répondrai que c'était la devise d'Auschwitz.
JP Brighelli
le Dit du tailleur de pierres…
Patrick M*** est tailleur de pierres à Clermont l'Hérault — près de chez moi. Superbe artisan — encore qu'il travaille à son rythme… D'autant qu'il est surchargé de travail — comme tous les artisans capables de la région, et de France.
Il a depuis peu un apprenti : Bac L, Licence de Philo — finalement candidat à un CAP de tailleur de pierres. Exceptionnel ? Pas vraiment. Le Monde de l'Education d'avril 2006 nous emmène à l'école Grégoire-Ferrandi, — une école professionnelle préparant à divers CAP, dont les métiers du cuir et la restauration. Et l'honorable journal qui est le relais habituel de la pensée pédagogiste (mais qui évolue, doucement, parce qu'il a senti que le vent tournait) nous apprend que cette école financée par la Chambre des métiers de Paris reçoit de plus en plus de bacheliers, certains avec un Bac S ou ES en poche, qui, tout bien pensé, se lance dans l'acquisition d'un CAP…
Rien que cela devrait faire réfléchir les imbéciles qui proclament qu'il faut 100% de réussite au Bac… On forme des kyrielles de jeunes diplômés sans espérance professionnelle, et qui, lorsqu'ils ont enfin le loisir de réfléchir, réalisent que leur vocation ne passait pas par des études longues, mais par un apprentissage rigoureux…
Et le Monde de raconter l'histoire de Maguelone, bachelière, en CAP des métiers du cuir, en stage chez Hermès, en passe d'être embauchée sur un CDI… Tout ce que l'on peut en dire, c'est que sa formation généraliste lui aura donné une culture nécessaire… Mais pour quoi ne pas donner cette formation aux apprentis directement ?D'ailleurs, Patrick M*** a mis du temps à trouver un apprenti. Pensez ! Un travail en plein air ! De la poussière sous les ongles ! Parfois, un tour de reins…
Dans mon minuscule village, un autre artisan (ferronnier d'art, celui-là) ne parvient pas à trouver un stagiaire. Pourtant, il est tout prêt à lui apprendre le métier — un bon métier, apparemment : il a un carnet de commandes plein sur deux ans, et gagne superbement sa vie. Avec ça, coquet, tiré à quatre épingles, les ongles faits, une épouse élégante — seules les mains, puissantes, trahissent l'homme de fer.
Huit kilomètres plus loin, un ami sellier, qui s'est formé à ses frais auprès d'un maître aux USA, dans la plus pure tradition du compagnonnage, ne parvient pas à trouver un apprenti. Cela sent bien bon, le cuir, pourtant… Et des selles de cheval, tout le monde en demande, apparemment, ces temps-ci…
Mais 75% des étudiants rêvent d'entrer dans la fonction publique… Par quelle perversion ?
Donc, Patrick M*** se plaint. Non que le jeune philosophe ne travaille pas bien — il fait de son mieux, et même si Patrick trouve, comme moi, que c'est toujours un peu insuffisant que de faire de son mieux, il le complimente… "Mais, me dit-il, il a un vocabulaire et une culture d'une insigne pauvreté. En dehors des mots de la philosophie, il ne connaît rien — comme si ses années d'école ne lui avaient rien appris. Et en histoire" — particulièrement en histoire de l'art, un domaine quelque peu utile à un garçon qui fait autant de restauration que de création —, "c'est encore plus dramatique".
Qu'est-ce qui a foiré ? À quel moment ce jeune homme n'a-t-il pas reçu l'enseignement et les savoirs auxquels il avait droit ? Il en avait les moyens, son cursus le prouve — je ne suis pas de ceux qui disent qu'une Licence de philo ne prouve rien… Mais il confond roman et gothique, ignore des notions élémentaires de géométrie (c'est un peu important, figurez-vous, lorsqu'on taille des pierres selon des angles précis), et paraît incapable de communiquer avec une clientèle très particulière, faite de châtelains et de grands patrons, ou les simples amis du patron — intellectuels et artistes.
Pour savoir ce que l'on doit apprendre aux enfants, il faut regarder le bout de la route — tout au bout : qu'attend-on d'un individu à vingt ou vingt-cinq ans ? Veut-on vraiment en faire un inadapté social ? Un buveur de bière(s) téléphage sur canapé ? De la chair à canon et à TF 1 ?
La nouvelle pédagogie, celle que récite un Bégaudeau par exemple, est au service de Bouygues TV.
Ces pédagogues qui se récitent Rousseau et ne l'ont jamais bien lu devraient savoir que la première chose que Jean-Jacques apprend à Emile, c'est un métier manuel. Le côté systématique est sans doute exagéré. Mais pourquoi en est-on arrivé à mépriser des professions respectables, très demandées, et très rémunératrices ? par quelle aberration ?
J'aimerais que les critiques qui s'expriment ici et ailleurs répondent à ces questions simples. Parce que derrière, il y a une question bien moins évidente, qui est celle du bonheur. Le bonheur ne consiste pas à faire ce que l'on veut à l'âge tendre, mais à parvenir à ses rêves à l'âge adulte. Le bonheur est moins dans le loisir que dans le travail. Et à ceux qui me disent que l'on peut travailler dans le joie, je répondrai que c'était la devise d'Auschwitz.
JP Brighelli
samedi, mai 20, 2006
A propos du Da Vinci Code
Je dois aussi me mettre à la mode : l'allusion au Da Vinci Code n'était qu'un hameçon pour vous attirer, je voulais juste vous rappeler l'existence du Pendule de Foucault par Umberto Eco. C'est autre chose que Dan Brown.
vendredi, mai 19, 2006
Vers l'éclatement d'une bulle éducationnelle ?
Pour ceux qui contestent que le risque juridique et financier attaché aux licenciements en France diminue le nombre d'embauches, une petite analogie : si le divorce était plus difficile et plus cher, n'hésiteriez pas à plus à vous marier et le nombre global de mariages ne diminuerait-il pas ? (il est d'ailleurs étrange que ceux-là même qui réclament plus "souplesse" dans les moeurs sont aussi les plus rigides concernant la vie au travail ; mais ces gens-là ne sont pas à une incohérence près.)
Un article des Echos sur l'éducation :
Vers l'éclatement d'une bulle éducationnelle ?
DENIS DESCLOS
Au-delà des erreurs de méthode et de communication imputables au Premier ministre, au-delà des convictions de chacun quant à la nécessité d'une flexibilité accrue du droit du travail ou quant aux méfaits supposés de l'économie de marché, et au-delà enfin des truismes sur les difficultés des générations qui arrivent sur le marché du travail depuis quinze ans à s'y faire une place (qui plus est une place décente), il subsiste quand même une question d'importance, laissée dans l'ombre tout au long de ces semaines de contestation étudiante, lycéenne et syndicale. Cette question est celle de l'équilibre (ou du déséquilibre) entre la quantité et la qualité de diplômés, d'une part, et les besoins de compétences des entreprises et des administrations, d'autre part.
La course aux diplômes observée depuis une quinzaine d'années n'est pas sans rappeler le phénomène des bulles spéculatives ou des crises de surinvestissement. Une « bulle » est une hausse exagérée et irraisonnée des prix sur un marché (marché financier, immobilier ou de matières premières). La hausse des prix s'auto-entretient pendant un temps en dehors de toute rationalité, par la croyance de chacun que le prix élevé d'aujourd'hui le sera encore plus demain. La bulle finit tôt ou tard par se résorber au travers d'une baisse brutale des prix, lorsque la rationalité économique reprend ses droits. L'histoire économique et financière est ainsi jalonnée de ces périodes de frénésie collective, depuis la tulipomania aux Pays-Bas au XVIIe siècle, qui avait vu le prix d'un bulbe de tulipe dépasser celui d'une maison, jusqu'à la récente bulle Internet, où n'importe quelle action de société se négociait à des prix délirants et sans commune mesure avec la taille de la société et ses perspectives de résultats, dès lors qu'il y avait un rapport plus ou moins lointain avec les nouvelles technologies. Une bulle peut aussi s'accompagner d'une crise de surinvestissement, comme ce fut le cas avec les chemins de fer à la fin du XIXe siècle. Et aujourd'hui encore, il est loisible de s'interroger quant à l'existence d'une bulle obligataire entretenue par les monceaux de liquidités produits par plusieurs années de politiques monétaires accommodantes et qui cherchent à s'investir, mais là n'est pas le sujet.
La comparaison du développement récent de l'enseignement supérieur avec une bulle financière paraîtra sans doute impropre et même hasardeuse à certains. Elle n'est néanmoins pas totalement dénuée de fondements. Chacun a pu constater que l'enseignement supérieur est devenu en une quinzaine d'années une véritable industrie, un marché au sens économique du terme, avec une demande toujours plus forte de la part des étudiants et de leurs parents, hantés par la crainte du chômage, et une offre de plus en plus plé- thorique, relayée par d'efficaces techniques de marketing et de communication. D'aucuns objecteront qu'une telle évolution ne constitue pas une bulle ou un risque de surinvestissement. Certes. En revanche, la ruée de prétendants aux diplômes, la sacralisation de n'importe quel diplôme dès lors qu'il est labellisé « bac +5 », l'illusion que ce label « bac + 5 » est une assurance sans faille contre le risque de chômage, une sorte de sésame supposé ouvrir les portes des entreprises, font furieusement penser à un phénomène de surinvestissement. Les candidats au diplôme font preuve d'une sorte de foi aveugle dans les études supérieures, sans se soucier de savoir si le diplôme qui sera obtenu a une réelle valeur « marchande », c'est-à-dire s'il répond à un besoin sur le marché du travail.
Cette sacralisation du diplôme se double en outre d'un engouement massif pour des métiers jugés à tort ou à raison plus « glamour », comme ceux du journalisme, de la communication ou de la culture. Les établissements d'enseignement supérieur ont surfé sur cette vague, multipliant les filières et les diplômes, et on a ainsi vu fleurir les DESS (devenus des « masters » sous l'effet de l'harmonisation européenne) spécialisés en « médiations culturelles et communication », « communication et échanges culturels » ou encore « identités, communication et développements interculturels ». Même en sciences de gestion, le risque d'une surpopulation de diplômés devient patent.
Comment ne pas songer à la crise de surinvestissement qu'a connue le secteur des chemins de fer à la fin du XIXe siècle, pendant laquelle ont été posés des tronçons de voie ferrée qui ne menaient nulle part ? A la différence de la sphère financière, où les ajustements sont rapides et brutaux, en matière d'éducation et donc d'hommes, ils sont forcément plus lents. Il n'en reste pas moins que ce surinvestissement éducationnel produit déjà son lot de frustrations et de désillusions, d'abord pour ceux qui ont cru que cinq années d'études après le bac leur permettraient d'accéder sans difficultés à l'emploi de leurs rêves, mais aussi pour les familles aux moyens modestes, qui ont souvent consenti des sacrifices importants pour financer ces études.
Il ne fait aucun doute que la qualification, qui provient pour partie des études et donc du diplôme, constitue la meilleure protection contre le chômage et les difficultés d'insertion. Mais encore faut-il que cette qualification réponde à un besoin. N'en déplaise à certains et peut-être même à beaucoup, une économie moderne a aussi besoin de former des plombiers ou des boulangers (sauf à accepter de les faire venir de Pologne ou d'ailleurs), professions qui n'ont rien de déshonorant et, surtout, qui ne sont pas moins rémunératrices qu'un poste de cadre en entreprise quand elles sont exercées pour son propre compte.
Quitte à être politiquement incorrect, rappelons que les entreprises sont mues avant tout par une rationalité économique et ne recrutent que les compétences dont elles ont besoin. A entendre les slogans des étudiants et des lycéens lors des manifestations contre le CPE, il est à craindre que la prise de conscience de ces quelques réalités économiques incontournables soit loin d'avoir eu lieu. Le réveil risque d'être douloureux...
DENIS DESCLOS est cadre dans une institution financière.
Un article des Echos sur l'éducation :
Vers l'éclatement d'une bulle éducationnelle ?
DENIS DESCLOS
Au-delà des erreurs de méthode et de communication imputables au Premier ministre, au-delà des convictions de chacun quant à la nécessité d'une flexibilité accrue du droit du travail ou quant aux méfaits supposés de l'économie de marché, et au-delà enfin des truismes sur les difficultés des générations qui arrivent sur le marché du travail depuis quinze ans à s'y faire une place (qui plus est une place décente), il subsiste quand même une question d'importance, laissée dans l'ombre tout au long de ces semaines de contestation étudiante, lycéenne et syndicale. Cette question est celle de l'équilibre (ou du déséquilibre) entre la quantité et la qualité de diplômés, d'une part, et les besoins de compétences des entreprises et des administrations, d'autre part.
La course aux diplômes observée depuis une quinzaine d'années n'est pas sans rappeler le phénomène des bulles spéculatives ou des crises de surinvestissement. Une « bulle » est une hausse exagérée et irraisonnée des prix sur un marché (marché financier, immobilier ou de matières premières). La hausse des prix s'auto-entretient pendant un temps en dehors de toute rationalité, par la croyance de chacun que le prix élevé d'aujourd'hui le sera encore plus demain. La bulle finit tôt ou tard par se résorber au travers d'une baisse brutale des prix, lorsque la rationalité économique reprend ses droits. L'histoire économique et financière est ainsi jalonnée de ces périodes de frénésie collective, depuis la tulipomania aux Pays-Bas au XVIIe siècle, qui avait vu le prix d'un bulbe de tulipe dépasser celui d'une maison, jusqu'à la récente bulle Internet, où n'importe quelle action de société se négociait à des prix délirants et sans commune mesure avec la taille de la société et ses perspectives de résultats, dès lors qu'il y avait un rapport plus ou moins lointain avec les nouvelles technologies. Une bulle peut aussi s'accompagner d'une crise de surinvestissement, comme ce fut le cas avec les chemins de fer à la fin du XIXe siècle. Et aujourd'hui encore, il est loisible de s'interroger quant à l'existence d'une bulle obligataire entretenue par les monceaux de liquidités produits par plusieurs années de politiques monétaires accommodantes et qui cherchent à s'investir, mais là n'est pas le sujet.
La comparaison du développement récent de l'enseignement supérieur avec une bulle financière paraîtra sans doute impropre et même hasardeuse à certains. Elle n'est néanmoins pas totalement dénuée de fondements. Chacun a pu constater que l'enseignement supérieur est devenu en une quinzaine d'années une véritable industrie, un marché au sens économique du terme, avec une demande toujours plus forte de la part des étudiants et de leurs parents, hantés par la crainte du chômage, et une offre de plus en plus plé- thorique, relayée par d'efficaces techniques de marketing et de communication. D'aucuns objecteront qu'une telle évolution ne constitue pas une bulle ou un risque de surinvestissement. Certes. En revanche, la ruée de prétendants aux diplômes, la sacralisation de n'importe quel diplôme dès lors qu'il est labellisé « bac +5 », l'illusion que ce label « bac + 5 » est une assurance sans faille contre le risque de chômage, une sorte de sésame supposé ouvrir les portes des entreprises, font furieusement penser à un phénomène de surinvestissement. Les candidats au diplôme font preuve d'une sorte de foi aveugle dans les études supérieures, sans se soucier de savoir si le diplôme qui sera obtenu a une réelle valeur « marchande », c'est-à-dire s'il répond à un besoin sur le marché du travail.
Cette sacralisation du diplôme se double en outre d'un engouement massif pour des métiers jugés à tort ou à raison plus « glamour », comme ceux du journalisme, de la communication ou de la culture. Les établissements d'enseignement supérieur ont surfé sur cette vague, multipliant les filières et les diplômes, et on a ainsi vu fleurir les DESS (devenus des « masters » sous l'effet de l'harmonisation européenne) spécialisés en « médiations culturelles et communication », « communication et échanges culturels » ou encore « identités, communication et développements interculturels ». Même en sciences de gestion, le risque d'une surpopulation de diplômés devient patent.
Comment ne pas songer à la crise de surinvestissement qu'a connue le secteur des chemins de fer à la fin du XIXe siècle, pendant laquelle ont été posés des tronçons de voie ferrée qui ne menaient nulle part ? A la différence de la sphère financière, où les ajustements sont rapides et brutaux, en matière d'éducation et donc d'hommes, ils sont forcément plus lents. Il n'en reste pas moins que ce surinvestissement éducationnel produit déjà son lot de frustrations et de désillusions, d'abord pour ceux qui ont cru que cinq années d'études après le bac leur permettraient d'accéder sans difficultés à l'emploi de leurs rêves, mais aussi pour les familles aux moyens modestes, qui ont souvent consenti des sacrifices importants pour financer ces études.
Il ne fait aucun doute que la qualification, qui provient pour partie des études et donc du diplôme, constitue la meilleure protection contre le chômage et les difficultés d'insertion. Mais encore faut-il que cette qualification réponde à un besoin. N'en déplaise à certains et peut-être même à beaucoup, une économie moderne a aussi besoin de former des plombiers ou des boulangers (sauf à accepter de les faire venir de Pologne ou d'ailleurs), professions qui n'ont rien de déshonorant et, surtout, qui ne sont pas moins rémunératrices qu'un poste de cadre en entreprise quand elles sont exercées pour son propre compte.
Quitte à être politiquement incorrect, rappelons que les entreprises sont mues avant tout par une rationalité économique et ne recrutent que les compétences dont elles ont besoin. A entendre les slogans des étudiants et des lycéens lors des manifestations contre le CPE, il est à craindre que la prise de conscience de ces quelques réalités économiques incontournables soit loin d'avoir eu lieu. Le réveil risque d'être douloureux...
DENIS DESCLOS est cadre dans une institution financière.
jeudi, mai 18, 2006
JP Brighelli réintégré au jury d'agrégation
Je vous fais souvent par de mauvaises nouvelles, en voici une bonne :
Bonnet d'âne
JP Brighelli est sympathique, quel dommage qu'il fasse une erreur d'analyse en attribuant les maux de l'EN au libéralisme ! Quel contresens s'agissant du dernier mammouth sovietoïde.
Bonnet d'âne
JP Brighelli est sympathique, quel dommage qu'il fasse une erreur d'analyse en attribuant les maux de l'EN au libéralisme ! Quel contresens s'agissant du dernier mammouth sovietoïde.
Les effectifs en classe, l'émulation et les résultats scolaires
Il est admis, et tout particulièrement par les professeurs et leurs syndicats, qu'une diminution des effectifs par classe est bénéfique pour les résultats scolaires et est, par conséquent, prioritaire.
Il y a là ce me semble deux pétitions de principe :
> la diminution des effectifs est bénéfique pour les élèves.
> parmi toutes les choses bénéfiques envisageables, la question des effectifs enseignants est prioritaire (on peut noter au passage que, si les effectifs enseignants tiennent tant à coeur aux syndicats, ils peuvent dès aujourd'hui faire de la lutte contre l'absentéisme professoral une priorité. Je dis une connerie ?)
Attaquons nous à la première pétition de principe, dont j'ai des raisons personnelles de croire qu'elle est fausse.
Voici ce que j'ai lu il y a bien longtemps, avant de tenir ce blog. Je n'ai à l'époque pas songé à garder la source, croyez moi sur parole.
> Quand la diminution des effectifs est radicale, par exemple en passant de 20 à 10 élèves par classe, elle peut être bénéfique car elle permet de changer de méthodes.
> Quand la diminution des effectifs n'est pas radicale, par exemple en passant de 25 à 20 élèves, elle a pour principal intérêt de diminuer le stress de l'enseignant (c'est bien, mais, franchement, je m'en fous), par contre, elle peut avoir des conséquences néfastes sur les résultats scolaires. En effet, dans une classe à effectifs ne permettant un enseignement individualisé, l'affreuse, l'horrible, l'épouvantable compétition en tête de classe a un effet d'entraînement sur le reste des élèves. Si les effectifs sont trop faibles, la tête de classe n'est plus assez importante pour qu'il y ait cette compétition dans chaque matière et le niveau global s'en ressent.
A revendiquer une diminution des effectifs par classe, on indique donc que les intérêts de l'enseignant (diminution de son stress) sont prioritaires sur les intérêts des élèves (émulation scolaire).
A vrai dire, on se doutait depuis un certain temps que, dans l'EN, au-delà des beaux discours, le "centre du système" est l'enseignant (ceux qui n'en sont pas convaincus peuvent prendre comme objet d'étude le lundi de Pentecote, c'est édifiant en matière d'égoïsme de bon aloi).
Maintenant, pourquoi ai-je des raisons de croire qu'il faut un effectif minimum pour entretenir l'émulation ?
> Tout bêtement parce que c'est ce que j'ai vécu durant ma scolarité.
> C'est ainsi que ça se pratiquait dans un temps où il n'y avait 30 % des élèves de 12 ans qui écrivaient "petit nègre".
> Le bon sens et la connaissance de la nature humaine (c'est subjectif, mais il n'est pas interdit de se servir de sa tête).
Question-concours : Vous avez 60 élèves et 3 professeurs, que faites vous ?
Réponse pédagogique : 2 classes de 30 élèves avec les deux premiers professeurs. Des heures d'études et de soutien avec le professeur restant.
Réponse EN : 3 classes de 20 élèves au nom de l'égalité des professeurs.
Il y a là ce me semble deux pétitions de principe :
> la diminution des effectifs est bénéfique pour les élèves.
> parmi toutes les choses bénéfiques envisageables, la question des effectifs enseignants est prioritaire (on peut noter au passage que, si les effectifs enseignants tiennent tant à coeur aux syndicats, ils peuvent dès aujourd'hui faire de la lutte contre l'absentéisme professoral une priorité. Je dis une connerie ?)
Attaquons nous à la première pétition de principe, dont j'ai des raisons personnelles de croire qu'elle est fausse.
Voici ce que j'ai lu il y a bien longtemps, avant de tenir ce blog. Je n'ai à l'époque pas songé à garder la source, croyez moi sur parole.
> Quand la diminution des effectifs est radicale, par exemple en passant de 20 à 10 élèves par classe, elle peut être bénéfique car elle permet de changer de méthodes.
> Quand la diminution des effectifs n'est pas radicale, par exemple en passant de 25 à 20 élèves, elle a pour principal intérêt de diminuer le stress de l'enseignant (c'est bien, mais, franchement, je m'en fous), par contre, elle peut avoir des conséquences néfastes sur les résultats scolaires. En effet, dans une classe à effectifs ne permettant un enseignement individualisé, l'affreuse, l'horrible, l'épouvantable compétition en tête de classe a un effet d'entraînement sur le reste des élèves. Si les effectifs sont trop faibles, la tête de classe n'est plus assez importante pour qu'il y ait cette compétition dans chaque matière et le niveau global s'en ressent.
A revendiquer une diminution des effectifs par classe, on indique donc que les intérêts de l'enseignant (diminution de son stress) sont prioritaires sur les intérêts des élèves (émulation scolaire).
A vrai dire, on se doutait depuis un certain temps que, dans l'EN, au-delà des beaux discours, le "centre du système" est l'enseignant (ceux qui n'en sont pas convaincus peuvent prendre comme objet d'étude le lundi de Pentecote, c'est édifiant en matière d'égoïsme de bon aloi).
Maintenant, pourquoi ai-je des raisons de croire qu'il faut un effectif minimum pour entretenir l'émulation ?
> Tout bêtement parce que c'est ce que j'ai vécu durant ma scolarité.
> C'est ainsi que ça se pratiquait dans un temps où il n'y avait 30 % des élèves de 12 ans qui écrivaient "petit nègre".
> Le bon sens et la connaissance de la nature humaine (c'est subjectif, mais il n'est pas interdit de se servir de sa tête).
Question-concours : Vous avez 60 élèves et 3 professeurs, que faites vous ?
Réponse pédagogique : 2 classes de 30 élèves avec les deux premiers professeurs. Des heures d'études et de soutien avec le professeur restant.
Réponse EN : 3 classes de 20 élèves au nom de l'égalité des professeurs.
Etre de droite : un tabou français (E. Brunet)
FFF
On apprend une foultitude de choses dans ce livre ; sur les artistes qui confient des opinions de droite avant l'antenne mais se cherchent des causes de gauche pour passer à la dite antenne (à vrai dire, on s'en doutait), sur les journalistes tellement pro-palestiniens qu'ils en deviennent un sujet de plaisanteries pour leurs collègues étrangers, sur le ghetto gauchiste qu'on appelle l'éducation nationale (dont ce prof qui manifeste gauchistement avec ses collègues le jour, pour ne pas être repéré, et colle des affiches de l'UMP la nuit) etc.
Une information m'a beaucoup fait rire: savez vous que l'association Contribuables Associés, qui n'a pas précisément une vocation gauchiste de dilapidation des deniers publics, compte plus de membres qu'ATTAC ? Le tapage autour de la seconde et de ses idées rend plus sensible le silence épais couvrant la première. Marianne révélait qu'un sondage pirate au sein de la rédaction du Monde donnait un vote à 80 % pour O. Besancenot au premier tour des dernières présidentielles ; cela aide à expliquer l'impartialité, l'équilibre, le pluralisme, la pondération, le recul, l'objectivité dont fait abondant usage la presse française.
Pourquoi tout ce gauchisme, spécificité française ? Historiquement, c'est très clair, la conjonction du gaullisme et du communisme, communiant dans le culte de l'Etat, a pris les commandes après guerre. Le gaullisme s'en est allé avec le nationalisme, le communisme a perdu sa prestance intellectuelle, reste un minestrone de gauchisme bien-pensant dont les tendances éradicatrices préservent les chasses gardées (on n'a plus vraiment d'idées, juste des slogans, mais on empêche les autres de s'exprimer, "l'affaire" Finkielkraut est exemplaire). Ce phénomène est évident dans l'éducation, la presse et la culture.
Dans ces trois domaines, l'auteur cite des personnes qui ont vu leurs carrière entravées à cause d'opinions présumées mal-pensantes, c'est-à-dire de droite. Très récemment encore, le libéral Pascal Salin a été exclu des jurys d'agrégation. Egalement JP Brighelli, pourtant de gauche, mais un peu trop franc dans son opposition à la bien pensance.
Plus intéressant encore, le cas Anouilh : après sa mort, une série d'articles le discrédite, insinuant une accusation d'antisémitisme ; or, la source de tout cela, A. Rinaldi, reconnaîtra ultérieurement, et s'en excusera auprès de la fille de l'auteur, que sa violence provenait surtout du fait qu'il pensait qu'elle plairait au journal de gauche (le Nouvel Obs) dans lequel l'article initial était écrit. Comble du sordide, il apparaîtra ensuite qu'Anouilh a, en fait d'antisémitisme, sauvé des juifs mais n'avait pas voulu en faire état de son vivant ; la pudeur dans la générosité est une notion inconnue, et quasi-inconcevable, dans la gauche médiatique. Le mal est fait : Anouilh n'est pratiquement plus joué.
C'est fou comme les intellectuels de gauche aiment les excommunications (ce qui n'est pas le cas des intellectuels de droite pour une raison simple : ils sont individualistes, la "pensée" en troupeau n'est pas leur tasse de thé).
Comment combattre l'omniprésence médiatique, cultureuse et scolaire du gauchisme ? Le gauchisme a un avantage, l'usage des slogans simplistes ; mais sa vulnérabilité est son détachement des faits ; ce que le défunt JF Revel appelait la triple dispense, dispense factuelle (ignorer les faits qui dérangent), la dispense intellectuelle (ne considérer que les arguments qui arrangent), la dispense morale (tous les moyens sont bons). Or, il est assez aisé d'attaquer la "pensée" gauchiste par le biais de ses trois dispenses.
C'est pourquoi le bon angle d'attaque est intellectuel ; le gauchisme a le strass et les paillettes, laissons les lui et portons le combat sur le terrain des idées. Les "think tanks", comme l'Institut Montaigne, sont un début.
Je vous mets un extrait du livre, avec une pensée pour F. Delpla (comme je suis gentil), pour qui la principale différence entre A. Hitler et G. W. Bush réside dans l'intelligence supérieure du premier :
Méchants Américains
Et pour ceux qui croient encore que notre système éducatif d'Etat est ouvert et pluraliste :
Monsieur X
mercredi, mai 17, 2006
Le jour où les Français deviendront libéraux
Je n'ai pas résisté à la tentation de vous repproduire cet article des Echos ; bien que sachant que ceux qui sont persuadés que le libéralisme est partout et toujours mauvais sont impossibles à convaincre du contraire par la raison.
Le jour où les Français deviendront libéraux
JEAN-MARC VITTORI
Le malade se traîne. Parfois, il délire. Il se noie dans ses problèmes d'argent. Et il ne sait pas où aller. Les médecins proposent un médicament réputé pour son efficacité, même s'il a des effets secondaires majeurs qu'il faut traiter. Mais, à son seul nom, le malade est en transes, de la tête aux pieds. C'est sur ce cas étrange que se sont penchés les intervenants du 3e Forum des idées économiques, organisé par « Les Echos » et Sciences po, qui a eu lieu vendredi 12 mai à Paris sur le thème du libéralisme économique. Le libéralisme, ce remède que la France refuse avec tant d'énergie... Est-il vraiment efficace ? Et pourquoi un tel blocage ?
Les médecins n'ont pas perdu de temps à définir ce médicament si funeste. Il était clair pour chacun qu'il s'agit d'une doctrine, une thèse ou une attitude qui consiste à privilégier l'action individuelle. En économie, l'outil libéral par excellence est le marché, où se rencontrent les volontés de chacun pour parvenir à un équilibre collectif. A en croire les praticiens étrangers venus au forum, le marché apparaîtrait comme le mécanisme de base de l'économie. Le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, pourtant contempteur régulier des excès du marché, l'a dit haut et fort : « Aujourd'hui, tout le monde place les marchés au centre de l'économie, mais tout le monde reconnaît le besoin de l'Etat. » Un autre prix Nobel, l'Indien Amartya Sen, pourtant célèbre pour ses préoccupations sociales, parle du « succès étincelant du mécanisme de marché » après des décennies d'ignorance ou de méconnaissance. Plus encore, le libéralisme serait gage de croissance. Pour Robert Barro, professeur d'économie à Harvard, les pays qui ont libéralisé leurs marchés au cours des dernières décennies ont bénéficié d'un surcroît de dynamisme : Royaume-Uni, Etats-Unis, Chine, Inde, Europe de l'Est, Irlande, Scandinavie... Dans l'autre sens, l'essentiel de l'Amérique latine, l'Allemagne ou la France sont à la traîne. En France, la production par tête est passée de 76 % du niveau observé aux Etats-Unis en 1980 à 66 % aujourd'hui. A l'inverse, l'Irlande est passée de 47 % à 86 % !Mais, ici, tout se complique. Robert Barro précise que le lien entre libéralisation et croissance n'a rien d'automatique. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire des conjonctures économiques, va plus loin. Si on regarde non les revenus moyens mais le niveau de vie des 70 % de la population les moins favorisés, les Français ont amélioré leur position face aux Américains. Faut-il vraiment défendre un libéralisme qui ne profite qu'aux plus riches ? Fitoussi rappelle le propos de l'économiste Joan Robinson : « La main invisible fonctionne toujours, mais parfois par strangulation. »
En réalité, le débat aujourd'hui n'est pas entre l'acceptation ou le refus du libéralisme, mais la définition du degré optimal de libéralisation. « Ce n'est pas l'économie de marché qui va résoudre la question de l'énergie », soutient Clara Gaymard, l'ambassadrice française déléguée aux investissements internationaux. « La vraie question, c'est l'équilibre entre les marchés et le gouvernement, affirme Joe Stiglitz. Et le point d'équilibre varie d'un pays à l'autre. » Un équilibre difficile à trouver. D'un côté, pour le provoquant Robert Barro, « trop de démocratie peut mener à trop de redistribution ». De l'autre, Amartya Sen rappelle que l'ouverture des marchés en Chine à la fin des années 1970 a accéléré la croissance, mais freiné l'allongement de l'espérance de vie. L'effet secondaire principal du libéralisme est bien connu : c'est l'accroissement des inégalités. Il peut néanmoins être contenu, comme le prouve l'expérience scandinave (1). Encore faut-il être sûr que l'action publique soit plus efficace que l'action privée.
Mais, en France, cette question n'est pas posée. Le marché est suspecté à raison d'être traversé de failles, l'Etat est supposé à tort infaillible. C'est vrai dans tout le pays. « Le libéralisme, ça ne marche pas », a ainsi lancé Jacques Chirac. Et, dans un sondage réalisé l'an dernier par l'institut Globescan, 36 % seulement des Français sont d'accord avec l'idée que « la libre entreprise et l'économie de marché constituent le meilleur système sur lequel bâtir l'avenir de la planète », contre 59 % des Italiens, 65 % des Allemands, 71 % des Américains et 74 % des Chinois ! Il y a bien une exception française. D'où vient-elle ? La première raison, c'est l'ignorance. « Nous devons faire de gros efforts de pédagogie en science économique », estime Christine Lagarde, ministre du Commerce extérieur, qui a longtemps vécu aux Etats-Unis. En France, personne ne fait cette pédagogie du marché. Beaucoup d'enseignants s'en méfient. Les politiques redoutent une étiquette devenue infamante. La presse le connaît mal. Dans leur immense majorité, les chefs d'entreprise n'ont pas le courage, l'énergie ou la volonté de le défendre.
La deuxième raison du blocage français face au libéralisme, c'est la peur, « la peur des pays qui n'ont pas de vision car ils n'ont pas de leadership », selon Henri de Castries, PDG d'AXA et l'un des rares dirigeants français à oser proclamer haut et fort ses convictions libérales. S'insinuent le doute et l'absence de confiance en soi. D'où la crainte de la concurrence, notamment venue de l'étranger. Une constante tricolore, comme le montre la fameuse pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs, et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l'éclairage, une satire écrite au milieu du XIXe siècle par l'économiste Frédéric Bastiat pour dénoncer « l'intolérable concurrence d'un rival étranger » qui se nomme... le soleil.
D'où la tentation omniprésente du rejet de l'autre et de la protection par l'Etat. « Si le consommateur est hyperlibéral, le producteur est archiprotectionniste », relève Michel Cicurel, le président de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild. Et pourtant... « La France réussit le jeu du marché quand elle est prête à le jouer », observe Mario Monti, l'ancien commissaire européen à la Concurrence qui préside l'université Bocconi de Milan. Pour l'essayiste Nicolas Baverez, il en va de l'avenir du pays : « Le décrochage de la France est directement lié à l'antilibéralisme. Pour se redresser, le pays doit renouer avec sa tradition libérale. » C'est peut-être ici qu'est la clef du problème. Car, si la France a une longue tradition dirigiste, elle a aussi tout un héritage libéral qui remonte à Montesquieu. Et, au début des années 1970, quand le Royaume-Uni décide de rejoindre l'Union européenne, c'est pour s'arrimer à un système de marché conçu par les Français et les Allemands ! Le libéralisme, chance ou menace ? Après tout, le mot commence par « liberté ». Tout comme la devise de la France.
JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste aux « Echos ». jmvittori@lesechos.fr
(1) Sur le modèle scandinave, deux références récentes : « La Flexicurité danoise : quels enseignements pour la France », par Robert Boyer, collection du Cepremap, Editions Rue d'Ulm, 3 euros, et le dossier « Le modèle nordique » du n° 52 de la revue « Sociétal », 14 euros (revues@puf.com).
Le jour où les Français deviendront libéraux
JEAN-MARC VITTORI
Le malade se traîne. Parfois, il délire. Il se noie dans ses problèmes d'argent. Et il ne sait pas où aller. Les médecins proposent un médicament réputé pour son efficacité, même s'il a des effets secondaires majeurs qu'il faut traiter. Mais, à son seul nom, le malade est en transes, de la tête aux pieds. C'est sur ce cas étrange que se sont penchés les intervenants du 3e Forum des idées économiques, organisé par « Les Echos » et Sciences po, qui a eu lieu vendredi 12 mai à Paris sur le thème du libéralisme économique. Le libéralisme, ce remède que la France refuse avec tant d'énergie... Est-il vraiment efficace ? Et pourquoi un tel blocage ?
Les médecins n'ont pas perdu de temps à définir ce médicament si funeste. Il était clair pour chacun qu'il s'agit d'une doctrine, une thèse ou une attitude qui consiste à privilégier l'action individuelle. En économie, l'outil libéral par excellence est le marché, où se rencontrent les volontés de chacun pour parvenir à un équilibre collectif. A en croire les praticiens étrangers venus au forum, le marché apparaîtrait comme le mécanisme de base de l'économie. Le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, pourtant contempteur régulier des excès du marché, l'a dit haut et fort : « Aujourd'hui, tout le monde place les marchés au centre de l'économie, mais tout le monde reconnaît le besoin de l'Etat. » Un autre prix Nobel, l'Indien Amartya Sen, pourtant célèbre pour ses préoccupations sociales, parle du « succès étincelant du mécanisme de marché » après des décennies d'ignorance ou de méconnaissance. Plus encore, le libéralisme serait gage de croissance. Pour Robert Barro, professeur d'économie à Harvard, les pays qui ont libéralisé leurs marchés au cours des dernières décennies ont bénéficié d'un surcroît de dynamisme : Royaume-Uni, Etats-Unis, Chine, Inde, Europe de l'Est, Irlande, Scandinavie... Dans l'autre sens, l'essentiel de l'Amérique latine, l'Allemagne ou la France sont à la traîne. En France, la production par tête est passée de 76 % du niveau observé aux Etats-Unis en 1980 à 66 % aujourd'hui. A l'inverse, l'Irlande est passée de 47 % à 86 % !Mais, ici, tout se complique. Robert Barro précise que le lien entre libéralisation et croissance n'a rien d'automatique. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire des conjonctures économiques, va plus loin. Si on regarde non les revenus moyens mais le niveau de vie des 70 % de la population les moins favorisés, les Français ont amélioré leur position face aux Américains. Faut-il vraiment défendre un libéralisme qui ne profite qu'aux plus riches ? Fitoussi rappelle le propos de l'économiste Joan Robinson : « La main invisible fonctionne toujours, mais parfois par strangulation. »
En réalité, le débat aujourd'hui n'est pas entre l'acceptation ou le refus du libéralisme, mais la définition du degré optimal de libéralisation. « Ce n'est pas l'économie de marché qui va résoudre la question de l'énergie », soutient Clara Gaymard, l'ambassadrice française déléguée aux investissements internationaux. « La vraie question, c'est l'équilibre entre les marchés et le gouvernement, affirme Joe Stiglitz. Et le point d'équilibre varie d'un pays à l'autre. » Un équilibre difficile à trouver. D'un côté, pour le provoquant Robert Barro, « trop de démocratie peut mener à trop de redistribution ». De l'autre, Amartya Sen rappelle que l'ouverture des marchés en Chine à la fin des années 1970 a accéléré la croissance, mais freiné l'allongement de l'espérance de vie. L'effet secondaire principal du libéralisme est bien connu : c'est l'accroissement des inégalités. Il peut néanmoins être contenu, comme le prouve l'expérience scandinave (1). Encore faut-il être sûr que l'action publique soit plus efficace que l'action privée.
Mais, en France, cette question n'est pas posée. Le marché est suspecté à raison d'être traversé de failles, l'Etat est supposé à tort infaillible. C'est vrai dans tout le pays. « Le libéralisme, ça ne marche pas », a ainsi lancé Jacques Chirac. Et, dans un sondage réalisé l'an dernier par l'institut Globescan, 36 % seulement des Français sont d'accord avec l'idée que « la libre entreprise et l'économie de marché constituent le meilleur système sur lequel bâtir l'avenir de la planète », contre 59 % des Italiens, 65 % des Allemands, 71 % des Américains et 74 % des Chinois ! Il y a bien une exception française. D'où vient-elle ? La première raison, c'est l'ignorance. « Nous devons faire de gros efforts de pédagogie en science économique », estime Christine Lagarde, ministre du Commerce extérieur, qui a longtemps vécu aux Etats-Unis. En France, personne ne fait cette pédagogie du marché. Beaucoup d'enseignants s'en méfient. Les politiques redoutent une étiquette devenue infamante. La presse le connaît mal. Dans leur immense majorité, les chefs d'entreprise n'ont pas le courage, l'énergie ou la volonté de le défendre.
La deuxième raison du blocage français face au libéralisme, c'est la peur, « la peur des pays qui n'ont pas de vision car ils n'ont pas de leadership », selon Henri de Castries, PDG d'AXA et l'un des rares dirigeants français à oser proclamer haut et fort ses convictions libérales. S'insinuent le doute et l'absence de confiance en soi. D'où la crainte de la concurrence, notamment venue de l'étranger. Une constante tricolore, comme le montre la fameuse pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs, et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l'éclairage, une satire écrite au milieu du XIXe siècle par l'économiste Frédéric Bastiat pour dénoncer « l'intolérable concurrence d'un rival étranger » qui se nomme... le soleil.
D'où la tentation omniprésente du rejet de l'autre et de la protection par l'Etat. « Si le consommateur est hyperlibéral, le producteur est archiprotectionniste », relève Michel Cicurel, le président de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild. Et pourtant... « La France réussit le jeu du marché quand elle est prête à le jouer », observe Mario Monti, l'ancien commissaire européen à la Concurrence qui préside l'université Bocconi de Milan. Pour l'essayiste Nicolas Baverez, il en va de l'avenir du pays : « Le décrochage de la France est directement lié à l'antilibéralisme. Pour se redresser, le pays doit renouer avec sa tradition libérale. » C'est peut-être ici qu'est la clef du problème. Car, si la France a une longue tradition dirigiste, elle a aussi tout un héritage libéral qui remonte à Montesquieu. Et, au début des années 1970, quand le Royaume-Uni décide de rejoindre l'Union européenne, c'est pour s'arrimer à un système de marché conçu par les Français et les Allemands ! Le libéralisme, chance ou menace ? Après tout, le mot commence par « liberté ». Tout comme la devise de la France.
JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste aux « Echos ». jmvittori@lesechos.fr
(1) Sur le modèle scandinave, deux références récentes : « La Flexicurité danoise : quels enseignements pour la France », par Robert Boyer, collection du Cepremap, Editions Rue d'Ulm, 3 euros, et le dossier « Le modèle nordique » du n° 52 de la revue « Sociétal », 14 euros (revues@puf.com).
mardi, mai 16, 2006
Jean-François Revel ou le combat contre la mauvaise foi
Puisque je viens d'évoquer Revel
Jean-François Revel ou le combat contre la mauvaise foi
Claude Larsimont
Institut Hayek
La disparition de Jean-François Revel me rappelle celle du dessinateur Reiser. Un chagrin qui vous prend, sans avoir personnellement connu l'homme, avec la certitude d'une perte irréparable. Outre la tristesse à l'annonce de sa mort, beaucoup de femmes et d'hommes ressentent à son égard de la gratitude, se découvrent être son débiteur.
A l'époque où Hannah Arendt était encore peu connue du grand public, ce philosophe érudit transmettait avec passion et clarté les clés de compréhension du totalitarisme et particulièrement du socialisme qui sévissait encore sur une partie de l'Europe.
On peine à imaginer aujourd'hui ce qu'a pu être, pour un jeune progressiste des années 70, désemparé par les indignations sélectives et le conformisme de la pensée, un homme comme Jean-François Revel. Une lumière dans la nuit. Souvenons nous : même le mot démocratie était alors suspect car il sous-entendait « démocratie formelle ». Il combattait avec courage les aveuglements et les ignorances, les complaisances envers les crimes des dictateurs révolutionnaires, compagnons de route de tant de nos belles âmes, aujourd'hui spécialisés dans les leçons de démocratie médiatisées.
Athée impénitent, anti-gaulliste, anti-colonialiste et anti-communiste, il avait foi en la liberté et une dévotion inconditionnelle à la vérité.Un message sans contradicteurRevel n'a cessé de chercher, sur le terrain des faits et des idées, des adversaires qui se sont dérobés. Classé libéral, il a toujours dénié le statut d'idéologie au libéralisme dont les théoriciens se bornent à observer des faits, des situations avérées, à dire aux acteurs du monde ce qu'ils font et non ce qu'ils doivent faire. Avancer que le marché est, à l'expérience, un moyen moins mauvais d'allocation des ressources que la répartition planifiée ne relève pas de l'idéologie, c'est un constat.
Au contraire, le socialisme qui imprègne tant les esprits est bien une idéologie, une reconstruction mentale de la réalité.
Il est très significatif que les rares contradictions à ses pamphlets, alors que les attaques contre sa personne étaient nombreuses, se résumaient en un truisme : « le marché ne résout pas tous les problèmes », sous entendu, le libéralisme est également un système qui prétend tout résoudre, comme le socialisme. «L'idéologie ne peut pas concevoir qu'on lui oppose une objection si ce n'est au nom d'une autre idéologie.» notait il. C'est ainsi que le libéralisme est jugé, non pas sur ce qu'il apporte (sécurité sociale et démocratie, par exemple) mais sur ce qu'il pourrait ne pas apporter de bon. En quelque sorte c'est le débat truqué qui consiste à comparer la perfection de ce qui n'existe pas (la société socialiste ou écologiste) avec les imperfections de ce qui existe (la démocratie libérale). Le tour de force des idéologues patentés étant de se faire juger sur leurs intentions et non sur la réalité des expériences socialistes vécues. Contre dogmes et utopies.
Deux questions sont au coeur de son oeuvre politique : Qu'est ce qu'une société viable ? Et pourquoi y a-t-il, dans les sociétés libres, tant de gens qui haïssent la liberté et veulent la servitude ? Il s'est efforcé de le comprendre, dans ses nombreux ouvrages, en traquant le mesonge et le faux, la paresse intellectuelle et la crainte de la liberté.
L'auteur de «La tentation totalitaire » fut le compagnon, le réconfort moral de ceux pour qui un supplicié chinois, russe ou angolais, est un homme aussi digne d'intérêt qu'un chilien ou un espagnol voué au même sort. Le temps, disait il, « est la matière première de la vie humaine. L'histoire recommence et finit avec chaque individu ».La « Connaissance inutile » publié en 1988 sans prendre une ride depuis, devrait être lu par tous les étudiants en journalisme. Ils y apprendraient pourquoi les dogmes et les utopies sont hermétiques à la réalité des faits.Pourquoi l'objet commun de la haine des deux totalitarismes qui ont ravagé la planète au siècle dernier est la société démocratique libérale, incontrôlable avec ses milliards de variantes individuelles. Contre l'hémiplégie de la mémoire, enfin, dans « La Grande Parade » il nous montre pourquoi le devoir de mémoire envers les victimes d'Hitler se double d'un droit à l'indifférence pour les victimes de Staline, Mao, pol Pot, Mengistu, et autres Kim Il Sung. Il démonte également l'instrumentalisation politique de la menace d'un danger fasciste.Revel a été un lutteur infatigable au service de la liberté alliant à sa culture très étendue l'intelligence et le courage, la force et le coeur. J'ajouterai l'humour, présent dans toute son oeuvre, au détour des traits les plus acérés, des reflexions les plus fécondes. Et jusqu'à tout récemment où, avec son «Obsession anti-américaine » il brocarde férocement ceux qui, ayant pour tout bagage un anti-américanisme de bon aloi, se prennent pour des penseurs.
Les interviews accordées par ses amis à l'occasion de son décès nous apprennent que ce bon vivant était également un homme très généreux. Sans le savoir, nous le savions. Lucide, il retire de sa propre expérience «l'aptitude des hommes à se persuader de la vérité de n'importe quelle théorie, de bâtir dans leur tête un attirail justificatif de n'importe quel système, fut-ce le plus extravagant, sans que l'intelligence et la culture puissent entraver cette construction idéologique ». Et les hommes ne changeront pas. Beaucoup de ceux qui s'intéresssent à la chose publique préféreront toujours leurs convictions à la réalité des faits. Si le danger totalitaire peut être combattu, la tentation totalitaire existera toujours car elle est inscrite dans l'homme.«L'esprit totalitaire peut donc ressurgir un jour prochain dans une nouvelle incarnation initialement inoffensive et vertueuse, un travestissement inédit derrière lequel très peu de physionomistes identifieront de prime abord le vieux visage messianique et maléfique de l'idéologie... ». Nous voilà prévenus.
Merci Jean-François Revel.Cet article a été publié par le quotidien "La Libre Belgique"
Jean-François Revel ou le combat contre la mauvaise foi
Claude Larsimont
Institut Hayek
La disparition de Jean-François Revel me rappelle celle du dessinateur Reiser. Un chagrin qui vous prend, sans avoir personnellement connu l'homme, avec la certitude d'une perte irréparable. Outre la tristesse à l'annonce de sa mort, beaucoup de femmes et d'hommes ressentent à son égard de la gratitude, se découvrent être son débiteur.
A l'époque où Hannah Arendt était encore peu connue du grand public, ce philosophe érudit transmettait avec passion et clarté les clés de compréhension du totalitarisme et particulièrement du socialisme qui sévissait encore sur une partie de l'Europe.
On peine à imaginer aujourd'hui ce qu'a pu être, pour un jeune progressiste des années 70, désemparé par les indignations sélectives et le conformisme de la pensée, un homme comme Jean-François Revel. Une lumière dans la nuit. Souvenons nous : même le mot démocratie était alors suspect car il sous-entendait « démocratie formelle ». Il combattait avec courage les aveuglements et les ignorances, les complaisances envers les crimes des dictateurs révolutionnaires, compagnons de route de tant de nos belles âmes, aujourd'hui spécialisés dans les leçons de démocratie médiatisées.
Athée impénitent, anti-gaulliste, anti-colonialiste et anti-communiste, il avait foi en la liberté et une dévotion inconditionnelle à la vérité.Un message sans contradicteurRevel n'a cessé de chercher, sur le terrain des faits et des idées, des adversaires qui se sont dérobés. Classé libéral, il a toujours dénié le statut d'idéologie au libéralisme dont les théoriciens se bornent à observer des faits, des situations avérées, à dire aux acteurs du monde ce qu'ils font et non ce qu'ils doivent faire. Avancer que le marché est, à l'expérience, un moyen moins mauvais d'allocation des ressources que la répartition planifiée ne relève pas de l'idéologie, c'est un constat.
Au contraire, le socialisme qui imprègne tant les esprits est bien une idéologie, une reconstruction mentale de la réalité.
Il est très significatif que les rares contradictions à ses pamphlets, alors que les attaques contre sa personne étaient nombreuses, se résumaient en un truisme : « le marché ne résout pas tous les problèmes », sous entendu, le libéralisme est également un système qui prétend tout résoudre, comme le socialisme. «L'idéologie ne peut pas concevoir qu'on lui oppose une objection si ce n'est au nom d'une autre idéologie.» notait il. C'est ainsi que le libéralisme est jugé, non pas sur ce qu'il apporte (sécurité sociale et démocratie, par exemple) mais sur ce qu'il pourrait ne pas apporter de bon. En quelque sorte c'est le débat truqué qui consiste à comparer la perfection de ce qui n'existe pas (la société socialiste ou écologiste) avec les imperfections de ce qui existe (la démocratie libérale). Le tour de force des idéologues patentés étant de se faire juger sur leurs intentions et non sur la réalité des expériences socialistes vécues. Contre dogmes et utopies.
Deux questions sont au coeur de son oeuvre politique : Qu'est ce qu'une société viable ? Et pourquoi y a-t-il, dans les sociétés libres, tant de gens qui haïssent la liberté et veulent la servitude ? Il s'est efforcé de le comprendre, dans ses nombreux ouvrages, en traquant le mesonge et le faux, la paresse intellectuelle et la crainte de la liberté.
L'auteur de «La tentation totalitaire » fut le compagnon, le réconfort moral de ceux pour qui un supplicié chinois, russe ou angolais, est un homme aussi digne d'intérêt qu'un chilien ou un espagnol voué au même sort. Le temps, disait il, « est la matière première de la vie humaine. L'histoire recommence et finit avec chaque individu ».La « Connaissance inutile » publié en 1988 sans prendre une ride depuis, devrait être lu par tous les étudiants en journalisme. Ils y apprendraient pourquoi les dogmes et les utopies sont hermétiques à la réalité des faits.Pourquoi l'objet commun de la haine des deux totalitarismes qui ont ravagé la planète au siècle dernier est la société démocratique libérale, incontrôlable avec ses milliards de variantes individuelles. Contre l'hémiplégie de la mémoire, enfin, dans « La Grande Parade » il nous montre pourquoi le devoir de mémoire envers les victimes d'Hitler se double d'un droit à l'indifférence pour les victimes de Staline, Mao, pol Pot, Mengistu, et autres Kim Il Sung. Il démonte également l'instrumentalisation politique de la menace d'un danger fasciste.Revel a été un lutteur infatigable au service de la liberté alliant à sa culture très étendue l'intelligence et le courage, la force et le coeur. J'ajouterai l'humour, présent dans toute son oeuvre, au détour des traits les plus acérés, des reflexions les plus fécondes. Et jusqu'à tout récemment où, avec son «Obsession anti-américaine » il brocarde férocement ceux qui, ayant pour tout bagage un anti-américanisme de bon aloi, se prennent pour des penseurs.
Les interviews accordées par ses amis à l'occasion de son décès nous apprennent que ce bon vivant était également un homme très généreux. Sans le savoir, nous le savions. Lucide, il retire de sa propre expérience «l'aptitude des hommes à se persuader de la vérité de n'importe quelle théorie, de bâtir dans leur tête un attirail justificatif de n'importe quel système, fut-ce le plus extravagant, sans que l'intelligence et la culture puissent entraver cette construction idéologique ». Et les hommes ne changeront pas. Beaucoup de ceux qui s'intéresssent à la chose publique préféreront toujours leurs convictions à la réalité des faits. Si le danger totalitaire peut être combattu, la tentation totalitaire existera toujours car elle est inscrite dans l'homme.«L'esprit totalitaire peut donc ressurgir un jour prochain dans une nouvelle incarnation initialement inoffensive et vertueuse, un travestissement inédit derrière lequel très peu de physionomistes identifieront de prime abord le vieux visage messianique et maléfique de l'idéologie... ». Nous voilà prévenus.
Merci Jean-François Revel.Cet article a été publié par le quotidien "La Libre Belgique"
Les plats de saison de l'année 2000
JF Revel est mort mais une certaine "pensée" bouge si peu que ses écrits sont toujours actuels :
27 avril : quatorzième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Cet évènement démontre à l'évidence les thèses chères aux socialistes, à savoir : lorsqu'un pays possède un Etat fort, qui "régule" toute l'économie et lorsque la production est entièrement soustraite à l'abominable loi du profit, tout va bien, n'est-ce pas ? P. Bourdieu et JF Kahn doivent trépigner de joie en fêtant Tchernobyl !
29 mai : Le directeur du Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet [pompeux idéologue archéo-marxiste] estime que Mario Vargas Llosa [ami de Revel] est fasciste [il est en réalité libéral]. Quand on pousse de tels grands esprits dans leurs retranchements en leur posant la question : "Puisque le libéralisme est pour vous le fascisme, faut-il en conclure que vous voulez ressusciter l'économie administrée de type soviétique ?", ils se récrient en protestant qu'il ne le veulent à aucun prix. Alors que veulent-ils ? Ils adhèrent sans doute à la théorie immortelle du général Velasco Alvarado, chef du socialisme militaire péruvien des années soixante-dix, qui disait : "Le gouvernement révolutionnaire des Forces armées n'est ni communiste ni capitaliste mais tout le contraire."
4 octobre : On le voit bien, derrière ces décisions [nouvelles taxes pour financer les 35 h], subsiste intacte la vieille carcasse idéologique du socialisme. Etatisme, centralisme, dirigisme, horreur de l'entreprise et de tout ce qui pourrait être confié à l'initiative et aux choix des citoyens, concentration des pouvoirs entre les mains d'une oligarchie qui fait payer par la société le coût de ses erreurs en augmentant les prélèvements.
27 avril : quatorzième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Cet évènement démontre à l'évidence les thèses chères aux socialistes, à savoir : lorsqu'un pays possède un Etat fort, qui "régule" toute l'économie et lorsque la production est entièrement soustraite à l'abominable loi du profit, tout va bien, n'est-ce pas ? P. Bourdieu et JF Kahn doivent trépigner de joie en fêtant Tchernobyl !
29 mai : Le directeur du Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet [pompeux idéologue archéo-marxiste] estime que Mario Vargas Llosa [ami de Revel] est fasciste [il est en réalité libéral]. Quand on pousse de tels grands esprits dans leurs retranchements en leur posant la question : "Puisque le libéralisme est pour vous le fascisme, faut-il en conclure que vous voulez ressusciter l'économie administrée de type soviétique ?", ils se récrient en protestant qu'il ne le veulent à aucun prix. Alors que veulent-ils ? Ils adhèrent sans doute à la théorie immortelle du général Velasco Alvarado, chef du socialisme militaire péruvien des années soixante-dix, qui disait : "Le gouvernement révolutionnaire des Forces armées n'est ni communiste ni capitaliste mais tout le contraire."
4 octobre : On le voit bien, derrière ces décisions [nouvelles taxes pour financer les 35 h], subsiste intacte la vieille carcasse idéologique du socialisme. Etatisme, centralisme, dirigisme, horreur de l'entreprise et de tout ce qui pourrait être confié à l'initiative et aux choix des citoyens, concentration des pouvoirs entre les mains d'une oligarchie qui fait payer par la société le coût de ses erreurs en augmentant les prélèvements.
lundi, mai 15, 2006
Quelques nouvelles de vrais pédagogues
L'entretien avec Laurent Lafforgue est intéressant, il essaie d'analyser les causes profondes de l'entreprise de destruction de l'école qui se généralise en Occident.
Entretien avec L. Lafforgue
Les savoirs scientifiques Fondamentaux
Pour ceux qui ne seraient pas au courant, je signale que JP Brighelli, auteur de La fabrique du crétin, vient de se faire virer du jury du CAPES pour délit d'opinion. Pas de hurlements ? Naïf que je suis : quand l'entreprise de mise au pas vient de la gauche, ça ne peut être que pour le plus grand bien de l'humanité, il n'y a donc pas lieu de protester ; en fait, il faudrait remercier les censeurs de leur zèle humanitaire.
Entretien avec L. Lafforgue
Les savoirs scientifiques Fondamentaux
Pour ceux qui ne seraient pas au courant, je signale que JP Brighelli, auteur de La fabrique du crétin, vient de se faire virer du jury du CAPES pour délit d'opinion. Pas de hurlements ? Naïf que je suis : quand l'entreprise de mise au pas vient de la gauche, ça ne peut être que pour le plus grand bien de l'humanité, il n'y a donc pas lieu de protester ; en fait, il faudrait remercier les censeurs de leur zèle humanitaire.
Dans mon pays lui-même (P. Meyer)
FFF
L'auteur s'est baladé dans la France dite profonde (le titre provient d'Aragon : En étrange pays dans mon pays lui-même). Ce livre savoureux date de 1993 et paraît par bien des cotés actuel, qu'on en juge :
> Saint-Flour : les notables se sont arrangés pour repousser l'autoroute et les usines afin de préserver leur tranquillité et râlent après l'Etat que la ville dépérit.
> Ouessant : on réclame à l'administration plus de navettes avec la terre alors que celles qui existent sont déjà aux trois-quarts vides.
> Molène : réunion électorale, toutes les questions sont du type : "Que pouvez vous faire pour moi, pour ma catégorie ? Qu'est-ce que ça me rapporte de voter pour vous ?" Pas une seule question nationale.
> Sète : c'est le coin que l'auteur a semble-t-il le plus apprécié. La région, le département et la municipalité font construire un port ultra moderne. Malheureusement, le parrain local et le bon sens ont considéré que le vieux port au centre-ville était plus pratique que le port neuf excentré, qui est en conséquence resté désert.
> Corse : l'envie est un des sentiments les plus puissants de l'île. On reproche à ceux qui partent de partir, on leur reproche de revenir plus riches, on en veut à ce qui restent et qui travaillent de réussir, leur travail sonnant comme un reproche pour les autres. Cependant, tout ce monde peut être accueillant.
> Le Havre : des tas de "cucultureux" subventionnés pour des spectacles sans spectateurs, nouvelle forme de parasitisme, d'inspiration languienne. (Je connais quelques specimens dont le cortex n'abrite que de très sommaires pensées politiques : "Sarkozy est un fasciste." "Me refuser une subvention, c'est du fascisme, c'est une atteinte à l'art." Inutile de chercher la cohérence de ces gens qui trouvent normal de faire payer la collectivité pour une "culture" dont personne n'estime qu'elle vaut le sacrifice du prix d'un billet d'entrée.) On notera que, depuis, Le Havre est passé à droite avec A. Rufenacht à la plus grande satisfaction des habitants.
> Wattrelos : une mairie socialiste, où le personnel municipal parle le patois psycho-sociologique, aux petits soins pour ses administrés, tellement que, quand ceux-ci ont envie de se distraire, ils vont dans la ville belge voisine car chez eux, on s'ennuie à mourir.
> Le Chemin des Dames : à mon avis, devrait être visité par chaque Français, comme le cimetière américain d'Omaha (1). Voici un extrait du chapitre de P. Meyer sur le sujet :
Gibeau [chercheur incroyant] aussi bien que le père Courtois [chercheur jésuite], le père Courtois aussi bien que Gibeau collectionnent et font connaître les témoignages, les Mémoires, la correspondance, les thèses, les ouvrages d'historiens, les romans, les films qui mettent en lumière tout ce que des soldats, des sous-officiers, des officiers, des médecins-majors, des aumôniers militaires imaginèrent, osèrent, improvisèrent à leurs risques et périls pour atténuer les conséquences des décisions d'état-major.
Un état-major de technocrates en uniforme, opposant aux rares hommes politiques qui prétendaient mollement les contrôler que nul ne saurait mieux savoir qu'un spécialiste. Des technocrates en uniforme se protégeant de la critique en invoquant l'héroïsme - des autres -, le sacrifice - des autres -, les souffrances - des autres. Il fallut quarante mois pour que l'on croie enfin que « la guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires » et pour qu'avec Clemenceau la conduite des affaires fût confiée à un « responsable » qui tienne la dragée haute aux joueurs de Kriegspiel. Ceux-là même dont les successeurs devaient se montrer incapables de voir venir et de préparer le conflit suivant, non par sympathie pour le national-socialisme, mais par les effets d'une incompétence cuirassée d'irresponsabilité.
A entendre cet incroyant et ce jésuite évoquer la mémoire de ceux qui ont été écrasés comme de ceux qui ne se sont pas laissé faire, on se prend à se demander si notre dette envers ces morts ne serait pas de commencer un siècle où cette incompétence irresponsable ne tienne plus le haut du pavé.
Pourquoi ai-je choisi cet extrait ? Parce que cet "esprit de Polytechnique", comme l'appelle Hayek, pourrait bien être une des causes majeures de nos maux actuels. Comme je l'évoquais dans le compte-rendu de La campagne de 1940, on devrait s'interroger plus fort sur le fait que les guerres de 1870, 1914 et 1939 commencèrent par des catastrophes à cause d'une trop grande confiance en des théories abstraites.
Nos gouvernants ne le disent pas, mais, quelquefois, ils le pensent si fort que cela s'entend : "Mes calculs sont justes, pourquoi le chomâge ne baisse-t-il pas ?" Et si les calculs sont faux ou si ce n'est tout simplement pas un problème de calcul ? Comme dit Nicolas Baverez cruellement : contre le chomage, on a tout essayé ... sauf ce qui marche. (2)
Et l'on voit aussi, hier comme aujourd'hui, les initiatives d'individus décidés s'efforçant de pallier à hauteur d'homme les erreurs décidées dans la stratosphère de la machine technocrato-étatique.
> Enfin, clou du spectacle, si l'on ose dire, le récit de la participation de P. Meyer au jury du concours d'entrée à l'ENA. Philippe Meyer avait malicieusement suggéré le thème "La culture est-elle l'affaire de l'Etat ?". Après des réponses du genre "Oui, l'existence d'un ministère de la culture le prouve" et "Sans l'Etat, Michel-Ange et Léonard de Vinci n'auraient pas existé", on comprend que la plupart des copies mélangent cuistrerie, flagornerie étatique, clins d'yeux pseudo-érudits entre gens "du même monde" et aspersion abondante d'eau tiède ("P'têt'e bin qu'oui, mais il est possible que non"), on en vient à penser que l'affichage de ces quelques pages de P. Meyer à l'entrée de toutes les mairies de France vaudrait décret de suppression immédiate de l'ENA.
Je peux aussi ajouter à tout cela une anecdote d'Alain Etchegoyen qui n'est pas dans ce livre mais aurait pu y figurer : un économiste distingué vient faire une conférence sur la dette publique dans une association.
A la fin, une spectatrice, femme de ménage de profession, demande :"Monsieur, vous parlez de dette, mais qui paye ?" L'économiste, étonné, se retourne discrètement vers son hôte : "Tu crois vraiment qu'ils ne savent pas ?"
(1) : je me demande si l'un des ressorts les plus puissants de l'anti-américanisme français, à bien des égards idiot comme il n'est pas permis (l'anti-américanisme, socialisme des imbéciles), n'est pas notre ressentiment de devoir notre liberté d'aujourd'hui à ces "abrutis" d'Américains.
(2) : l'esprit libéral est à l'inverse de cet esprit de Polytechnique, il est à considérer qu'on ne pourra jamais mettre en équations les actions de millions d'invidus voulant et pensant, qu'il faut donc partir de principes sains parce que justes (liberté, droits fondamentaux) et laisser aux acteurs le soin de donner forme à l'avenir. (voir dans le message précédent la critique de notre dispositif, à la française, d'encouragement à l'innovation.)
L'innovation "à la française"
L'expression "à la française", symbole jadis d'une élégance précieuse est en train de devenir synonyme de"inutile et disgracieux bidouillage étatique". Quelle déchéance !
Les errements de la méthode Beffa
Les errements de la méthode Beffa
dimanche, mai 14, 2006
Les antis
Vous savez que je juge Bové, Besancenot et compagnie comme profondément ridicules et nuisibles par l'orientation (je n'ose pas dire "intellectuelle") qu'ils donnent au débat politique français. Le message de Guy Sorman, guère plus flatteur est plus mesuré.
Commentaire sur le manifeste des antis
Commentaire sur le manifeste des antis
Vive la précarité à Londres !
Vive la précarité à Londres !
par Christian Roudaut (Valeurs actuelles)
Des milliers de jeunes Français choisissent la flexibilité du travail en Angleterre. Ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas. Ils en redemandent. Reportage décoiffant pour nos anti-CPE.
Noyé dans la masse des restaurants, des pubs et des cinémas de Leicester Square, le Centre Charles-Péguy est un lieu de passage obligé pour beaucoup de jeunes Français fraîchement débarqués à Londres. Cette association est financée par le ministère des Affaires étrangères. Ses modestes locaux accueillent les visiteurs qui viennent prendre connaissance des dernières offres d'emploi : serveur, vendeur, réceptionniste ou agent de sécurité...Très souvent, les jobs proposés n'ont pas de quoi faire rêver : petits salaires, longues journées de travail, horaires flexibles, aucune garantie sur le long terme. Miracle de la traversée transmanche, ces jeunes qui refuseraient toute idée de flexibilité en France semblent accepter la précarité made in England.
« Ici, c'est un peu le CPE tout le temps, explique Jeff, jeune Parisien de 19 ans, serveur dans un restaurant. On peut se faire virer du jour au lendemain, mais ce n'est pas pour autant qu'on ne trouvera pas de travail une semaine plus tard. »
Jeff est depuis deux mois à Londres. « Les employeurs n'ont pas peur d'embaucher quelqu'un parce qu'ils savent qu'ils peuvent s'en séparer s'il ne fait pas l'affaire. Je préfère le système d'ici. Avant d'arriver, j'ai cherché du travail sur Paris, à fond, pendant trois mois, je n'ai rien trouvé. Ici, le lendemain de mon arrivée, j'avais un entretien, deux jours plus tard, j'étais embauché. »Et pour cause : avec un taux de chômage presque deux fois inférieur à celui de la France, la Grande-Bretagne flirte aujourd'hui avec le plein-emploi, grâce notamment à des charges patronales nettement moins élevées et un droit du travail plus souple.
« Ce n'est pas l'eldorado, il y a beaucoup de sous-boulots, tempère Christophe, ami de Jeff. Mais au moins on trouve du travail facilement. Et si on progresse en anglais, on peut passer à l'étape supérieure.» [Ne serait-ce pas la souplesse, le secret soi-disant perdu de l'ascenceur social ?]
Une fois franchie la barrière linguistique, le marché du travail britannique offre de nombreuses opportunités aux jeunes Français. À condition de vouloir s'accrocher. « Il y a une possibilité d'évolution rapide, même pour des jeunes non diplômés, avec à la clé des carrières et des salaires intéressants », confirme Nicolas Métalnikoff, le directeur du Centre Charles-Péguy.
Attention, pourtant : le directeur met en garde ces jeunes Français qui arrivent en Angleterre "la fleur au fusil", persuadés que la french touch suffira à séduire les employeurs anglais. « Ils viennent dans un autre pays. Il faut oublier tout le système français, les diplômes, le chômage, les 35 heures. S'ils veulent réussir, il faut qu'ils reprennent certaines choses à zéro. »
Nicolas Métalnikoff regrette que les Français soient devenus « moins travailleurs ». Pour réussir en Angleterre, mieux vaut donc ne pas compter ses heures, surtout depuis l'ouverture de l'Union aux pays de l'Est. Les jeunes Français se trouvent aujourd'hui en concurrence directe, généralement pour des emplois non qualifiés, avec les quelque 350 000 jeunes Polonais, Slovaques, Tchèques, Lituaniens et Hongrois qui ont posé leur valise en Grande-Bretagne depuis le 1er mai 2004.
« La donne a changé, constate Métalnikoff. Les Français se retrouvent face à des gens qui sont prêts à travailler beaucoup plus d'heures. On leur propose 50 heures par semaine, ils en demandent 65 pour faire des heures supplémentaires. Les Français, eux, ont tendance à râler, à trouver qu'ils ne sont pas assez bien payés, qu'ils font trop d'heures. » La sanction arrive au bout d'un certain temps : les employeurs, même des restaurateurs français, ne veulent pas s'embêter avec des Français quand ils peuvent prendre des Polonais ou des Tchèques qui travaillent bien sans rechigner.Les six premiers mois sont un cap souvent difficile à passer, en particulier à Londres où le coût de la vie est notoirement élevé. Si certains renoncent rapidement, d'autres s'accrochent pressentant que le monde du travail en Angleterre leur offre de meilleures chances de réussite professionnelle qu'en France.Le parcours d'Alexandra de Blonay, 32 ans, est exemplaire. Arrivée de Montpellier en 1996 avec un malheureux baccalauréat en poche, cette jeune Française a commencé par un modeste poste de réceptionniste, se débrouillant tant bien que mal avec un anglais hésitant. Dix ans plus tard, Alexandra est directrice artistique chez Candy & Candy, entreprise anglaise spécialiste de la décoration intérieure de luxe. Son salaire est « confortable ».
Avant d'en arriver là, elle a multiplié les expériences professionnelles dans des maisons d'édition et des cabinets d'architecte suivant parallèlement des études de graphisme. « Il faut avoir l'attitude de quelqu'un qui en veut », confirme Alexandra. À la lumière de son expérience anglaise, elle avoue « avoir du mal à comprendre » la révolte des jeunes Français contre le CPE, elle qui n'est jamais restée plus de deux ans dans la même entreprise : « Les employeurs ne vous emploient pas dans l'idée de vous virer. Ici, ils peuvent se permettre de vous donner une chance parce qu'il y a moins de pression à l'embauche au départ. »
Installé à Londres depuis 1999, Arnaud Rannou a su, lui aussi, tirer profit de la grande mobilité professionnelle qu'autorise le marché du travail britannique. Comme tant d'autres, ce Breton de 33 ans a commencé par servir dans un pub. Après avoir enchaîné un grand nombre de jobs, au point de ne plus pouvoir les compter, il a monté sa propre société - Cuisine Partner - spécialiste de l'import-export de produits surgelés hauts de gamme. « Si vous générez une plus-value à l'entreprise, la société va vous garder et même vous former, constate-t-il. Ayant connu la flexibilité et le pragmatisme anglais, j'ai le sentiment que tout devient plus lourd et plus compliqué en France. »
Diplômé de l'École supérieure de commerce de Paris, Lionel Ferly a quitté un marché du travail français qu'il trouvait « complètement bouché ». Il est venu travailler à la City comme analyste de crédit dans une grande banque anglaise d'investissement. « Les Anglais ne comprennent pas notre débat parce que la précarité est, en quelque sorte, naturelle pour eux. Il y a une différence de culture : les Anglais sont beaucoup plus entrepreneurs. »Le modèle britannique est-il transposable ?Ce Guadeloupéen de 36 ans ne croit pas à la possibilité de « transférer le modèle britannique en France » mais il suggère de s'en inspirer : « Il faut assouplir les conditions d'embauche et de licenciement afin de réduire la peur que les employeurs ont d'embaucher. »
Lionel avoue « ne pas être pressé de rentrer en France ». Il n'est certainement pas le seul.La situation économique et sociale, ce french malaise dont parlent abondamment les médias britanniques, n'incite guère au retour pour les quelque 300 000 à 400 000 Français installés en Grande-Bretagne. Beaucoup de jeunes préfèrent prolonger leur séjour et persévérer dans ce pays dont le modèle, si souvent décrié en France, leur offre un travail et de réelles chances de réussite professionnelle, pour peu qu'ils s'accrochent.
« Je ne conseille certainement pas à des Français qui sont ici depuis six ou sept mois de rentrer en France actuellement », insiste Nicolas Métalnikoff.
Le flot régulier de Français qui viennent tenter leur chance en Angleterre est loin de se tarir. Quinze mille d'entre eux, dont les deux tiers ont moins de 36 ans, traversent chaque année la Manche pour venir travailler en Grande-Bretagne, persuadés que l'herbe est plus verte de l'autre côté du Channel. Les faits ne leur donnent pas vraiment tort...
Christian Roudaut
par Christian Roudaut (Valeurs actuelles)
Des milliers de jeunes Français choisissent la flexibilité du travail en Angleterre. Ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas. Ils en redemandent. Reportage décoiffant pour nos anti-CPE.
Noyé dans la masse des restaurants, des pubs et des cinémas de Leicester Square, le Centre Charles-Péguy est un lieu de passage obligé pour beaucoup de jeunes Français fraîchement débarqués à Londres. Cette association est financée par le ministère des Affaires étrangères. Ses modestes locaux accueillent les visiteurs qui viennent prendre connaissance des dernières offres d'emploi : serveur, vendeur, réceptionniste ou agent de sécurité...Très souvent, les jobs proposés n'ont pas de quoi faire rêver : petits salaires, longues journées de travail, horaires flexibles, aucune garantie sur le long terme. Miracle de la traversée transmanche, ces jeunes qui refuseraient toute idée de flexibilité en France semblent accepter la précarité made in England.
« Ici, c'est un peu le CPE tout le temps, explique Jeff, jeune Parisien de 19 ans, serveur dans un restaurant. On peut se faire virer du jour au lendemain, mais ce n'est pas pour autant qu'on ne trouvera pas de travail une semaine plus tard. »
Jeff est depuis deux mois à Londres. « Les employeurs n'ont pas peur d'embaucher quelqu'un parce qu'ils savent qu'ils peuvent s'en séparer s'il ne fait pas l'affaire. Je préfère le système d'ici. Avant d'arriver, j'ai cherché du travail sur Paris, à fond, pendant trois mois, je n'ai rien trouvé. Ici, le lendemain de mon arrivée, j'avais un entretien, deux jours plus tard, j'étais embauché. »Et pour cause : avec un taux de chômage presque deux fois inférieur à celui de la France, la Grande-Bretagne flirte aujourd'hui avec le plein-emploi, grâce notamment à des charges patronales nettement moins élevées et un droit du travail plus souple.
« Ce n'est pas l'eldorado, il y a beaucoup de sous-boulots, tempère Christophe, ami de Jeff. Mais au moins on trouve du travail facilement. Et si on progresse en anglais, on peut passer à l'étape supérieure.» [Ne serait-ce pas la souplesse, le secret soi-disant perdu de l'ascenceur social ?]
Une fois franchie la barrière linguistique, le marché du travail britannique offre de nombreuses opportunités aux jeunes Français. À condition de vouloir s'accrocher. « Il y a une possibilité d'évolution rapide, même pour des jeunes non diplômés, avec à la clé des carrières et des salaires intéressants », confirme Nicolas Métalnikoff, le directeur du Centre Charles-Péguy.
Attention, pourtant : le directeur met en garde ces jeunes Français qui arrivent en Angleterre "la fleur au fusil", persuadés que la french touch suffira à séduire les employeurs anglais. « Ils viennent dans un autre pays. Il faut oublier tout le système français, les diplômes, le chômage, les 35 heures. S'ils veulent réussir, il faut qu'ils reprennent certaines choses à zéro. »
Nicolas Métalnikoff regrette que les Français soient devenus « moins travailleurs ». Pour réussir en Angleterre, mieux vaut donc ne pas compter ses heures, surtout depuis l'ouverture de l'Union aux pays de l'Est. Les jeunes Français se trouvent aujourd'hui en concurrence directe, généralement pour des emplois non qualifiés, avec les quelque 350 000 jeunes Polonais, Slovaques, Tchèques, Lituaniens et Hongrois qui ont posé leur valise en Grande-Bretagne depuis le 1er mai 2004.
« La donne a changé, constate Métalnikoff. Les Français se retrouvent face à des gens qui sont prêts à travailler beaucoup plus d'heures. On leur propose 50 heures par semaine, ils en demandent 65 pour faire des heures supplémentaires. Les Français, eux, ont tendance à râler, à trouver qu'ils ne sont pas assez bien payés, qu'ils font trop d'heures. » La sanction arrive au bout d'un certain temps : les employeurs, même des restaurateurs français, ne veulent pas s'embêter avec des Français quand ils peuvent prendre des Polonais ou des Tchèques qui travaillent bien sans rechigner.Les six premiers mois sont un cap souvent difficile à passer, en particulier à Londres où le coût de la vie est notoirement élevé. Si certains renoncent rapidement, d'autres s'accrochent pressentant que le monde du travail en Angleterre leur offre de meilleures chances de réussite professionnelle qu'en France.Le parcours d'Alexandra de Blonay, 32 ans, est exemplaire. Arrivée de Montpellier en 1996 avec un malheureux baccalauréat en poche, cette jeune Française a commencé par un modeste poste de réceptionniste, se débrouillant tant bien que mal avec un anglais hésitant. Dix ans plus tard, Alexandra est directrice artistique chez Candy & Candy, entreprise anglaise spécialiste de la décoration intérieure de luxe. Son salaire est « confortable ».
Avant d'en arriver là, elle a multiplié les expériences professionnelles dans des maisons d'édition et des cabinets d'architecte suivant parallèlement des études de graphisme. « Il faut avoir l'attitude de quelqu'un qui en veut », confirme Alexandra. À la lumière de son expérience anglaise, elle avoue « avoir du mal à comprendre » la révolte des jeunes Français contre le CPE, elle qui n'est jamais restée plus de deux ans dans la même entreprise : « Les employeurs ne vous emploient pas dans l'idée de vous virer. Ici, ils peuvent se permettre de vous donner une chance parce qu'il y a moins de pression à l'embauche au départ. »
Installé à Londres depuis 1999, Arnaud Rannou a su, lui aussi, tirer profit de la grande mobilité professionnelle qu'autorise le marché du travail britannique. Comme tant d'autres, ce Breton de 33 ans a commencé par servir dans un pub. Après avoir enchaîné un grand nombre de jobs, au point de ne plus pouvoir les compter, il a monté sa propre société - Cuisine Partner - spécialiste de l'import-export de produits surgelés hauts de gamme. « Si vous générez une plus-value à l'entreprise, la société va vous garder et même vous former, constate-t-il. Ayant connu la flexibilité et le pragmatisme anglais, j'ai le sentiment que tout devient plus lourd et plus compliqué en France. »
Diplômé de l'École supérieure de commerce de Paris, Lionel Ferly a quitté un marché du travail français qu'il trouvait « complètement bouché ». Il est venu travailler à la City comme analyste de crédit dans une grande banque anglaise d'investissement. « Les Anglais ne comprennent pas notre débat parce que la précarité est, en quelque sorte, naturelle pour eux. Il y a une différence de culture : les Anglais sont beaucoup plus entrepreneurs. »Le modèle britannique est-il transposable ?Ce Guadeloupéen de 36 ans ne croit pas à la possibilité de « transférer le modèle britannique en France » mais il suggère de s'en inspirer : « Il faut assouplir les conditions d'embauche et de licenciement afin de réduire la peur que les employeurs ont d'embaucher. »
Lionel avoue « ne pas être pressé de rentrer en France ». Il n'est certainement pas le seul.La situation économique et sociale, ce french malaise dont parlent abondamment les médias britanniques, n'incite guère au retour pour les quelque 300 000 à 400 000 Français installés en Grande-Bretagne. Beaucoup de jeunes préfèrent prolonger leur séjour et persévérer dans ce pays dont le modèle, si souvent décrié en France, leur offre un travail et de réelles chances de réussite professionnelle, pour peu qu'ils s'accrochent.
« Je ne conseille certainement pas à des Français qui sont ici depuis six ou sept mois de rentrer en France actuellement », insiste Nicolas Métalnikoff.
Le flot régulier de Français qui viennent tenter leur chance en Angleterre est loin de se tarir. Quinze mille d'entre eux, dont les deux tiers ont moins de 36 ans, traversent chaque année la Manche pour venir travailler en Grande-Bretagne, persuadés que l'herbe est plus verte de l'autre côté du Channel. Les faits ne leur donnent pas vraiment tort...
Christian Roudaut
samedi, mai 13, 2006
Un sondage affligeant
J'ai oublié de vous parler de ce sondage :
Pipa Poll
Des 20 pays sondés, la France est celui où l'on pense le moins que l'économie de marché est le meilleur sysème sur le quel baser l'économie mondiale et et celui où l'on pense le plus (àégalité avec le Mexique) que les entretreprises ont trop d'influence sur le gouvernement.
Ceci appelle deux petites questions :
> Quelle est cette économie dans laquelle la France a prospéré de manière spectaculaire depuis deux siècles ? Le communisme ? Le pré-capitalisme ? L'économie de troc ? Je sèche, j'ai comme un trou.
> Pourquoi les entreprises du CAC40, qui ont pourtant un gouvernement à leurs ordres, réalisent elles 80 % de leurs bénéfices à l'étranger ? C'est bien étrange.
Quel étrange pays est le nôtre, si bête et si paonnant !
Pipa Poll
Des 20 pays sondés, la France est celui où l'on pense le moins que l'économie de marché est le meilleur sysème sur le quel baser l'économie mondiale et et celui où l'on pense le plus (àégalité avec le Mexique) que les entretreprises ont trop d'influence sur le gouvernement.
Ceci appelle deux petites questions :
> Quelle est cette économie dans laquelle la France a prospéré de manière spectaculaire depuis deux siècles ? Le communisme ? Le pré-capitalisme ? L'économie de troc ? Je sèche, j'ai comme un trou.
> Pourquoi les entreprises du CAC40, qui ont pourtant un gouvernement à leurs ordres, réalisent elles 80 % de leurs bénéfices à l'étranger ? C'est bien étrange.
Quel étrange pays est le nôtre, si bête et si paonnant !
La bien-pensance et les "grandes âmes" me fatiguent
Qu'est ce que je pense de cette affaire ? Que les bien-pensants sont bien de la pire gauche : sous couvert de bons sentiments, ils sont des éradicateurs, toujours prêts à couper les têtes qui dépassent et faire taire les opinions dissonnantes.
Or, la liberté, c'est justement la possibilité de ne pas dire et de ne pas faire comme les autres, comme la majorité. Cette gauche, qui heureusement n'est pas toute la gauche, aime la liberté limitée des révoltes convenues, mais quand on est vraiment opposé à elle, et non pas simplement en désaccord à la marge, elle ressort l'étouffoir à grands coups d'étiquettes supposées infamantes ("raciste" a beaucoup servi, "faire le jeu du FN" aussi, "ultralibéral" est maintenant en vogue).
On ne peut décidément que renvoyer à Terrorisme intellectuel de Jean Sévillia. Il est vrai que cette gauche est rationnelle : pourquoi abandonner ce terrorisme intellectuel qui l'a si bien servie jusqu'à maintenant ?
Affaire Handke : le droit de dire non au non
Par Hervé Dubourjal, metteur en scène
13 mai 2006, (Rubrique Opinions du Figaro)
Mon sang n'a fait qu'un tour en prenant connaissance de la pétition que fait circuler Olivier Py, directeur du Centre dramatique d'Orléans, défendant la censure prononcée par l'administrateur de la Comédie-Française, Marcel Bozonnet, contre une pièce de Peter Handke préalablement programmée pour la saison prochaine au motif de la présence de Handke aux funérailles de Milosevic et de ses positions proserbes.
Entendons-nous d'abord sur le terme de «censure» contesté par M. Py. Un des sens de ce mot donné par le dictionnaire Le Robert est : «Sanction prononcée par une assemblée.» La déprogrammation est bien une sanction, quant à l'assemblée – au Français : le comité –, elle ne s'y est pas opposée. Le mot de censure est donc opportun. Jacques Blanc, directeur de Quartz de Brest, propose d'étendre cette sanction à tous les théâtres de France pendant un an. (Pourquoi pas deux, dix, nul ne le sait, puisqu'en l'occurrence nos procureurs se passent d'avocats de la défense).
De ce fait, MM. Bozonnet, Blanc et Py introduisent en France un délit qui ne figure pas dans notre droit, le délit d'opinion, et ils décident de le sanctionner.
Un buste de Voltaire occupe un bel espace dans les couloirs du Théâtre-Français. Marcel Bozonnet ne semble pas avoir retenu la leçon du médiocre tragédien mais grand esprit qui voulait qu'on défendît surtout la liberté de parole de celui qui ne pense pas comme vous.
Je frémis en imaginant M. Bozonnet découvrant dans un journal les propos laudateurs de Paul Claudel sur Philippe Pétain ou encore les silences de l'historiographe de Louis XIV, Racine, sur les exactions commises par les armées françaises en campagne, dont Christoph Hein tira une belle nouvelle, Invitation au lever bourgeois.
Venant au secours de l'administrateur-censeur, M. Py invoque le temps qui permet de distinguer l'oeuvre de l'homme. Et pour étayer son propos, il cite l'adhésion de Heidegger au nazisme et les pamphlets antisémites de Céline... que le temps aurait donc rendus «inoffensifs» ?
Force est de constater que sa pioche est mauvaise.
Dans sa volonté de «spiritualiser le mouvement nazi, d'en faire une oeuvre de l'esprit» (geist), Heidegger écrivit dans son «Appel aux étudiants allemands» : «Seul le Führer lui-même est la réalité et la loi de l'Allemagne d'aujourd'hui et de demain.» On voit que Heidegger situait son adhésion dans une temporalité longue, bien différente de celle de M. Py. Son éloignement d'avec le Parti national-socialiste fit suite à la disparition du thème de la révolution dans le discours nazi après l'élimination de la SA. Jamais il ne revint vraiment sur cette adhésion après guerre, accusant la Technique, oublieuse de l'être... Jean-Pierre Faye (cf. Le Piège) et Pierre Bourdieu (cf. L'Ontologie politique de Martin Heidegger) analysèrent très finement les raisons et les conséquences du positionnement politique du philosophe.
Quant à Céline, la mansuétude des intellectuels et artistes français à son égard est proprement hallucinante. Il ne se contenta pas de publier les pamphlets antisémites qu'on peut aujourd'hui lire sur les sites spécialisés (portail néonazi d'Ahmed Rami, par exemple). Comme quoi, son influence est toujours vivace. Pour mémoire : Bagatelle pour un massacre, 1937 ; L'Ecole des cadavres, 1938 ; Les Beaux Draps, 1941. Céline trouvait l'antisémitisme de l'Action française trop tiède, trop feutré, trop littéraire et le régime de Vichy trop mou. Tous ses textes poussent à l'élimination rapide et expéditive des juifs. «Les Youtres c'est comme les punaises...» «Volatiliser sa juiverie serait l'affaire d'une semaine pour une nation bien décidée.»
Ernst Jünger rencontre Céline en 1941. Il rapporte dans son journal : «Céline dit combien il est surpris, stupéfait que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n'exterminions pas les juifs.» Plus : l'inestimable prosateur dénonça lui-même des gens à la Milice.
L'absolution de M. Py le regarde, les anciens déportés et leurs descendants apprécieront. Mais quel rapport fait-il entre ces actions criminelles et les opinions contestables de Handke qu'aucune loi ne peut censurer ? M. Py distingue opinion politique et position historique, comme s'il croyait ou voulait faire croire qu'une opinion politique n'est pas toujours un positionnement face à l'histoire.
Le théâtre en France est reconnaissant de la politique culturelle de François Mitterrand qui, via M. Lang, a doublé les subventions du spectacle vivant. Cela empêche sans doute nos censeurs d'apprécier à sa juste valeur le proserbisme avéré de l'ancien président, qui ne reconnut la Croatie et la Slovénie qu'à contrecoeur pour satisfaire la demande de l'ex-chancelier allemand M. Kohl.
Peter Handke n'a jamais appelé au meurtre, il reconnaît les massacres et l'existence de «camps intolérables entre 1992 et 1995 (...) surtout en Bosnie» ; il regrette l'éclatement de la Yougoslavie, comme beaucoup d'ex-Yougoslaves. Il y voit une des causes du déclenchement de la guerre. Il n'oublie pas que les forces qui bombardèrent la Serbie avaient laissé se perpétrer les massacres de civils parce que, comme le disait M. Mitterrand : «Il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre.»
Je désapprouve les délires grand-serbes de Milosevic et de ses sbires nationalistes, comme je désapprouve les délires nationalistes croates, russes, américains, chinois, etc. Mais je ne peux me résoudre à tolérer qu'on censure un auteur qui a sur ces questions une opinion, quelle qu'elle soit, et je lui reconnais le droit d'assister à l'enterrement de qui il veut. Il en va de la liberté d'expression sous toutes ses formes : ce principe est indivisible ou ce n'est pas un principe.
«Tout le reste, c'est du rabâchis», aurait conclu Céline.
* Metteur en scène
Or, la liberté, c'est justement la possibilité de ne pas dire et de ne pas faire comme les autres, comme la majorité. Cette gauche, qui heureusement n'est pas toute la gauche, aime la liberté limitée des révoltes convenues, mais quand on est vraiment opposé à elle, et non pas simplement en désaccord à la marge, elle ressort l'étouffoir à grands coups d'étiquettes supposées infamantes ("raciste" a beaucoup servi, "faire le jeu du FN" aussi, "ultralibéral" est maintenant en vogue).
On ne peut décidément que renvoyer à Terrorisme intellectuel de Jean Sévillia. Il est vrai que cette gauche est rationnelle : pourquoi abandonner ce terrorisme intellectuel qui l'a si bien servie jusqu'à maintenant ?
Affaire Handke : le droit de dire non au non
Par Hervé Dubourjal, metteur en scène
13 mai 2006, (Rubrique Opinions du Figaro)
Mon sang n'a fait qu'un tour en prenant connaissance de la pétition que fait circuler Olivier Py, directeur du Centre dramatique d'Orléans, défendant la censure prononcée par l'administrateur de la Comédie-Française, Marcel Bozonnet, contre une pièce de Peter Handke préalablement programmée pour la saison prochaine au motif de la présence de Handke aux funérailles de Milosevic et de ses positions proserbes.
Entendons-nous d'abord sur le terme de «censure» contesté par M. Py. Un des sens de ce mot donné par le dictionnaire Le Robert est : «Sanction prononcée par une assemblée.» La déprogrammation est bien une sanction, quant à l'assemblée – au Français : le comité –, elle ne s'y est pas opposée. Le mot de censure est donc opportun. Jacques Blanc, directeur de Quartz de Brest, propose d'étendre cette sanction à tous les théâtres de France pendant un an. (Pourquoi pas deux, dix, nul ne le sait, puisqu'en l'occurrence nos procureurs se passent d'avocats de la défense).
De ce fait, MM. Bozonnet, Blanc et Py introduisent en France un délit qui ne figure pas dans notre droit, le délit d'opinion, et ils décident de le sanctionner.
Un buste de Voltaire occupe un bel espace dans les couloirs du Théâtre-Français. Marcel Bozonnet ne semble pas avoir retenu la leçon du médiocre tragédien mais grand esprit qui voulait qu'on défendît surtout la liberté de parole de celui qui ne pense pas comme vous.
Je frémis en imaginant M. Bozonnet découvrant dans un journal les propos laudateurs de Paul Claudel sur Philippe Pétain ou encore les silences de l'historiographe de Louis XIV, Racine, sur les exactions commises par les armées françaises en campagne, dont Christoph Hein tira une belle nouvelle, Invitation au lever bourgeois.
Venant au secours de l'administrateur-censeur, M. Py invoque le temps qui permet de distinguer l'oeuvre de l'homme. Et pour étayer son propos, il cite l'adhésion de Heidegger au nazisme et les pamphlets antisémites de Céline... que le temps aurait donc rendus «inoffensifs» ?
Force est de constater que sa pioche est mauvaise.
Dans sa volonté de «spiritualiser le mouvement nazi, d'en faire une oeuvre de l'esprit» (geist), Heidegger écrivit dans son «Appel aux étudiants allemands» : «Seul le Führer lui-même est la réalité et la loi de l'Allemagne d'aujourd'hui et de demain.» On voit que Heidegger situait son adhésion dans une temporalité longue, bien différente de celle de M. Py. Son éloignement d'avec le Parti national-socialiste fit suite à la disparition du thème de la révolution dans le discours nazi après l'élimination de la SA. Jamais il ne revint vraiment sur cette adhésion après guerre, accusant la Technique, oublieuse de l'être... Jean-Pierre Faye (cf. Le Piège) et Pierre Bourdieu (cf. L'Ontologie politique de Martin Heidegger) analysèrent très finement les raisons et les conséquences du positionnement politique du philosophe.
Quant à Céline, la mansuétude des intellectuels et artistes français à son égard est proprement hallucinante. Il ne se contenta pas de publier les pamphlets antisémites qu'on peut aujourd'hui lire sur les sites spécialisés (portail néonazi d'Ahmed Rami, par exemple). Comme quoi, son influence est toujours vivace. Pour mémoire : Bagatelle pour un massacre, 1937 ; L'Ecole des cadavres, 1938 ; Les Beaux Draps, 1941. Céline trouvait l'antisémitisme de l'Action française trop tiède, trop feutré, trop littéraire et le régime de Vichy trop mou. Tous ses textes poussent à l'élimination rapide et expéditive des juifs. «Les Youtres c'est comme les punaises...» «Volatiliser sa juiverie serait l'affaire d'une semaine pour une nation bien décidée.»
Ernst Jünger rencontre Céline en 1941. Il rapporte dans son journal : «Céline dit combien il est surpris, stupéfait que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n'exterminions pas les juifs.» Plus : l'inestimable prosateur dénonça lui-même des gens à la Milice.
L'absolution de M. Py le regarde, les anciens déportés et leurs descendants apprécieront. Mais quel rapport fait-il entre ces actions criminelles et les opinions contestables de Handke qu'aucune loi ne peut censurer ? M. Py distingue opinion politique et position historique, comme s'il croyait ou voulait faire croire qu'une opinion politique n'est pas toujours un positionnement face à l'histoire.
Le théâtre en France est reconnaissant de la politique culturelle de François Mitterrand qui, via M. Lang, a doublé les subventions du spectacle vivant. Cela empêche sans doute nos censeurs d'apprécier à sa juste valeur le proserbisme avéré de l'ancien président, qui ne reconnut la Croatie et la Slovénie qu'à contrecoeur pour satisfaire la demande de l'ex-chancelier allemand M. Kohl.
Peter Handke n'a jamais appelé au meurtre, il reconnaît les massacres et l'existence de «camps intolérables entre 1992 et 1995 (...) surtout en Bosnie» ; il regrette l'éclatement de la Yougoslavie, comme beaucoup d'ex-Yougoslaves. Il y voit une des causes du déclenchement de la guerre. Il n'oublie pas que les forces qui bombardèrent la Serbie avaient laissé se perpétrer les massacres de civils parce que, comme le disait M. Mitterrand : «Il ne faut pas ajouter la guerre à la guerre.»
Je désapprouve les délires grand-serbes de Milosevic et de ses sbires nationalistes, comme je désapprouve les délires nationalistes croates, russes, américains, chinois, etc. Mais je ne peux me résoudre à tolérer qu'on censure un auteur qui a sur ces questions une opinion, quelle qu'elle soit, et je lui reconnais le droit d'assister à l'enterrement de qui il veut. Il en va de la liberté d'expression sous toutes ses formes : ce principe est indivisible ou ce n'est pas un principe.
«Tout le reste, c'est du rabâchis», aurait conclu Céline.
* Metteur en scène
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