mardi, janvier 31, 2006

Un petit mot de Baverez

Extrait d'un article

1. La mondialisation n'est pas une loi d'airain universelle mais obéit à un mouvement dialectique : loin de s'uniformiser, la planète se radicalise en même temps qu'elle se rétrécit, les identités s'exacerbent et les sociétés divergent en même temps que les économies s'interpénètrent.

2. Les Etats-Unis doivent tirer toutes les conséquences des échecs stratégiques et des impasses de l'idéologie néo-conservatrice, en redécouvrant le prix de l'unité des démocraties et en réintégrant la dimension politique dans la lutte contre le terrorisme - ce qui passe par le soutien des forces libérales au sein du monde arabo-musulman qui constituent le véritable antidote à l'islamisme radical. [je ne suis que partiellement d'accord : je pense que le gouvernement Bush a fait de graves erreurs mais qu'il y a de bonnes choses tout de même]

3. Les risques sur l'environnement mais aussi les menaces géopolitiques imposent de redéfinir au plus vite les stratégies énergétiques occidentales autour de l'impératif de réduction de la dépendance, en combinant la diversification des sources d'approvisionnement, la relance du nucléaire et des énergies alternatives, les économies d'énergies et l'effort de recherche. [A mes yeux, les économies d'énergie sont une priorité économique et sécuritaire, qui en parle sérieusement ? (Ne me dites pas les écolos)]

4. Le patriotisme économique, placé sous le signe du protectionnisme, démontre une nouvelle fois son inefficacité, qui le réduit à une ligne Maginot dérisoire face à la mondialisation : la seule protection pérenne est à chercher dans un effort permanent de compétitivité du territoire et des entreprises dans la concurrence mondiale.

5. Le contraste n'a jamais été plus saisissant entre le besoin d'une Europe forte et le spectacle indigne autant que dérisoire d'une Union se déchirant sur les taux réduits de TVA, symbole d'une déconstruction communautaire dans laquelle la France de Jacques Chirac porte une responsabilité de premier plan.

lundi, janvier 30, 2006

Commémoration de l'abolition de l'esclavage

Je ne me sens pas concerné; même si l'abolition de l'esclavage est du à des libéraux.

L'esclavage et son abolition ne sont pas à mes yeux des éléments marquants de l'identité française. Qu'une campagne médiatique tende à faire croire le contraire ne me touche pas.

Mais le gauchiste Chirac ne peut s'empêcher de céder à son tropisme : ne pas choisir et essayer de faire plaisir à tout le monde. Il donne droit à une revendication communautariste qu'il aurait du ignorer.

Arcelor contre Mittal Steel

Le gouvernement ne peut pas faire grand'chose et, au fond, c'est tant mieux, même si j'espère qu'Arcelor s'en sortira.

Quant à dire que l'acier est stratégique, il ne faut pas se foutre du monde : le marché est très peu concentré : Mittal + Arcelor ne ferait que 15 % du marché.

On me dira : "Et les milliards de subventions mis dans la sidérurgie ?"

Je suis contre les subventions quelles qu'elles soient, je suis cohérent, que les étatistes plus ou moins avoués assument leurs contradictions, y compris ceux du patronat.

dimanche, janvier 29, 2006

Un paradis libéral ?




La république des escartons, exemples d'État minimum

Compte rendu de la soirée du 16 février 2002 avec Gilbert Fournier.

Lumières Landaises n° 43.

Perché au sommet des Alpes de part et d'autre des versants français et italiens, le pays dont nous allons parler s'inscrit dans un triangle équilatéral de 90 km de côté, à l'intérieur du triangle formé par les villes de Grenoble, Gap, et Turin. Son altitude va de 900 à 4102 mètres (Barre des Ecrins). Il contient la ville la plus haute d'Europe, Briançon, à 1400 mètres, longtemps plus importante que Grenoble, et le village le plus élevé, Saint-Véran, à 2050 mètres. "Des montagnes qui touchent aux nues, des vallées qui descendent aux abîmes", écrira Vauban.

Au moment où cette histoire commence, en 1343, cette contrée contient 7 200 foyers, soit 30 à 40 000 habitants, répartis sur une cinquantaine de communautés villageoises autour de Briançon. C'est une population vaillante et entreprenante. Dans ces lieux inhospitaliers, difficilement gouvernables par un pouvoir central, les municipalités avaient peu à peu pris le pas sur les féodaux. Tous les ans, à la Chandeleur (le 2 février), les chefs de famille du village se réunissaient pour désigner leur "consul". Un notaire ou un avocat circulait auparavant dans les familles et interrogeait discrètement les chefs sur les candidats possibles. Celui qui avait le plus de voix était désigné, quelquefois à son corps défendant. Mais il ne pouvait refuser. Il devait même déposer une caution de 200 écus - restitués avec intérêt à son départ - car il était responsable sur ses deniers du recouvrement de l'impôt et de l'excédent des dépenses sur le budget prévisionnel ! S'il avait moins de 25 ans, même marié, son père devait le cautionner. En contrepartie, il disposait de pouvoirs étendus et ses décisions étaient rarement critiquées.
Le consul était désigné pour un an seulement, et il ne pouvait être désigné à nouveau qu'au bout de cinq ans. Il était entouré d'adjoints qu'il choisissait lui-même, ou dans certains villages, qui étaient eux aussi désignés par les chefs de famille. Les adjoints étaient spécialisés. Il y avait par exemple celui qui s'occupait de la préservation des forêts, ou celui qui s'occupait des problèmes de l'eau, appelé "le mansier".

Au mois de mai de l'an 1343, 18 hommes mandatés par les municipalités, dévalent leur sentier muletier pour se rendre fort loin dans la plaine, à 180 km, où les attend Humbert II, le maître du Dauphiné, en son château de Beauvoir. A cette époque, le Dauphiné est un État, et son souverain se nomme "Le Dauphin". Sa cour est fastueuse, il dépense au delà de ses revenus. Après 10 ans de règne, criblé de dettes et sans descendance, il s'apprête à céder le Dauphiné au roi de France.

[Le Dauphin Humbert II vendra effectivement le Dauphiné au roi de France Philippe VI de Valois en 1349. A partir de là, la province sera systématiquement donnée en apanage à l'héritier présomptif de la couronne, qui portera pour cette raison le titre de Dauphin. Telle est l'origine de l'utilisation du mot dauphin pour désigner l'héritier de la couronne.]

C'est alors que les gens du grand briançonnais, redoutant cette cession, profitent qu'Humbert II est financièrement aux abois pour lui proposer d'acheter leur affranchissement. L'ultime transaction se déroule le 29 mai 1343 au château de Beauvoir, en présence de nombreux dignitaires, comme l'évêque de Grenoble, dont la présence est destinée à authentifier l'accord. Celui-ci est établi en latin par le notaire Guigues Froment sur deux grandes peaux de mouton réunies.

Par cet acte, le Dauphin, moyennant une somme de 12 000 florins d'or, et une rente annuelle de 4000 ducats,

- confirme les libertés, franchises et coutumes admises ou concédées par lui ou ses prédécesseurs ;

- abandonne tous les services féodaux, et toutes les redevances, à l'exception de la gabelle du bétail à laine, et des droits attachés à sa dignité de Dauphin ;

- reconnaît de nouvelles et décisives franchises personnelles et municipales ;

A peu de choses près, il s'agit ni plus ni moins que de l'achat de leur liberté et de leur indépendance par les habitants du grand Briançonnais. Ainsi jusque là, les réunions du conseil municipal étaient soumises à l'autorisation d'un officier delphinal. Elles ne dépendent plus maintenant que du consul ou dans certains cas d'une demande des villageois.

Chaque municipalité gère au plus près les aspirations de ses administrés, et entretient la solidarité. Ainsi le village d'Arvieu décida que lorsque les hommes iraient faucher les prairies d'altitude, la première journée serait pour les veuves et les orphelins. Dans certains villages, lorsqu'un habitant perdait une vache ou un mulet, bêtes précieuses, la perte était répartie entre les habitants au prorata du bétail possédé. Lorsqu'une maison est construite ou remise en état, une corvée municipale est organisée pour la coupe du bois et le transport des matériaux. En cas d'incendie, la municipalité organise une quête pour les victimes.

Entre les communautés d'une même vallée, il existe un système de répartition des charges, ainsi que des tâches dépassant les moyens d'une seule commune (chemins, irrigation, endiguement, etc...). Ce système est appelé "escartonnement", mot dont l'origine est incertaine. Par extension, on appelle Escarton la communauté des habitants d'une même vallée. Il y en a cinq qui sont respectivement

L'escarton de Briançon, groupant 12 communes

L'escarton du Queyras, groupant 7 communes

L'escarton de l'Oulx (Ours), groupant 21 communes

L'escarton de Vaucluson, ou Pragelas, groupant 7 communes

L'escarton de Château-Dauphin, groupant 4 communes

Soit un total de 51 communes formant un ensemble appelé "Le Grand Escarton"

Le Grand Escarton désigne à la fois l'ensemble territorial de ces 5 escartons et la réunion à Briançon de leurs délégués, appelés aussi "députés". Ces derniers ne peuvent statuer dans les affaires importantes qu'après en avoir référé à leur escarton, lequel, s'il l'estime nécessaire, consulte ses consuls qui à leur tour pourront consulter les chefs de famille.

Lorsque l'importance de l'affaire justifie ce va et vient, ce n'est pas le député qui a instruit l'affaire qui traitera, mais un autre député qui sera dépêché pour conclure ou signer.
Et c'est devant le Grand Escarton que nos 18 compères-députés-mandataires viendront rendre compte à leurs commettants de leur mission à Beauvoir, en cette année 1343, l'année la plus faste pour ces Briançonnais qui devenaient d'un seul coup "Hommes libres, Francs Bourgeois".

Il n'y a pas de liberté sans propriété, faisait observer Bastiat. Dès l'article premier de la charte signée par le Dauphin, il est stipulé que tous les habitants des deux sexes sont habilités à posséder. L'article 16 conforte cette disposition en reconnaissant expressément à chacun le droit de cession ou de donation sans l'autorisation ou le consentement de quiconque.

C'est l'extinction de la féodalité, déjà entamée par des achats répétés d'îlots de libertés : achat en 1244, sous Saint-Louis, pour 5500 sous, d'une charte protégeant de toute taille arbitraire ; rachat au Dauphin de canaux en 1255, etc.

C'est aussi l'extinction sans conflit de la noblesse. Avant 1343, les nobles, pratiquement dépourvus de pouvoir féodal, abusaient de celui que leur conférait la position très recherchée d'officier delphinal : viguier, bailli, etc. D'où des conflits fréquents qui disparaissent. Des nobles quittent les escartons au cours des deux siècles suivants après avoir réalisés leurs biens. Mais certains reviendront. Dans quelques villages, en 1346, certains auraient obtenu des indemnités compensatrices afin d'être ensuite astreints à l'impôt commun. Tous ceux qui restent ou reviennent se mêlent sans plus de façons à la bourgeoisie. En vertu de leur entregent et de leur savoir, ils seront souvent élus consuls. On notera que tout cela s'est passé 450 ans avant une certaine nuit du 4 août.

Cette évolution de tous vers plus de liberté entraîne à la fois plus d'individualisme et plus de solidarité réelle à l'intérieur de sa communauté, ce qui n'est pas fait pour surprendre les libéraux. Vers 1710, l'ingénieur militaire La Blotière, en tournée d'inspection écrit cette description : "Quoique ces peuples soient d'une grande liaison, cependant, de particulier à particulier, il ne se trouve pas plus d'union parmi eux qu'ailleurs, même moins, mais d'abord qu'il s'agit de l'intérêt public, ceux qui étaient prêts à se battre et qui se déchiraient par des calomnies outrageantes, se réunissent à l'instant et paraissent d'une concorde admirable.

Cela fait qu'il y a très peu d'affaires, quelqu'épineuses qu'elles soient, dont ils ne viennent à bout."

Ces communautés édictaient leur propre règlements de police. Elles élisaient des juges qui statuaient sur les contraventions en se référant aux coutumes locales. Ainsi la commune d'Arvieu ne reconnaissait pas la prescription trentenaire.

La composition et les modalités de désignation de cette magistrature municipale se forgea à l'usage. Initialement, les juges étaient renouvelés tous les ans, comme les consuls. Puis ils furent renouvelés par moitié tous les deux ans afin que les anciens puissent initier les nouveaux.
Ces tribunaux ont fonctionné jusqu'en 1790, malgré l'abolition de toutes les justices municipales prononcée dès 1556 par une ordonnance royale. Elle n'a jamais été exécutée dans le Briançonnais ! Les affaires étaient jugées sans délai, selon des codes municipaux élaborés au fil des ans, appropriés aux besoins et usages locaux, approuvés par le suffrage des foyers. Les jugements n'étaient pas homologués au nom du Roi, mais il ne vint à l'esprit d'aucun Briançonnais de les contester auprès de l'autorité royale entre 1556 et 1790.

Étant tous "Hommes-libres-francs-bourgeois", les Briançonnais avaient tous le droit de chasse et le droit de porter des armes. Leurs différents privilèges en faisaient une classe intermédiaire entre les roturiers et les nobles, ce qui ne manquait pas d'attirer des personnes extérieures aux escartons. Mais il y avait des conditions pour devenir citoyen Briançonnais : un "contrôle de l'immigration" en quelque sorte. Le candidat devait faire une demande devant le conseil du Bourg, qui statuait après enquête sur ses moeurs et qualités. Il devait habiter au Bourg ou y posséder un immeuble, avoir des moyens d'existence, et au début au moins, fournir l'équipement complet d'un homme de guerre et payer une certaine somme. Par la suite l'armement ne fut plus exigé, mais la somme augmentée. Elle variait entre 120 et 300 livres suivant la fortune du requérant, et en sens inverse, selon les services qu'il était susceptible de fournir. Ainsi un prêtre fut-il accepté pour 50 florins, payables en 5 ans. Ces conditions remplies, il était attribué à l'impétrant le titre de combourgeois. Au début, les combourgeois ne pouvaient accéder à la fonction de consul. Plus tard, la règle fut assouplie et ils purent y accéder au bout de six ans.

Comme partout et toujours, la liberté engendra la prospérité. Il y avait trois grandes foires franches, dont une internationale, qui attirait des marchands depuis la Hollande, les cités de la Ligue Hanséatique, des Cités Italiennes et de l'État Pontifical d'Avignon. Les escartons prenaient des mesures extraordinaires pour assurer la sûreté des voyageurs.

Voici l'opinion de l'intendant du Dauphiné dans son mémoire de l'année 1689 :

"Les peuples du Briançonnais... ordinairement avec les plus faibles commencements que l'on puisse imaginer, acquièrent par leur application des richesses considérables. Le moyen qu'ils emploient communément à cette fin est le commerce, qu'ils vont faire indifféremment en France, en Italie, en Espagne, et même au Portugal".

Alors que de nombreuses ordonnances royales interdisaient, avec une extrême rigueur le cours et l'usage des monnaies étrangères, ces libéraux tenaces ont obtenu durant plus de deux siècles une exception à la règle générale.

L'enseignement, pourtant prodigué à tous les enfants, était organisé suivant des modalités qui donnent à réfléchir. Les instituteurs proposaient leurs services sur le marché ! "C'est même une chose curieuse, disait un préfet en l'an X avec émerveillement, de voir, dans les foires d'automne, ces instituteurs couverts d'habits grossiers, se promener dans la foule, au milieu des bestiaux, ayant sur leur chapeau une plume d'oie, qui indique, et leur état, et leur volonté de se louer pour l'hiver moyennant un prix à convenir." Une plume d'oie indique l'aptitude à enseigner la lecture et l'écriture, deux plumes l'arithmétique et les sciences naturelles, trois plumes le latin en plus.

Chaque municipalité nommait ses instituteurs après examen ou concours fin septembre ou début octobre. Ainsi l'article 17 d'un règlement de Briançon de 1624 disait : "Nul ne sera reçu en cette ville pour maître d'école, qu'il n'ait été examiné par deux avocats et un bourgeois commis par le conseil ; comme aussi seront ses gages résolus en conseil". Souvent, la notoriété dispensait de comparaître, mais il suffisait qu'un seul parent conteste pour que l'examen soit exigé. La compétence se payait. Les rémunérations pouvaient aller du simple au quintuple.

Chaque famille était tenue de payer "l'écolage". Toutes mettaient un point d'honneur à l'acquitter, si modestes fussent-elles. Celles qui ne pouvaient vraiment pas en étaient discrètement dispensées. Au chef-lieu, la classe avait lieu dans la salle servant aux réunions du conseil. Dans les villages, elle se faisait... dans une étable, à l'abri de la froidure.
L'instruction du peuple atteignait dans ces vallées libres un niveau sans pareil pour l'époque. 35% des femmes et 90% des hommes savaient lire. D'autres facteurs contribuaient à une éducation de grande qualité.

1. La lecture s'achevait sur le décryptage des archives de notaire ou d'avocats, ce qui inculquait aux élèves des notions de droit.

2. Beaucoup d'hommes valides émigraient pendant la mauvaise saison pour aller faire toutes sortes de métiers dans les "bons pays", et ils y créaient des réseaux commerciaux. Il leur fallait donc savoir lire, écrire, et compter.

3. Pendant les pérégrinations hivernales des pères, les mères et les grands parents restés au foyer employaient les soirées à faire faire leurs devoirs aux enfants et à compléter l'enseignement du maître.

4. A la belle saison, les instituteurs complétaient volontiers leurs revenus en travaillant dans les fermes, ce qui leur donnait une ouverture incomparable sur le monde réel.

Leur réputation était grande, et ils se louaient très loin, jusqu'en Alsace ou à l'étranger, pendant ce qu'on appelait une "campagne d'école". On les appelait "les marchands de participes".
En 1713, sous Louis XIV, des envoyés de la cour, qui pensaient avoir à faire à des paysans illettrés signant d'une croix, furent ébahis de recueillir de belles signatures accompagnées de commentaires.

Comment cette vaillante et heureuse communauté a-t-elle disparu ? Comment n'est-elle pas, par exemple, devenue un autre canton Suisse, avec pour cordon ombilical la Savoie, désireuse de le devenir en 1860, ou le Val d'Aoste, lui aussi épris d'indépendance ? Sans doute que la Suisse, après avoir rejeté en leur temps la Franche-Comté, le Tyrol, le Voralberg, par crainte du sort de la grenouille de la fable, aurait aussi repoussé ces alpins du sud. Cependant cette Patrie Briançonnaise aurait pu devenir une deuxième Suisse. Elle disposait alors d'un poids démographique, commercial, politique, voire confessionnel, suffisants. La ville de Briançon compta jusqu'au double d'habitants par rapport à Grenoble et la précéda pour l'esprit d'entreprise.

Les Escartons avaient

- la même étendue que les trois cantons embryons de l'Helvétie, l'Uri, le Schwiz, l'Underwald.

- la même configuration tourmentée

- le même passage obligé par le Saint-Gothard ou le Montgenèvre

- le même mode de vie et les mêmes coutumes

- enfin la même préoccupation majeure : la préservation de la liberté.

Cette deuxième Suisse aurait été la cadette de la première d'une cinquantaine d'années seulement sur une existence de six siècles (1er août 1291 pour la Suisse - 29 mai 1353 pour les Escartons), et elle aurait contribué à réfréner l'ardeur étatique de ses voisins.

Deux cataclysmes ont empêché cette évolution. Le premier fut une décision arbitraire, prise à 900 km de là, qui est venue s'abattre sur la patrie Briançonnaise comme une hache sur un billot, et l'a sectionnée en deux. C'est le traité d'Utrecht de 1713. Ce Yalta de l'époque décida que la frontière franco-italienne serait la ligne de partage des eaux. "Une frontière de géomètre", se plaindront les habitants. Trois Escartons, regroupant 31 communes sur les 51, basculent dans l'orbite du Duc de Savoie.

Cette mesure acheva le déclin économique amorcée par le Colbertisme, et traumatisa la population qui perdait de chaque côté la réciprocité de l'escartonnement. Disparaissait aussi une complémentarité économique ancestrale entre les deux versants liés par 21 cols presque tous muletiers : bétail, cuir, bois, à l'Ouest, fruits, légumes à l'Est.

Les habitants des deux versants n'ont jamais pardonné cette partition à Louis XIV, car il s'était précédemment engagé à maintenir la cohésion de ce pays. Tous ses prédécesseurs et successeurs, de Charles V à Louis XVI avaient en effet juré de maintenir la charte de 1343. Plus tard, la population du versant italien ne pardonnera pas à Mussolini de lui avoir imposé l'usage de la langue italienne.

Le deuxième cataclysme fut la Révolution. Le 14 juin 1788, les Escartons sont conviés à participer à la fameuse Assemblée de Vizille du 21 juillet. Bien que les Briançonnais ne se sentent pas concernés, l'Escarton Général décide d'envoyer des délégués. Première difficulté, il est demandé que la délégation comprenne des représentants des trois ordres. Comme cette distinction a disparu depuis belle lurette, la désignation prend une tournure cocasse. Pour le clergé, un brave curé fera l'affaire. Pour la noblesse, on cherche un nom à particule. M. de Champronet fera l'affaire bien qu'il soit le plus imposé de la commune, contrairement aux nobles de la plaine. Mais quid du Tiers-État ? Il n'y a dans les escartons que des "hommes libres-franc bourgeois" ! Mais la suite n'aura rien de cocasse. On expliquera aux escartons qu'ils étaient des précurseurs, qu'ils étaient déjà en république, et qu'ils devaient donc rejoindre la nouvelle république, une et indivisible.

"Dans un dernier sursaut de bête sauvage touchée à mort", écrira un des leurs, ils envoient sans succès une ultime requête à l'Assemblée Nationale afin de conserver leur liberté, le 29 décembre 1789.

Finalement, le 31 mai 1790, ils enverront leur soumission accompagnée de cette remarque pleine de fierté : "notre pauvreté était extrême, mais nos larmes ne coulaient pas sur nos fers".
Les coutumes locales résistèrent quelques temps. Ainsi, en 1884, des jeunes, à la suite d'un tapage nocturne, furent astreints par leur municipalité à reconstruire un pont qu'un torrent avait emporté. Ces jeunes n'avaient pourtant brûlé ni calèche ni carriole. Le travail exécuté, ils furent autorisés à planter l'écriteau : "Pont de la Jeunesse". Voilà qui plaira à Christian Michel !
Le niveau d'éducation restât longtemps élevé. Sous la Restauration, un épistolier pouvait encore écrire :

"Retenu par les frimas dans son étable, l'habitant s'y instruit, se civilise, enseigne ses enfants et serviteurs, il tient pour eux école. Professeur le plus élevé et le plus inaccessible qu'il y ait sur le globe, il ne craint pas que l'université le précipite du haut de sa chaire ; qu'elle lui prescrive un mode exclusif d'enseignement ; qu'elle mesure à son aune les intelligences et qu'elle lui dise : tu t'arrêteras là !"

Les instituteurs continuèrent à s'exporter. Pour la campagne d'école de l'hiver 1792-93, 68 passeports furent délivrés par la commune de Névache à ses habitants partant comme maîtres d'école. Névache comptait alors 845 habitants relevant de 190 foyers. Cela faisait donc un instituteur pour 3 familles ! Les deux plus âgés avaient 58 ans, le plus jeune 12 ans. C'était le jeune stagiaire qui suivait ses aînés pour apprendre, selon leur expression, à "régenter les écoles". Mais l'État décida que dorénavant ce serait à lui de "régenter les écoles" avec des conséquences variables.

Vers la fin du 19ème siècle un médecin du pays écrivait : "Quoique l'arrondissement de Briançon ait tiré un grand profit de l'organisation moderne de l'enseignement primaire... il faudrait doubler au moins le nombre des instituteurs pour que l'instruction primaire fut à la portée des jeunes enfants des hameaux, comme elle l'était avant 1790, grâce aux soins et à l'initiative de l'autorité municipale".

On peut déplorer que Jean-Jacques Rousseau n'ait pas eu la curiosité de s'informer sur les Escartons pendant ses séjours dans le Dauphiné. Il y aurait constaté que des hommes ni meilleurs ni pires qu'ailleurs avaient été rendus meilleurs en vivant dans une société libre.

La Principauté d'Andorre

Il était intéressant de se demander si nous n'avons pas eu, dans les vallées les plus difficiles d'accès de nos chères Pyrénées, des communautés autogérées comparables aux Escartons. En fait, nous en avons toujours une, qui est la principauté d'Andorre.

Andorre est une collectivité entièrement libre et autonome, même si elle rend toujours un hommage de précaution à ses deux "coprinces", le président de la République Française, lointain héritier des droits du Comte de Foix, et l'évêque d'Urgel. Cette autonomie est dûe :

- à des circonstances historiques : en 1278, l'évêque d'Urgel, en Espagne, et le comte de Foix, en
France, signent un acte de paréage délimitant leurs droits et pouvoirs respectifs sur le territoire d'Andorre, qui était leur fief commun.

- à des circonstances géographiques : les premières voies carrossables ouvrant l'Andorre au monde extérieur furent tracées seulement en 1913 côté espagnol, et en 1931 côté français !
Inutile de dire qu'aucun des deux suzerains n'a jamais eu la moindre envie d'aller contester ses droits à l'autre au moyen d'expéditions hasardeuses, ni même de prélever grand chose sur des populations rurales de montagne assez pauvres.

Il y a dans ce pays environ 60 000 habitants répartis entre sept paroisses. Chacune est administrée par un conseil (ou "común") disposant d'une large autonomie financière et réglementaire. Chaque paroisse désigne 3 représentants au "Conseil Général", qui édicte les lois communes à toute la principauté. Ce conseil comprend 42 membres, dont la moitié sont élus au suffrage universel.

Le Conseil est élu pour quatre ans. Au début de chaque mandat, il élit un "Cap de Govern" qui assume le pouvoir exécutif avec son "Govern" (ministère).

Un Conseil Supérieur de la Justice, de 5 membres, désignés pour six ans, non renouvelables, nomme les "Batlles" (juges de première instance), et les autres magistrats.
L'enseignement est libre.

Les Andorrans ne paient pas d'impôts directs. Leur monnaie est l'Euro. Aujourd'hui ils vivent surtout du tourisme, mais leur vie sociale au cours des siècles précédents ressemblaient beaucoup à celle des Escartons. Ainsi, il existe à Andorra la Vella, la capitale, dans la "Maison des Vallées", où se réunit le Conseil Général, une "armoire aux sept serrures", dont chaque paroisse détient sa clef spécifique. Cet armoire contient les documents les plus importants de la communauté. De même, il existait dans l'Escarton du Queyras (et peut être dans les autres) une armoire à sept serrures dont chaque commune avait une clé.

D'Andorre à la Suisse, en passant par les escartons, tout montre que les peuples vivant dans un État aux prérogatives réduites sont plus heureux que les autres. La leçon pour les grands pays est claire : leurs habitants seraient plus heureux si leurs États appliquaient le principe de subsidiarité.

Hamas, elle est bien bonne celle-là

Le Hamas palestinien accuse les occidentaux qui conditionnent leur aide à la reconnaissance d'Israel de "chantage".

On ne peut vivre de la charité et être complètement libre, surtout sur un point si fondamental !

L'arrivée au pouvoir du Hamas est une mauvaise nouvelle à court terme et une bonne nouvelle à long terme : pour toutes les démagogies, l'exercice du pouvoir est une mise à l'épreuve, soit elles s'adaptent et deviennent plus pragmatiques, soit elles meurent, quelquefois dans le ridicule, quelquefois, hélas, dans le drame.

On pourrait d'ailleurs en dire autant de nos farouches "anti-libéraux" (nouveaux oripeaux des vieux marxistes anti-capitalistes), simplement, dans leur cas, l'oubli orchestré du drame créé par la mise en oeuvre de leur idéologie (voir La grande parade, de JF Revel) a été si foudroyant qu'ils retrouvent quelque crédit, malgré la Chine, Cuba et la Coée du Nord.

samedi, janvier 28, 2006

Les lois contre le droit

En lisant Hayek, je pense à la diarrhée législatrice dont est atteint notre parlement sans que la guérison apparaisse en vue. Chaque loi peut bien être conforme à la constitution, il n'empêche que l'empilement de lois, plus ou moins bien, voire pas du tout, appliquées et assez peu cohérentes, finit par limiter de manière dramatique deux droits pourtant fondamentaux, la liberté et l'égalité en droits.

La liberté : la frontière entre le permis et l'interdit est à ce point complexe qu'elle en devient floue et l'espace de liberté se restreint à mesure. On peut citer, ô provocation pour les bien-pensants, la restriction de l'espace de liberté pour les fumeurs.

L'égalité en droits : cette égalité est baffouée en théorie puisque de nombreuses lois sont écrites en faveur de lobbies, de groupes de pression ou de cas particuliers, pour complaire à tel ou tel.

Elle est aussi bafouée en pratique car dans un tel labyrinthe, l' adage "Nul n'est censé ignorer la loi" est totalement inaccessible et devient "Pourvu que j'ai les moyens de payer un avocat qui s'y retrouve".

Bien sûr, la cerise sur le gateau, le nec plus ultra, le summum du sadisme juridique de cet étouffement du droit par la loi, est le trop fameux "principe de précaution".

Lien Patrick Simon

vendredi, janvier 27, 2006

Ces Indiens qui viennent voler l'acier des Français ...

Superbe manoeuvre de l'indien Mittal Steel. Je vous rappelle les épisodes précédents :

1) L'indien M. Mittal fait fortune en rachetant des acieries, en décrépitude, au bord de la faillite, et en les retapant avec une politique astucieuse.

2) Le groupe européen Arcelor est créé par le regroupementde Arbed, Aceralia et Usinor.

3) Mittal Steel devient le 1er groupe sidérurgique mondial devant Arcelor. Les prix de l'acier flambent because l'économie mondiale tourne à fond (ce qui ne se voit pas beaucoup en France).

4) Arcelor et Thyssen se battent à coup de surenchères de plus en plus folles pour prendre le contrôle du canadien Dofasco. Arcelor gagne.

5) Le 27 janvier, Mittal Steel, qui se tenait en embuscade, lance une offre publique d'achat sur Arcelor le valorisant à 19d € et s'est arrangé avec Thyssen pour lui revendre Dofasco en cas de succès. Je ne suis pas spécialiste de ce secteur, mais il me semble qu'on appelle ça une attaque surprise, un Pearl Harbour à la corbeille.

Si ça marche, Arcelor se retrouvera le dindon de la farce. Question : quid du patriotisme économique ? Arcelor, plus ou moins stratégique que Danone ? Après Péchiney, Arcelor ?

Attention, il y a un piège : quand il était indépendant (il l'est d'ailleurs encore ce jour), Arcelor a toujours dit que son objectif était de faire plus de 50 % de son chiffre d'affaires hors d'Europe d'ici à 2010. Alors, j'attends la réponse, les patriotes économiques, qu'en pensez vous ? Que faire, mon Dieu, que faire ?

C'est facile de se moquer des rodomontades patrioto-chiraquo-villepinesques, mais nos dirigeants en donnent tellement l'occasion qu'il est difficile de résister à la tentation : en réalité, le vrai patriotisme économique est celui qui consiste à se battre pour que la France ait une économie saine et enviable, on en est très loin. Tout le reste est paroles creuses et miction dans un violon.

Mais voilà, pour atteindre ce vrai patriotisme économique, il faudrait que l'Etat cède de son emprise sur la société française, perde du pouvoir, soit plus efficace, en mot, mot terrible, diabolique, porteur d'effroi, se libéralise. Vous n'y pensez pas, mon bon monsieur ! Alors continuons à être patriote en paroles pour ne pas avoir à l'être en actes.

jeudi, janvier 26, 2006

Les territoires perdus de la République (E. Brenner)


FF

Un livre terrifiant sur les violences, notamment antisémites, racistes et sexistes, à l'école. Terrifiant, mais pas surprenant : à partir du moment où l'école est devenue, suivant le titre d'un autre livre, "l'école des egos", cela ne pouvait qu'advenir.

L'enfant n'est pas naturellement civilisé, c'est pourquoi la discipline inculquée à l'élève est à la fois la condition et un des résultats de l'instruction.

Considérer la discipline comme un archaïsme barbare ouvre la porte à la violence, car c'est la discipline qui crée la retenue, la politesse, la réflexion, c'est le contraire de la spontanéité et de la violence.

Un exemple : une jeune prof, à des élèves qui ne savaient pas lire, proposa d'écrire en groupe un roman policier. Les naïfs s'étonneront de cette bien curieuse démarche : faire écrire, collectivement, des élèves qui, individuellement, ne savent pas lire. Les familiers du constructivisme pédagogique (l'élève construit lui-même ses savoirs) auront reconnu là sa patte inimitable de cuistrerie pseudo-novatrice. Que croyez vous qu'il arrivat ? Les élèves écrivirent, avec plus de fautes d'orthographe que de mots -c'est un détail sauf pour un vieux con dans mon genre, une sorte de "Massacre à la tronçonneuse au collège". Tous les profs y passèrent, en imagination, avec force trouvailles sadiques et sanglantes. La jeune prof maquilla le roman de façon à ce que les personnages devinssent moins identifiables et reçut les félicitations de l'inspection académique ! Le progrès fait rage. Après cela, il devient difficile de se formaliser, la bouche en coeur, des violences scolaires.

Autre cas navrant où la Gentillesse fait des ravages : après des agressions antisémites, un proviseur décide d'organiser une discussion sur le sujet. Faut-il que la connaissance des choses humaines soit tombée bien bas pour qu'un homme cultivé croit que la discussion est la solution d'une violence irrationnelle, peut-être n'y croyait il pas, peut-être était-ce seulement la fuite devant la nécessité d'un acte d'autorité. Passons, de toute façon, après quelques minutes, une fois les premières hésitations surmontées, la "discussion" s'est transformée en déchaînement incontrôlé d'insultes et de clichés antisémites, à l'épouvante des adultes présents.

Autant la "tolérance zéro" avec des adultes me semble démagogique, autant elle est indispensable avec des enfants qui sont d'inlassables chercheurs de limites entre le permis et l'interdit. Et qu'on ne sorte pas les histoires de père Fouettard, il faut vraiment de ne jamais avoir vu un enfant de près pour ignorer qu'il y a des degrés et des subtilités dans la réprimande, mais aussi des nécessités.

Les violences sexistes ne sont pas les moins préoccupantes car elles atteignent des couches psychologiques très profondes. Je connais un jeune couple d'une vingtaine d'années où toute l'expression ou presque est le cri, la violence, la colère, le rapport de force. Le contexte familial y est sûrement pour quelque chose, mais je ne peux m'empêcher de penser que cette pauvreté d'expression et de sentiment n'a pas trouvé de remède à l'école et que c'est un manque de celle-ci. Visiblement, les sentiments tendres, c'est pour les "Feux de l'amour", c'est pour la télé, pas pour la "vraie vie".

Comme le disait Marc Le Bris avec humour à propos d'un incident dans son école, il est normal que les garçons veuillent soulever les jupes des filles, mais il est inadmissible qu'ils ne disent pas "S'il te plaît".

Les violences antisémites et sexistes sont, essentiellement, le fait des élèves maghrébins, qui excellent, par ailleurs, à se poser en victimes du racisme pour invoquer cette fausse logique comme quoi une victime du racisme ne saurait être elle-même accusée de racisme. Les témoignages mettent bien en évidence une origine familiale de cette phobie anti-juive et anti-féminine (ce qui me renforce dans mon idée que l'école doit être un sanctuaire). Les violences antisémites se sont multipliées au point d'entraîner une fuite vers les écoles privées juives, qui se barricadent comme en état de siège (je le sais : j'en ai une en bas de chez moi).

Il y a clairement une démission de certains professeurs, par exemple qui ne présentent plus la Shoah en histoire. Des professeurs ont refusé d'inscrire sur le fronton du lycée "Liberté Egalité Fraternité" pour "ne pas entrer en conflit avec certains élèves". Heureusement, d'autres se battent, avec l'inconvénient de ne pas être soutenus, puisque la consigne est "Surtout, pas de vagues". C'est ainsi qu'une déléguée de classe déclarant "Je hais la France" en conseil de classe et qui a refusé de présenter des excuses n'a fait l'objet d'aucune sanction malgré la demande d'un professeur.

A l'idée d'inviter la déportée (juive) Ida Grinspan, des professeurs s'opposent : "Non, nous avons trop d'élèves arabes, par contre, si tu veux inviter une déportée non-juive ..." Sans ccommentaire.

J'ai sélectionné quelques témoignages édifiants. Ceux qui trouvent excessive mon accusation d'immaturité vis-à-vis de certains professseurss liront avec profit le passage sur le manichéisme concernant la question palestinienne, c'est être charitable que d'attribuer une telle attitude à l'immaturité.

(Petit problème technique : il vous faudra tourner les pages d'un quart de tour dans votre lecteur pdf -icone au milieu de la barre d'outils le plus souvent)

Témoignage 1

Témoignage 2

Témoignage 3

Allez, un petit coup de Theodore Darlrymple

T. Dalrymple (abrégé en TD) est médecin dans les prisons anglaises et dans les bas-quartiers depuis vingt ans, il est marié à une Française et connait bien notre beau pays. Il écrit dans City Journal des articles souvent percutants.

Voici un résumé de sa vision : les basses classes et les classes moyennes, incultes du fait de la faillite de l'école, ne sont plus reliés ni au passé ni au futur. Elles vivent donc un éternel présent et perdent tout sens des responsabilités et tout sens moral, puisque ceux-ci ont un fort rapport avec le temps. La satisfaction immédiate des désirs, irresponsable, creuse et futile, et l' "expression de soi" mènent les vies, d'où la multiplication des enfants abandonnés et des tatouages (1), entre autres.

Cela peut sembler apocalyptique, malheureusement TD s'appuie sur des expériences et des témoignages fort probants, par exemple, cette mère abandonnée de quatre enfants de trois pères différents, incapable de les éduquer et de subvenir à leurs besoins, mais toute prête à avoir un cinquième enfant si ça lui permet de satisfaire son désir immédiat, garder son amant du moment, qui, comme les autres, fuira dès que l'enfant sera né. Les aides sociales aident surtout à fuir ses responsabilités (travailler, éduquer les enfants, subvenir à leurs besoins).

TD considère part ailleurs que TB et son copain GB sont de dangereux gauchistes, ce qui n'est pas mal venu quand on voit l'augmentation des effectifs publics en Grande-Bretagne mais totalement inaudible en France où Tony Blair a été caricaturé comme libéral (affreux, forcément affreux).

(1) : faut-il à la fois avoir une personnalité si creuse et un si fort besoin de l'exprimer pour utiliser le moyen si ostentatoire des tatouages !

Voici le lien pour les articles de TD dans le City Journal :

Articles TD

Je vous copie un des plus marrants sur la perte de sens moral. Je résume pour les non-anglophones : un homosexuel a tué et mangé (juste un bout) son partenaire. Le problème est que le partenaire avait justement exprimé un tel désir (!!!), d'être mangé. Alors, puisque ça s'est passé entre adultes consentants, est-ce condamnable ? Attention, c'est un problème très concret : l'avocat du cannibal use de cet argument de l'accord préalable de la victime.

The Case for Cannibalism

If everything is permissible between consenting adults, why not? 5 January 2004

According to the psychiatrist, Heinrich Wilmer, the German cannibal Armin Meiwes, who killed Bernd Brandes and then ate at least 44 pounds of his flesh, is suffering from “emotional problems.” We might say the same, I suppose, of Brandes, who answered Meiwes’s Internet advertisement for “a young, well-built man who wants to be eaten”—though his problems are now past curing. Brandes also had a slightly offbeat sense of humor. On discovering that both he and Meiwes were smokers, he reportedly said, “Good, smoked meat lasts longer.”

The case raises interesting questions of principle, even for those who take the thoroughly conventional view that eating people is wrong. According to the evidence, Meiwes and Brandes were consenting adults: by what right, therefore, has the state interfered in their slightly odd relationship?

Of course, one might argue that by eating Brandes, Meiwes was infringing on his meal’s rights, and acting against his interests. But Brandes decided that it was in his interests to be eaten, and in general we believe that the individual, not the state, is the best judge of his own interests.
Ah, you say, but Brandes was mad, and therefore not capable of judging what was in his own interests. What, though, is the evidence that he was mad? Well, the fact that he wanted Meiwes to eat him. And why did he want Meiwes to eat him? Because he was mad.

There is a circularity to this argument that robs it of force. It is highly likely that Brandes did indeed have “emotional problems,” but if every person with emotional problems were denied the right to determine what is in his own interests, none of us would be self-determining in the eyes of the law, except those of us who had no emotions to have problems with.

Lest anyone think that the argument from mutual consent for the permissibility of cannibalism is purely theoretical, it is precisely what Meiwes’s defense lawyer is arguing in court. The case is a reductio ad absurdum of the philosophy according to which individual desire is the only thing that counts in deciding what is permissible in society. Brandes wanted to be killed and eaten; Meiwes wanted to kill and eat. Thanks to one of the wonders of modern technology, the Internet, they both could avoid that most debilitating of all human conditions, frustrated desire. What is wrong with that? Please answer from first principles only.

Le désert politique français

Des hommes, et mêmes des femmes, politiques, nous en avons ; trop.
Par contre, des hommes politiques qui ont quelque chose à dire de pas trop con et de pas trop démagogique et une personnalité susceptible d'apporter une amélioration, nous en manquons cruellement.

Nicolas Sarkozy : je suis entièrement d'accord avec son analyse comme comme quoi le prétendu "modèle social" français n'est plus que le cache-misère de convervatismes forcenés, d'arbitraitres excessifs et d'inégalités criantes ; et que les Français ne redoutent pas les réformes, ils les attendent. Ce sont les réformettes, les demi-mesures, les longues stations au milieu du gué qui, dérangeant autant que de vraies réformes sans en produire les résultats, énervent. Cependant, quand on en vient aux solutions, je suis choqué par la "discrimination positive" et je le soupçonne d'être un étatiste masqué.

Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel : J'ai apprécié la contribution de JM Bockel Pour un socialisme libéral, au dernier congrès du PS. Poids chez les socialistes : 0,68 %.

Le portrait de l'homme (ou de la femme) du changement :

> pas un énarque, probablement pas un fonctionnaire, peut-être un scientifique. Je signale à cet égard qu'on n'a pas assez souligné ce trait commun entre Margaret Thatcher et Angela Merkel : l'une est chimiste de formation, l'autre physicienne.

> il se sera construit sa personnalité politique dans l'opposition et aura réuni autour de lui une équipe plutôt jeune, venue d'horizons divers. Son équipe comptera peu ou pas d'énarque.

Le changement est possible en France : A. Rufenacht, grand bourgeois de droite, a été élu maire du Havre, ville ouvrière gérée depuis des décennies par les communistes. Il a diminué drastiquement les effectifs municipaux, une partie des économies ainsi faites a été redistribuée aux employés sous forme de primes au mérite tandis qu'une autre partie a été investie en équipements. Le cabinet pléthorique a été supprimé, le maire gère sans écran avec une équipe de direction restreinte recrutée, notamment dans le privé, selon les besoins, il n'y a pas des énarques.

Il semble que les Havrais en soient contents.

Nota : pourquoi j'insiste tant sur la nécessité de se passer d'énarques ? Parce qu'introduire un énarque dans une équipe, c'est prendre le risque inutile d'y mettre le conformisme, l'étatisme, le dirigisme.

Les crimes communistes

Le parlement européen s'apprête à voter un texte sur les crimes communistes, parce qu'ils n'ont pas fait l'objet du même travail collectif que les crimes nazis.

A voir la gêne de certains partis de gauche, je pense que c'est tout de même bien utile.

Je vous ai déjà dit toute ma colère de voir naguère Lionel Jospin se déclarer fier d'avoir des ministres communistes dans son gouvernement. A mes yeux, c'est exactement comme si de Villepin se disait fier d'avoir des ministres fascistes dans son gouvernement.

M'accusera-t-on encore une fois de manquer de nuances (sachant que les nuances dont il est question sont toujours plus en faveur de la gauche que de la droite) ? Je connais bien des différences entre fascisme et communisme, mais je me sens le droit, et même le devoir, de condamner aussi fermement l'un que l'autre. Il s'agit là d'un jugement moral (quelle horreur !).

Qu'un parti politique français (et même plusieurs) puisse se réclamer du communisme en 2006 prouve que le travail de réflexion sur les crimes communistes n'a pas été mené à son terme. Autant il y a unanimité pour considérer les crimes fascistes comme consubstantiels au fascisme, autant ils sont encore nombreux les indulgents pour le communisme, sous prétexte que ses crimes ne seraient qu'une "déviance" fort regrettable.

Mais, quelle est la pertinence de cette doctrine qui partout et toujours a "dévié" vers le crime dès qu'elle a été mise en oeuvre et qui, sous des formes abatardies, fait encore régner la terreur à Cuba, en Chine et en Corée du Nord alors que le fascisme est mort et, j'espère, enterré ? Ne serait-ce pas, explication simple, économique et rationnelle, que le crime lui est tout aussi consubstantiel qu'au fascisme ?

Tout cela va sans dire, mais je préfère quand même le dire.

Balladur ou la désillusion du pouvoir

Dans son dernier essai, l'ancien Premier ministre livre une critique féroce de la démocratie d'opinion.

Edouard Balladur a fréquenté le pouvoir de près. Pendant deux ans, il a été un Premier ministre aimé - des sondages, des médias, des intellectuels - avant de devenir un candidat malheureux à l'élection présidentielle (de 1995). L'expérience qu'il a vécue imprègne son « Machiavel en démocratie », qu'il nous livre aujourd'hui. C'est un essai à la fois lucide et désabusé sur la pratique du pouvoir en terrain démocratique.

Son interrogation de départ laissait pourtant espérer un certain optimisme : au XVIe siècle, époque de la morale chrétienne, Machiavel avait déchiré le voile en décrivant la mécanique implacable du pouvoir : la lutte pour le conquérir, les ruses pour le conserver. C'était l'époque des princes et des monarques.

Les siècles ont passé, la démocratie a gagné du terrain. Se pourrait-il qu'elle ait modifié la donne ? Eh bien, non, rétorque l'auteur. « Démocratie ou dictature, la fin demeure la même : la conquête et la possession du pouvoir par tous les moyens, aussi longtemps que possible. » Pourquoi ? Parce que le pouvoir est en soi une jouissance : « Faire et défaire les carrières, être le dernier recours pour toutes les faveurs, distribuer ses grâces au gré de ses préférences ou de ses antipathies... » Quelle ivresse ! C'est aussi une quête « celle de l'immortalité heureuse ». C'est enfin une illusion dont peu parviennent à prendre la mesure.

Qu'a changé la démocratie ? Fondamentalement rien, déplore l'auteur, « la décision des peuples supposés plus libres n'a pas comblé le fossé entre la politique et la morale. Au point que, pour triompher, il faut davantage encore d'hypocrisie, ne pas tromper seulement quelques-uns mais tous ».

Flatter l'opinion sans relâche

Et l'auteur de décrire, sans jamais nommer personne, le parcours pathétique du « politique », qui, pour arriver au sommet, va devoir se livrer en pâture à l'opinion et la flatter sans relâche. Une critique au vitriol de la démocratie médiatique et de ceux qui la contrôlent : les journalistes, les sondeurs, les conseillers en communication ou encore les intellectuels, qui « prétendent posséder le privilège de l'intelligence et du savoir, et que chacun s'y soumette ».

Edouard Balladur dénonce aussi la versatilité de l'opinion et le conformisme des modes : « Culte des idées nouvellement reçues, naïvement provocatrices, adhésion à toutes les fantaisies changeantes de la mode. » Sa vision est si noire qu'elle ne laisse guère de place à l'espoir.
Et pourtant, convient l'auteur, il arrive parfois que, porté par les événements, le « politique » se grandisse. Churchill, de Gaulle, Adenauer font partie de cette race de leaders qui, animés de convictions fortes, ont su entraîner le peuple derrière eux. Edouard Balladur, lui, n'y est pas parvenu. Il continue d'en souffrir.

FRANÇOISE FRESSOZ pour LES ECHOS

mardi, janvier 24, 2006

L'affaire homme (R. Gary)




FFF

Recueil d'articles de Romain Gary. C'est toujours un plaisir de lire Gary, "gaulliste moral", entre autres "parce que De Gaulle ressemble à ma mère." C'est une des raisons les plus simples que j'ai entendue d'être gaulliste !

> En nos temps d'autoflagellation anti-coloniale (1), il est bon de lire que Gary redoutait dès 1957 les nationalismes indigènes copiés sur leurs sanglants modèles occidentaux et renvoyait dos à dos tortionnaires blancs et éradicateurs du FLN ; position très proche de celle de Camus et, pour cela, peu populaire à Saint-Germain des prés.

> Ensuite, il explique sa misanthropie et son écologisme, attitude qui me paraît cohérente et qu'il m'arrive quelquefois de partager. Je me demande si l'homme ne devrait pas se faire sauter une bonne fois pour toutes (à commencer par les écolos) et laisser les bêbêtes tranquilles. Gary, pour combler le besoin de protéines du à la croissance démographique, propose de rendre légal voire obligatoire le cannibalisme, d'abord avec les cadavres produits par nos différentes guerres après quoi on pourra directement "abattre la viande humaine sur pied". La conclusion de Gary coule de source : "Je salue dans la bombe à hydrogène l'humain à son apogée."

> Il donne ses conceptions sur l'art moderne : " Le néant culturel n'est pas sans mérite. C'est propre. C'est relaxant. Ca ne donne pas à réfléchir. C'est sain. Et c'est le comble de l'unité. [...] Dans la quête du vide culturel, la société communiste a pris une longueur d'avance, mais l'Occident lui dispute ardemment la première place. Jamais encore dans l'histoire de la peinture, autant ont fait si peu pour de si rares amateurs (2)."

> Un petit passage sur l'éducation : "Mais comment échapper à cet irrespect complaisant d'autrui quand nous vivons dans une société où nos enfants sont élevés par une école d'éducateurs post-freudiens ? A peine commencent-ils à penser qu'on les encourage à être "eux-mêmes" (3), à casser et à brailler sans risquer de punition. J'ai vu un gosse fourrer des oisillons vivants dans les doigts d'un gant sous l'oeil satisfait de ses modernes parents. Quand je me suis jeté sur le petit monstre, je me suis fait réprimander et dire que je traumatisais l'enfant. Que l'enfant lui-même torturât et tuât des oiseaux tout en m'infligeant à moi un traumatisme ne parut pâs le moins du monde inquiéter ces stupides adeptes de manuels imbéciles de psychologie infantiles." Cela me rappelle un passage de Montaigne (De la coustume, et de ne changer aisément une loy reçue) :

Je trouve que nos plus grands vices prennent leur pli de nostre plus tendre enfance, et que nostre principal gouvernement est entre les mains des nourrices. C'est passetemps aux mères de voir un enfant tordre le col à un poulet, et s'ésbatre à blesser un chien et un chat. Et tel père est si sot, de prendre à bon augure d'une âme martiale, quand il voit son fils gourmer injurieusement un paysan, ou un laquet, qui ne se défend point : et à gentillesse, quand il le voit affiner son compagnon par quelque malicieuse desloyauté, et tromperie. Ce sont pourtant les vraies semences et racines de la cruauté, de la tyrannie, de la trahison. Elles se germent là, et s'eslèvent après gaillardement, et profittent à force entre les mains de la coustume. Et est une très dangereuse institution, d'excuser ces villaines inclinations, par la foiblesse de l'âge, et legéreté du subject. Premièrement c'est nature qui parle ; de qui la voix est lors plus pure et plus naïve, qu'elle est plus grêle et plus neuve. Secondement, la laideur de la piperie ne dépend pas de la différence des écus aux épingles : elle dépend de soi. Je trouve bien plus juste de conclure ainsi : "Pourquoy ne tromperoit il aux écus, puis qu'il trompe aux épingles ?" que, comme ils font : "Ce n'est qu'aux épingles : il n'auroit garde de le faire aux écus". Il faut apprendre soigneusement aux enfants de haïr les vices de leur propre contexture, et leur en faut apprendre la naturelle difformité, à ce qu'ils les fuient non en leur action seulement, mais sur tout en leur coeur : que la pensée même leur en soit odieuse, quelque masque qu'ils portent.

> il répète une phrase d'Albert Camus "Il y a des idées qui valent qu'on meurt pour elles mais il n'y en a pas qui vaille qu'on tue pour elles." Albert Camus est un peu oublié de nos jours, sous prétexte qu'il faisait dans les "bons sentiments". Ca ne me surprend guère, notre monde a bien tout ce qu'il mérite : des slogans comme caricatures de pensées.

Bon, allez, j'ai été méchamment déviant en lisant Romain Gary, vite, vite, relisons les oeuvres complètes de José Bové.

(1) : qu'on me comprenne bien, la colonisation a été, dans son principe et souvent dans son application, atroce. Cependant il ne faut point trop en faire et garder une certaine mesure. La colonisation a eu des quelques effets positifs et elle n'est pas la source unique et dominante de nos problèmes d'immigration.

(2) : ce texte a été écrit par Gary en Anglais, c'est une parodie du churchillien "Never in the history of mankind, so many owe so much to so few." (qui donne quand même mieux qu'en Français.)

(3) : "être soi-même", pour Gary, c'est le comble de la barbarie, la négation de la civilisation.

Le pen élu avec 51,4 % des voix

J'ai trouvé ça marrant :

Le Pen élu avec 51,4 % des voix

lundi, janvier 23, 2006

Ils nous prennent vraiment pour des cons (je m'en doutais)

Le ministère des finances aurait découvert "avec surprise" une rentrée fiscale inattendue de 2 Md € provenant de l'impot sur les sociétés et qui permettrait d'être dans les clous du critère de Maastricht en 2005.

"Dis, chéri, je viens de ramasser une pièce de 2 milliards d'€, ça ne serait pas à toi par hasard ?"

Je ne vois que trois explications :

> les effectifs sur-abondants de fonctionnaires sur-diplomés et sur-avantagés qui peuplent Bercy sont utilisés avec une prodigieuse inefficacité et une extraordinaire incompétence.

> les miracles existent, Thierry Breton en fait.

> ils nous prennent vraiment pour des cons, et la commission européenne avec.

Comme je ne puis décemment imaginer que les deux premières soient vraies, il ne reste plus que la troisième.

"Tout ce qui est en "psy-quelque chose", méfie toi : pour faire un métier de fouiller dans la tête des gens, il ne faut pas être très équilibré."

La phrase qui me sert de titre m'a été dite par un "psy-quelque chose" qui fait du "coaching", justement pour ne plus avoir à fouiller dans la tête des gens. Je suis sûr qu'elle fera plaisir à certains d'entre vous !

La psychanalyse me semble fondée sur une hypothèse injustifiée : je ne vois pas pourquoi parler, de ces rêves, de son enfance, ou de n'importe quoi d'autre, permettrait de résoudre ses problèmes. Et en plus, c'est généralement très long; de là à supposer un intérêt mercantile ... Il en est des différentes formes de psychothérapie comme des religions ou des partis politiques : moins on en attend, mieux on se porte. (Roland Jaccard)

Qu'on ne m'impose pas, même sous la forme d'un conseil très pressant, un psy : si un jour dans ma vie survient un malheur, un deuil, ou quoi que ce soit de ce genre, j'espère bien m'en sortir sans psy, sans cellule psychologique, rien qu'avec mes pauvres petites ressources. Je suis de l'avis de Romain Gary (1) : quiconque s'aviserait de m'expliquer le foutoir qu'il y a dans ma tête, je lui répondrais "Et alors ? Ca vous regarde ? Il faut que vous manquiez singulièrement d'éducation pour ne pas trouver cela impoli au dernier degré."

Quant à ceux qui se laissent imposer un psy, que ça soit en tant que juge, que juré, qu'accidenté, etc., je considère qu'ils reculent devant la prise en charge de leur vie et devant l'exercice de leur responsabilité.

Mais ce n'est qu'un jugement personnel que je garde pour moi, sauf dans le cas important, où il s'agit d'une personne publique dans l'exercice de ses fonctions, juge, juré, dirigeant ; alors, l'impétrant du "psy-quelquechose" trahit sa mission en n'assumant pas sa charge dans toutes ses dimensions.

Les psys collaborent à l'entreprise d'équarrissage des personnalités dépassant la norme. Ils raménent les interrogations sur le monde à l'unique question qui, en concentrant sur elle toute l'énergie, permet d'obtenir des petits citoyens bien dépendants et faits au moule jusque dans leurs révoltes : "Moi, moi, moi ! Où suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j'erre ?"

(1) : Romain Gary avait une opinion très tranchée sur les psys qu'il exprima souvent avec son ironie grinçante si réjouissante. D'ailleurs, l'humanité a pu vivre des millénaires sans psys, ça me laisserait sur le cul qu'on me prouve que les psys aient manqué à la santé mentale de nos ancêtres, comme la médecine moderne a pu manquer à leur santé physique.

Les limites du gant de velours

Daniel Halévi avait dit cela en son temps de manière plus concise : "Sans la menace de la force armée, la diplomatie n'est qu'aboiements de roquet." Ca ne m'étonnerait pas qu'il y ait un proverbe en ce sens en farsi.


Les limites du gant de velours, par Amitai Etzioni
LE MONDE | 23.01.06 | 14h00 • Mis à jour le 23.01.06 | 14h00


La rupture unilatérale par l'Iran des scellés sur ses installations d'enrichissement d'uranium porte un sérieux coup aux Européens. Ceux-ci s'efforçaient de démontrer au monde que la négociation multilatérale et une diplomatie subtile n'ayant recours ni à la force ni même aux menaces pouvaient résoudre des conflits majeurs. Depuis l'invasion de l'Irak, un grand nombre d'intellectuels et d'hommes politiques en Europe ne ménagent pas leurs critiques envers l'approche unilatérale et brutale de l'administration Bush. L'utilisation de la notion de "soft power" (pouvoir attractif) fait fureur. Elle désigne une politique étrangère fondée sur des actions légitimes, selon la définition de Joseph Nye. Les pays visés doivent être convaincus ou incités à se plier aux normes internationales établies, plutôt que d'y être contraints.


L'Iran a joué le jeu, pendant un temps : ce pays a poursuivi les négociations, lancé de nouvelles propositions et a gagné du temps pour développer son programme nucléaire (qui comprend peut-être un volet clandestin) tout en louvoyant face aux Européens. En janvier toutefois, Téhéran semble s'être lassé et a avancé ses pions au mépris manifeste de ses engagements internationaux antérieurs. On pourrait penser que cette attitude vise principalement à faire monter les enchères avant le règlement final. Cependant, rien n'indique que les Iraniens aient l'intention de limiter leur programme nucléaire, ne serait-ce qu'en utilisant du combustible fourni par un consortium international. Dans le cadre de ce projet, l'Iran recevrait de l'uranium enrichi de l'étranger au lieu de le fabriquer lui-même, ce qui lui permettrait de produire toute l'énergie qu'il souhaite — ce que Téhéran affirme être son unique objectif —, tout en l'empêchant de détourner la substance à des fins militaires. Les fournisseurs internationaux s'assureraient que l'uranium enrichi est utilisé uniquement à des fins pacifiques et rapatrieraient les déchets nucléaires qui pourraient servir à la fabrication d'une bombe.

A l'évidence la politique du gant de velours a ses limites. Les Européens, qui sont chargés des relations avec l'Iran dans ce dossier, ne savent plus que faire pour régler le problème. Les sanctions économiques sont de nature punitive et sortent donc du cadre de ce fameux "pouvoir attractif". En outre, elles sont difficiles à décider et à appliquer.

Le conseil des trente-cinq membres de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) renâcle à saisir l'ONU, alors que c'est un passage obligé pour mettre en place ce type de sanction. Même si cette étape est franchie, la Chine pourrait encore mettre son veto aux résolutions du Conseil de sécurité ou les atténuer. Et si celles-ci finissaient par être mises en oeuvre, l'expérience montre que les sanctions ont surtout pour résultat d'enrichir les trafiquants au lieu de faire pression sur les gouvernements concernés. C'est la population qui en fait les frais plus que les élites dirigeantes. L'Iran, qui regorge de pétrodollars, pourrait non seulement y résister, mais aussi en imposer à son tour au reste du monde. Par exemple, en diminuant ses exportations de pétrole.

Par conséquent, il faudra faire usage de la force. Et si cela se révèle impraticable, l'Iran deviendra bel et bien une puissance nucléaire à part entière. Dans un cas comme dans l'autre, le pouvoir attractif aura montré sa très faible efficacité dans les relations internationales. Cela prouve que, si le "pouvoir coercitif" (hard power) fonctionne mieux dès lors qu'il est précédé et accompagné par le pouvoir attractif, l'inverse est également vrai : le pouvoir attractif est bien plus efficace quand on sait que, si rien n'y fait, le pouvoir coercitif pourrait prendre le relais.

Certes on peut être moins méfiant que ne l'est le gouvernement Bush envers les organisations internationales légitimes, les alliances et la diplomatie. Mais d'un autre côté, le besoin de pouvoir coercitif en cas d'impasse est bien plus grand que les Européens ne veulent bien l'admettre.

L'Iran est loin d'être le premier cas de ce type. Sur les centaines de condamnations prononcées par l'ONU, beaucoup ont été superbement ignorées, quasiment sans aucune conséquence, en raison du manque de pouvoir coercitif des Nations unies. Ainsi, il a fallu l'intervention des troupes australiennes au Timor-Oriental, celle des troupes britanniques au Sierra Leone, celle des troupes américaines au Liberia, pour que cessent les massacres.

En somme, la façon dont l'Iran malmène les Européens démontre que le pouvoir attractif seul ne suffit pas : il doit être soutenu par la force. L'heure est venue pour les Européens de mettre leur sentiment de supériorité sur la touche et de reconnaître qu'ils doivent collaborer avec les Etats-Unis si l'on veut empêcher l'Iran de devenir une puissance nucléaire.

L'Initiative de sécurité contre la prolifération (ISP), que peu de gens connaissent, pourrait servir de modèle. Lancée et menée par les Etats-Unis, elle bénéficie de la participation des services secrets et des marines de soixante pays qui oeuvrent pour empêcher le trafic d'armes et de substances nucléaires en haute mer. Soutenue par l'ONU (par le biais de la résolution 1540), elle réunit donc pouvoir coercitif et pouvoir attractif, ce qui en fait un excellent exemple de ce qui devrait être pratiqué à l'avenir. Place à l'ère du pouvoir mixte, main de fer et gant de velours.

Traduit de l'anglais par Manuel Benguigui


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Amitai Etzioni est professeur de relations internationales à l'université George Washington (Washington D.C., Etats-Unis).

dimanche, janvier 22, 2006

Je n'ai pas besoin de l'assistance d'un psy pour m'apprendre à vivre

Je suis horrifié de l'idée d'un de mes lecteurs, en commentaire de Au seours du juge Burgaud, de proposer, mais pourquoi pas imposer, une forme d'assistance psychologique aux juges, qu'on pourrait étendre à tout détenteur de responsabilités, c'est-à-dire à tout homme puisque tout homme a vocation à être responsable.

A la limite, je préfère le bon vieux confesseur, "directeur de conscience", c'est dans ce registre détestable, plus franc et plus honnête.


Tous des incapables

FRANÇOIS EWALD

A Angers s'est ouvert le procès de la plus grande affaire de pédophilie jamais jugée en France. Toutes les mesures, nous explique-t-on, ont été prises pour que ne se renouvelle pas le scandale d'Outreau, qui fut surtout le procès d'une accusation défaillante. Ici, nous assure-t-on, l'instruction a été plus rigoureuse. On a créé une salle spéciale pour un procès qui doit durer plusieurs semaines. Et « pour qu'aucun juré ne flanche devant les scènes d'horreur qui seront évoquées, une cellule psychologique a été mise en place » (« Le Point » du 3 mars 2005).


Cette dernière information n'a suscité ni étonnement ni commentaire. Et pourtant...


On aurait pu croire que, après le scandale d'Outreau, on se serait méfié de ces psychologues qui n'ont pas été pour rien dans l'accréditation de l'affabulation d'enfants accusateurs. Mais voilà donc que ceux que l'on avait cru devoir tenir à distance des procès pédophiles reviennent par la fenêtre. Il est vrai que les placer maintenant au côté des juges est un bon moyen d'éviter la défaillance de l'accusation.


Que les psychologues soient là pour assister les victimes de catastrophes peut se comprendre. Ils peuvent permettre de surmonter le traumatisme. C'est d'ailleurs devenu la règle. Mais en plaçant une cellule psychologique auprès d'un jury d'assises, on franchit la ligne.


Il paraît d'abord qu'il y a incompatibilité entre la forme de jugement requise d'un juré et l'idée d'une assistance psychologique. C'est ce qu'implique le serment que le président de la cour fait prononcer au juré (article 304 du Code de procédure pénale) : « Examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges, ne communiquer avec personne, n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection, se décider selon sa conscience et son intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre. » Le juré ne doit donc communiquer avec personne. Il est placé dans des conditions particulières de retrait qui vont lui permettre de juger en fonction de son seul for intérieur. L'intime de « l'intime conviction » est ce qu'il y a de plus privé, secret, invisible qui ne saurait être partagé, en particulier avec un psychologue. La probité consiste à « observer scrupuleusement les règles de la morale sociale, les devoirs imposés par l'honnêteté et la justice », sans céder à aucune influence.


L'intrusion d'une assistance psychologique dans le jugement du juré sous-entend que ce modèle de « l'homme probe et libre » nous paraît aujourd'hui inatteignable. Le juré est plutôt objectivé comme une sorte d'incapable majeur, qui a besoin, sinon d'une tutelle, du moins d'une assistance. Comment expliquer pareil retournement ?


Cela ne peut pas seulement tenir à l'horreur particulière des faits jugés à Angers. Les cours d'assises jugent des crimes, c'est-à-dire des infractions les plus graves. Par principe, elles sont horribles. Les jurés, par ailleurs, ne sont pas des hommes sans qualité : les listes des jurés sont triées sur le volet par différentes autorités publiques. Les faits soumis aux juges d'Angers excèdent-ils les capacités de jugement d'un bon citoyen ?


Il est vrai que cette idée du juré « incapable » s'inscrit dans une vieille tradition française d'hostilité au jury. Pour les juges qui sont des professionnels, les jurés sont encombrants, il faut les aider. Ils sont, dit-on, influençables (en particulier par les avocats). Il faut bien faire avec les jurys populaires, parce que c'est la loi, mais tâchons de rendre l'expérience la moins lourde possible pour les juges professionnels. On voit alors le rôle du psychologue : il est là pour homogénéiser la vision de l'instance de jugement, faire qu'elle ne soit pas encombrée par une émotion inutile. En somme, juger est un acte trop sérieux pour être laissé au profane. C'est une affaire d'experts. On ne croit plus à ce qui constitue la base de l'institution du jury, que nous sommes également capables de juger du bien et du mal. Mais alors pourquoi ne pas remplacer les jurys populaires par des jurys d'experts, j'entends, évidemment, composés de psychologues exclusivement.


Au-delà, ce qui terrifie, c'est que nous acceptons de vivre dans une société où il est acquis que les hommes et les femmes ne sont pas capables seuls, par leur éducation, de faire face aux situations auxquelles ils peuvent être confrontés. Aujourd'hui, les psychologues sont partout : ils aident les malades et les malheureux ; ils soignent les criminels, ils assistent les victimes et maintenant les juges ; ils sont appelés dans les entreprises pour aider cadres et dirigeants à faire face à la « pression ». Ce qui suppose que, désormais, nous nous concevons comme des incapables, impuissants à nous gouverner nous-mêmes.


Peut-être s'étonnera-t-on un jour que cette même société se revendique encore de l'idéal des Lumières que Kant avait ainsi fortement caractérisé : « Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. «Sapere aude !» Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »


FRANÇOIS EWALD est professeur au Conservatoire national des arts et métiers.

Le tatouage : signe de la vacuité moderne

Exposing shallowness

samedi, janvier 21, 2006

Au secours du juge Burgaud

Les contempteurs actuels du juge Burgaud se sont-ils avisés qu'ils retombaient dans les mêmes errements que le procès d'Outreau : une justice-spectacle, sous la pression du public et des média, sans recul, où les sentiments, notamment d'identification et de crédulté vis-à-vis des victimes, l'emportent sur la froide raison, l'analyse et la sérénité ?

Deux fautes en miroir ne font pas une justice.

Internet, facteur de régression de la démocratie ?

Inspiré par une chronique de France-Culture, je doute de l'idée reçue comme quoi internet serait un progrès pour la démocratie :

> internet favorise la transparence jusqu'à l'impudeur et au voyeurisme. Or, la frontière entre le privé et le public est fondamentale pour la démocratie.

> internet favorise l'enflure des egos et les revendications identitaires. Il y a extrêmement peu de dialogues sur internet mais beaucoup de superpositions de monologues.

> internet est un extraordinaire instrument à normaliser les opinions : dans le fouillis, il faut chercher longtemps pour trouver, à supposer qu'on les trouve, des opinions originales.

> internet efface les fontières entre pays mais aussi entre le vrai et le faux, le prouvé et l'hypothétique, le connu et l'inconnu.

Je suis un fidéle de L'art de conférer. Cinq minutes de conversation avec un homme intelligent sont plus profitables que deux heures de "surf" sur des blogs et des forums.

Mon point final à la querelle des méthodes

J'ai suffisamment parlé de la querelle des méthodes de lecture. Mon opinion est faite, inspirée aussi bien par le bon sens que par mes lectures : la méthode alphabétique est la meilleure pour apprendre à lire à un groupe d'élèves de capacité et de culture diverses.

Les méthodes globales plus ou moins déguisées, qui sont encore celles encouragées et promues par l'institution, sous les espèces de l'IUFM et de l'IGEN, viennent d'un parti-pris idéologique n'ayant aucun fondement dans l'efficacité.

C'est pourquoi la liberté pédagogique doit être totale, ceci implique en particulier que les profs soient jugés sur leurs résultats et non sur leurs méthodes.

Mécaniquement, la méthode la plus efficace deviendra prépondérante et il ne fait aucun doute qu'il s'agit de la méthode alphabétique (voir document ci-dessous).

Petite pique amicale (1) en direction des profs : cette liberté pédagogique qu'ils souhaitent ne serait-elle pas une proche parente du libéralisme, qu'ils haïssent si fort ?

Recommencer par le commencement : la lecture

(1) : amicale, car autant je pense que les profs, isolés par la bulle scolaire (les profs sont tout de même les seuls adultes à ne jamais avoir vraiment quitté l'école), font trop souvent preuve d'un jugement immature sur les sujets de société, autant je les admire, pour ceux qui enseignent, dans leur travail quotidien, qui n'est pas des plus aisés.

jeudi, janvier 19, 2006

De la crise de l'emploi à la dette
PHILIPPE DOMINATI

Pendant des années, les gouvernements ont développé des politiques d'aide à l'emploi qui ont eu pour conséquence un taux de chômage inacceptable et des taux de prélèvements obligatoires excessifs. Politiques dites sociales et en fait technocratiques, inspirées du collectivisme, du colbertisme et du jacobinisme, ces tentatives ont été des échecs. L'Espagne et l'Italie, parties d'une situation plus difficile, nous regardent de haut. Seule la Pologne a un taux de chômage supérieur au nôtre. D'où, sans doute, l'imbécile angoisse du plombier polonais...

En nous orientant vers une baisse de la fiscalité, nous commencions à nous convaincre que les emplois et la croissance ont un lien avec le taux des prélèvements obligatoires. La réforme de l'impôt sur le revenu - renvoyée à 2007 - reste encore loin de l'engagement d'une baisse de 30 % sur la durée de la mandature. Ce n'était pas qu'une promesse, mais le signe fort d'un changement de politique. Investir dans une baisse de la fiscalité est le meilleur moyen, voire le seul, de créer durablement des emplois. Hélas, cette année, les prélèvements obligatoires augmentent à nouveau, jusqu'à 44 % du PIB, faisant de notre fiscalité l'une des plus punitives des pays industrialisés. Nous avons un différentiel de 5 % à 6 % avec nos principaux partenaires. C'est presque deux fois notre déficit budgétaire. Or le meilleur moyen de donner du pouvoir d'achat aux Français, d'améliorer la compétitivité des entreprises, serait de leur laisser ce différentiel. La tâche du gouvernement est de réduire ce différentiel. Il est aussi de réduire le déficit budgétaire. On aurait pu espérer qu'il réussisse au moins l'un ou l'autre de ces deux objectifs.

Mais on ne peut y arriver sans maîtrise de la dépense publique. Considérer comme une victoire le fait que les dépenses de l'Etat augmentent moins vite que l'inflation (alors qu'elles continuent néanmoins à croître en volume) est la marque de notre insuffisance. Les dépenses publiques représentent 54 % du PIB : 12 points de plus qu'en Angleterre, 4 de plus qu'en Allemagne, 5 de plus qu'en Italie. C'est un écart supérieur à notre déficit budgétaire. Ramener les dépenses publiques au niveau de nos voisins permettrait de supprimer ce déficit. D'autres l'ont fait. Y compris la Suède, qui, avec des prélèvements obligatoires aussi forts que les nôtres, a maintenu son modèle social avec un budget équilibré.

Il y a seulement douze ans, les dépenses de personnel et la charge de la dette représentaient 45 % du montant des dépenses. Aujourd'hui, nous en sommes à 58 %. Comme la charge de la dette est incompressible, il n'y a pas d'autre solution que de réduire les effectifs de la fonction publique. Le ministre de l'Economie multiplie les déclarations pour dire que la France vit au-dessus de ses moyens, alors qu'il ne profite pas du départ annuel à la retraite de 77.000 fonctionnaires, pour retrouver une situation plus équilibrée. Pourquoi ne supprimer qu'environ 5.000 postes, soit moins qu'au cours de l'année 2005 ? Nous n'avons plus le temps d'attendre.

Le plus préoccupant, le plus grave est de constater à quel point ces dépenses ne sont pas financées. Près d'un agent de l'Etat sur cinq dans notre pays a son salaire qui sera payé par nos enfants. Sans guerre, sans catastrophe naturelle, sans absorption d'un territoire comme l'Allemagne de l'Est, notre pays a multiplié sa dette par douze au cours des vingt-cinq dernières années, et cela malgré la vente, très consensuelle de la part de tous les gouvernements, de la plupart des actifs de l'Etat. Un niveau d'endettement que la France n'a jamais connu dans son histoire ! A la somme astronomique d'environ 1.200 milliards d'euros, il faudrait ajouter, comme l'a suggéré le rapport Pébereau, 800 milliards pour la retraite des fonctionnaires.

A l'occasion de la mise en oeuvre de la LOLF (loi organique relative aux lois de Finances), j'ai cherché vainement un indicateur de l'endettement réel de chaque foyer fiscal. Cet indicateur n'existe pas. Il n'a pas été jugé pertinent. Pour ma part, je pense qu'il est essentiel que chaque Français sache chaque année si le gouvernement, dans ses arbitrages, a aggravé l'endettement ou l'a réduit. Lorsque la France a apposé sa signature sur le pacte de stabilité, les critères définis étaient considérés comme des seuils d'alerte à ne pas franchir. Aujourd'hui, ils deviennent des objectifs ambitieux difficiles à atteindre. Et nous sommes obligés de mentir à la Commission européenne sans tromper les experts internationaux : l'agence de notation Standard & Poor's a, pour la première fois, fait des commentaires réservés sur l'importance de notre dette.
Champion pour les prélèvements obligatoires, champion pour la part des dépenses publiques dans le PIB, champion pour la part de la population active travaillant dans le secteur public, champion pour l'importance de la dette, notre pays est malheureusement, malgré tous ces titres, à cause de tous ces titres, parmi les derniers dans la création d'emplois. Nous ne sommes pas entrés dans un cycle vertueux de créations de richesses, parce que nous n'avons pas eu le courage de changer de politique. En Angleterre, en vingt ans, plus de 6 millions d'emplois privés supplémentaires ont été créés. Chez nous, aucun. Là-bas, le taux de chômage est de l'ordre de 5 %. Il faut dire que, dans les années 1980, les Anglais ont été dirigés par Margaret Thatcher, dont l'action a été développée par tous les gouvernements qui lui ont succédé, même ses adversaires. Durant la même période, nous avons eu François Mitterrand. Tant que nous ne serons pas sortis du socialisme qu'il nous a légué, nous aurons le cumul de la dette, des impôts et du chômage.

J'attends que l'on tourne la page : il n'y a pas d'autre voie qu'une politique résolument libérale et européenne. Nous en sommes encore à des années-lumière. C'est un paradoxe éclairant d'entendre accuser de nos tares économiques nationales une politique libérale qui n'a jamais été mise en oeuvre en France, alors que seule une telle politique pourrait accélérer la croissance, réduire le chômage et maîtriser la dette ! La crise de l'emploi et la crise de la dette ont une même cause : un manque de croissance, un étouffement du travail et de l'investissement qui ne connaît qu'un remède : de l'air ! De la liberté.

PHILIPPE DOMINATI est sénateur indépendant de Paris.

mercredi, janvier 18, 2006

Et voilà poindre les premières victimes du funeste principe de précaution

Quelques zygotos, auto-proclamés "faucheurs volontaires" (je traduis en Français pour ceux qui ne parlent pas la novlangue GT et pourraient se demander ce que sont des "faucheurs involontaires" : "faucheurs volontaires" signifie "vandales de champs d'OGM") qui commettent un article intitulé Les OGM sont inconstitutionnels, qui hélas semble contenir une part de vérité.

Attendons quelque temps, nous ne devrions pas tarder à inscrire dans la constitution que toute recherche de savoir est proscrite en raison des dangers qu'elle porte. Car enfin, toute recherche de savoir est dangereuse, on a bien vu que même la recherche historique pouvait être facteur de discorde. A quand l'interdiction, au nom du principe de précaution, de la recherche sur l'esclavage afin de ne pas risquer grosses émeutes ou petits mécontentements ?

Ce n'est pas bien grave : les plus qualifiés d'entre nous pourront toujours s'exiler aux USA ; quant aux autres, ils ont la télé, n'est-ce pas ? Alors, qu'ont ils besoin de savoir nouveau ?

Les anti-OGMs, les luddites de 2006 ?

Nota : je permets de copier les commentaires d'un lecteur :

En 2004, 200 [chiffre à vérifier] millions d'hectares de cultures OGM ont été récoltées avec des bons résultats : hausse des rendements, baisse de l'utilisation de pesticides, plus de biodiversité et tout ca moins cher pour les agiculteurs. Il n'y a pas eu un seul problème de santé chez l'homme.

Cette hystérie anti-OGM est totalement injustifiée sur une base scientifique et ne vaut que par une exploitation sensationaliste et populiste des peurs humaines avec l'aide du principe stupide de précaution.

Le problème fondamental est que le débat sur les OGM est rendu confus par leur association avec les agissements de sociétés. Ainsi l'anti-capitalisme primaire vient polluer un débat qui au lieu d'être uniquement scientifique devient une aire d'expression supplémentaire pour la réthorique des anti-mondialisations. Il faut absolument différencier le débat sur l'innocuité des OGM (qui ne fait presque aucun doute) et celui sur les politiques commerciales agressives d'entreprises.

Ironiquement l'utilisation des OGM est un moyen beaucoup plus sur de réaliser les manipulations génétiques que tout les moyens employés jusqu'ici. Rappelons en effet que des manipulations génétiques on en fait depuis des milliers d'années avec les croisements d'animaux et de plantes. Depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, on est passé à la provocation de mutations aléatoires par irradiation ou utilisation de produits chimiques corrosifs, moyens autrement plus dangereux que les OGM.

[J'ajoute que les OGMs diminuent l'utilisation de pesticides, d'engrais et d'hydrocarbures, ce dont les pseudo-écols anti-OGMs ne parlent jamais, ce qui prouve leur peu de préoccupation de l'écologie. Là où un tracteur passe 37 fois en moyenne sur un champ non-OGM, il passera 19 fois sur un champ OGMs.]

La justice française en plein délire

Trois décisions de justice me laissent sur le cul :

> les faucheurs d'OGM auraient eu raison d'invoquer l'état de nécessité. C'est stupéfaint quand on sait qu'il y a 80 millions d'hectares d'OGM cultivés dans le monde depuis des années sans problèmes majeurs. Qu'on soit contre les OGMs, pourquoi pas, même si je pense que c'est idiot, mais considérer qu'il y a urgence, c'est du grand n'importe quoi. Cela tient de la pensée magique où les OGMs jouent le trôle de Satan.

Quand on nous explique, pour les plus progressistes des anti-OGMs, qu'il faut faire plus de recherche pour prouver leur innocuité, c'est en grande partie faux : connaissant la surface déjà cultivée, on a aujourd'hui une bonne idée de leur comportement.

> les frais d'inscription demandés par l'université de Paris IX (50 €) seraient une extorsion de fonds d'après le tribunal de Nanterre.

> la cour de cassation a revu la définition du licenciement économique dans un sens moins contraignant (si je suis d'accord sur la décision en soi, est-ce bien à la justice de se mêler de savoir si un plan de licenciement est nécessaire ou non ?)

On croit rêver ! Et je ne reviens pas sur l'affaire d'Outreau.

Je pense qu'il serait tant de se rappeler Pierre Dac : "Quand il n'y a plus de bornes, il n'y aplus de limites."

Ou encore, cette citation de Pascal affectionnée de Commentaire : "Quand tous vont vers le débordement, nul n'y semble aller. Celui qui s'arrête fait remarquer l'emportement des autres, comme un point fixe."

mardi, janvier 17, 2006

Le "déclinologue" Ronsard

Que diront tant de Ducs et tant d'hommes guerriers
Qui sont morts d'une plaie au combat les premiers,
Et pour la France ont souffert tant de labeurs extrêmes, (1)
La voyant aujourd'hui détruire par soi-même ?
Ils se repentiront d'avoir tant travaillé,
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple mutin divisé de courage
Qui perd en se jouant un si bel héritage

(1) : à Austerlitz ?

Un avion de rêve


Mike Arnold, "vidéaste" de profession, fabrique pendant ses loisirs des avions de course. Pourquoi pas ? Son engin précédent, le AR-5 a réalisé 342,7 km/h avec un moteur qui faisait au départ, avant bricolage, 65 ch. Pour vous donner un ordre de grandeur, un avion de tourisme a besoin de 250 à 300 ch et d'un train rentrant pour atteindre cette vitesse.








L'avion suivant, dont voici les photos, est l'AR-6, destiné aux courses de Reno. Les performances sont encore inconnues car il est en cours de mise au point et qu'il ne faut pas trop informer les concurrents.





Le pilote travaille dans la finance, évidemment, pour se payer des joujoux pareils.

Un tabou français, l'Education Nationale : l'épineuse question des effectifs

On entend à chacune des manifs rituelles que le problème de l'Education Nationale serait dans le manque de moyens, notamment en personnel. Cela fait déjà longtemps que j'ai l'impression qu'il s'agit d'un écran de fumée destiné à cacher la mauvaise volonté.

Je suis tombé (c'est le cas de le dire) sur un chiffre de la Cour des Comptes de 2003 : 97 500 équivalents temps plein (ETP) de professeurs de premier et second degré, c'est-à-dire 12 % des effectifs enseignants, soit 3,8 Md €, soit 1.33 % du budget de l'Etat, soit plus que le budget de la culture, n'enseignent pas devant des classes, sans tenir compte de l'absentéisme et des congés qui représentent 15 000 ETP. Certaines situations sont justifiées, il est difficile de croire qu'elles le sont toutes, les petits ruisseaux d'abus font les grandes rivières de déficit.

Si seulement 10 % de ces enseignants qui n'enseignent pas revenaient devant les classes, ça ferait 10 000 profs en plus sans débourser un sou. Miraculeux, non ?

Mes deux antiennes, qui finissent par devenir lassantes, s'en trouvent renforcées :

1) Les moyens existent, ils sont mal utilisés. De toute façon, il faut arrêter de raconter des carabistouilles : quand les dépenses publiques représentent 54 % du PIB, l'Etat peut avoir des problèmes de tout, sauf de moyens.

2) Ca ne sert à rien de mettre des sous dans des paniers percés. Réformons d'abord les structures, les méthodes et les pratiques.

L'ensauvagement du débat ?

François Delpla me dit trouver excessif l'usage du mot "barbares" dans le texte de Charles Gave.

Cela fait longtemps que je me pose la question des limites du blog. Il m'arrive, à tête reposée, de regretter certaines expressions lachées dans le chaud du moment.

Néanmoins, il y a le ton et il y a le fond. On peut dire de manière véhémente des choses très raisonnables et, inversement, lancer des appels aux meutres sur un ton compassé. Cela s'est déjà vu.

Sur le fond : je ne crois pas que le texte de Charles Gave soit excessif dans son contenu. Il considère les bolcho-bohèmes (autre acception de "bobo") comme des disciples involontaires de Charles Maurras, avec, pour aggraver les choses, un manque de talent affligeant. Je serais mal venu de renier ce texte alors que c'est ce que je pense.

J'avais diagnostiqué depuis longtemps le manque de talent ; par contre, mon association de ces cocos là, les Bové et compagnie, avec le maurrassisme ou le pétainisme est plus récente, ce sont des courants de pensée dont je suis nettement moins familier que des courants libéraux ou jacobins. Mais quelques lectures dont je vous ai fait part (Le vertige social-nationaliste, Le siècle de Monsieur Pétain), plus quelques autres glanées de ci de là, m'ont progressivement ouvert à cette idée.

Maintenant, le ton nuit-il à la sérénité et, par conséquent, à la qualité des débats ? Peut-être, mais il y a aussi un plaisir certain dans le style pamphlétaire.

"Barbares" est-il excessif ? Pour des gens qui ont saccagé un MacDo pour faire parler d'eux et arraché des plantations d'étude, l'excès ne doit pas être bien grand.

lundi, janvier 16, 2006

Belle-Ile ou Saint-Affrique ?,

Quand je vous dis qu'on connaît les réformes à faire, qu'il ne manque que la volonté, en voici un exemple.


Belle-Ile ou Saint-Affrique ?, par Guy Vallancien
LE MONDE | 16.01.06 | 13h43 • Mis à jour le 16.01.06 | 13h43


Les habitants de Belle-Ile, de Sein, d'Ouessant, de l'île d'Yeu vivent l'hiver dans des conditions météorologiques parfois exécrables, sans accès proche à un service de chirurgie ou à une maternité. Les a-t-on déjà entendus taper du tambour et faire la "une" des médias pour réclamer des moyens chirurgicaux sophistiqués sur place ? Jamais ! Dans les îles du Ponant, les médecins savent gérer la petite urgence, sont équipés en matériel de base pour assurer les premiers soins tels que les sutures de plaies superficielles, les immobilisations de membres, placer une perfusion, commencer une réanimation et aider à l'accouchement s'il se produit plus vite que prévu. Par très gros temps, la marine nationale peut être mise à contribution. A Yeu (35 000 personnes l'été) et Belle-Ile (50 000) fonctionnent des hôpitaux locaux adaptés à l'insularité mais sans service de chirurgie. Bateaux (entre 30 minutes et une heure) et surtout hélicoptères (entre 7 à 15 minutes) assurent le relais vers le continent et ses hôpitaux. Les maires, les médecins, les infirmières ainsi que la population se sont organisés pour maintenir une médecine de proximité efficace associée à un transport rapide en cas de problème aigu et grave sans que personne s'en plaigne.


Sur le continent, la pratique locale est inverse : malgré un constat sévère de l'Inspection générale des affaires sanitaires, on laisse fonctionner un service de chirurgie dans une petite ville où un seul praticien présent assure à l'année une production chirurgicale minimale, alors qu'à une demi-heure de là un autre hôpital où exercent 6 chirurgiens à l'activité opératoire 15 fois supérieure répond à la demande chirurgicale du bassin de population grâce à une route praticable toute l'année.

Les petits hôpitaux qui tentent de préserver leur service de chirurgie recrutent parfois des chirurgiens à la formation incertaine, à la pratique hésitante, aux complications et reprises opératoires anormalement nombreuses, mais on le tait. Certains de ces chirurgiens sont de véritables barbiers ambulants qui vont de ville en ville, mais on passe outre.

On relève aussi des drames dans les plus grands centres hospitaliers, universitaires y compris. Mais on sait, preuves scientifiques à l'appui, qu'une pratique chirurgicale en dessous d'un certain seuil et d'une certaine qualification est une facteur déterminant d'augmentation de la mortalité et de la morbidité opératoires. Les petits hôpitaux cumulent les handicaps : ils ont du mal à recruter les chirurgiens les plus qualifiés et ils les laissent opérer seuls, sans l'avis ou l'aide possible d'un collègue en cas de difficulté. Nous avons tous eu besoin un jour de cette aide face à une situation imprévue.

Faut-il redire qu'il n'y a pas de "petite chirurgie" ? Doit-on accepter qu'un chirurgien réalise par an seulement une dizaine d'interventions majeures grevées d'un taux de complications nettement au-dessus de la moyenne ? La réponse est non, trois fois non. Les soi-disant réseaux qui consistent à faire venir un chirurgien pour opérer de temps à autre sont une solution bâtarde et à risque, car il ne suffit pas de bien opérer, encore faut-il s'entourer d'anesthésistes, d'un personnel paramédical rodé pour les suites opératoires et d'un autre chirurgien sur place capable d'assurer les complications éventuelles. La chirurgie est un métier d'équipe. Dans ce domaine très particulier de la médecine, proximité ne rime pas avec sécurité.

Combien faudra-t-il d'estropiés et de morts en plus sous prétexte de préserver l'emploi local et le lien social ! La chirurgie française est ainsi à multiple vitesse selon la porte à laquelle vous frappez pour vous faire opérer. Une telle situation profondément inique traduit la plus grave des inégalités devant la maladie ou les accidents, car légalement rien ne se voit. Le maire est content de préserver un service de chirurgie de proximité, le directeur de l'hôpital a sa liste de garde remplie, pendant que les plus avertis des habitants du lieu fuient l'établissement et vont se faire opérer ailleurs. Ce sont les plus vieux et les plus pauvres qui pâtissent de cette situation car ils ne sont pas informés et craignent de quitter leur environnement. Une hospitalisation en chirurgie dure actuellement environ 5 à 6 jours, et les petits gestes peuvent être réalisés en ambulatoire ? L'argument de l'isolement des personnes âgées pendant leur séjour dans un hôpital lointain ne tient pas si on organise (voilà une attitude solidaire !) la visite de leurs familles et amis pour les soutenir. Les arguments géo-climatiques des risques du transfert liés aux intempéries et aux difficultés de circulation sont contredits par l'expérience des îliens et des montagnards (Chamonix a fermé son service de chirurgie sans plus de risques pour les habitants de la vallée). Combien de temps cet aveuglement et cette omerta vont-ils durer ?

Une vraie politique de santé publique passe d'abord par la garantie que chaque Français puisse subir une opération dans une structure de soins dotée d'un personnel médical et paramédical entraîné à la chirurgie, en nombre suffisant, équipée d'un matériel adapté et respectant les règles de stérilisation modernes. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, même si certains maires ont investi à tour de bras pour tenter de conserver contre vents et marées les salles d'opération de leur hôpital. Il est grand temps de modifier cet état de fait lamentable avec pédagogie en expliquant les enjeux aux populations et en médiatisant les restructurations qui fonctionnent bien comme à La Mure, Valogne, Montaigu ou dans de nombreuses autres petites villes dont on ne parle jamais parce que le sang n'y coule pas ! Le courage politique nécessite d'adapter la carte chirurgicale française région par région sur la seule base de la qualité médicale et non sur celle des échéances électorales et des manifestations de rue.



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Guy Vallancien est chirurgien, professeur à l'université René-Descartes, Paris-V.

ATTAC et les OGM : de l'obscurantisme à la barbarie


Par Jacques Guénin, décembre 2005



De même que l'on trouve chez ATTAC des gens de bonne volonté intoxiqués par la propagande, on y trouve, en cherchant bien, des gens qui se posent des questions sur la pertinence de faucher les champs d'OGM. Ceux là expliquent benoîtement qu'ils ne sont pas a priori contre les OGM, ils demandent seulement que l'on n'en plante pas tant que l'on n'aura pas établi leur absence de nocivité au moyen de recherches appropriées. On se demande alors pourquoi le bouffon violent José Bové et ses acolytes ont commencé par le sabotage des installations de recherche. Le 5 juin 1999, dans notre beau pays de France, dans cet Etat de droit où l'on apprend à l'école qu'il ne faut pas se faire justice soi-même, une centaine de personnes appartenant à la Confédération Paysanne, conduites par José Bové et René Riesel, pénétrèrent par effraction dans une serre du Cirad, organisme public de recherche agronomique. Devant les journalistes convoqués pour l'occasion, la bande procédait à la destruction d'ordinateurs et de milliers de plans de riz, génétiquement modifiés pour améliorer leur résistance à la sécheresse et la salinité. Incidemment, elle détruisait aussi l'émulation salutaire qui existait entre le Cirad et l'université de Cornell qui faisait des travaux sur le même sujet.

Certes, René Riesel, l'ancien secrétaire national de la confédération paysanne, a quitté la confédération au moment de l'épisode Mc Donald, et s'est démarqué à la fois de Bové et d'ATTAC. "ATTAC et les citoyennistes, dit-il, sont des néo-étatistes... ils ne sont que d'anciens gauchistes, d'anciens staliniens, qui modernisent un peu leur discours". Mais ladite confédération figure toujours en temps que personne morale au Conseil d'administration d'ATTAC, qui accorde toujours un soutien sans faille à José Bové, lequel d'ailleurs le lui rend bien. Jacques Dufour, président de la Confédération Paysanne, est membre du comité directeur d'ATTAC. Plusieurs fédérations éprouvent spontanément le besoin de soutenir les fauchages sauvages par des articles dans la presse. Ainsi, suite à l'action anonyme de destruction d'une parcelle de maïs OGM à Magescq (Landes), dans la nuit du 23 au 24 août 2004, le Comité ATTAC Landes Côte Sud a déclaré approuver cette destruction dans le quotidien Sud-Ouest : "Cette action s'inscrit dans un climat d'opposition générale aux essais et cultures d'OGM marquée en cet été par de nombreuses destructions clandestines ou à visage découvert". ATTAC se déclare "solidaire de tout citoyen impliqué dans de tels faits qui pourrait être menacé de poursuites judiciaires, suite aux plaintes qui ne manqueront pas d'être déposées."
Incroyable mais vrai!

Le comportement d'ATTAC sur ce sujet révèle à quel point la soumission à une idéologie peut fermer toute ouverture à la connaissance, peut rendre insensible aux incohérences et peut faire perdre toute capacité de réflexion. Nous allons examiner successivement ces trois points :


L'ignorance ou le refus de savoir.

Il y a une dizaine d'années, on pouvait se demander si les OGM ne présenteraient pas de toxicité pour le bétail et pour les humains, et s'ils ne risquaient pas de contaminer d'autres cultures. Certains transgènes confèrent en effet aux plantes un avantage sélectif. Ces plantes pourraient alors devenir envahissantes et menacer la flore locale et la biodiversité. On pourrait alors craindre par exemple la contamination de plantes dites biologiques.

En France, nous avons moins avancé dans l'étude de ces questions que d'autres pays, malgré la qualité de nos organismes de recherche, précisément parce que ces organismes sont obligés d'opérer à petite échelle et en secret pour éviter le vandalisme des valeureux barbares intoxiqués par José Bové. Mais d'autres pays ont tellement avancé, qu'ils ont non seulement circonscrit les problèmes, mais prescrit et contrôlé les précautions éventuelles, si bien qu'ils ont pu autoriser la plantation d'OGM à grande échelle. Résultat : il y a aujourd'hui de par le monde plus de 90 millions d'hectares cultivés en OGM, dont plus de 50 aux Etats-Unis, 16 en Argentine, 5 au Canada et au Brésil, et 4 en Chine. Les variétés cultivées son essentiellement le soja, le maïs, le colza, le coton et le riz. Ces cultures sont pratiquées par 8,5 millions d'agriculteurs dans 17 pays. Comme il y avait déjà 1,7 millions d'hectares en 1996, c'est à dire il y a dix ans, on peut dire que cette progression n'est pas récente et qu'on a eu tout le loisir d'en mesurer les effets. On n'a pas encore noté un seul cas d'intoxication ou de conséquence négative sur l'environnement, au contraire, comme nous le verrons plus loin.

Lorsqu'on connaît ces faits, les élucubrations et l'agitation de la Confédération Paysanne et d'ATTAC apparaissent tout simplement grotesques, consternantes, et on ne peut qu'avoir honte pour eux.

L'incohérence doctrinale

Elle porte sur le combat contre la pauvreté et la protection de l'environnement, deux sujets qui motivent beaucoup les gens d'ATTAC si on en croit leur propagande.
En ce qui concerne le premier point, il est clair aujourd'hui que les OGM représentent un immense espoir pour les pays pauvres, aussi bien sur le plan de la nourriture que sur celui de la lute contre les maladies. Ils permettent de créer des plantes ayant des propriétés particulièrement utiles aux paysans pauvres qui n'ont pas les moyens de lutter contre les maladies des plantes ou d'acheter des engrais : résistance aux maladies (qui sont responsables de la perte de 30 pct des récoltes), résistance aux herbicides, amélioration des qualités nutritives et du goût, adaptation aux sols salés ou alcalins, résistance au froid et aux courants d'air, détoxification des sols par captation de métaux lourds, production de molécules utilisables pour fabriquer des huiles, des détergents, des fibres, et même des combustibles pour se chauffer.

Les feuilles ou les graines de certaines plantes transgéniques peuvent être une source bon marché de protéines ayant des propriétés thérapeutiques (insuline, hormone de croissance, interféron, anticorps divers, etc.)

Certaines plantes transgéniques, comme le riz doré, pourraient contribuer à réduire les graves déficits en vitamine A et en fer qui frappent un nombre considérable d'êtres humains.

Des chercheurs de l'Université Cornell, aux Etats-Unis, ont mis au point un riz à concentration élevée en tréhalose, un sucre que l'on trouve aussi chez les bactéries, les champignons et les invertébrés et qui permet une résistance accrue à la sécheresse et à la teneur du sol en sel. Ce riz est capable de résister à des sécheresses intenses et de renaître à la moindre goutte de pluie. De même, il survit dans des sols contenant 50% plus de sel que les zones de culture considérées comme très salées. Enfin il supporte des températures inférieures de dix degrés à celles que peut supporter la variété non transgénique.

Des chercheurs de la même université ont créé une variété de banane qui contient un vaccin contre l'hépatite B. Une seule banane inocule le vaccin à un enfant pour un cinquantième du prix d'une piqûre, et avec moins de larmes.

Il en va de même pour la protection de l'environnement. Une bactérie, le Bacillus Thuringiensis (BT), contient une protéine qui tue trois espèces de vers meurtriers pour le coton. Le BT était utilisé depuis 1950 sous forme d'insecticide répandu par hélicoptère. En Inde, de tels traitements étaient répétés une dizaine de fois par an, ce qui coûtait évidemment très cher et avait des effets écologiques négatifs. Aujourd'hui le "BT cotton", une variété transgénique dans les graines de laquelle on a introduit la bactérie BT, permet d'éviter ces traitements, donne un meilleur rendement et une fibre de meilleure qualité. Cette bactérie a aussi été introduite dans le maïs pour les mêmes raisons.

Aux Etats-Unis, sur la période 1996-2004, l'utilisation de soja génétiquement modifié a fait économiser 19 000 tonnes d'herbicides, et l'utilisation de maïs transgénique a réduit de 5 800 tonnes la consommation d'insecticides.

La perte de la capacité de réflexion.

Un des griefs mis en avant par les barbares est que le développement des OGM est fait par des compagnies privées pour accroître leurs profits au détriment du tiers monde. C'est faire preuve d'un manque de réflexion qui confine à la stupidité :

- d'abord parce que beaucoup de découvertes utiles sont faites dans des universités et des instituts de recherche publics. Or ce sont celles là que les barbares détruisent, car les compagnies privées se protègent mieux.

- ensuite parce que les sociétés privées ont une incitation beaucoup plus forte que les organismes publics à ne pas commettre d'erreur sur le plan de l'environnement ou de la santé. Pour elles c'est simplement une question de survie.

- enfin parce qu'elles sont bien obligées de fabriquer des produits assez bon marché pour que les gens aient intérêt à les acheter.

Il est décevant d'avoir à expliquer des choses aussi évidentes.