Je suis convaincu depuis un certain temps que nos hommes politiques sont des cornichons, pour reprendre le vocabulaire du journaliste de RTL ; qu'ils sont loin d'être les meilleurs de leur génération, que les Français qui disposent de quelque talent font autre chose que de la politique.
Puisqu'on se trouve dans le cas peu fréquent où un ministre, en l'occurrence Christine Lagarde, était internationalement reconnu dans sa profession antérieure, il est intéressant de voir si il va se transformer en cornichon.
JMA ne semble pas en douter ; à vrai dire, moi non plus.
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C'est la grande nouvelle du jour: le nombre de chômeurs, en France, est inférieur à 2 millions de personnes. Et cela va continuer, nous promet-on, nous a promis Christine Lagarde, c'est un début camarades, continuons le combat, le vieux monde est derrière nous, sous les pavés la plage, sans oublier celle ci, ma préférée: tout corps plongé dans un bocal de cornichons devient un cornichon.
Donc, réjouissances. Constat, aussi. Si ce seuil de moins de millions de chômeurs est une bonne nouvelle, c'est parce qu'il n'avait plus été atteint depuis 1983. Vous souvenez-vous de 1983? Pierre Mauroy était premier ministre, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient à la maternelle, François Mitterrand lisait avec attention les relevés des écoutes téléphoniques, Jean-François Kahn venait de lancer L'Évènement du Jeudi, France 2 s'appelait Antenne 2, TF1 était une chaine publique et à la mairie de Paris quelques truffiers indélicats avaient mis en place des tuyaux qui siphonnaient un peu de l'argent public que Jacques Chirac administrait dans la plus parfaite innocence.
²Ce ne sont là que quelques repères qui servent à écrire que dans cette époque préhistorique de la Nation le chômage commençait à gravir un sommet que nous commençons à peine à descendre.
Dans toutes ces particularités qu'elle cumule et dont elle est fière, la France compte notamment celle de vivre depuis longtemps, si longtemps, avec un chômage de masse. Le prix à payer a été, est et sera colossal. Ce boulet a plombé nos régimes de solidarité, vidé les caisses de l'État, entretenu une fiscalité confiscatoire, appauvri, dans d'innombrables parties, ce pays naguère prospère.
Confrontés à ce drame, les responsables politiques ont été remarquablement inefficaces tout au long de ce dernier quart de siècle. Aucun n'a jamais cherché vraiment à comprendre les mécanismes par lesquels une société occidentale moderne, bénéficiait d'un fort taux d'éducation, aurait pu créer davantage de richesses, et donc d'emploi. La politique communément suivie par des élus de droite ou de gauche fut plutôt de compenser par un argent public qui appartient à tout le monde et donc à personne les dégâts occasionnés par ce sous emploi. Les mécanismes d'aides et de soutien de toutes natures et en direction de populations chaque fois plus diversifiées ont ainsi été financées à crédit. Les pansements se sont multipliés, sans que jamais la maladie soit traitée à fond.
Qui donc a tenté d'initier un débat sur la compétitivité de l'économie française à l'heure de la mondialisation? Personne. Déjà, l'écrire ici équivaut, pour certains, à proférer un chapelet d'insultes. Alors tenter de bâtir un parcours politique là dessus, vous n'y pensez pas. Pourtant, c'est aussi bête que deux plus deux. Alors même que le nombre de fonctionnaires a été multiplié par deux ces vingt cinq dernière années, le chômage n'a cessé de croître dans la période, dépassant même la barre des trois millions de chômeurs au milieu de la décennie précédente. Le verdict est donc simple: les entreprises françaises ont perdu, régulièrement, du terrain. Elles ont produit, globalement, trop mal et trop cher. Et face à cela, le pouvoir politique, incité à la paresse par une société globalement insensible à ce genre de problèmes, est demeuré d'une remarquable passivité.
Aujourd'hui, le chômage baisse. Est-ce à dire que la situation, en profondeur, s'est améliorée? Bien sûr que non. Les miracles n'existent que dans les livres des grands enfants que nous sommes demeurés. D'abord, les créations d'emplois se font aujourd'hui en France dans des secteurs de services où prédomine une main d'œuvre faiblement qualifiée. Ce sont, souvent, des emplois précaires. L'industrie, elle, connaît les pires difficultés pour faire face à la concurrence car, en vingt cinq ans, les charges sociales et fiscales se sont beaucoup accrues. Des pans entiers, aujourd'hui, de notre patrimoine industriel sont menacés, l'automobile en étant, hélas, l'exemple le plus frappant et le plus angoissant.
Les caisses de l'État sont vides, la sécurité sociale est exsangue et les régimes de retraites enregistrent des déficits dont l'ampleur n'a pas été correctement anticipée par les spécialistes. Sur cette toile de fond navrante viennent se greffer les consternants chiffres du commerce extérieur, un déficit de trente milliards d'euros en 2006.
Regardons ailleurs, en Allemagne par exemple. Réunifiée et réindustrialisée à l'Est, elle a redessinée son marché du travail durant els cinq dernières années. Assouplie, remusclée, son économie montre une extraordinaire vitalité. Son commerce extérieur, en 2006, a enregistré un solde positif de 160 milliards d'euros. Du coup, son chômage est en train de décroître très vite alors que ses finances publiques s'améliorent à une vitesse sidérante. L'an prochain, l'Allemagne pourrait être à l'équilibre budgétaire, une situation que la France n'a plus connue depuis 1979 et qu'elle n'est pas prête de connaître.
Se dessine ainsi les conditions d'un scénario catastrophe qui n'est pas le plus probable mais qui n'est pas irréaliste. Si l'économie française et allemande continuent à diverger sur la base des prémices que nous sommes en train de constater, dans cinq ans, dans dix ans maximum, des tensions très fortes se feront jour autour de la monnaie commune aux deux pays. Comment, en effet, concevoir qu'un même outil monétaire puisse représenter des économies aussi divergentes?
A partir de là, deux hypothèses.
Ou bien, les responsables politiques continuent de vivre la tête dans le sable jusqu'au cou et une crise financière majeure risque de nous tomber dessus, genre pour acheter un timbre poste il faudra huit billets de 500 euros, la catastrophe.
Ou alors, contraints part les évènements, les responsables prennent enfin leurs responsabilités, tautologie qui n'a plus cours qu'épisodiquement en France, et la dépense publique baisse drastiquement pour alléger le poids des charges de toute nature afin de retrouver des conditions de production susceptible de préserver notre économie, ce qui permettra d'envisager de préserver alors les systèmes de solidarité, lesquels ne peuvent subsister que si de la richesse est créée, vérité d'évidence dont plus grand monde ne paraît se souvenir.
Dans cette deuxième hypothèse, la douleur sera intense, le sentiment d'avoir été trompé aussi. De la colère et du dépit naîtront sûrement, qui provoqueront des déséquilibres dont nul ne peut prévoir ni les formes ni l'ampleur.
On pourrait dire, dans une tentative de théorisation certes absurde mais éclairante, que nos sociétés, vieilles de plusieurs siècles, ont normalement développé un État fort pour faire face aux nécessité de la guerre qui, tout le temps, a été une réalité ou une virtualité. Mais quand dans ce bout d'Europe, la perspective de la paix entre la France et l'Allemagne s'est installée, certains appellent cela faire l'Europe mais en clair c'est faire la paix, alors, le rôle, la place et l'importance de l'État doivent être réévalués et, pour faire court, la mondialisation des échanges renforçant le phénomène, il faut, il aurait fallu, il faudra un jour, penser l'État comme au service de l'économie.
A ceci, accolons un constant. Christine Lagarde est, en France, le douzième ministre de l'Économie en douze ans, record européen, peut-être aussi, qui sait, mondial, ne soyons pas modeste ce matin.
Ceci explique-t-il cela? Reprenons donc en chœur: tout corps plongé dans un bocal de cornichons devient un cornichon.